Madame la Présidente, je suis très heureux d'intervenir aujourd'hui à titre de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice pour appuyer le passage du projet de loi C-3 à la prochaine étape de son examen.
J'aimerais commencer par saluer l'étude article par article du projet de loi C-3 que mes collègues du Comité permanent de la justice et des droits de la personne ont mené rapidement et efficacement afin que cet important projet de loi puisse poursuivre son cheminement. La version dont la Chambre est saisie aujourd'hui prend en compte un certain nombre d'amendements adoptés par le comité de la justice. J'en parlerai en temps voulu.
Je tiens à souligner d'emblée l'important travail qui a été accompli sur une mouture précédente de ce projet de loi par Mme Rona Ambrose, alors cheffe par intérim du Parti conservateur du Canada, pendant la 42e législature. À l'époque, elle l'avait présenté à titre de projet de loi d'initiative parlementaire et il avait obtenu l'appui de l'ensemble des députés et rapidement franchi toutes les étapes du processus législatif à la Chambre des communes.
Malheureusement, il n'a pas pu être adopté avant la fin de la 42e législature et c'est la raison pour laquelle la législature actuelle en est maintenant saisie. Comme nous avions totalement foi en ce projet de loi, nous nous étions engagés à le déposer à titre de projet de loi du gouvernement, ce que nous avons fait, et il en est maintenant à l'étape de la troisième lecture.
Le projet de loi C-3 a pour objectif ultime de renforcer la confiance du public, et plus particulièrement la confiance des survivants d'agressions sexuelles, dans le fait que le système de justice criminel traitera chaque personne équitablement. Cet objectif fondamentalement important a été accepté à l'unanimité en deuxième lecture par les députés, dont un certain nombre ont évoqué des expériences personnelles pénibles ou ont parlé de leur travail auprès des survivants d'agressions sexuelles.
Ces déclarations importantes témoignent du fait que l'agression sexuelle des femmes demeure un fléau qui est un affront à la réputation de notre société. Il s'agit d'un problème épineux et omniprésent que chaque membre de notre société doit prendre au sérieux et pour lequel il faut s'engager à apporter des changements.
Il est important de souligner que le projet de loi n'est pas une panacée face à ce problème complexe. Cependant, le projet de loi C-3 représente un pas, petit mais important, vers la transformation du système de justice canadien en un système au sein duquel les victimes d'agression sexuelle sont traitées avec dignité et respect à toutes les étapes des procédures judiciaires.
J'ai la ferme conviction que, à titre de parlementaires, nous avons le devoir de prendre toutes les mesures possibles pour rendre le système de justice pénale plus équitable, plus juste et plus accessible. S'il est adopté, ce projet de loi aura un effet positif sur la confiance du public. Il montrera aux victimes d'agression sexuelle et à l'ensemble des Canadiens l'engagement du Parlement à s'assurer qu'ils sont traités de façon équitable, avec dignité et respect, et que le processus judiciaire se déroule selon le cadre légal établi par le Parlement et qu'il n'est pas influencé par des mythes et des stéréotypes d'une autre époque.
À cet égard, le projet de loi C-3 propose trois mesures clés concernant la formation des juges et une autre mesure concernant le Code criminel du Canada. Je vais parler de ces dispositions.
Premièrement, la Loi sur les juges serait modifiée de façon à exiger que, pour pouvoir être nommés à une cour supérieure provinciale, les candidats doivent s'engager à suivre une formation sur des questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social après leur nomination. Je veux ouvrir une parenthèse, car il est important de souligner que, en tant que Parlement fédéral, nous avons affaire aux juges qui relèvent de la compétence fédérale. Le projet de loi ne prétend pas imposer quelque critère que ce soit aux juges qui sont nommés par les procureurs généraux des provinces et les gouvernements provinciaux aux tribunaux provinciaux.
Cela reste un point important. La notion du droit relatif aux agressions sexuelles et de la sensibilisation au contexte social est importante pour tous les juges. Toutefois, nous sommes résolus à donner l'exemple en ce qui concerne cette mesure législative importante et à continuer à travailler à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale pour faire comprendre aux juges de toutes les juridictions au Canada et dans toutes les provinces l'importance de ce type de sensibilisation.
Deuxièmement, le projet de loi C-3 modifierait la Loi sur les juges afin d'exiger que le Conseil canadien de la magistrature élabore la formation sur le droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social en consultation avec des personnes ayant survécu à une agression sexuelle, les groupes qui les appuient et d'autres groupes et personnes que le Conseil estime indiqués.
Le troisième élément clé du projet de loi C-3, à propos de la participation des juges à des séances de formation, est l'obligation pour le Conseil canadien de la magistrature de fournir au ministre de la Justice, pour qu'il le dépose au Parlement, un rapport annuel donnant des précisions sur la formation suivie par les juges. Cette obligation vise à mieux rendre compte de la sensibilisation des juges en exercice à ces questions et à encourager leur participation.
Enfin, le dernier élément clé du projet de loi C-3 est une modification au Code criminel du Canada afin d'obliger les juges à motiver leurs décisions lors des procès pour agressions sexuelles, que ce soit par écrit ou dans le compte rendu des délibérations. Cette modification contribuerait à prévenir une mauvaise application des dispositions juridiques liées aux agressions sexuelles. Elle rendrait en outre plus transparentes les décisions dans les affaires d'agression sexuelle, car il est toujours plus facile de passer une chose en revue quand elle a été écrite et consignée. Nous l'avons entendu en long et en large lors des débats sur les deux versions précédentes du projet de loi et lors des diverses études en comité. Il ne faut pas seulement qu'il y ait justice, mais aussi qu'il y ait apparence de justice, et le fait de consigner les justifications des décisions par écrit ou dans le compte rendu des délibérations contribuerait à réaliser cet objectif primordial.
Ensemble, ces modifications viseraient à accroître la confiance du public et des survivants en la capacité de notre système de justice pénale d'instruire les affaires d'agression sexuelle de manière équitable et respectueuse, en traitant les victimes avec dignité et, surtout, en respectant la loi qui a été soigneusement élaborée à cette fin.
De manière tout aussi importante, le projet de loi enverra à tous les Canadiens, et particulièrement aux personnes ayant survécu à une agression sexuelle, le message selon lequel le Parlement est déterminé et prêt à agir pour que l'ensemble de la population canadienne, surtout les personnes les plus vulnérables, puisse avoir confiance en notre système de justice.
Ceci étant dit, j'aimerais maintenant aborder les amendements qui ont été adoptés par le comité, et qui, je suis très heureux de le dire, sont appuyés par le gouvernement.
Le premier amendement clé que le comité a apporté est d'inclure les termes « racisme systémique » et « discrimination systémique » dans le concept du contexte social. La Chambre se rappellera sûrement qu'en 2017, lors des débats sur le projet de loi C-337, c'est-à-dire le projet de loi émanant de la députée Rona Ambrose, comme je l'ai indiqué d'entrée de jeu, le gouvernement avait proposé un amendement pour inclure la sensibilisation au contexte social dans la portée du projet de loi à l'étude durant la 42e législature. Cet amendement avait finalement été adopté à l'unanimité par la Chambre.
L'inclusion du contexte social dans les dispositions sur la formation des juges de l'ancien projet de loi C-337 était jugée essentielle pour garantir que des institutions importantes comme la magistrature sont en mesure de répondre aux réalités, aux besoins et aux inquiétudes de tous les Canadiens. Cette initiative visait à reconnaître explicitement que la connaissance du droit substantiel est insuffisante en soi. En effet, les candidats potentiels aux cours supérieures doivent être prêts à suivre une formation continue après leur nomination afin de s'assurer qu'ils sont conscients et informés de la nature évolutive de la société canadienne, plus particulièrement des groupes marginalisés et vulnérables. On a très délibérément choisi un libellé qui est le plus inclusif possible, sans pour autant énumérer des concepts, des catégories et des groupes, notamment des groupes démographiques, éliminant ainsi le risque que les parlementaires excluent involontairement ou par inadvertance certaines personnes ou certains groupes.
Il ne s'agit pas là d'une préoccupation sans fondement. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il est impératif que tous les Canadiens se retrouvent dans les institutions créées pour les servir et appuyer notre démocratie. Les parlementaires doivent veiller à ce que ce soit le cas quand ils examinent des mesures législatives. Par ailleurs, je m'attends pleinement à ce que cette question soit étudiée attentivement par le Sénat. Je suis impatient d'entendre les opinions de tous les Canadiens et intervenants pour faire en sorte de répondre aux attentes des Canadiens et de bien faire les choses.
Il convient de souligner pour la gouverne des députés que la magistrature des cours supérieures du Canada est l'une des premières au monde à insister sur l'importance d'intégrer la sensibilisation au contexte social à tous ses programmes de formation pour les juges. En 2018, le Conseil canadien de la magistrature a explicitement ordonné que le perfectionnement professionnel des juges comprenne la sensibilisation au contexte social dans lequel ils exercent leurs fonctions.
J'aimerais citer un passage des politiques et lignes directrices sur le perfectionnement professionnel du Conseil canadien de la magistrature, qui peuvent être consultées sur le site Web du Conseil. Le document dit ceci:
Les juges doivent veiller à ce que les préjugés personnels ou sociétaux, les mythes et les stéréotypes n’influencent pas la prise de décisions judiciaires. Pour cela, il est nécessaire de connaître les réalités des personnes qui comparaissent devant le tribunal et d’y être sensibilisé, notamment de comprendre les circonstances liées au genre, à la race, à l’origine ethnique, à la religion, à la culture, à l’orientation sexuelle, aux capacités mentales ou physiques différentes, à l’âge, aux antécédents socioéconomiques, aux enfants et à la violence familiale.
Cela dit, l'important projet de loi dont il est question comprend des nuances. Nous devons nous y prendre comme il faut. Je dis cela parce que l'indépendance judiciaire est protégée par la Constitution. Si je peux me permettre une petite parenthèse, avant d'être élu au Parlement, j'ai passé une grande partie de mes 15 ans de pratique en tant qu'avocat de droit constitutionnel à plaider dans ce domaine.
L'indépendance des juges est sacrée dans toutes les démocraties occidentales. Elle repose sur des principes évidents, mais qu'on passe souvent sous silence. On ne peut influencer la sécurité financière des membres de la magistrature. On ne peut influencer leur mandat ou chercher à les faire démettre de leurs fonctions dans le but d'exercer une forme d'influence. Enfin, on ne peut toucher à l'indépendance administrative des juges. Par exemple, le gouvernement ne peut s'ingérer dans le processus qui consiste à déterminer quel juge entend quel type d'affaires. Cela contreviendrait clairement à la notion que nous avons de la démocratie, sans parler de la Charte et de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le volet administratif de l'indépendance des juges prévoit que c'est l'appareil judiciaire qui contrôle la formation et l'éducation des juges. Cela permet de s'assurer que le processus décisionnel des juges de notre pays n'est pas — et n'est pas considéré être — l'objet d'ingérence ou d'influence arbitraires. Il s'agit là d'un concept fondamental, et c'est pourquoi il est inscrit dans la Constitution.
Le projet de loi C-3 et son prédécesseur, le projet de loi C-5, ont été soigneusement rédigés afin que, au bout du compte, ce soit l'appareil judiciaire qui contrôle la formation des juges.
Je vais parler maintenant de l'amendement proposé. Il reflète l'avis du Parlement selon lequel le racisme et la discrimination systémiques devraient être compris dans la notion de contexte social, sans toutefois perturber le délicat équilibre qui doit être maintenu. L'appareil judiciaire s'occuperait quand même de concevoir et d'offrir la formation d'une manière qui respecte pleinement l'indépendance de la magistrature. Le Parlement peut cependant répondre aux attentes des Canadiens en s'efforçant de résoudre des problèmes urgents d'intérêt public. Les problèmes de racisme et de discrimination systémiques subsistent depuis longtemps, notamment au sein du système de justice. Cependant, il va sans dire que la sensibilisation du public à ces concepts est une question qui a été particulièrement mise en évidence pendant cette pandémie.
Je tiens à souligner deux exemples particuliers et à remercier deux députés qui ont participé aux délibérations du comité, soit le député de Hull—Aylmer et le député de Sydney—Victoria. Ils ont parlé avec éloquence des aspects pernicieux du racisme et de la discrimination systémiques envers les Noirs et les Autochtones du Canada. Je les félicite du travail qu'ils ont réalisé dans le cadre du caucus des parlementaires noirs et du caucus des parlementaires autochtones, mais aussi d'avoir contribué à l'étude du comité en proposant des amendements très ciblés mais absolument nécessaires afin de préciser la notion de contexte social.
Je passe maintenant à une autre série d'amendements proposés par les députés du troisième parti, le Bloc québécois. Les députés remarqueront des changements mineurs, par exemple le remplacement du mot « doit » par « devrait » dans certains contextes. On a aussi apporté de légères modifications à d'autres dispositions. Ces amendements visent à éviter une interprétation selon laquelle en adoptant le projet de loi C-3, le Parlement donnerait des ordres au pouvoir judiciaire au sujet de la formation des juges. Bien qu'une telle perception me semble improbable, le gouvernement est prêt à accepter ces amendements par souci de prudence.
Je souhaite aussi attirer l'attention des députés sur la motion du gouvernement qui vise à amender le projet de loi C-3 à l'étape du rapport afin de corriger des différences entre les versions anglaise et française des amendements proposés par les députés du Bloc. De toute évidence, ces amendements sont nécessaires et ne prêtent pas à controverse. J'espère donc que tous les députés les appuieront afin que les amendements souhaités par le comité soient faits dans les deux langues officielles.
Encore une fois, on ne saurait trop insister sur l'importance du principe de l'indépendance judiciaire. Comme je l'ai souligné, les efforts du Parlement pour renforcer la confiance du public dans le système de justice ne doivent pas en même temps miner ce principe qui est protégé par la Constitution. Je suis certain que nos estimés collègues du Sénat accorderont à cette question toute l'attention qu'elle mérite, ce que j'attends avec impatience, pour deux raisons: premièrement, parce qu'un vigoureux débat public est essentiel à une démocratie saine; deuxièmement, parce que dans ce cas-ci, le débat en soi servira à rassurer le public quant à la force de l'indépendance judiciaire au Canada et à la considération du Parlement pour cet important principe constitutionnel.
Nous sommes très chanceux au Canada d'avoir l'un des systèmes judiciaires les plus vigoureusement indépendants et les plus respectés au monde, sinon le plus indépendant et le plus respecté, et ce, en grande partie grâce à l'accès, pour la magistrature des cours supérieures, à une excellente formation continue financée par l'État, mais relevant du judiciaire.
Les députés m'ont entendu parler de certains aspects de cette formation continue depuis 2018. Il s'agit d'un autre pas dans la même direction, pour veiller à ce que la formation continue d'être rigoureuse et de répondre aux meilleures normes dans le monde pour la magistrature d'une démocratie occidentalisée.
J’applaudis également les parlementaires qui ont eu la prévoyance d’inscrire dans la Loi sur les juges la disponibilité de fonds pour la formation des juges, et le Conseil canadien de la magistrature pour le leadership dont il a fait preuve en reconnaissant que le perfectionnement professionnel et l’éducation permanente sont essentiels pour assurer une magistrature bien formée, professionnelle et, bien entendu, indépendante.
L’engagement du Conseil canadien de la magistrature en faveur d’une excellente formation continue s’exprime dans ses politiques et lignes directrices en matière de perfectionnement professionnel, qui, je le sais, reconnaissent explicitement que le public s’attend à juste titre à ce que les juges soient compétents et qu'ils connaissent bien la loi. Le projet de loi C-3 ne vise qu’à appuyer et consolider cette notion et à progresser ainsi vers un meilleur système de justice, plus humain et plus inclusif.
Je vais conclure mes propos de la même façon que j’ai commencé, en reconnaissant les défis que doivent relever les personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Ces défis vont bien au-delà de la portée du projet de loi. Nous devons reconnaître que pour apporter des changements significatifs et profonds au traitement réservé à ces personnes dans notre système de justice pénale, chaque acteur du système de justice et chaque ordre de gouvernement doit assumer ses responsabilités. C’est ce à quoi j’ai fait allusion concernant l’adoption du projet de loi, la collaboration avec les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux, pour veiller à ce que les mesures que nous pourrions prendre par l’entremise du projet de loi en ce qui concerne les juges nommés aux cours supérieures soient reproduites dans les mesures que nous pouvons et espérons voir dans les nominations provinciales à la magistrature.
Il va également de soi que le projet de loi n’aurait pas vu le jour sans le leadership de Mme Rona Ambrose. Chaque fois qu’un député de l’opposition officielle présente un projet de loi appuyé par le gouvernement, nous pouvons prendre conscience de la nature non partisane de nos discussions sur le droit relatif aux agressions sexuelles, l’importance de maintenir la confiance du public envers notre système judiciaire, le contexte social et la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques. Ces concepts ne devraient jamais tomber dans la partisanerie. Je suis reconnaissant que, dans le contexte de la version actuelle du projet de loi, la discussion ne soit pas tombée dans la partisanerie. Cela montre bien l’importance de ces concepts pour nous tous à titre de parlementaires. J’invite tous les députés à passer à l’étape suivante, petite mais importante, en votant pour faire passer le projet de loi à la prochaine étape: l’examen par le Sénat. C’est donc sur cette note que je termine mon exposé.