Madame la Présidente, je prends de nouveau la parole au sujet du projet de loi C-7, que nous présente le gouvernement. Je me joins à mes collègues du Parti conservateur pour me faire le porte-parole de ceux qui ne peuvent pas se faire entendre et qui sont laissés pour compte. Tout au long des discussions sur ce projet de loi, un grand nombre de représentants de la communauté des personnes handicapées ont exprimé leurs craintes d’être victimes de ce projet de loi très lacunaire. Aujourd’hui, nous sommes ici pour les défendre et dire ce que le gouvernement n'aura pas le choix d'entendre.
Les libéraux sont tellement pressés de faire adopter ce projet de loi qu’ils ont rejeté tous les amendements proposés par les conservateurs au comité, alors que ces amendements auraient permis de mettre en place des mesures de sauvegarde à l’intention des personnes les plus vulnérables. Ils sont pressés parce qu’ils veulent respecter une date butoir arbitraire et éviter ainsi de se retrouver dans l’embarras. Autrement dit, quand des vies sont en jeu, quand c’est véritablement une question de vie ou de mort, le seul souci des libéraux est d'éviter de se retrouver dans l’embarras. Peu importe que des gens risquent d’être victimes de ce projet de loi et peu importe les morts inutiles qu’il risque de provoquer, leur seul souci est d'éviter de se retrouver dans l’embarras.
Je leur rappellerai simplement que c’est leur gouvernement qui a prorogé le Parlement et l'a empêché de siéger, dans le but de dissimuler la corruption du premier ministre et bloquer les enquêtes qui se multipliaient dans différents comités. À ce moment-là, il n’y avait pas urgence, n’est-ce pas?
On aurait pu penser que, après avoir raté une première date butoir arbitraire, les auteurs de ce projet de loi dangereux auraient pris le temps de réfléchir à ses conséquences pour les Canadiens les plus vulnérables, mais il semblerait que c’est tout le contraire. Nous sommes maintenant saisis d’un projet de loi encore plus vaste qui risque de faire encore plus de victimes parmi les Canadiens les plus vulnérables, assorti d’une autre date butoir arbitraire.
Le gouvernement a eu une deuxième chance pour repenser son projet de loi et faire ce qu’il fallait pour protéger les personnes vulnérables. Toutefois, il a préféré se débarrasser de ces protections. De par sa nature, ce projet de loi exige de la prudence et de la vigilance afin qu’aucun Canadien vulnérable ne soit victime de coercition, de négligence ou de mauvais traitements à cause du projet de loi C-7.
Lorsque nous sommes saisis d’un projet de loi aussi important que celui-ci, nous devons nous efforcer d’offrir aux Canadiens ce qu’il y a de mieux. Cela signifie que nous devons prendre en compte leurs préoccupations, leur proposer de nombreuses options et continuer d’améliorer le projet de loi. Cela s’applique tout particulièrement au projet de loi C-7, parce que nous ne pourrons jamais faire revenir ceux qui ont reçu l’aide médicale à mourir. C’est une décision finale.
La loi précédente sur l’aide médicale à mourir exigeait un examen parlementaire cinq ans après son adoption, afin de permettre aux Canadiens de nous dire comment elle était mise en œuvre et aux parlementaires d’envisager des modifications. Cet examen devait commencer en 2020.
Il n'aura échappé à personne que l’année 2020 est passée. Nous sommes maintenant en 2021. L’examen en question n’a toujours pas commencé, alors que nous discutons aujourd’hui d’un important élargissement de cette loi et de la suppression des mesures de sauvegarde pour les personnes vulnérables. Le gouvernement a agi avec précipitation et a négligé de lancer le processus d’examen législatif qui aurait permis de renforcer les mesures de sauvegarde à l’intention des personnes vulnérables. Il a décidé de ne pas entreprendre d’examen en bonne et due forme de la loi et de supprimer d’importantes mesures de sauvegarde.
Plusieurs témoins nous ont dit que la loi actuelle avait donné lieu à des situations où on avait profité d’eux et où on les avait rendus encore plus vulnérables. C’est le cas de Roger Foley, qui souffre de graves handicaps et qui s’est occupé de son père, atteint d’un cancer. Il dit avoir fait l’objet de pressions pour recevoir l’aide médicale à mourir à cause de mauvais traitements, de négligence, de manque de soins et de menaces.
La directrice générale nationale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada nous a raconté ce qui est arrivé à Ruth. C’est l’histoire d’une femme qui souffre d’un handicap sans être pour autant à l’article de la mort, mais comme elle ne réussit pas à obtenir des soins adéquats, elle envisage l’aide médicale à mourir.
De plus, la vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada nous a dit que le projet de loi C-7 était le pire scénario pour la communauté des personnes handicapées, car celles-ci ont toujours redouté que le fait d’avoir un handicap soit une raison suffisante pour que l'État fournisse l'aide au suicide. Les représentants de cette communauté ont dit à maintes reprises qu’ils se sentaient directement ciblés par cette nouvelle loi, qu’ils avaient l’impression que leur vie valait si peu qu’il vaudrait mieux mourir que de vivre avec un handicap.
Non seulement la loi actuelle sur l’aide médicale à mourir n’a jamais fait l’objet d’un examen parlementaire, mais on nous présente un autre projet de loi, le projet de loi C-7, qui l’élargit considérablement, sous prétexte que le nouveau texte reflète un consensus sociétal réalisé à partir des opinions et des préoccupations des Canadiens, des experts, des praticiens, des parties prenantes, des groupes autochtones ainsi que des provinces et des territoires, au cours de consultations publiques menées en janvier et février 2020. Étant donné que le projet de loi C-7 a d’abord été présenté en février 2020, comment a-t-on pu réussir à dégager un consensus sociétal en si peu de temps?
Cela nous amène au sondage qu’évoque souvent le ministre de la Justice pour défendre ce projet de loi. Un grand nombre de Canadiens se sont dits très préoccupés par l’ambiguïté du sondage et des consultations en ligne qui ont été menées. En effet, bon nombre de questions étaient très ambiguës, et les gens ont eu beaucoup de mal à y répondre, car on leur demandait d'accepter des prémisses qui étaient contraires à leurs convictions.
Heidi Janz, du Conseil des Canadiens avec déficiences, a déclaré ce qui suit au sujet du processus de consultation:
Je crois que les consultations étaient modérément vastes. Toutefois, je crois qu'elles ont été conçues dans le but d'obtenir un résultat prédéterminé. C'est ce qui ressort des questions posées dans le sondage en ligne, car elles semblent présumer que la portée de l'aide médicale à mourir sera élargie.
Le gouvernement n'a pas procédé à l'examen de la loi comme il aurait dû le faire. De plus, il élimine des mesures de sauvegarde et, d'après Mme Janz, le résultat des consultations qu'il a tenues semblait prédéterminé. Il faut vraiment se demander s'il y a eu des consultations adéquates dont les résultats ont guidé le projet de loi ou si les résultats étaient déterminés d'avance.
Le gouvernement sait sûrement, à l'heure actuelle, qu'il s'agit d'un projet de loi très imparfait. Nous savons que la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l'Inclusion des personnes handicapées est consciente des graves lacunes de cette mesure, mises en évidence par l'histoire de Roger Foley et d'autres Canadiens vulnérables, comme elle l'a déclaré au comité sénatorial:
Je suis tout à fait consciente de l’écart du pouvoir entre les médecins et les patients, surtout pour ceux contre qui les systèmes pratiquent de la discrimination et qui se sentent ignorés tout au long de leur vie. La situation de la personne dont vous parlez me préoccupe profondément. Je vous dirai franchement que cet homme est loin d’être le seul. J’entends régulièrement des familles scandalisées parce qu’après avoir accouché d’un enfant, qui est souvent leur aîné, on leur offre l’aide médicale à mourir sans qu’elles l’aient même sous-entendu. Il faut mettre fin à cela. C’est une pratique professionnelle que nous devons abolir en ajoutant des clauses aux règlements et en collaborant avec les ordres professionnels.
Que faut-il penser quand la ministre responsable de l'inclusion des personnes handicapées du pays fait une déclaration semblable, mais que le gouvernement continue tout de même à faire avancer le projet de loi à toute vitesse et à rejeter de bons amendements? Que doivent en penser les Canadiens en situation de handicap? Cette façon de faire confirme-t-elle leur dignité intrinsèque ou montre-t-elle plutôt le peu d'intérêt que nous accordons aux personnes handicapées et à leurs opinions?
On dirait que le député de Thunder Bay—Rainy River, qui siège du côté du gouvernement, comprend la situation. Il se soucie du bien-être des personnes vulnérables et des victimes que pourrait faire le projet de loi. Il a déclaré ceci: « Je n'aime pas voter contre la position de mon parti, mais, étant donné que j'ai une formation médicale et que j'ai souvent traité de cette question au fil des ans, j'estime avoir l'obligation morale de prendre position lorsque nous examinons des questions de santé, de vie et de mort. »
Il a ajouté ceci:
Étant donné que j'ai passé toute ma vie à essayer d'éviter de tuer accidentellement des gens, ma plus grande préoccupation est que nous puissions administrer l'aide médicale à mourir à des personnes qui ne veulent pas vraiment mourir [...] Je pense que s'ils avaient un peu de temps, les gens pourraient se rendre compte qu'ils ont des raisons de continuer à vivre.
Les députés voient bien que Kristine Cowley, qui s'est blessée à la colonne vertébrale il y a 33 ans, est maintenant titulaire d'un doctorat et professeure d'université, a participé aux épreuves d'athlétisme aux Jeux paralympiques, est mariée, a trois enfants et a beaucoup voyagé, et elle a accompli tout cela après son accident. Elle a indiqué qu'il lui a fallu cinq ans après son traumatisme médullaire pour recommencer à se sentir bien. Elle a déclaré ceci:
En apparence, j'étais une personne qui avait du succès et qui apportait sa contribution à la collectivité, mais je mentirais si je vous disais que j'étais en pleine forme lorsque j'ai obtenu mon congé de l'hôpital, trois mois après ma blessure. En réalité, il m'a fallu quelques années avant que je sois capable de me réveiller chaque matin avec bonheur.
Il y a aussi l'expérience de David Shannon. David a subi un traumatisme médullaire pendant une mêlée de rugby à l'âge de 18 ans. Il a dit qu'après son accident, lorsqu'il était confiné à son lit, il a frôlé la mort plus souvent qu'il n'ose l'imaginer. David a fini par faire carrière comme dirigeant d'une organisation non gouvernementale et au sein d'un cabinet d'avocat spécialisé dans les droits de la personne et le droit de la santé. Voici ce qu'il a écrit:
J'ai accompli beaucoup de choses dans ma vie. J'ai parcouru le pays d'un océan à l'autre dans mon fauteuil roulant. J'ai sauté d'un avion à 25 000 pieds d'altitude. Je me suis rendu jusqu'au pôle Nord et j'y ai planté une pancarte indiquant un stationnement accessible aux personnes handicapées. J'ai écrit un livre, j'ai joué dans des pièces de théâtre et à la télévision. J'ai obtenu mon diplôme de droit et j'ai été commissaire aux droits de la personne. J'ai également reçu l'Ordre de l'Ontario et l'Ordre du Canada. J'ai aimé et j'ai été aimé. L'accomplissement dont je suis le plus fier est celui d'avoir profité de la vie.
Combien d'histoires comme celles de Kris ou de David ne pourront être racontées à cause de ce dangereux projet de loi? Combien de leçons de résilience ne seront jamais vécues et combien de Canadiens ne pourront pas connaître de spectaculaires victoires contre l'adversité parce que lorsqu'ils étaient à leur plus vulnérable, on leur a offert la mort avant les soins appropriés?
Le ministre de la Justice nous a qualifiés, mes collègues et moi qui avons le courage de parler au nom des sans-voix et des personnes vulnérables, de « groupe dissident » du caucus conservateur. Ce groupe dissident représente aujourd’hui près du tiers du Parlement ainsi que des Canadiens des provinces maritimes à la côte Ouest, et tous ceux qui, partout dans le pays, défendront toujours les plus vulnérables. Je rappelle au ministre que lui-même et ses collègues ont fait taire ceux au nom de qui nous parlons. Il peut essayer de faire taire les personnes handicapées qui craignent pour leur avenir, mais il ne peut pas nous réduire au silence. Il ne m’empêchera pas de parler.
Le ministre pense-t-il que les personnes pour qui nous nous battons sont également un groupe dissident de la société canadienne? Croit-il que les Canadiens handicapés constituent un élément dissident? Cela m’en a tout l’air. L’irrespect et l’exaspération affichés par les libéraux quand les personnes handicapées ont essayé d’exprimer leurs inquiétudes sont vraiment remarquables.
La mort sera offerte aux Canadiens avant qu’ils puissent avoir accès à des soins de qualité, des soins dont ils ont besoin pour se sentir bien de nouveau. Nous devons réévaluer nos priorités et nous recentrer sur la réaffirmation de la dignité humaine de tout un chacun et, en particulier, des personnes vulnérables. Il est de notre devoir de garder à l’esprit leur option préférentielle lorsque nous prenons des décisions dans cette enceinte. Il est manifeste que le projet de loi C-7 ne prévoit pas l’option préférentielle pour les personnes vulnérables et qu’il n’affirme en rien la dignité de ces personnes.
Nous offrirons la mort à des personnes quand elles seront au plus bas, après un handicap causé par une blessure, lorsque l’espoir semble perdu et qu’elles sont désespérées. Au lieu de leur offrir une aide, un traitement et des soins, nous leur offrirons la mort. Le désespoir peut être passager. Il peut aller et venir. Dans les moments difficiles, les personnes ont besoin de soutien. Vraiment, c’est aussi simple que cela.
Nous devons faire en sorte que les personnes aient d’abord accès aux soins dont elles ont besoin, afin qu’elles puissent prendre une décision éclairée en matière de vie et de mort. Toute autre solution est injuste et peut représenter une forme de coercition. Sans parler des dégâts que causera la disposition de caducité ajoutée au projet de loi qui exige que des dispositions soient prises pour que les personnes atteintes de maladies mentales puissent bénéficier de l’aide médicale à mourir.
Cette disposition est un choc, étant donné combien il est difficile d’accéder à des traitements en santé mentale dans tout le pays. Faute de soins adéquats, des maladies qui se soignent peuvent sembler impossibles à traiter. Je le répète, des personnes se voient offrir la mort avant de se voir offrir des soins. À l’heure actuelle, 6 000 personnes souffrant de troubles mentaux graves attendent jusqu’à cinq ans pour recevoir le traitement spécialisé dont elles ont besoin pour atténuer les symptômes, apprendre à les gérer et se sentir mieux.
Au lieu d'essayer d'améliorer ces systèmes afin de fournir aux gens l'aide dont ils ont besoin au moment où ils en ont le plus besoin, le gouvernement met tout en œuvre pour leur offrir la mort. Lorsqu'il a comparu devant le Sénat, le Dr John Maher, un psychiatre qui travaille seulement avec les gens atteints des maladies mentales les plus graves et les plus persistantes, a dit ceci:
Les relations cliniques sont déjà profondément perturbées. Mes patients me demandent: « À quoi bon chercher à me rétablir alors que l’AMM sera offerte et que je pourrais choisir de mourir? » Certains de mes patients continuent de réclamer l’AMM alors que leur état s’améliore sans qu’ils puissent encore s’en rendre compte.
Cela témoigne de la nécessité d'améliorer les traitements en santé mentale au Canada et de les rendre plus accessibles. Les personnes atteintes de maladies mentales ne devraient pas ressentir le besoin de mettre fin à leur vie en l'absence de traitements et de l'espoir qu'ils peuvent susciter.
Le Dr Maher a ajouté ceci:
Il est impossible de déterminer si une maladie psychiatrique est irrémédiable. Certaines personnes se rétablissent en deux ans, d’autres en 15 ans. Souvent, des psychiatres me renvoient des patients et me disent qu’ils n’iront jamais mieux. Or, on arrive à accroître le contrôle des symptômes et à réduire la souffrance de ces patients lorsqu’ils ont enfin accès à des soins intensifs.
Nous devons aider les gens à mieux se porter et leur donner de l'espoir, et non pas faire tout ce que nous pouvons pour faciliter leur mort.
J'exhorte mes collègues de tous les partis à réaffirmer la dignité inaliénable et inhérente à chaque être humain, à chaque personne, et de garder à l'esprit l'option préférentielle pour les Canadiens les plus vulnérables. Cette option, ce n'est pas la mort, ce sont les soins et le soutien.
Je vais continuer de me battre et de m'exprimer pour les personnes qui n'ont pas de tribune et celles qui seront victimes de ce projet de loi. Nous devons veiller à ce que le pire jour d'une personne ne soit pas son dernier.
Je propose:
Que la motion soit modifiée:
a) par substitution, aux mots « accepte l’amendement 1a)(ii) apporté par le Sénat », des mots « rejette respectueusement l’amendement 1a)(ii) apporté par le Sénat, car comme le ministère de la Justice l’a lui-même indiqué, cela « pourrait être perçu comme portant atteinte aux initiatives en matière de prévention du suicide, et comme normalisant la mort en tant que solution à de nombreuses formes de souffrances » »;
b) par suppression de tous les mots à partir des mots « en conséquence des » jusqu’aux mots « la réception du rapport. ». »; »;
c) par substitution, aux mots « l’article 6 soit modifié par remplacement des mots « dix-huit mois après la date de » par les mots « au deuxième anniversaire de la » », des mots « l’article 6 soit supprimé ».