Madame la Présidente, le débat d'aujourd'hui revêt une très grande importance, et je remercie les députés de nous avoir fait part de diverses expériences.
Ce débat me touche de près. Je me rappelle avoir parlé du projet de loi C-14 quand je suis arrivée au Parlement. J'avais alors parlé de décès qui m'avaient touchée personnellement. Je connais d'autres familles qui ont également vécu le même genre de chose. Nous avions parlé de ce que nous pourrions faire pour rendre plus faciles les derniers jours, les derniers mois et, parfois, les dernières années, et voir à ce que toutes les ressources nécessaires soient disponibles.
J'aborde ce débat de deux points de vue et je suis un peu partagée sur la question. J'ai avec moi une lettre de Richard Sitzes, président de l'organisme Our Choice Matters, qui fait partie de Community Living Elgin. J'aimerais lire cette lettre pour le compte rendu, car il est très important, à mon avis, d'avoir l'opinion et de connaître les préoccupations des personnes handicapées. Je vais également lire des commentaires publiés sur Twitter par le regretté Mike Sloan. D'autres personnes en ont parlé, et les gens de London savent que Mike Sloan est décédé le 20 janvier 2020, après avoir demandé l'aide médicale à mourir. Les choses ont été très difficiles pour lui, mais il a partagé son expérience sur son fil Twitter. En raison de mon travail auprès des personnes handicapées en tant que parlementaire, j'avais noué une relation avec lui et discuté avec lui de ce qu'il vivait et de ce qu'il fallait faire.
Je vais commencer par la lettre de Richard Sitzes, président de Our Choice Matters, un groupe d'autonomie sociale. Voici ce qu'il écrit:
J'habite à St. Thomas, dans votre circonscription, et je suis fortement préoccupé par le projet de loi C-7 et les changements qu'il apportera à la loi canadienne sur l'aide médicale à mourir. Je m'inquiète des répercussions négatives que le projet de loi aura sur les personnes handicapées de notre circonscription.
À titre de président du groupe d'autoreprésentation Our Choice Matters, qui est appuyé par l'organisme Community Living Elgin, je parle au nom de ce groupe. Au Canada, beaucoup de gens croient que le fait d'être handicapé est une source de souffrance, mais selon les personnes handicapées, c'est plutôt le manque de soutien, et non leur handicap, qui les fait souffrir. Nous craignons que le projet de loi C-7 ne fasse qu'exacerber cette situation.
Actuellement, seuls les Canadiens souffrants et en fin de vie ont accès à l'aide médicale à mourir. Le projet de loi C-7 permettra aux personnes handicapées d'accéder aussi à l'aide médicale à mourir, et ce, même si elles ne sont pas en fin de vie. Nous croyons fermement que le fait de retirer le critère de fin de vie accroîtra les commentaires négatifs à l'égard des personnes handicapées ainsi que la discrimination envers celles-ci et renforcera l'idée qu'une vie avec un handicap ne vaut pas la peine d'être vécue. Nous craignons que des personnes handicapées se sentent contraintes de mettre fin à leurs jours même si elles ne sont pas en fin de vie. Il s'agit de quelque chose qui s'est déjà produit au Canada et le projet de loi C-7 empirera la situation.
Selon nous, le gouvernement fédéral doit aider les personnes handicapées à mener une bonne vie, et non à mettre fin à celle-ci. Pour la sécurité des personnes handicapées, l'aide médicale à mourir doit demeurer uniquement offerte aux personnes en fin de vie. Nous sommes fermement contre le projet de loi C-7 et nous vous demandons de vous y opposer.
J'ai eu la chance de donner suite à cette lettre la semaine dernière. En effet, Richard œuvre comme bénévole non seulement à mon bureau, mais aussi au sein de notre communauté, et ce, depuis des dizaines d'années. Chaque fois qu'on fait appel à des bénévoles, Richard répond présent. Il participe aux événements communautaires pour y donner un coup de main. Il est conscient de la chance qu'il a dans la vie et il sait qu'il peut donner beaucoup à notre communauté. Je n'ai jamais rencontré une personne plus affable que Richard de ma vie. Il souhaite seulement aider. En même temps, il veut être entendu. J'ai eu l'occasion de m'asseoir et de discuter avec Richard, et je sais qu'il craint qu'il ne puisse pas lui-même faire son choix, mais qu'une autre personne décide pour lui. Il m'a dit qu'il ne savait pas qui aura le dernier mot. C'est ce qui inquiète grandement Richard, qui a célébré son 60e anniversaire le 15 août dernier. Lorsque je regarde Richard, je n'estime pas que sa vie vaille moins que la mienne. Il a tellement à apporter à tous les Canadiens. J'espère que nous prendrons conscience de la nécessité impérieuse de prévoir des mesures de sauvegarde pour les gens comme Richard qui ont tant à offrir.
D'un autre côté, il y a également quelques aspects positifs. J'aimerais parler de Mike Sloan, une personne atteinte du cancer qui a eu l'occasion de partager les défis quotidiens auxquels il a été confronté avec les Canadiens, et notamment avec les habitants de ma circonscription. Comme je l'ai indiqué, j'ai noué des liens avec Mike au cours des dernières années. Lorsqu'il m'a appelé pour m'apprendre qu'il avait un cancer, nous avons tous les deux discuté des épreuves qui l'attendaient.
Mike avait décidé qu'il aurait recours à l'aide médicale à mourir. Ayant été témoin de ses derniers instants, je comprends son choix. Je suis consciente des épreuves qu'il a traversées, et je tiens à lire certains commentaires affichés sur son fil Twitter.
Madame la Présidente, combien de temps me reste-t-il, étant donné que je parle autant?
La vice-présidente adjointe (Mme Alexandra Mendès): La députée dispose de cinq minutes.
Mme Karen Vecchio: C'est fantastique. D'accord, c'est parfait.
Je tiens à parler de Mike, et de l'entrevue qu'il a accordée au réseau CTV au début du mois de janvier. Mike avait déjà épinglé sur son bureau les plans pour ses propres funérailles, dont la date restait à déterminer. Il savait ce qu'il voulait dans la vie. Il était aussi un ardent défenseur des personnes handicapées, et lorsqu'il a contracté le cancer, il avait parfaitement conscience des difficultés à venir. Non seulement il s'inquiétait de la détérioration de ses facultés mentales, mais aussi de la douleur physique.
Je veux tout d'abord parler du jour du décès de M. Sloan, soit le 20 janvier. Bob Smith, un animateur de TV Rogers dans la région de London, a écrit ceci:
Mike Sloan nous a quittés paisiblement à 13 h 25, heure normale de l'Est, après avoir reçu une aide médicale à mourir. Il m'a demandé […] de vous en informer. J'étais avec lui à la fin et je lui tenais la main. Il vous remercie tous de votre soutien pendant ce cheminement. Ses derniers mots ont été: « Dites à Chub que je l'aime. »
Chub était le chat de M. Sloan. Tous ceux qui connaissaient M. Sloan savent que c'était Chub qui le faisait vivre au quotidien. Il pouvait toujours compter sur Chub, car certains jours étaient un peu plus difficiles que d'autres.
Revenons au 18 janvier, où M. Sloan a écrit ceci: « Lorsqu'il devient trop effrayant de boire des liquides parce qu'ils pourraient simplement être recrachés ou m'étouffer, vous savez, soyons honnêtes quant aux choix qui existent. » Sa déclaration m'a énormément marquée. Un autre jour, il a parlé de sa peur de prendre une douche. Il craignait de tomber dans la douche. Il entrait dans la douche et tombait et commençait à penser qu'il avait peut-être besoin d'un banc malgré sa jeunesse. Chaque jour, il était confronté à tous ces différents problèmes.
Mike a reçu un diagnostic de cancer de la thyroïde de stade IV en février 2019. Il nous tenait au courant avec Twitter des soins palliatifs et médicaux qu'il recevait. C'était intéressant, car il montrait son abdomen, auquel étaient attachés différents tubes et dispositifs pour lui administrer ses médicaments contre la douleur. Pour les autres députés de la région de London, ce qui était vraiment extraordinaire chez cet homme, c'était son incroyable sens de l'humour. Il publiait des photos de son abdomen, auquel était attachée une poche médicale qu'il appelait sa « petite sacoche » et qui contenait ses médicaments contre la douleur. Il montrait aussi les différents tubes dans lesquels il injectait ses médicaments pour réduire la douleur dont il souffrait terriblement.
Le 7 janvier, il a écrit, « il ne m'est jamais arrivé de mourir, alors je ne sais pas ce qu'on ressent lorsqu'on meurt, mais si ce sont des symptômes comme des douleurs insupportables, de la difficulté à respirer, de la fièvre et de l'insomnie, c'est que je devrais y arriver bientôt. » Mike n'avait pas peur de mourir, mais il savait que c'était inévitable. C'était aussi un homme qui avait l'habitude de ne pas séjourner à l'hôpital. Il était vraiment comique à voir le jour où il est allé à l'hôpital parce qu'il souffrait d'essoufflement, pour en ressortir aussitôt en racontant qu'on venait de lui donner son congé après lui avoir diagnostiqué une pneumonie, mais qu'il était capable de marcher et que tout allait bien.
En pensant au cas de Mike Sloan, il faut trouver un juste équilibre. Il faut trouver un juste équilibre pour que les volontés des Mike Sloan et des Richard Sitzes de ce monde soient respectées. Je reconnais que c'est une décision très difficile à prendre pour beaucoup de députés.
Je dois dire que pour moi, le vote concernant le projet de loi C-14 a été la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre à la Chambre. Un des éléments les plus importants était le fait qu'il y ait des mesures de sauvegarde pour que la famille, le patient et toute l'équipe chargée de l'aide médicale à mourir sachent tous dans quoi ils s'embarquent. Il est primordial que des mesures de sauvegarde soient en place et que, pour éviter d'ouvrir la boîte de Pandore, nous fassions preuve d'une grande prudence quant au projet de loi C-7.
Je suis très fière d'en parler parce qu'il faut en débattre. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Il s'agit de trouver un équilibre pour tous les Canadiens.