Madame la Présidente, je suis ravie de pouvoir intervenir à l'étape du rapport du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), par lequel le gouvernement cherche à élargir considérablement le régime actuel d'euthanasie au Canada.
Le gouvernement prétend vouloir protéger les Canadiens vulnérables et être ouvert aux amendements que nous avons proposés. Je ne vois aucune preuve de l'une ou l'autre de ces affirmations.
Bien qu'il connaisse parfaitement les préoccupations de nombreux groupes, y compris les groupes de défense des droits des personnes handicapées, concernant la version préprorogation du projet de loi, le ministre a présenté de nouveau le même projet de loi, mot pour mot. En fait, la nouvelle mouture du projet de loi porte le même numéro que son prédécesseur. Le ministre a refusé d'adopter de façon préventive ne serait-ce qu'un des amendements proposés, et s'est caché derrière la décision Truchon tout au long de ce débat.
Que dire de la décision Truchon? Premièrement, c'est tout à fait inacceptable que le gouvernement libéral n'ait pas fait appel de cette décision devant la Cour suprême. La décision Truchon a invalidé des protections vitales pour les Canadiens vulnérables que ce même gouvernement libéral avait mises en place il y a moins de cinq ans. Non seulement faire appel aurait permis d'apporter la clarté nécessaire au statut juridique de la loi fédérale sur l'euthanasie, mais cela aurait été la bonne chose à faire.
Au lieu de cela, le ministre s'est servi de la décision Truchon, qui a annulé le critère d'admissibilité de mort naturelle raisonnablement prévisible dans la province du Québec, pour justifier l'abandon complet des mesures de sauvegarde entourant l'euthanasie qui avaient été mises en place par l'ancienne ministre, la députée de Vancouver Granville, et pour créer un régime de consentement préalable, laissant la porte grande ouverte à toutes sortes d'abus.
La députée de Vancouver Granville a soulevé ces préoccupations à la Chambre. Voici ce qu'elle a dit:
[Ce] n'est aucunement exigé par la décision Truchon. De plus, la Cour suprême du Canada insiste, dans l'arrêt Carter, sur la nécessité d'obtenir un consentement clair. Divers experts, dont des médecins spécialisés en soins palliatifs et des défenseurs des personnes handicapées, soutiennent qu'il s'agit d'une mesure de sauvegarde cruciale. Par ailleurs, des rapports sur l'aide médicale à mourir dont la production est exigée par la loi et qui concernent les mineurs matures et les personnes souffrant d'une maladie mentale soulignent que les demandes anticipées créent des défis considérables.
Malgré cela, le ministre refuse d’écouter. On n’a pas effectué l’examen législatif des répercussions du projet de loi C-14 que la loi exige. Cet examen est obligatoire pour veiller à ce que les mesures de sauvegarde en place protègent efficacement les Canadiens âgés et handicapés contre la manipulation et l’abus. Au lieu d’attendre la fin de l’examen obligatoire pour apporter ces changements, le ministre de la Justice a privilégié sa propre idéologie. Il a aveuglément jeté les Canadiens dans le noir au lieu de les éclairer. Malheureusement, je ne suis pas surprise que le ministre impose son idéologie aux Canadiens vulnérables. Après tout, lors de la présentation du projet de loi C-14, il s’était opposé à cette mesure de son propre gouvernement. Maintenant qu’il est ministre, il refuse d’écouter.
Ma priorité et celle de mes collègues a toujours été de veiller à ce que toute mesure législative sur l’euthanasie et le suicide assisté comporte de solides mesures de sauvegarde pour les membres les plus vulnérables de notre société et pour protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé. Ce n’est clairement pas la priorité du ministre, qui autorise les directives préalables sur le suicide assisté sans laisser aux personnes une assurance juridique leur permettant de changer d’avis. De plus, les députés libéraux ont voté contre un amendement qui aurait permis aux personnes qui demandent l’euthanasie de changer d’avis le jour de la procédure. Est-ce que cela signifie que des personnes pourraient être légalement euthanasiées dans leur sommeil sans avoir eu la possibilité de changer d’avis? C’est horrifiant. Comment les libéraux peuvent-ils justifier cela?
Inclusion Canada, un organisme de défense des droits des personnes handicapées, a affirmé que ce projet de loi est son « pire cauchemar » et que c’est un « affront moral » que d’assimiler l’euthanasie à un droit à l’égalité. Le ministre refuse toujours d’écouter.
Le plus grave, à mon avis, c’est la suppression de la période d’attente de 10 jours et la nécessité d’avoir deux témoins indépendants. Au comité, les libéraux ont également voté contre l’amendement proposant un délai d'attente de sept jours. Ils ont délibérément choisi d’annuler l’une des mesures de sauvegarde les plus importantes pour les personnes vulnérables qui font face à un pronostic médical incertain et ont ouvert la boîte de Pandore qui permettrait de mourir le jour même de la demande à cet effet.
Nous avons tous une personne dans notre vie, un ami, un grand-père, une grand-mère ou même un conjoint, à qui on a diagnostiqué une maladie grave. Le choc émotionnel d’une telle nouvelle est accablant pour les patients et pour leur famille. Il peut causer de la dépression, de l’anxiété et une grande peur de l’inconnu, surtout pendant cette pandémie qui n’en finit pas.
Bon nombre d’entre nous ont vu des êtres chers en phase terminale qui ont vaincu leur maladie et vécu encore pendant des années. Cependant, sans les mesures de sauvegarde des deux témoins indépendants et du délai d'attente de 10 jours, ces cas seront de moins en moins nombreux. Sans un délai obligatoire pour reprendre leurs esprits, pour recevoir du soutien de leur famille et pour se renseigner sur les options de traitement ou obtenir un deuxième avis, certaines personnes prendront une décision émotive fondée sur la peur.
Taylor Hyatt, une jeune femme qui vit avec un handicap visible, a décrit ce qu’elle a ressenti alors qu’elle souffrait d’une pneumonie et qu’elle avait besoin d’oxygène pour respirer. Elle a dit:
J’ai pris un taxi pour me rendre à l’hôpital, où j’ai été immédiatement admise. Deux heures plus tard, le médecin n’avait toujours aucune idée de la cause de mon état. Lorsqu’elle est venue me voir, elle m’a dit que la seule chose certaine, c’est que cette infection affectait ma respiration et que je pourrais avoir besoin d’oxygène. Elle m’a ensuite demandé si je voulais en recevoir, le cas échéant. J’ai répondu « bien sûr ». Elle a eu l’air surprise et peu convaincue, et elle a répété sa question. J’ai répondu la même chose.
Toute personne non handicapée aurait reçu de l'oxygène immédiatement, mais au lieu de cela, le médecin lui a demandé deux fois si elle en voulait. Selon Mme Hyatt, le médecin a supposé qu'elle ne voulait peut-être pas vivre parce qu'elle était handicapée. Que serait-il arrivé si elle s'était sentie dépassée ce jour-là et elle avait demandé l'euthanasie dans un moment de faiblesse? À l'époque, elle aurait disposé de 10 jours pour réfléchir. Si le projet de loi est adopté, Mme Hyatt pourrait mourir et le monde perdrait une grande défenseure des droits des Canadiens handicapés. Comment pouvons-nous permettre qu'une telle tragédie soit légalement possible?
Chaque Canadien devrait avoir terriblement honte de ces échecs. C’est le sentiment que nous éprouvons et nous devons être meilleurs que cela. Toute grande société, toute bonne société est jugée sur la manière dont elle traite ceux qui sont considérés comme les plus vulnérables. Comment pouvons-nous prétendre être grands ou bons si nous traitons les Taylor Hyatt de notre pays comme si leur vie avait moins de valeur que la nôtre? Nous devons protéger la dignité innée de chaque vie humaine, en sachant que rien — ni le temps, ni la maladie, ni le handicap — ne peut enlever cette dignité.
Et pourtant, le ministre refuse d'écouter. Il ignore l’examen prévu par la loi, mais seulement pour affaiblir les protections, non pour les renforcer. Non seulement il a démantelé les protections des Canadiens vulnérables, mais il place les professionnels de la santé dans une situation encore plus précaire que sous le régime actuel en élargissant l'admissibilité et, donc, le nombre de professionnels de la santé qui sont touchés. Les députés libéraux ont rejeté un amendement qui aurait protégé les droits des professionnels de la santé en vertu de la Charte, foulant aux pieds leurs droits parce que les libéraux sont pressés d’atteindre un but prédéterminé de nature idéologique.
Des dizaines de milliers de médecins croient, sincèrement et de tout cœur, que le fait de participer à un suicide assisté est incompatible avec leur vocation qui est de ne pas nuire. Ces convictions sont protégées par notre charte, mais non par cette loi ni par aucune autre loi fédérale concernant l'euthanasie. Une omission aussi flagrante montre clairement que la priorité du ministre n'est pas de protéger les droits des citoyens canadiens, mais de pousser son idéologie aussi loin que possible. C'est une chose que je ne peux et ne veux pas soutenir.
J’implore les membres de l’autre endroit de prendre le temps nécessaire pour un second examen objectif, à l’écart comme ils le sont de la fixation idéologique du ministre, étant donné que celui-ci refuse d'écouter.