Merci beaucoup, monsieur le président.
Aujourd'hui, je parlerai du projet de loi S‑224, un projet de loi non partisan qui a été adopté à l'unanimité au Sénat le 6 octobre 2022.
Ce projet de loi a vu le jour sous la forme du projet de loi C‑461, que j'ai eu l'honneur de déposer à la Chambre le 17 juin 2019. Malheureusement, il est mort au Feuilleton.
Je tiens à remercier la sénatrice Ataullahjan d'avoir embrassé cette cause et d'avoir réussi à faire adopter ce texte de loi au Sénat. Je tiens à remercier Arnold Viersen pour son engagement sans faille à mettre fin à la traite de personnes. Je tiens également à remercier une formidable communauté constituée de sympathisants, de victimes, de mères et de pères, de survivants et de nombreuses autres parties prenantes.
Je veux vous raconter l'expérience d'une survivante que j'ai entendue récemment lors d'un forum organisé par le Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l'esclavage moderne et la traite des personnes. Alexandra nous a raconté ce qu'elle a vécu:
C'est à l'âge de 20 ans que je suis entrée dans l'industrie du sexe. J'étais adulte, j'avais dépassé l'âge du consentement et j'étais capable de prendre des décisions éclairées pour mon propre corps. Je pensais que je prenais le contrôle de ma sexualité en l'utilisant à des fins personnelles. Je n'ai jamais considéré mon petit ami comme un proxénète. Et je n'ai certainement jamais pensé que j'étais victime de traite de personnes. Ce n'est que 10 ans après avoir vécu cela que j'ai appris que j'avais été une victime de la traite de personnes.
Elle a poursuivi en disant:
Voilà la réalité que vous devez comprendre: j'ai fait des choix et j'ai été manipulée. Je croyais être une adulte consentante et autonome et j'ai été exploitée par mon petit ami.
La police aurait très probablement conclu que la situation d'Alexandra ne correspondait pas aux critères qu'elle applique et qui sont plutôt axés sur l'état d'esprit de la victime. Or, Alexandra n'avait pas peur.
L'objectif du projet de loi est d'harmoniser les lois canadiennes avec le droit international, conformément au Protocole de Palerme, que notre pays a ratifié en 2002, et de mettre l'accent sur les actes du trafiquant. Il facilitera les condamnations de ceux qui participent à la traite de personnes au Canada en modifiant la définition des infractions d'exploitation et de traite de personnes dans le Code criminel, de sorte que la Couronne ne soit plus tenue de prouver qu'une personne raisonnable dans la situation de la victime craignait pour sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît. Ainsi, le fardeau de la preuve incombera à l'auteur de l'infraction plutôt qu'aux personnes survivantes.
La disposition actuelle du Code criminel se lit comme suit:
279.04(1) Pour l'application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l'amène à fournir ― ou à offrir de fournir ― son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s'attendre, compte tenu du contexte, à ce qu'ils lui fassent croire qu'un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît.
La définition du Protocole de Palerme diffère de la nôtre en ce qu'elle considère que la traite de personnes comporte trois éléments distincts: l'acte, les moyens et la finalité. L'expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force, l'abus d'autorité ou la tromperie aux fins d'exploitation. Cela ne figure pas dans le Code criminel du Canada.
Chers collègues, les condamnations font cruellement défaut au Canada. Les dernières données de Statistique Canada sont vraiment éloquentes. Elles ont été publiées en mai 2021 et montrent les graves difficultés auxquelles la police est confrontée lorsqu'elle tente d'obtenir une condamnation, et la situation ne fait qu'empirer. L'examen des décisions judiciaires de 2018‑2019 en fonction des chefs d'accusation montre que, dans l'ensemble, la grande majorité des accusations de traite de personnes — 89 % — ont donné lieu à une suspension, à un retrait ou à un rejet de l'accusation, ou à un acquittement. Moins d'une accusation sur 10 — 7 % — a mené à un verdict de culpabilité.
J'aimerais que les membres du Comité s'arrêtent un instant et réfléchissent à la situation des victimes de la traite de personnes au Canada. Un crime est commis. Il ne fait aucun doute que les actes ont été commis, mais en vertu de la loi canadienne, la victime doit prouver sa peur pour qu'il y ait condamnation.
Pour souligner l'absurdité de la situation, appliquons cette exigence à un autre crime. Imaginons qu'une personne que je connais vienne me poignarder. Comment pourrais‑je prouver que j'ai eu peur dans cette situation? L'auteur du crime serait‑il condamné s'il existait des preuves de son crime, mais que la peur ne pouvait être prouvée? Je vous pose la question: pourquoi traitons-nous si différemment le crime que constitue la traite de personnes? Ce phénomène est un fléau qui touche principalement les jeunes vulnérables et leurs familles partout au Canada.
Ce changement qui aurait dû être apporté il y a longtemps est régulièrement évoqué par les parties prenantes dans l'ensemble du pays et à l'échelle internationale. Les jeunes vulnérables considèrent souvent leur agresseur comme leur ami et pensent qu'il s'occupe d'eux et les aime. Souvent, la Couronne s'appuie sur le témoignage de la victime, qui est la seule preuve contre le trafiquant. Sans le témoignage de la victime, il n'y a pas de cause. Au Canada, il faut parfois des années avant de pouvoir saisir la justice. Les victimes peuvent alors être victimisées encore et encore. En général, il n'y a pas de condamnation.
Le Protocole de Palerme a été adopté en novembre 2000. Il a été signé par 117 pays, dont le Canada. Bien que 22 années se soient écoulées, ce changement minime, mais important n'a toujours pas été apporté au Code criminel.
La traite de personnes ne cesse d'augmenter. Les trafiquants recherchent des jeunes qui ont des problèmes de toxicomanie, de traumatisme, de dépendance, de maltraitance et d'itinérance. Les femmes et les filles, les enfants autochtones, les nouveaux immigrants, les personnes handicapées, les personnes LGBTQ2+ et les travailleurs migrants font partie des groupes les plus à risque.
Nous devons donner aux victimes tous les outils possibles pour leur permettre de retrouver leur dignité, leur humanité. Le projet de loi S‑224 est un outil supplémentaire, et ce changement était attendu depuis longtemps.
Je vous remercie, chers collègues. Je serai ravi de répondre à vos questions.