Je m'appelle Sue Gardner. Je suis l'ancienne dirigeante de CBC.ca, le site Web anglophone de la Société Radio‑Canada. Je suis également l'ancienne dirigeante de la Wikimedia Foundation, l'organisme sans but lucratif 501(c)(3) de San Francisco qui exploite Wikipédia. J'ai commencé récemment à toucher au domaine des politiques publiques, notamment en tant que professeure de pratique McConnell à l'École de politiques publiques Max Bell de l'Université McGill.
Pour vous donner un peu plus de contexte, j'ai commencé ma carrière de journaliste il y a trois décennies. J'ai travaillé à la radio, à la télévision, dans la presse écrite et en ligne. J'ai pratiqué le métier de journaliste pendant longtemps. J'ai aussi été la patronne de journalistes, critique et observatrice des médias d'information.
J'ai fait des recherches et écrit beaucoup d'articles sur les médias publics au Canada et ailleurs dans le monde. Je travaille dans le domaine numérique depuis 1999 environ, et durant toute ma carrière, j'ai assisté à ce que nous appelons parfois la transition au numérique. Voilà donc mon parcours.
Je suis ici à titre personnel seulement. Je considère que votre rôle est d'essayer de promouvoir l'intérêt public, et je considère que mon rôle est d'essayer de vous aider à cet égard.
Vous êtes ici, je crois, pour déterminer s'il faut soutenir l'industrie de l'information ou l'encourager à organiser de quelconques états généraux sur les médias d'information pour déterminer ce dont elle a besoin à la lumière de la crise. Je veux commencer par convenir qu'il y a une crise, et je pense que vous avez un rôle à jouer pour aider à la résoudre.
J'ai trois brèves réflexions à vous faire sur la façon dont je pense que vous pouvez y parvenir. Mon objectif, dans le cadre de mes remarques liminaires, est d'exposer les aspects dont nous voudrons peut-être parler davantage.
Premièrement, peu importe ce que vous finirez par faire, il est vraiment essentiel que vous établissiez très précisément la nature du problème que vous essayez de résoudre. À mon avis, le problème, ce n'est pas que les médias traditionnels éprouvent des difficultés ou font faillite, et ce n'est pas que les journalistes n'ont pas une sécurité d'emploi suffisante ou ne peuvent pas payer leur loyer ou leur hypothèque.
Selon moi, le problème, c'est qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas, au pays, suffisamment de journalisme en profondeur pour que les citoyens puissent être informés comme il se doit et que ceux qui exercent le pouvoir puissent répondre de leurs actes comme il se doit. C'est le problème que vous devriez chercher à résoudre, à mon avis. Vous devriez vous demander comment favoriser les conditions propices à la pratique d'un journalisme de qualité.
Deuxièmement, j'ai l'impression que la politique numérique qui a été élaborée au cours des dernières années a peut-être été trop dictée par les besoins et les intérêts de l'industrie. J'ai décidé de vérifier les chiffres pour voir si j'avais raison, et je pense que j'ai raison. Je me suis penchée sur les témoins qui ont comparu devant le Comité au cours de la présente législature, et, selon mes calculs, 77 % de ces témoins sont des gens qui représentent l'industrie ou des travailleurs de l'industrie. Ce sont des gens qui représentent des entreprises médiatiques, des syndicats, des associations commerciales et des associations professionnelles.
Pour ce qui est du comité sénatorial, les chiffres sont assez semblables, et en ce qui a trait aux communications des lobbyistes avec le ministère du Patrimoine, les chiffres sont également assez semblables. J'ai l'impression, en regardant vos réunions précédentes, que vous vous entendez peut-être de façon générale sur le fait que vous ne devriez pas être aux commandes et que vous devriez laisser les médias d'information diriger la résolution de ces problèmes.
Je tiens à faire une mise en garde à ce sujet. Je peux comprendre pourquoi vous êtes de cet avis — laisser les experts gérer les choses —, mais je pense que c'est en fait une erreur, car je crois que vous avez des rôles et des objectifs différents. Si l'industrie prend les devants, elle va se concentrer sur ses propres intérêts, et ce n'est pas ce que vous voulez. Vous voulez que l'on se concentre sur l'intérêt public, alors il est important que vous gardiez le pouvoir à cette fin. Je pense que c'est votre travail.
Mon dernier point, c'est que, jusqu'à tout récemment, les acteurs numériques étaient en grande partie invisibles pour vous, et vice versa. J'ai l'impression que nous l'avons constaté dans le cadre des audiences sur le projet de loi C‑11 et le projet de loi C‑18, où des créateurs numériques comparaissaient pour la toute première fois devant le Comité.
Au cours de la législature actuelle, d'après mes calculs, seulement 12 % des témoins qui ont comparu devant le Comité étaient des acteurs numériques. Il s'agit de représentants d'entreprises comme Google, Netflix et Apple, de créateurs numériques dans YouTube et Twitch, d'universitaires qui étudient le numérique et de représentants d'organisations de la société civile axées sur le numérique comme OpenMedia ou l'Internet Society. Cela représente beaucoup de gens et un large éventail d'acteurs numériques, mais ensemble, ils ne représentent que 12 % des personnes qui sont venues s'adresser à vous ici.
Lorsque vous vous pencherez sur ces questions, je vous exhorte à rééquilibrer votre attention.
Je vais m'arrêter ici. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.