Monsieur le Président, je suis heureux de pouvoir formuler quelques remarques sur le projet de loi C‑295, présenté par la députée de Vancouver-Centre. Ce projet de loi vise à modifier le Code criminel relativement à la négligence d'adultes vulnérables.
Je suis très heureux de prendre la parole là-dessus, surtout au nom de tous les aînés vulnérables de ma circonscription, mais aussi au nom de leur famille. Les familles, comme on l'a vu ces trois dernières années, ont souffert elles aussi des circonstances évoquées dans le cadre de ce projet de loi.
On sait que la négligence chronique et la maltraitance des aînés qui vivent dans des établissements de soins de longue durée constituent un problème de longue date qui a longtemps été passé sous silence avant que la COVID ne le fasse ressortir de manière si évidente et de façon si apeurante.
Le projet de loi C‑295 viendrait modifier le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait, pour les établissements de soins de longue durée, leurs propriétaires et leurs dirigeants, d’omettre de veiller à ce que soient fournies les choses nécessaires à l’existence des résidants des établissements. Nous inscririons enfin dans le Code criminel, dès maintenant, une infraction précise visant les personnes qui exploitent ces établissements et qui ne respectent pas leurs engagements.
Il permettrait également au tribunal de rendre une ordonnance interdisant aux propriétaires et aux dirigeants de tels établissements d’être, dans le cadre d’un emploi ou d’un travail bénévole, en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’adultes vulnérables. Encore une fois, il y aura des conséquences pour ceux qui sont en situation d’autorité ou de confiance, mais le projet de loi permettra aux tribunaux de considérer comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que l’organisation n’a pas rempli son obligation légale envers un adulte vulnérable.
On peut légitimement se demander pourquoi il a fallu si longtemps avant même d’envisager d’inclure ces dispositions dans le Code criminel, mais maintenant que nous y sommes, il faut procéder sans tarder à l’adoption de ce projet de loi.
Je reconnais également que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a fait un examen approfondi du projet de loi. Il a, pour ce faire, convoqué 15 témoins qui représentaient notamment la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, l’Université de Sherbrooke, le Réseau canadien pour la prévention du mauvais traitement des aînés, Prévention de la maltraitance envers les aînés Ontario et la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers. Le comité les a tous entendus lors de quatre réunions, et il a également reçu 26 mémoires sur le sujet.
Avant de parler du rapport du comité, j’aimerais attirer l’attention des députés sur le fait que, parmi les changements importants qui ont été apportés au projet de loi, on a remplacé le mot « gérant » par « dirigeant », et on en a donné une nouvelle définition, afin que les gens comprennent bien ce qu’on entend par « dirigeant », à savoir le président du conseil d’administration, le président, le vice-président, le secrétaire, le trésorier, le contrôleur, le chef du contentieux, le directeur général ou l’administrateur délégué d’un établissement de soins de longue durée. Encore une fois, il s’agit de cibler toutes les personnes aux échelons supérieurs qui sont responsables non seulement du budget général de l’établissement mais aussi de la qualité des soins dispensés, des normes de dotation et du niveau de service auquel les résidants peuvent s’attendre.
Ce n’est un secret pour personne qu'il y a eu beaucoup de négligence dans ce secteur au fil des années, négligence qui a été révélée au grand jour durant la pandémie. On a souvent parlé de « négligence cachée » parce que bon nombre de ceux qui travaillaient dans ce secteur, dans les établissements de soins de longue durée ou même ceux qui étaient chargés de les surveiller, savaient que, malheureusement, c’était une situation qui existait depuis longtemps.
On a aussi observé, surtout pendant la pandémie, une énorme différence entre les conditions des établissements de soins de longue durée à but lucratif et celles des établissements sans but lucratif. La situation était bien pire dans les établissements à but lucratif.
Dans ma province, la Colombie-Britannique, la protectrice des aînés a récemment examiné la situation dans les établissements de soins de longue durée à but lucratif. On a fait remarquer qu'en Colombie-Britannique, le coût d'un lit obtenu par l'entremise d'un exploitant privé dans un établissement de soins de longue durée subventionné par l'État a augmenté de 35 % au cours des cinq dernières années. La protectrice des aînés a constaté que les établissements sans but lucratif dépensaient environ 25 % de plus par résidant en soins directs que les établissements à but lucratif.
Un examen des dossiers financiers de 2021 et 2022 a révélé que les établissements de soins de longue durée exploités par des entreprises à but lucratif offraient 500 000 heures de soins de moins que ce qui était financé par la province.
Une fois de plus, cela illustre le fait que lorsqu'on introduit la notion de profit dans le système de soins de santé, la prestation de soins aux résidants des établissements semble céder la place à d'autres priorités.
Nous nous rappelons tous très bien du déploiement de membres des Forces armées canadiennes dans certains des établissements de soins de longue durée les plus durement touchés. Ces militaires y ont documenté de terribles cas de traitements inhumains, de maltraitance et de soins de piètre qualité.
D'après les rapports des Forces armées canadiennes, des dizaines de résidants de deux centres d'hébergement de l'Ontario sont morts de déshydratation et de négligence, et non de la COVID‑19.
J'ai consulté certains des sommaires tirés de ces rapports. Je vais les lire pour la Chambre: « Les conditions dans deux des résidences pour personnes âgées [...] n'étaient rien de moins qu'horribles et inhumaines, alors que le personnel mal formé, épuisé et, dans certains cas, négligent, devait composer avec les besoins croissants des aînés en matière de soins ». Les résidents souffraient d'une « alimentation insuffisante », puisque la plupart d'entre eux recevaient moins de trois repas par jour et, quand ils étaient nourris, on a « signalé des cas de sous-alimentation ». Par ailleurs, « Le respect de la dignité des patients n'est pas toujours une priorité. » D'autres patients ont été « laissés avec des couches dans des lits souillés, plutôt que d'être amenés aux toilettes. » Enfin, « les troupes ont dû amener à l'hôpital une personne âgée qui n'a pas été prise en charge par le personnel après s'être fracturé une hanche. »
Ce ne sont là que quelques-uns des signalements alarmants rapportés par les membres des Forces armées canadiennes déployés en renfort dans ces établissements. Encore une fois, les gens qui sont familiers avec les établissements de soins de longue durée au Canada savent qu'il n'y avait là rien de nouveau. La pandémie de COVID-19 n'a fait que braquer les projecteurs sur la situation.
Le 23 octobre 2020, CBC/Radio-Canada a publié un article sur son site Web. Je citerai un extrait de l'enquête:
L'émission Marketplace de CBC/Radio-Canada a examiné 10 000 rapports d'inspection et a trouvé plus de 30 000 « avis écrits » ou violations de la Loi sur les foyers de soins de longue durée et ses règlements d'application, entre 2015 et 2019 inclusivement. La Loi sur les foyers de soins de longue durée établit les normes de sécurité minimales que doivent respecter tous les foyers de soins en Ontario.
L'émission Marketplace a isolé 21 codes de violation pour certaines des infractions les plus graves et les plus dangereuses, y compris la maltraitance, le contrôle inadéquat des infections, l'entreposage dangereux des médicaments, l'hydratation inadéquate et les mauvais soins de la peau et des plaies. Selon l'analyse, 538 des 632 foyers qui figurent dans la base de données de l'Ontario, soit 85 %, étaient des récidivistes.
Je tiens également à souligner que les femmes représentent 65 % des patients dans les établissements résidentiels de soins de longue durée au Canada. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une question sexospécifique à laquelle nous devons prêter une attention particulière.
En outre, la grande majorité des prestataires de soins de soutien sont des femmes, dont un grand nombre sont de nouvelles arrivantes et des immigrantes, surtout chez les préposés aux bénéficiaires. Les femmes représentent la majorité des travailleurs, tant chez les immigrants, soit 86 %, que chez les non-immigrants, soit 87 %.
Mon caucus néo-démocrate estime que les victimes de négligence dans les établissements de soins de longue durée du Canada méritent que justice soit faite. L'entente de soutien sans participation que nous avons conclue avec le gouvernement libéral prévoit la présentation d'une loi sur la sécurité des soins de longue durée afin de garantir aux aînés les soins qu'ils méritent, peu importe où ils vivent.
Bien que le projet de loi C‑295 soit un pas dans la bonne direction, je ne crois pas qu'il aille assez loin à cet égard. Nous nous attendons à ce que, au lieu de traiter cette question uniquement au moyen d'un projet de loi d'initiative parlementaire, le gouvernement donne suite à cette exigence et présente un projet de loi qui inscrira ces normes dans une mesure législative plus globale afin que tous les Canadiens, partout au pays, puissent non seulement s'assurer que leurs proches reçoivent les soins qu'ils méritent, mais aussi que nos aînés vulnérables jouissent de la pleine force de la loi pour pouvoir vivre dans la dignité qu'ils méritent.