Monsieur le Président, comme je suis tout juste revenu hier d'une mission d'observation en Colombie, c'est ma première intervention à la Chambre depuis la tenue de la dernière élection, si on exclut bien sûr le petit rappel au Règlement que j'ai fait précédemment.
Je désire profiter de l'occasion pour remercier chaleureusement les électeurs et les électrices de Saint-Hyacinthe—Bagot de leur confiance renouvelée. Je ferai tout en mon pouvoir pour être à la hauteur de ce second mandat que j'ai eu l'honneur de recevoir.
Plutôt que de livrer une petite guéguerre où l'on se renvoie la balle en accusant soit les libéraux ou les conservateurs, je vais tenter d'amener le débat autrement, même si je pense que la faute est partagée. Faire porter le débat sur autre chose ne pourra qu'élever la teneur de la discussion.
Rappelons d'abord les faits rapidement. L'administration américaine a annoncé la semaine dernière que, dès 2022, les droits compensateurs sur le bois d'œuvre exporté depuis le Canada allaient doubler, passant en moyenne de 9 à 18 %. Quand on regarde l'ensemble des entreprises touchées, la principale victime, c'est l’entreprise québécoise Produits forestiers Résolu, qui écope d'une taxe combinée de 29,66 %. C'est pourquoi le Bloc québécois voulait avoir ce débat exploratoire ce soir, dans le cadre duquel j'interviens à titre de porte-parole de ma formation politique en matière de commerce international.
La guerre commerciale entourant la question du bois d'œuvre est un vieil enjeu qui n'en finit plus de finir. Cela a été dit précédemment et il faut encore le préciser. On ne compte plus les occasions manquées de mettre fin à ce problème.
L'industrie forestière représente 11 % des exportations du Québec. Nos forêts sont une source de développement économique, d'emplois et de revenus publics en taxes et en impôts, en plus de présenter une grande valeur écologique. Il faut le dire aussi. Le secteur forestier présente une grande capacité de séquestration et de stockage du carbone, en plus d'inspirer bon nombre de PME québécoises innovantes dans la production de bioénergies et de bioproduits. Certains enjeux nécessitent une collaboration planétaire. L'environnement, la lutte contre les changements climatiques et le commerce vert en font partie, et notre bois peut y tenir une place de choix.
La nouvelle guerre tarifaire sera nuisible à tous, ou presque. Elle l'est pour nous, bien sûr, car elle pourrait causer une importante hausse du prix du bois et des conséquences graves pour nos entreprises et pour les 25 000 emplois directs canadiens liés aux ventes de bois d'œuvre aux États‑Unis. Aux États‑Unis, cela n'ira pas nécessairement mieux non plus: le prix de l'habitation augmentera, ce qui privera davantage d'Américains de l'accès à la propriété, et ce, même si l'administration Biden prétend que l'accès au logement est l'une de ses priorités. Qui y gagne au bout du compte? C'est bien sûr le lobby américain du bois et quelques politiciens qui voient les élections de mi-mandat arriver à grands pas.
Rappelons le fond de l'affaire. Les États-Unis, bon an mal an, accusent l'industrie forestière canadienne de bénéficier de subventions publiques, nuisant ainsi au secteur américain. La décision américaine relève de ce qu'on pourrait appeler une dynamique structurelle. Cela revient souvent. Nous n'en sommes pas à la première crise du bois. Quatre rondes ponctuées de conflits commerciaux sont survenues: en 1982-1983; en 1986; de 1991 à 1996; et de 2001 à 2006. Nous voilà maintenant à l'aube d'un cinquième conflit.
Cela n'a pas de bon sens. Le Canada a donc déposé à de multiples reprises des plaintes devant les tribunaux de l'Organisation mondiale du commerce et de l'Accord de libre-échange nord-américain.
Le Canada a toujours gagné ses causes. L'OMC a d'ailleurs affirmé en mai 2020 que Washington n'avait pas agi de façon objective ou équitable et que ses tarifs étaient illégitimes.
Les accords de libre-échange prévoient généralement un temps limite aux litiges pour éviter que ceux-ci ne perdurent exagérément longtemps. Cependant, sachant qu'ils vont perdre leur cause, la formule américaine est toujours la même: les Américains multiplient les tours de passe-passe pour retarder les travaux des tribunaux d'arbitrage, notamment en déposant des requêtes pour leur faire perdre du temps ou en tardant à nommer les arbitres. Pendant que le temps passe, la situation de notre industrie forestière se dégrade.
Le calcul des Américains est donc clair: établir des tarifs qui seront jugés — ils le savent — incorrects et profiter des années pendant lesquelles ils sont en vigueur pour mettre l'industrie canadienne en faillite, ou du moins en difficulté. Cela permettra aux États‑Unis de faire avancer leur industrie pendant ce temps, de la moderniser, d'améliorer sa compétitivité et, par conséquent, de prendre une longueur d'avance.
C’est ce qui se cache derrière les velléités de guerre commerciale. N’est‑ce pas justement ce qu’on peut qualifier aisément de concurrence déloyale? Il me semble que oui. Il y a quand même eu beaucoup d'occasions manquées de régler cela.
L’Accord Canada—États‑Unis—Mexique, l'ACEUM, voté à la Chambre en mars 2020, représente à ce chapitre une très grande occasion manquée. Il faut amender l'ACEUM. Le gouvernement aurait pu saisir l’occasion de colmater ces brèches dans le cadre des renégociations du libre‑échange nord‑américain des dernières années pour que le processus de litige soit beaucoup mieux encadré afin d’éviter de trop longs délais lorsque le temps joue contre nous.
Il faut également amender l'ACEUM sur un autre point. Il faudrait y créer un conseil consultatif permanent sur le bois‑d’œuvre. J’ai tenté de déposer à la Chambre en mars 2020 un tel amendement, mais celui‑ci a malheureusement été rejeté par la présidence.
Cela m’amène à vous parler d’une autre urgence, celle de faire reconnaître le régime québécois.
Depuis 2013, le régime québécois est totalement conforme au cadre et aux exigences du libre‑échange, ce qui devrait lui épargner des soubresauts comme ceux que nous subissons. Le régime est simple à expliquer. Le quart du bois provenant de la forêt publique est vendu aux enchères, où tout le monde peut miser. Le prix obtenu est ensuite appliqué à l’ensemble du bois provenant de la forêt publique. Ce système est tout à fait comparable avec celui qui est en vigueur aux États‑Unis. Le prix du bois est donc fixé par le marché, et non par le gouvernement. Il n’est pas subventionné, ce qui passe à 100 % le test du libre‑échange. Il a même été conçu spécifiquement pour cela.
En revanche, ce n'est pas le cas du régime de droit de coupe de la Colombie‑Britannique qui, lui, est fixé par le gouvernement. Faire reconnaître la spécificité du régime québécois nous épargnerait pas mal de problèmes.
Je fais un aparté, c'est une des raisons pour lesquelles je suis en politique. Quand on me demande pourquoi je suis indépendantiste et que je réponds que c'est pour avoir le pouvoir de signer ses propres accords et ses propres traités, cela sonne un peu abstrait et cela a l'air très théorique. On en a pourtant ici un exemple éminemment concret et un cas assez typique: pouvoir négocier en son nom propre, pour ses intérêts, plutôt que de laisser un État qui n’en fait pas une priorité le faire à sa place.
À court terme, bien sûr, le gouvernement doit urgemment offrir un soutien à l’industrie par l'entremise d’un programme de prêts et de garanties de prêts, équivalant aux sommes retenues par Washington. C’est la seule manière de traverser la crise.
Ottawa peut également plaider en faveur d'une exemption du bois provenant de forêts privées. Si la grande majorité, 90 %, du bois coupé au Québec provient de forêts publiques, certaines forêts privées ont une certaine importance et un poids réel dans quelques régions et méritent donc qu'on s'y attarde. L’argument à soulever est tout de même très simple. Les États‑Unis pointent du doigt les forêts publiques en disant qu'elles ne respectent pas les lois du marché et qu'elles bénéficient de subventions cachées. Pourquoi alors le bois provenant de forêts privées, dont je précise qu'il n’est pas soumis au régime québécois, est‑il lui aussi visé par ces nouveaux tarifs? Cela devrait être un argument très simple pour nos amis du gouvernement. Il me semble que cela ne devrait pas être très difficile de plaider cela.
Puisque les nouveaux droits ne touchent pas les produits transformés, c'est une belle occasion, comme mon collègue de Jonquière le mentionnait tout à l'heure, de développer une chaîne de valeur pour favoriser la transformation de produits forestiers. Il me semble qu'on aurait une belle occasion avec la deuxième et la troisième transformation.
Que fait le gouvernement? Il nous dit qu’il travaille très fort pour l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes et que le bois d’œuvre est une priorité qu'il défend, je le cite, « vigoureusement ».
Il y a deux semaines, le premier ministre a participé au premier sommet trilatéral des « trois amigos » depuis de très nombreuses années. À peine une semaine plus tard, de nouveaux tarifs sur le bois ont été annoncés. Comprenne qui voudra, mais il y a quand même un problème ici. Demain, la ministre du Commerce international sera à Washington. Espérons que les résultats seront plus probants.
Le gouvernement adoptera-t-il un ton plus ferme? Ripostera-t-il avec des mesures sur les produits américains?
Il faudra voir. On attend toujours des annonces concrètes. Les mots-clés vides de sens comme « priorité » et « vigueur » ont fait leur temps. Maintenant, une importante industrie...