Madame la Présidente, je suis heureuse d'avoir l'occasion de contribuer au débat d'une manière que j'espère constructive. Le travail que j'accomplis personnellement à la Chambre depuis huit ans porte notamment sur ce que nous pouvons faire, en tant que parlementaires, pour prévenir la violence entre partenaires intimes, un enjeu qui préoccupe tous les députés, je le sais.
Selon les données de Statistique Canada, 537 femmes par tranche de 100 000 habitants ont été victimes de violence familiale en 2021. La violence contre un partenaire intime représente près du tiers des crimes commis au Canada et elle a connu une hausse de 6 % au cours de la dernière année. Dans l'ensemble, les crimes violents ont augmenté de 39 %. Les agressions sexuelles ont augmenté de 71 %. Cela s'inscrit dans une tendance générale, celle de l'augmentation du taux de criminalité qui découle des politiques de capture et de remise en liberté sous caution que le premier ministre prône depuis huit ans.
Ces statistiques sont encore plus frappantes si on considère que 80 % des activités criminelles à l'endroit d'un partenaire intime ne sont jamais signalées. Il faut se demander pourquoi il en est ainsi. Pourquoi les gens font-ils si peu confiance au système de justice? Pourquoi les victimes trouvent-elles qu'il est préférable, pour elles, de ne pas porter plainte au criminel? Pourquoi ne se sentent-elles pas protégées alors qu'elles traversent une période traumatisante?
Nous pouvons observer des tendances plus importantes. Entre 2004 et 2014, les affaires dans lesquelles le défaut de se conformer à une ordonnance du tribunal figurait parmi les chefs d'accusation ont augmenté de 25 %, et les affaires dans lesquelles le manquement aux conditions de probation figurait parmi les chefs d'accusation ont augmenté de 21 %. Lorsque l'on signale un cas de violence entre partenaires intimes, le système judiciaire ne prend pas suffisamment de mesures pour empêcher d'autres actes de violence. Pourtant, dans 60 % des cas d'homicide impliquant un partenaire intime, il y avait des antécédents de violence. La moitié de ces homicides impliquent un contrevenant qui avait déjà été condamné pour des délits similaires.
Le parrain de ce projet de loi au Sénat a évoqué un cas particulièrement flagrant dont je vais parler pour que ce soit noté dans le compte rendu des débats de la Chambre. Au Québec, un individu accusé de féminicide avait commis 50 infractions criminelles au cours de sa vie, dont 3 agressions sexuelles et 11 infractions de violence conjugale. Après avoir enfreint une troisième fois les conditions de sa mise en liberté sous caution, il a été arrêté, puis relâché. Un peu plus d'une semaine plus tard, il a assassiné son ancienne partenaire. Nous ne devons donc pas nous étonner que notre système n'inspire plus du tout confiance à la population.
Dans l'intérêt des victimes, nous devons mieux tenir compte de leurs préoccupations et agir en conséquence. Le projet de loi S‑205 vise à fournir au système de justice tous les outils que nous pouvons mettre à sa disposition pour aider les victimes de violence entre partenaires intimes à dénoncer ces crimes lorsqu'ils se produisent et pour que les droits des victimes passent avant ceux de leur agresseur dès le début du processus judiciaire. Le projet de loi permettrait aux autorités de veiller à ce que la victime soit consultée au sujet de ses besoins en matière de sécurité avant que les conditions de libération soient imposées à l'accusé. Ces conditions doivent tenir compte de l'avis de la victime. Si la victime est un partenaire intime de l'accusé, elle a le droit d'être informée des conditions de libération sous caution.
Un juge pourrait exiger que l'accusé porte un bracelet électronique lors de sa libération, ce qui aurait pour effet d'ériger une barrière entre la victime et son agresseur et d'alerter les forces de l'ordre dès que le périmètre de sécurité n'est pas respecté. Le projet de loi permettrait aussi de prolonger la durée de l'engagement à ne pas troubler l'ordre public et d'alourdir les peines prévues en cas de violation des conditions. Encore une fois, les mesures proposées visent à ce que l'on tienne compte des victimes en premier et à ce qu'on leur donne plus de temps pour réagir à la suite de l'agression.
On peut toujours en faire plus pour renforcer la confiance dans la justice pénale et encourager les victimes à dénoncer leur agresseur sans crainte de représailles, mais, à l’heure actuelle, aucun mécanisme de surveillance ne permet de veiller au respect des conditions de libération d’un délinquant. Ce n'est pas juste pour les victimes ni pour le public en général, compte tenu de la compréhension que nous avons de la violence entre partenaires intimes. Ce que nous savons ne se reflète pas dans nos lois.
Voilà pourquoi ce projet de loi compte parmi les nombreuses initiatives qu'il faudrait adopter. C'est avec plaisir que j'ai appuyé le projet de loi C‑320 sur l'adéquation de la peine et du crime, qui a récemment été adopté à la Chambre avec l'appui de tous les partis. Ce projet de loi est un autre outil sensé qui nous permettra d'accorder la priorité aux droits des victimes plutôt qu'à ceux des délinquants. Au cœur du projet de loi C‑320 se trouve la transparence, qui ferait en sorte que les victimes soient informées des motifs des décisions prises concernant la date de libération conditionnelle d'un détenu ou concernant une permission de sortir ou de placement à l'extérieur. Les victimes devraient recevoir toute l'information relative à ces décisions avant qu'elles n'entrent en vigueur. Elles devraient avoir la possibilité d'apporter leur contribution.
Je suis également fière du travail que j'ai accompli cette année pour la protection des femmes enceintes contre les hommes violents au moyen du projet de loi C‑311. Nous savons que les femmes enceintes risquent davantage d'être violentées. Nous savons que c'est une réalité qui existe au Canada plus que nous pourrions l'imaginer. Les tribunaux traitent ces cas d'une manière qui n'est pas de nature à attirer davantage l'attention des gens sur l'existence du problème.
Je suis confortée dans mon opinion lorsque je constate que la majorité des Canadiens ayant bien lu le projet de loi comprennent qu'il vise à ajouter de nouveaux facteurs aggravants que les juges pourraient invoquer et qui ne sont pas utilisés de façon uniforme à l'heure actuelle. Autrement dit, ces Canadiens comprennent tout à fait l'objectif et l'esprit de ce projet de loi bien simple. À l'heure actuelle, un juge peut décider de tenir compte de la grossesse de la femme et du préjudice subi par l'enfant, mais il n'est pas tenu de le faire. Cet exemple nous fait voir l'importance de ne ménager aucun effort pour protéger les femmes contre la violence entre partenaires intimes comme nous tâchons de le faire avec le projet de loi C‑311.
Il y a un thème commun à ces projets de loi. Les victimes croient que le système de justice n'est pas là pour elles lorsqu'elles choisissent de dénoncer leur agresseur. Compte tenu du nombre de cas au Canada où une personne est arrêtée puis mise en liberté sous caution, il est évident que des crimes violents continuent d'être commis. Nous avons besoin de plus de mesures dissuasives et de plus de raisons pour inciter les gens à ne pas commettre de crimes en premier lieu, ainsi que pour veiller à ce que les personnes libérées en attendant leur procès ne continuent pas à commettre des actes criminels.
Selon les victimes de violence, les mesures prises par les tribunaux après qu'elles ont pris le risque de dénoncer leur agresseur ne permettent pas d'éliminer les risques de représailles. Le projet de loi S‑205 améliorerait considérablement les choses pour ces personnes. Il prévoit une approche proactive. Autrement dit, nous n'attendons pas que d'autres situations horribles se produisent; nous y mettons un frein. C'est une simple question de bon sens.
D'ailleurs, ce projet de loi est plein de bon sens. Il vise à mettre la victime au cœur du processus judiciaire et à lui donner plus de pouvoir pour qu'elle y prenne part dès le commencement. Par conséquent, même quand un individu faisant face à des accusations est libéré, la protection de la victime passe en premier.
Je crois que la Chambre doit tout faire pour adopter les projets de loi visant à protéger les femmes de la violence. C'est certainement ce que ferait le projet de loi S‑205. J'encourage la Chambre à étudier ce projet de loi rapidement et efficacement. Cela nous pousse à réfléchir aux occasions que nous procure cet endroit et que, parfois, nous ne saisissons pas pour des raisons politiques. Les députés peuvent me croire: les victimes d'actes criminels violents n'arrivent pas à comprendre pourquoi nous ne saisissons pas toutes les occasions qui nous sont données de faire plus pour protéger les victimes et veiller à leurs intérêts.