Monsieur le Président, les libéraux ont invoqué la Loi sur les mesures d’urgence. Il s’agit de la Loi sur les mesures de guerre réformée qui donne au gouvernement fédéral et à la police des pouvoirs étendus et jamais utilisés auparavant. Reconnaissons ce qui s’est passé. La Loi sur les mesures d’urgence suspend les libertés civiles.
J’ai dit plus tôt cette semaine que cela entache profondément la réputation de notre pays en tant que défenseur des droits et que les dictateurs du monde entier seraient ravis de ce qui se passe au Canada. Les députés ministériels se sont moqués quand j’ai dit cela à la Chambre des communes. Si le Canada fait cela, qui pourrait dire que les tyrans, avec des manifestants dans leur capitale, ne pourraient pas faire de même?
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour entendre des réponses. Les médias d’État chinois ont été les premiers à déclarer que Pékin avait une plus grande autorité morale et juridique pour invoquer sa loi sur la sécurité nationale à Hong Kong que le Canada contre ses camionneurs. Russia Today a diffusé des reportages démesurés, quatre fois plus nombreux que ceux de la BBC et d’Al Jazeera, pour attirer ses téléspectateurs, et puis il y a eu le meilleur. Quand je dis le meilleur, je veux dire le pire. Le meilleur, c’est l’ancien leader iranien Mahmoud Ahmadinejad qui a exprimé son soutien sur Twitter. Oh, Canada, quelle horrible compagnie pour notre pays que d’avoir Pékin, Moscou et Téhéran qui encouragent le gouvernement libéral. Les députés libéraux, les néo-démocrates et peut-être les verts doivent se sentir un peu mal à l’aise.
Même s'il était nécessaire de démanteler les barrages routiers à Ottawa, les critères pour appliquer la Loi sur les mesures d'urgence ne sont pas satisfaits. C'est pourquoi je vais voter pour la révocation de cette épouvantable transgression de la part du gouvernement fédéral. Si les députés votent pour appuyer la volonté du premier ministre de recourir à la force, ils placeront la barre bien bas. À l'avenir, il sera facile de suspendre les libertés civiles. Tous les députés dans cette enceinte, surtout les députés de l'opposition qui envisagent d'appuyer la motion du gouvernement, devraient sérieusement s'inquiéter du fait qu'à l'avenir, les critères à satisfaire pour invoquer la Loi sur les mesures d'urgence seront les justifications plutôt faibles d'aujourd'hui. Je rappelle quels sont les critères à satisfaire:
[...] une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire [...] et qui, selon le cas:
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;
b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.
Ce doit être une situation à laquelle « il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».
Les barrages illégaux à Surrey, à Coutts et à Windsor avaient déjà été démantelés avant le recours à la Loi sur les mesures d'urgence. Si le Parlement conclut que les manifestations sur la rue Wellington et les rues avoisinantes à Ottawa constituent une véritable urgence nationale, n'importe quel gouvernement à l'avenir pourrait décider d'apposer cette étiquette à d'autres éléments, par exemple des manifestations sur la Colline du Parlement, l'immigration illégale ou le radicalisme pro-environnemental. Les législateurs doivent faire preuve d'une grande prudence à l'égard de la voie vers laquelle ils dirigeront notre pays.
Les députés d'en face qui ont l'intention d'appuyer cette motion verront leur nom y être associé à tout jamais. Ils vont autoriser et approuver la suspension de droits garantis par la Constitution. Les députés libéraux soutiennent qu'il n'y a pas d'atteinte aux libertés civiles, puisque le préambule de la loi dit que les droits prévus par la Charte sont protégés. Toutefois, interdire les rassemblements publics porte atteinte aux libertés civiles. Saisir des biens privés sans suivre la procédure établie porte atteinte aux libertés civiles. Retenir des actifs sans offrir de recours porte atteinte aux libertés civiles. Geler des comptes bancaires et forcer des banques à communiquer des renseignements privés à des organismes de sécurité, sans supervision judiciaire et en l'absence d'accusations criminelles constitue une grave violation des droits fondamentaux. Limiter les déplacements des gens porte atteinte aux libertés civiles. Il y a actuellement plus de 100 points de contrôle policiers dans la capitale du pays.
Le recours à la Loi sur les mesures d'urgence aujourd'hui représente une utilisation disproportionnée des pouvoirs fédéraux. Les députés d'en face voteront-ils en faveur de cette suppression injustifiée des libertés civiles?
Pendant les prochaines décennies, les gestes du gouvernement et de la police seront étudiés et analysés par des universitaires, des chercheurs et des étudiants, de la même façon que la redoutable Loi sur les mesures de guerre est scrutée depuis 50 ans. Je doute que leur jugement soit favorable. En fait, je suis déjà frappé de voir des divergences croissantes parmi les points de vue et les articles présentés par les médias canadiens et la presse étrangère à ce sujet.
À quelques exceptions près dans chaque camp, l'attitude des médias canadiens et de l'élite a largement été le reflet de la position du gouvernement. Ils affirment que les manifestants ne sont pas pacifiques et minimisent la suspension des droits. Certains répètent tout simplement les arguments du gouvernement, tandis que d'autres rejettent les préoccupations légitimes des Canadiens au sujet des confinements, des exigences relatives à la COVID et des restrictions. Ce qu'on ne voit pas, c'est une défense pleine et entière de la Charte des libertés de la part des journalistes libéraux et des pontifes de l'opinion vers lesquels on se tourne lorsque des droits sont brimés ici ou à l'étranger. Cela contraste fortement avec ce qui est publié à l'étranger.
Que dit-on exactement à l'extérieur du pays?
Voici ce qu'on pouvait lire en milieu de semaine dans Newsweek: « Le Canada [...] arrête des dissidents. Le fait qu'un pays qui considère être une démocratie arrête des gens parce qu'ils organisent une grande manifestation populaire non violente devrait nous horrifier. »
The Economist, qui vante depuis longtemps les libéraux du Canada, a publié ceci:
La répression exercée par [le premier ministre] à l'endroit des manifestants pourrait empirer les choses...
Le gouvernement canadien aurait dû établir une distinction claire entre les actes préjudiciables et les propos odieux ou insensés. Les manifestations pacifiques ne posent aucun problème, mais bloquer des routes essentielles afin que d'autres ne puissent vaquer à leurs occupations, ce n'est pas la même chose.
Il existe une distinction claire entre les manifestations aux postes frontaliers et celle de la rue Wellington. The Economist poursuit en ces mots:
[L]es camionneurs ont tout à fait le droit d'exprimer leur désaccord. Un gouvernement sage les aurait écoutés et leur aurait répondu poliment, en prenant leurs doléances au sérieux [...]
[Mais le premier ministre] a fait le contraire.
Le Spectator, un autre magazine britannique respectueux, s'est montré beaucoup plus dur:
La désobéissance civile pacifique est un moyen établi d'attirer l'attention sur une injustice lorsqu'il n'y a plus d'autres recours ordinaires [...]
[...] les élites du Canada [...] se soucient de la présence des camionneurs dans la capitale et aux frontières seulement dans la mesure où il s'agit d'une honte [nationale] [...] Elles ne s'intéressent pas aux répercussions qu'ont les exigences relatives à la vaccination sur la vie des citoyens [...]
Il n'a pas été possible pour les camionneurs et ceux qui les appuient d'obtenir la prise en compte de leurs doléances par des moyens civiques ordinaires [...]
Cette désobéissance civile est le seul motif que [le premier ministre] peut donner pour justifier le recours à la Loi sur les mesures d'urgence. Le [gouvernement] argue que la manifestation et la désobéissance civile pacifique en cours constituent une menace à la sécurité nationale et à l'économie [...] [Un] gouvernement crédible aurait entièrement évité la situation en tenant compte de la souffrance qu'il inflige à son propre peuple ou, à tout le moins, en exprimant son intention de l'évaluer.
Le titre de cet article qui ne laisse pas indifférent est « Le virage totalitaire [du premier ministre] », mais sa conclusion est la même que celle de l'Economist, un magazine libéral, et celle du Financial Times de l'Europe, c'est-à-dire que le gouvernement du Canada a fait fausse route.
Cela continue dans d’autres publications. Le New York Times a affirmé, lundi, que le Canada « déclare l’urgence nationale », ce qui permet une suspension temporaire des libertés civiles.
Les journalistes d’Ottawa n’ont pas apprécié cette affirmation ni le fait que le New York Times ait inclus une couverture ainsi que des photos de la police arrêtant des manifestants près du Parlement hier, sous la menace d’une arme.
Le Wall Street Journal, qui est le plus grand journal américain, a écrit dans son éditorial que la manifestation des camionneurs aurait pu être gérée sans abuser de la loi. « Le travail du gouvernement est de maintenir l’ordre public tout en respectant les libertés civiles. » Le Canada a échoué sur les deux tableaux.
La conclusion de la presse étrangère est que notre premier ministre a franchi une limite en matière de démocratie.
Les Canadiens veulent que le barrage prenne fin, mais cela n’aurait jamais dû se faire au détriment de la primauté du droit, par des mesures de répression, des abus et des méthodes totalitaires au Canada, affirme la presse occidentale. Oh Canada, c’est une tache sombre et une honte nationale.
Mon Canada me manque, mais il y a de l’espoir. L’éditorial du Wall Street Journal offre un avertissement et peut-être une issue, en écrivant: « Les manifestants ne sont pas des urgences, et les dirigeants occidentaux feraient mieux de s’habituer à gérer la désobéissance civile avec fermeté sans trahir les libertés civiles ».
Comment le Parlement doit-il réagir? La seule question qui se pose à nous est la suivante: cet organe législatif soutient-il que l'on bafoue la désobéissance et les manifestations civiles en portant atteinte aux droits et aux libertés? Nous ne pouvons pas défaire ce qui s’est passé. Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence incombe au premier ministre et au Cabinet libéral, mais nous n’avons pas à nous rendre coupables de cette décision. Nous pouvons y mettre fin. Le Parlement peut agir. Nous ne devons pas approuver la décision de notre jeune premier ministre et son abus flagrant de la loi fédérale. Le Parlement peut rejeter la Loi sur les mesures d’urgence. Il devrait le faire, car les Canadiens, ainsi que le reste du monde, nous regardent et voient si nous allons faire les choses correctement.