Monsieur le Président, je me lève à la Chambre pour rendre hommage à un fils du Québec, un grand homme d'État pour le Canada.
Il y a environ un an, mon épouse Ana et moi étions dans un garage à environ 30 minutes au sud d'ici pour faire faire l'entretien de notre voiture. Quand je suis allé le payer, le mécanicien m'a dit: « Vous êtes le chef conservateur. Brian Mulroney est un ami de ma famille. » Je lui ai demandé: « Vraiment, comment le connaissez-vous? » Il m'a dit que son père était mineur à la Iron Ore Company et que, lorsque Brian Mulroney en était le président, il passait beaucoup de temps avec les travailleurs sur le terrain. Il leur demandait leur opinion, il écoutait leurs histoires et, surtout, il écoutait leurs conseils sur la façon d'améliorer l'entreprise.
C’était le genre d’attitude terre à terre qu’il avait, mais ce qui était encore plus important que son attitude et sa collégialité avec les travailleurs, c’était son incroyable mémoire. Des décennies plus tard, lorsque ce mineur est décédé, Brian a téléphoné à sa famille. Ce qu’il y a d’incroyable dans cet appel téléphonique, c’est qu’entretemps, Brian Mulroney avait participé à deux courses à la chefferie; remporté deux élections avec une majorité; rencontré des présidents, des rois, des reines et d’autres premiers ministres; négocié des accords de libre-échange; été témoin de la fin de la guerre froide et envoyé des troupes canadiennes dans le golfe Persique. Malgré tout cela, il n'avait pas oublié le mineur de la Iron Ore Company.
C'est cela, la gentillesse. C'est cela, l'humilité. Je crois qu'il a vu son père dans ce mineur, un électricien de la classe ouvrière dans une petite ville du Québec.
Baie‑Comeau est une ville travaillante.
Une modeste éducation au sein de la classe ouvrière irlandaise lui a appris la valeur du travail, de la famille, de l'entourage, de la loyauté et du mérite. Cette partie de son héritage revêt pour moi un aspect personnel. Je suis né d'une mère adolescente. Soit dit en passant, elle était issue d'une famille irlandaise de la classe ouvrière. Elle m'a fait adopter par deux enseignants. Je commençais à peine à me rendre compte qu'il y avait un premier ministre alors qu'il occupait déjà ce poste.
Comme des millions de jeunes issus de milieux semblables, nous l'avons admiré et nous nous sommes dit que, si le fils irlandais d'un électricien de la classe ouvrière provenant d'une petite ville industrielle pouvait devenir premier ministre, alors, n'importe qui de n'importe où au pays peut faire n'importe quoi.
Il a fait son chemin de la petite ville à la grande entreprise. Il a dirigé certaines des plus grandes entreprises du Canada. Il a occupé bon nombre de ces emplois à la fin de la trentaine et au début de la quarantaine. La première fois qu'il a tenté de se lancer en politique, il a essuyé un revers, mais il en a fait fi. Il s'est présenté une deuxième fois à la course à la direction de son parti, qu'il a remportée, avant de s'attaquer à la puissante machine libérale lors des élections de 1984. Avant de pouvoir le faire, il devait être élu.
Dès son premier jour à la Chambre, il a croisé le fer avec l'ancien premier ministre légendaire Pierre Elliott Trudeau, qui l'a taquiné sur le fait d'avoir été parachuté de son siège social à Montréal pour remporter une élection partielle dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse. Je vais citer le compte rendu:
Le député de Central Nova a fait beaucoup de chemin depuis la cabane en bois rond du comté de Pictou. Je vois qu'il a abandonné ses vieux pantalons et ses vieux chandails dans l'espoir de se faire réélire aux prochaines élections. En attendant, nous nous laisserons séduire par son charmant sourire qui a fait frissonner de plaisir toutes les ménagères, de Oyster Pond à Mushaboom.
Brian Mulroney s'est levé et a répondu:
Je veux que vous sachiez, monsieur le premier ministre, que pendant que vous étiez occupé ailleurs, j'ai passé un été très agréable. Il y a eu un incident fâcheux, un seul. Le candidat libéral dans Central Nova faisait constamment allusion à un candidat du Québec qui n'habite pas dans sa circonscription, mais qui demeure plutôt gratuitement dans une maison d'un million de dollars, et j'ai [vigoureusement] pris votre défense, monsieur.
Lorsqu'il se présentait dans cette chambre avec son grand sourire et son ton confiant, je pense qu'il était capable de convaincre n'importe qui.
Il a remporté les élections avec une majorité record et formé un gouvernement qui a hérité d'un pays désespéré et divisé, dans lequel la montée en flèche de la dette avait provoqué une inflation, un chômage et des taux d'intérêt à deux chiffres. Le gouvernement s'était attaqué aux industries et à des milliers d'emplois. Les gens voyaient leur vie partir à la dérive. Le pays était plus divisé que jamais. Le séparatisme et le sentiment d'aliénation de l'Ouest gagnaient rapidement du terrain, mais il s'est mis au travail. Il a réduit la taille du gouvernement, éliminé des lourdeurs administratives, mis fin à l'épouvantable programme énergétique national et privatisé 23 entreprises publiques déficitaires qui, par la suite, ont affiché un bon rendement et se sont développées dans le secteur privé. Pour clore tout débat à ce sujet, disons que les gouvernements successifs n'ont renationalisé aucune de ces entreprises, ce qui prouve qu'il avait raison.
J'aime particulièrement sa décision de fixer un objectif de maîtrise de l'inflation, qui oblige la Banque du Canada à préserver la solidité de notre monnaie, ce qui a mis fin à la décennie précédente d'inflation par la planche à billets qui avait détruit la classe ouvrière. Cette politique, cet objectif en matière d'inflation, a été adopté en 1991 et a permis d'assurer la stabilité des prix et la solidité de la monnaie pendant les deux décennies et demie qui ont suivi.
Enfin, il s'est opposé aux discours alarmistes et mensongers pour défendre et garantir l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, l'accord commercial le plus fructueux que le monde moderne ait jamais connu avec l'économie la plus lucrative de l'histoire de la planète. En fait, l'accès au marché des États-Unis que nous avons aujourd'hui est issu de cet accord.
Il a hérité d'un pays désespéré, divisé, avec une dette publique qui a provoqué de l'inflation, du chômage et des augmentations des taux d'intérêt. Le gouvernement s'était attaqué aux secteurs clés, détruisant des milliers d'emplois. La vie des gens tombait en morceau, mais il a donné aux gens de l'espoir.
Pourtant, il s'est attelé à des tâches difficiles. Il a réduit la taille du gouvernement, il a allégé la bureaucratie, il a mis fin à l'épouvantable Programme énergétique national et il a privatisé 23 entreprises d'État déficitaires. Celles-ci ont réussi et se sont développées dans le secteur privé. Les gouvernements successifs ont décidé de ne renationaliser aucune d'entre elles, reconnaissant ainsi qu'il avait raison.
Ma décision préférée de Brian Mulroney a été celle de donner le mandat à la banque centrale de mettre en place un faible taux d'inflation. La cible de 2 % a mis fin à l'impression d'argent qui avait détruit la classe ouvrière dans la décennie précédente. Il a mis cette politique en place en 1991. Cette politique a été respectée pendant 25 ans.
Enfin, il s'est tenu debout pour défendre l'idée d'un libre-échange avec les États-Unis grâce à une entente qui a eu le plus grand succès parmi toutes les ententes de libre-échange au monde, ce qui a donné lieu à une économie extraordinaire. En fait, ces politiques économiques ont donné le coup d'envoi à un consensus de gros bon sens, de libre marché, de libre-échange, de dépenses disciplinées, de monnaie solide, de défense forte, de méritocratie et non pas d'aristocratie. Ce consensus a duré 30 ans après son élection en 1984.
Toutes les politiques qu'il a proposées, celles que j'ai nommées, étaient controversées. Certaines étaient même impopulaires, mais aucune n'a été abrogée par le gouvernement libéral qui lui a succédé. En fait, après son élection en 1984, il a établi un consensus plein de bon sens en faveur des marchés libres, du libre-échange, de dépenses bien contrôlées, de finances saines, de défense solide et de méritocratie, et non d'aristocratie. C'était un consensus qui allait perdurer pendant 30 ans après son élection en 1984, et nous devrions le rétablir.
Il s'est battu pour la langue française et pour le respect du Québec, en plus de l'autonomie des provinces.
Il a mis fin à la politique de neutralité pendant la guerre froide et il a pris une position ferme et sans équivoque en faveur de la liberté et contre le communisme. Il a été un chef de file mondial dans la lutte contre l'apartheid.
Plus tard, Nelson Mandela a fait la déclaration suivante à la Chambre des communes:
[...] je voudrais également rendre un hommage spécial au premier ministre du Canada, Brian Mulroney, qui a poursuivi dans la voie tracée par le premier ministre Diefenbaker qui avait réagi contre l'apartheid, persuadé qu'un homme de conscience ne saurait se taire tandis que se commet un crime contre l'humanité.
Monsieur le premier ministre [Mulroney], notre peuple et notre organisation ont pour vous le respect et l'admiration que l'on accorde à un ami. Votre engagement personnel dans la lutte contre la tyrannie de l'apartheid et le rôle de meneur que vous avez joué [...] ont grandement renforcé notre détermination.
Il a également défendu la liberté au Canada. Il s’est rangé du côté des sikhs portant le turban en leur permettant de servir dans la GRC, où ils assurent encore aujourd'hui notre sécurité.
Il excellait à parler au micro, mais encore plus au téléphone. En fait, pour Brian Mulroney, les appels téléphoniques étaient pour ainsi dire une forme d'art; il maniait le téléphone comme Michel-Ange aurait manié le ciseau ou le pinceau. Il s'en servait pour conclure des marchés, charmer des dirigeants étrangers et, surtout, pour réconforter des amis en deuil ou éprouvés.
J'ai perdu le compte des personnes qui m'ont raconté leur pire journée à vie. Ces gens avaient perdu un être cher, ou avaient été humiliés publiquement. Puis, soudain, le téléphone sonnait et la personne entendait au bout du fil la voix de baryton mélodieuse qui disait: « C'est Brian Mulroney. » Il consolait, lançait une blague ou même un juron, parfois, pour maudire l'injustice de la situation, et son ami voyait son fardeau s'alléger, surpris de constater que l'un des plus grands premiers ministres du pays lui avait offert rire et réconfort.
Je l'appelais pour lui demander conseil. En fait, j'ai été très chanceux qu'il m'en donne. Je lui ai demandé, par exemple, ce qu'il avait fait pour gérer toute la pression de ce travail, la perspective d'une élection serrée ou l'inquiétude quant au sort d'un affrontement politique. Il ne m'a pas répondu qu'il étudiait le stoïcisme, qu'il maîtrisait le yoga ou qu'il méditait au sommet d'une colline ni même qu'il était un dur à cuire qui n'avait pas le moindre souci au monde. Non, il m'a très simplement expliqué qu'il surmontait ses inquiétudes avec un seul mot: « Mila », Mila Mulroney.
Son histoire d'amour avec Mila, qui a duré plus d'un demi-siècle, passera dans les annales. Ils auraient célébré leurs 52 années de mariage dans peu de temps. Il lui attribuait toutes ses victoires. Elle était sa plus proche conseillère, son roc. Quelques jours seulement avant de mourir, il l'a prise dans ses bras et, malgré que ses yeux lui faisaient défaut, comme elle me l'a raconté l'autre jour, il l'a regardée droit dans les yeux et lui a dit: « Tu es tellement belle. » Depuis le moment où ils se sont rencontrés et jusqu'à son dernier souffle, ils ont été inséparables.
Il m'a dit que mon épouse, Anaida, qui a vécu le même parcours d'immigrante que Mila, était mon super pouvoir. Après mon discours lors du dernier congrès, il a dit que mon discours était formidable, mais que celui d'Ana était meilleur, bien meilleur. Après que j'aie pris mes fonctions actuelles, Ana et moi avons eu le plaisir de recevoir les Mulroney comme nos premiers invités à Stornoway. Nous avons pu leur soutirer à tous les deux des conseils incroyables, que je ne dévoilerai pas ici parce que je ne veux pas que mes adversaires politiques en profitent, mais leur meilleur et leur principal conseil, c'était de se tenir aux côtés de sa famille.
Les plus remarquables des réalisations de Brian et de Mila concernent leurs enfants, qui racontent encore aujourd'hui qu'ils pouvaient appeler Brian n'importe quand et qu'il répondait à leurs appels, même lorsqu'il était premier ministre. Plus tard, ils apprenaient qu'il avait quitté des sommets mondiaux ou des réunions du Cabinet pour leur parler. C'est pourquoi Mark, Caroline, Nicholas et Ben ont eu autant de succès à leur tour. Ils sont eux-mêmes pères et mère de famille aujourd'hui. Brian a eu 16 petits-enfants. « Allez, et multipliez-vous », dit la Genèse.
Il a incarné le célèbre poème de Kipling adapté par André Maurois:
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vieEt sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,Ou perdre en un seul coup le gain de cent partiesSans un geste et sans un soupir [...]
Si tu peux supporter d’entendre tes parolesTravesties par des gueux pour exciter des sots,Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches follesSans mentir toi-même d’un mot [...]
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la VictoireSeront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la GloireTu seras un homme, mon fils.
Reposez en paix, monsieur le premier ministre Mulroney.