Monsieur le Président, je suis heureux de participer au débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C‑273, Loi modifiant le Code criminel (la quête de Corinne et la protection des enfants), qu'a présenté le député de New Westminster—Burnaby le 19 mai 2022.
Le projet de loi C‑273 propose d'abroger l'article 43 du Code criminel, qui peut être invoqué comme moyen de défense par les parents, les gardiens et les enseignants qui emploient une force raisonnable à l'égard des enfants dont ils ont la charge. Pour les parents et ceux qui exercent des responsabilités parentales, l'article 43 s'applique au recours aux châtiments corporels. Cela signifie que les parents peuvent utiliser une force physique légère, comme la fessée ou de légers coups, pour discipliner un enfant dont ils ont la garde. L'article 43 autorise également les parents à utiliser une force physique pour retenir ou sortir un enfant d'un lieu dans des circonstances raisonnables. La défense est plus limitée pour les enseignants, qui ne peuvent en aucun cas employer la force pour punir un enfant. L'article 43 ne protège que l'enseignant qui utilise une force physique raisonnable pour retenir ou sortir un élève d’une salle de classe lorsque les circonstances le justifient.
Le projet de loi C‑273 traite de questions très délicates, comme l'autorité parentale, les droits de l'enfant, le rôle approprié du gouvernement et la limite entre une discipline parentale appropriée et la maltraitance des enfants. Nous savons que les Canadiens ont des opinions très diverses sur ce qui constitue un niveau acceptable de châtiment corporel dans l’éducation d’un enfant. Ces divergences de points de vue ont suscité des débats sur les comportements considérés suffisamment nuisibles pour être interdits, même si tous considèrent que la façon dont une personne choisit d'éduquer son enfant est une question profondément personnelle. Je me réjouis que le projet de loi dont nous sommes saisis nous donne l'occasion d'examiner ces questions importantes.
Le gouvernement soutient le projet de loi C‑273 et son objectif important qui vise la protection des enfants contre la violence et les mauvais traitements. Cependant, des parents, issus en particulier de populations faisant l’objet d’une attention excessive de la police, et des enseignants affirment craindre d'être criminalisés pour des mesures raisonnables, comme le recours à une force légère qui ne cause pas de préjudice.
L'article 43 fait partie du Code criminel depuis 1892 et n'a pratiquement pas été modifié. Il trouve son origine dans l'obligation parentale de protéger et d'éduquer les enfants. Il est généralement invoqué pour défendre les personnes accusées d'agression, parce que l'agression est définie, au sens large, dans le Code criminel comme l'application non consensuelle de la force. Cette définition englobe les attouchements non consensuels ou même les menaces à l'encontre d'une autre personne, indépendamment de son âge ou de l'existence ou non d'un préjudice ou de lésions corporels. Avec l'article 43, le Parlement a cherché à éviter de criminaliser certains comportements des enseignants, des parents et des autres personnes qui s’occupent des enfants, mais son application aujourd'hui n'est pas destinée à protéger les enfants contre les comportements violents et préjudiciables.
La Cour suprême du Canada, dans sa décision de 2004 concernant l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada, a statué que l’article 43 est conforme aux articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et précisé que l’article ne s’applique que pour défendre des parents qui ont imposé une correction mineure ayant « un effet transitoire et insignifiant ». La Cour a également défini certains paramètres de cette défense. Par exemple, l'enfant doit être âgé de 2 à 12 ans et être capable de tirer des leçons de la situation. Aucun objet ne peut être utilisé lorsque la force est employée. La tête de l'enfant ne doit pas être frappée. Il ne doit pas y avoir de préjudice physique ou de risque raisonnable de préjudice et l'adulte ne doit pas agir sous l'effet de la frustration ou de la colère. La Cour a limité encore davantage la défense des enseignants, qui ne peuvent utiliser une force physique raisonnable que pour maintenir l'ordre ou faire respecter les règles de l'école, par exemple pour retirer un enfant d'une salle de classe ou pour lui faire suivre les instructions. La Cour a insisté sur le fait que les enseignants ne peuvent en aucun cas infliger des châtiments corporels. Depuis la décision prise par la Cour suprême du Canada il y a près de 20 ans, l'évolution des recherches et des informations sur les préjudices associés aux corrections corporelles infligées aux enfants a entraîné une augmentation des demandes pour abroger ou réformer l'article 43.
Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre tous les appels à l’action présentés dans le rapport final de 2015 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. L’abrogation de l’article 43 serait un pas de plus vers la réalisation de cet engagement, car elle serait conforme à l’appel à l’action no 6. Cet appel à l’action était appuyé par des preuves documentées de châtiments corporels et de mauvais traitements généralisés infligés aux enfants par le personnel des pensionnats. Dans son rapport final, la Commission a fait remarquer que « cette incapacité à instaurer une discipline adéquate et à contrôler la façon dont elle est appliquée, envoie un message tacite, à savoir qu’il n’y a pas vraiment de limites à ce qu’on peut faire subir aux enfants autochtones dans les pensionnats. ».
Ceux qui sont en faveur de l’abrogation complète de l’article 43, notamment de nombreuses organisations de la société civile et le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, soutiennent que le droit pénal actuel n’offre pas aux enfants la même protection qu’aux adultes. De plus, un nombre croissant de travaux de recherche en médecine et en sciences sociales révèlent que les châtiments corporels ont un effet néfaste sur les enfants. Ils exposent les enfants aux risques de blessures et de violence physique ainsi qu’à des problèmes de santé mentale. Ils sont à l'origine de mauvaises relations parents-enfants et accroissent les comportements agressifs et antisociaux pendant l’enfance. Ils favorisent le développement de comportements violents et criminels à l’âge adulte, perpétuant ainsi des cycles de violence. Plus de 650 organismes au Canada ont appuyé la position selon laquelle les châtiments corporels infligés aux enfants et aux adolescents n’ont aucun effet positif. Ils ont demandé que l’on assure aux enfants la même protection contre l’agression que celle que l’on accorde aux adultes.
Cependant, l’abrogation complète de l’article 43 soulève des préoccupations dans certains secteurs. Par exemple, certains organismes religieux ainsi que des juristes et des organismes de représentation des enseignants, comme la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, se sont opposés à l’abrogation complète de l’article 43. En effet, les enseignants et les parents risquent de subir des accusations pour avoir eu des contacts physiques mineurs avec des enfants, par exemple en interrompant une bagarre entre frère et sœur ou en retirant un élève de la salle de classe pour sa propre sécurité ou celle d’autres élèves. Si rien ne défend les parents, les enseignants et les personnes qui appliquent une force physique raisonnable aux enfants dont ils ont la garde, les dispositions relatives aux voies de fait risquent de s’appliquer, parce qu’elles couvrent un très vaste éventail de comportements qui comprennent l’application d’une faible force qui n’entraîne pas de blessures physiques. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un parent qui retient un enfant pour le placer dans un siège d’auto. En outre, comme je l’ai mentionné plus tôt, cela pourrait aussi avoir un effet négatif inattendu sur les populations qui font l’objet d’une surveillance excessive et qui sont surreprésentées dans les systèmes de justice pénale et de protection de l’enfance, notamment les communautés autochtones et noires ainsi que les membres d’autres groupes racialisés.
À l’échelle internationale, les réponses concernant les châtiments corporels reflètent les positions divergentes sur cette question et font état de la nécessité de parvenir à une approche équilibrée. De plus en plus de pays, dont la Suède, la Nouvelle-Zélande, l’Écosse et l’Allemagne, ont abrogé des dispositions législatives analogues à l’article 43, afin d’interdire les châtiments corporels. En revanche, certains pays, comme l’Australie, continuent de protéger les parents qui utilisent une légère force corrective contre leurs enfants.
Il pourrait être indiqué d’étudier la possibilité d’adapter la défense pour répondre à ces diverses préoccupations en excluant du champ d’application le châtiment corporel, tout en l’autorisant pour les parents, les personnes qui s'occupent des enfants et les enseignants qui utilisent une force physique mineure qui est à la fois transitoire et insignifiante. En d’autres termes, les formes de châtiments corporels telles que les coups et les fessées seraient exclues dans tous les cas. Cette approche reconnaîtrait également l’évolution de la recherche et des preuves concernant les effets néfastes des châtiments corporels sur les enfants, tout en essayant de garantir que les parents, les personnes qui s'occupent des enfants et les enseignants puissent utiliser une force physique mineure et non néfaste sans être exposés à une responsabilité criminelle. Des changements dans ce domaine du droit auraient également des répercussions sur les provinces et les territoires, étant donnée leur compétence en matière d’administration de la justice, d’éducation et de prestation de services de protection de l’enfance. C’est pourquoi il serait important de prévoir un certain délai avant l’entrée en vigueur des réformes, afin de permettre aux différentes parties de se préparer à leur mise en œuvre efficace.
Nous reconnaissons tous le rôle important que joue l’éducation pour promouvoir les pratiques parentales sûres et appropriées. Le gouvernement actuel a toujours soutenu et continuera toujours à soutenir les programmes d’éducation parentale qui encouragent la discipline non physique des enfants et d’autres choix disciplinaires, et il publie régulièrement de la documentation destinée aux parents. Toute réforme relative à l’article 43 devrait s’accompagner d’une campagne éducative informant les parents et les enseignants des modifications apportées à la loi et présentant d’autres formes de discipline que le châtiment corporel. Le gouvernement du Canada est fermement décidé à assurer la protection et la sécurité physique des enfants dans tout le pays. Le projet de loi C-273 offrirait une occasion précieuse de mettre au point une approche moderne à l'égard de la discipline des enfants, approche qui garantirait que les enfants sont protégés contre les préjudices, tout en soutenant les choix raisonnables des parents, des enseignants et des personnes qui s'occupent des enfants.
Je me réjouis à la perspective d'étudier ce projet de loi en comité.