Monsieur le Président, je tiens à dire que je suis heureux de pouvoir parler aujourd’hui du projet de loi S-3 à l’étape de la troisième lecture. Ce projet de loi prolongerait d’un an le règlement transitoire sur la santé et la sécurité au travail dans les zones extracôtières afin de permettre la mise au point du règlement permanent.
En d’autres termes, je suis heureux de parler de ce projet de loi, car j’espère qu’il sera adopté aujourd’hui. Nous voulons certainement qu’il soit adopté aujourd’hui parce que nous attendons depuis très longtemps que les gouvernements, tant fédéral que provincial, adoptent des règlements permanents en matière de santé et de sécurité au travail dans la zone extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous attendons cela depuis le début des années 1990. Il y a une longue et triste histoire en ce qui concerne l'attitude envers la santé et la sécurité en zone extracôtière, où la réglementation en matière de santé et de sécurité n’est en rien comparable à celle dont disposent les autres travailleurs du Canada depuis de nombreuses années.
Nous avons entendu toutes sortes d’excuses pour justifier ce retard. Nous devons adopter cette mesure législative, et je suis heureux de l’appuyer, mais j’aurais été encore plus heureux si nous n’en avions pas eu besoin de ce projet de loi. En fait, nous n’aurions pas eu besoin de celui-ci si le gouvernement avait été plus diligent dans la poursuite de l’objet de la loi qui a été adoptée en 2014, qui elle-même était très tardive.
Le ministre parle du retard et de toutes les complications et consultations qui doivent avoir lieu. Il a déploré à plusieurs reprises qu’il y ait 300 pages de règlements. Je me demande à quelle page ils se trouvent actuellement. Je me le demande vraiment. Ils travaillent sur 300 pages de règlements depuis 2014. Cela fait six ans à raison de 50 pages par an. À quelle page sont-ils rendus?
Je ne veux pas être désinvolte à ce sujet, mais je pense que le fait d’utiliser cette excuse passe complètement à côté du fait qu’il ne semble pas y avoir eu d’effort sérieux pour réellement mettre en place des règlements permanents. De tels règlements sont indispensables, et pour cause.
J’ai bien peur que la raison de tout ceci soit que les entreprises ont estimé que la réglementation était trop lourde. Ce débat se poursuit depuis le début des années 1990, moment auquel la responsabilité de la santé et de la sécurité au travail a été retirée au ministère fédéral du Travail et au ministère provincial du Travail pour être confiée à l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers. Il a déjà été souligné que les obligations sont partagées pour veiller à la santé et à la sécurité, à la protection de l’environnement, aux calendriers de production, ainsi qu’à la promotion et au développement de l’industrie dans les zones extracôtières.
Comme l’ont souligné la députée de Saanich-Gulf Islands et d’autres, il y a là un conflit inhérent et, à tout le moins, un manque d’attention sur les choses importantes. Il y a de bons exemples qui expliquent pourquoi c’est un problème, et je vais en citer un en particulier qui illustre ce problème et aussi le problème de la péremption des règlements. Cette péremption a été rendue possible par le fait que le gouvernement n’a pas présenté ce projet de loi avant l’expiration des règlements, ce qu’il a fait le 31 décembre de l’année dernière.
Nous n’avons pas de règlements applicables à l’étranger. Les compagnies ont reçu des instructions pour les suivre, et les compagnies ont accepté de les suivre, mais il est très clair qu’ils ne sont pas applicables. Personne ne peut être accusé ou condamné pour une infraction au titre de règlements qui ne sont pas en vigueur.
Dès 1992, il y avait une ébauche de règlement, qui était utilisée comme ligne directrice. On pensait à l’époque, et les entreprises avaient convaincu les gouvernements, que les entreprises savaient mieux que quiconque comment gérer la sécurité dans les zones extracôtières. Elles comprenaient l’industrie, et elles comprenaient comment elle fonctionnait. Elles les auraient utilisées comme lignes directrices, mais il n’y avait pas le droit de refuser un travail dangereux, pas d’obligation exécutoire pour les tests de santé et de sécurité au travail, et pas de possibilité pour les inspecteurs de porter des accusations en cas de problème.
L’excuse était toujours que nous pouvions leur retirer leur permis et les empêcher de fonctionner, mais cela n’est jamais arrivé. Cela ne s’est pas produit dans le secteur extracôtier parce que c’était un pas trop important à franchir. Il n’y avait pas d’inspecteurs qui inspectaient régulièrement les zones extracôtières, recherchaient les infractions, les traitaient ou même menaient des enquêtes après des incidents. Tout était laissé à la discrétion des entreprises.
Nous avons été témoins de grandes catastrophes. Le ministre les a mentionnées. Tous les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador qui étaient là à l’époque se souviennent très bien du naufrage de la plateforme Ocean Ranger en 1982, qui a coûté la vie à 84 personnes.
C'était une tragédie horrible à Terre-Neuve-et-Labrador, et comme il a été mentionné, elle a fait l'objet d'une enquête pour en déterminer les causes. Comme c'est toujours le cas, les causes étaient multiples. La plupart relevaient de l'absence de mesures de sécurité adéquates et de l'absence d'un plan de sécurité adéquat en cas de problème.
La même chose s'est produite en 2009 lors de l'écrasement du vol 491 de Cougar Helicopters, qui a entraîné la mort de 17 personnes. Cet accident s'est produit parce qu'on ne s'est pas assuré que l'hélicoptère fonctionnait adéquatement, même si un appareil semblable s'était écrasé quelques années plus tôt en Australie et que la cause de cet écrasement était connue.
C'est une réalité du domaine extracôtier. Malheureusement, de graves accidents se produisent. Toutefois, heureusement, peu d'autres catastrophes sont survenues. Les sociétés d'exploitation pétrolière extracôtière mettent l'accent sur la sécurité. Je l'accorde. Elles en parlent continuellement. Cependant, elles souhaitent également en être responsables. Elles ne veulent pas vraiment que quelqu'un d'autre leur dise comment elles devraient se comporter ou vérifie qu'elles font bien les choses.
Lors de l'enquête sur l'accident d'hélicoptère, le juge Wells, qui était un excellent juriste et un homme de grande qualité, a formulé une série de recommandations concernant la zone extracôtière. La plus importante, disait-il, était qu'il devrait y avoir un organisme de réglementation indépendant qui serait uniquement chargé de veiller à la santé et à la sécurité dans la zone extracôtière.
Un organisme de réglementation indépendant serait en mesure de se concentrer sur ce point et il ne serait pas exposé à la capture réglementaire. C'est un terme bien connu pour désigner le cas où les entreprises ont le contrôle du processus avec une consultation continue. Elles s'assurent que leur voix est la plus forte et qu'elle est entendue par tous ceux qui ont une influence. Elles retardent également les choses, au besoin, pour tenter d'avoir une meilleure chance d'obtenir le régime qu'elles souhaitent.
Je suis persuadé que cela a contribué au retard qui a mené à la situation actuelle. Pour ce qui est du gouvernement, je trouve honteux qu'il n'ait pas exercé la diligence nécessaire pour éviter que les règlements viennent à échéance et ne soient plus exécutoires, comme cela s'est produit.
Oui, ils seront rétablis de façon rétroactive, mais il n'y a aucun moyen de faire respecter les règles s'il se produit quelque chose entretemps. Un article du projet de loi à l'étude, qui sera adopté, porte d'ailleurs spécifiquement sur cet enjeu. Voici ce qu'il dit:
Nul ne peut être condamné pour une infraction prévue par l’une des dispositions d’un règlement rétabli en vertu du paragraphe (1) si l’infraction a été commise pendant la période commençant le 1er janvier 2021 et se terminant le jour avant la date de l’entrée en vigueur du présent article.
C'est donc dire que cet article n'entrera pas en vigueur avant la sanction du gouverneur général. Résultat: il sera impossible de porter des accusations contre une personne pour des événements qui surviendraient alors que la réglementation est échue. Il s'agit d'une subtilité technique, certes, mais c'est la conséquence possible du vide que laisse le projet de loi.
À titre d'exemple, je vais parler d'un incident qui a été révélé au public le 17 mai dernier par la Société d'exploitation et de développement d'Hibernia, ou SEDH, qui exploite la plateforme Hibernia. Elle a déclaré que, le 13 mai 2021, deux travailleurs prenaient part aux opérations nécessaires pour soulever un conteneur quand une partie de l'appareil de grutage a chuté. Personne n'a été blessé, mais il y a eu une chute de 10 mètres qui aurait pu être fatale.
Selon les résultats des calculs exigés par les normes de l'industrie pour prévenir la chute d'objets, l'incident aurait pu être fatal. Cet incident a évidemment entraîné un arrêt des opérations, et une enquête a été menée.
Je vais lire ce qui se trouve dans les deux derniers paragraphes du rapport de la SEDH: « La SEDH a mis fin à toutes les opérations de grutage et a lancé une enquête sur la principale cause de l'incident. » C'était justifié. Cependant, la ligne suivante se lit ainsi: « L'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers assure le suivi de l'enquête de la SEDH sur l'incident. »
N’est-il pas intéressant que l’enquête concernant un incident de sécurité qui aurait pu s’avérer mortel ait été menée par la compagnie? Une telle enquête ne devrait-elle pas être menée par I'organisme responsable de la santé et de la sécurité en zone extracôtière pour déterminer la cause de l’incident? N’est-ce pas le rôle de l’organisme chargé de mener des enquêtes sur la santé et la sécurité, en toute indépendance et objectivité, de s’assurer que les mesures adéquates sont en place et de déterminer s’il y a eu infraction au règlement pour savoir si la compagnie doit être inculpée?
La réponse à ces questions est non, car c’est la compagnie elle-même qui menait l’enquête. Ce cas de figure est désormais possible en vertu du règlement qui est entré en vigueur en 2014, celui-là même qui fait l’objet des discussions pour savoir s’il doit devenir permanent ou si on doit le changer. D’après moi, cela illustre bien toute l’histoire du système régissant la santé et la sécurité en zone extracôtière, notamment au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse.
Des assemblées législatives se sont plaintes de cette situation. Lorsque j'étais député à la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador, j'ai soulevé à maintes reprises les lacunes dans la réglementation en matière de santé et sécurité dans les zones extracôtières. La Nouvelle-Écosse se trouvait dans la même situation. Le même régime s'appliquait.
Ce n'est qu'après l'enquête Wells sur la sécurité extracôtière qu'il a été décidé qu'il fallait adopter des règlements exécutoires. C'est alors que les règlements transitoires, qui s'appliquent en ce moment, ont été présentés. Il a été décidé que des consultations seraient menées pour établir des règlements permanents, mais nous n'en avons toujours pas six ans après l'adoption de la loi.
Il a été question des délais, et nous pourrions parler de toutes les raisons qui les justifient. Je ne vais toutefois pas les répéter comme le ministre les a énumérées en expliquant pourquoi 300 pages de règlements ne pouvaient pas être étudiées en six ans. Cela dit, le gouvernement n'a pas agi avant la première semaine de décembre alors que les règlements étaient sur le point d'être abrogés le 31 décembre. C'est seulement à ce moment-là qu'il a pris des mesures pour repousser l'abrogation d'un an afin de compléter le processus.
C'est évidemment un manque de diligence et une mauvaise gestion des priorités. Le gouvernement n'a pas pris au sérieux ce que nous demandons depuis plus de 25 ans, soit que les travailleurs soient protégés par un régime de santé et de sécurité dans les zones extracôtières qui soit efficace et exécutoire. C'est tout simplement insuffisant. Le gouvernement fait preuve d'un manque total de respect pour l'importance de la santé et de la sécurité des travailleurs dans les zones extracôtières, à Terre-Neuve-et-Labrador et partout au pays. Il faut mettre en place des règlements adéquats.
C'est donc avec un certain regret que je constate que les recommandations formulées par le juge Wells n'ont pas reçu le respect qu'elles méritaient. On n'a pas non plus tenu compte de la nécessité de faire participer les employeurs et les employés. La mesure législative de 2014 prévoyait la mise en place de conseils consultatifs. Nous sommes en 2021, mais il n'y a pas de conseil consultatif sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière à Terre-Neuve-et-Labrador parce que les gouvernements n'ont nommé personne.
Ce n'est que récemment que le gouvernement fédéral a nommé quelqu'un dans ses rangs. La province, elle, n'a encore nommé personne. Que se passe-t-il? Pourquoi les travailleurs dans la zone extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador n'obtiennent-ils pas le respect qu'ils méritent de la part du gouvernement? Pourquoi ne sont-ils pas traités de la même façon que les travailleurs sur la terre ferme?
Les conseils consultatifs sur la santé et la sécurité sont courants. Il est censé y avoir des consultations. La Fédération du travail de Terre-Neuve-et-Labrador, le syndicat qui représente deux des plateformes extracôtières, m'a indiqué qu'elle n'a pas été consultée pour déterminer qui devrait être nommé pour représenter les travailleurs. C'est écrit dans la mesure législative qu'on devrait la consulter, mais on ne l'a pas fait.
Que se passe-t-il? Le gouvernement a gravement négligé l'importance de cette question. Il a gravement sous-estimé la nécessité d'établir un régime, conformément à la recommandation du juge Wells. Comme je l'ai souligné, ces recommandations ont été formulées par un homme de droit très minutieux et prévenant qui a beaucoup d'expérience et de respect et il a indiqué qu'elles devraient être mises en place, avoir force exécutoire et être appliquées par un conseil indépendant. Il n'y aurait ainsi aucune possibilité de détournement de la réglementation et l'accent serait mis, notamment dans le cas qui nous occupe, sur la santé et la sécurité des travailleurs. Nous avons essayé toutes les autres options, alors suivons l'exemple de la Norvège, de l'Australie et du Royaume-Uni. Certaines de leur industrie extracôtière ont connu de très graves catastrophes et ces pays ont compris qu'il était nécessaire d'avoir un organisme indépendant, ce qu'ils ont maintenant.
Il me reste quelques minutes, mais je n’ai pas l’intention d’utiliser tout mon temps. Nous sommes d’accord, naturellement, pour adopter ce projet de loi rapidement aujourd’hui. Nous avons été consultés à ce sujet il y a un certain temps et nous avons fait part de notre intention d’approuver le projet de loi, pour une adoption rapide. Toutefois, nous voulons prendre le temps de faire savoir aux Canadiens que c’est, en fait, une page sombre pour le gouvernement du Canada, celui-ci et le précédent, parce qu’il n’a pas tenu compte des bonnes recommandations. En fait, c’est également une page sombre pour le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, qui n’a pas nommé de représentants au comité consultatif de la santé et la sécurité dans la zone extracôtière et qui n’a pas non plus insisté pour que le gouvernement joue un rôle important.
Il y a des partenaires dans le processus qui ont tous des obligations à remplir. Le gouvernement du Canada, lui, doit assumer la direction des opérations. C’est lui qui a les experts et l’expertise. Il a mis la main à la pâte, mais il ne l’a pas fait très rapidement et les retards sont inacceptables.
J’aimerais que le projet de loi soit adopté aujourd’hui, mais j’espère que, malgré tout ce qui est arrivé entre décembre et aujourd’hui pour l’adoption du projet de loi, les gens qui travaillent à ces 300 pages ont pu en parcourir un peu plus. J’espère vraiment qu’ils n’ont pas attendu que nous adoptions le projet de loi pour passer aux choses sérieuses et finir le travail. Nous sommes prêts à adopter le projet de loi aujourd’hui, mais je voulais souligner les manquements du gouvernement, qui n’a pas fait le travail plus tôt et qui est responsable de la lacune qui existe.
Dans le cas de l’incident dont j’ai parlé plus tôt, s’il y avait une raison pour enfreindre le règlement, bien que je ne prétende pas que ce soit le cas, aucune accusation ne pourrait être portée parce que le projet de loi que nous adoptons aujourd’hui l’interdit précisément. Voilà qui montre bien les problèmes difficiles qui se posent et l’incapacité du gouvernement, qui n’a pas présenté le projet de loi à temps à la Chambre.