Monsieur le Président, je suis heureux de pouvoir prendre la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, une mesure législative précieuse pour les industries des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse, qui revêtent énormément d'importance non seulement pour ces provinces, mais également pour l’ensemble du Canada, comme l’ont fait remarquer des orateurs précédents.
Comme on l’a dit, l’industrie produit 35 % du brut léger canadien; elle est un joueur important dans notre industrie pétrolière et elle a une incidence considérable sur l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes fiers d’avoir une industrie très vigoureuse comme celle-là, une industrie qui offre un appui considérable à notre main-d’œuvre, à nos universités, à notre système d’éducation et aux gens qui peuvent tirer un très bon moyen de subsistance de sa mise en valeur.
L’expérience s’est révélée positive, mais nous savons que le travail sur les plates-formes en mer est, de par sa nature même, dangereux. Des accidents très tristes sont revenus par le passé. Il y a eu notamment la catastrophe de l’Ocean Ranger survenue en février 1982, où 84 travailleurs ont perdu la vie, la plate-forme d'exploration ayant sombré au large de Terre-Neuve et, bien sûr, plus récemment, l’écrasement d’un hélicoptère Cougar en 2009, qui a coûté la vie à 17 personnes. Un autre hélicoptère s’est également écrasé à la fin des années 1980. Nous savons donc que cette industrie comporte beaucoup de risques de blessures et de pertes de vie, comme nous l’avons malheureusement vu.
Voilà ce à quoi le projet de loi s’attaque. Il a pour objet d’intégrer des mesures de sécurité dans la loi; ce qui ne s’était encore jamais fait pour cette industrie, croyez-le ou non. Nous n’avons eu jusqu’à maintenant qu’un projet de règlement. Il est un peu difficile de croire que toute la production des hydrocarbures extracôtiers à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse a été régie par un projet de règlement, qu’on ait pu croire que les employeurs, les joueurs de l’industrie et les compagnies se sentiraient obligés de prendre ce projet de règlement pour des lignes directrices à suivre.
Il n’y avait pas de mécanisme d’application du règlement si ce n’est la possibilité d’ordonner la suspension des travaux de forage. La mesure était radicale. On ne pouvait pas réellement faire d’inspections et invoquer le règlement pour faire apporter des améliorations ou imposer une amende dans les cas de violation, ou encore recourir au processus utilisé pour la santé et la sécurité afin de faire respecter les règles.
J’ai une certaine expérience du travail auprès de la main-d’œuvre de cette industrie. Lorsque j’étais avocat, j’ai représenté des travailleurs extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador qui voulaient se syndiquer. Ils ont en fait été les premiers travailleurs extracôtiers en Amérique du Nord à négocier une convention collective. Naturellement, les salaires et les conditions de travail constituent des segments importants des négociations collectives, mais les travailleurs étaient aussi extrêmement soucieux d’avoir des comités de sécurité, de connaître les mesures prises par les compagnies et les employeurs pour gérer la sécurité et de participer pleinement à la mise en place de ces mesures, soit individuellement, soit par l’entremise d’organismes élus par eux.
Nous avons vu également que la mise en œuvre de recommandations importantes, comme celles formulées à la suite de la catastrophe de l’Ocean Ranger, a beaucoup tardé. L’une de ces recommandations était de stationner un hélicoptère de secours dans le secteur le plus proche de la plate-forme pour que l’appareil soit disponible dans un délai de 45 minutes. Cela n’a pas été fait. Cette recommandation a été formulée en 1985 et elle n’a été mise en œuvre que l’an dernier environ, après que le juge Wells eut déclaré qu’il voulait que la mesure soit mise en œuvre sans tarder. Nous disposons maintenant d’un hélicoptère de secours à St. John’s qui peut s’élancer en 20 minutes en tout temps, alors qu’un autre hélicoptère transporte des travailleurs à destination ou en provenance des plates-formes pétrolières et des plates-formes de forage. Il a fallu 20 ou 30 ans pour mettre cette mesure en place.
Les négociations au sujet de cette mesure législative durent depuis 13 ans. C’est ahurissant.
Le ministre a dit que la santé et la sécurité des travailleurs extracôtiers est une priorité absolue pour lui; les retards accusés pour mettre ce règlement en place sont donc scandaleux. Voilà quelque chose qui préoccupe beaucoup les travailleurs et cela, depuis de nombreuses années.
Nous avons encore des appréhensions, tout comme les travailleurs, au sujet des vols de nuit des hélicoptères. Pendant l’enquête sur l’accident d’hélicoptère, le juge Wells, un juge à la retraite, a formulé une recommandation provisoire pour l’arrêt des vols de nuit. Des éléments de preuve ont été présentés au cours de l’enquête qui montraient que le sauvetage de personnes pendant la nuit est considérablement plus difficile et que le taux de pertes de vie est 65 à 70 p. 100 plus élevé lorsqu’un hélicoptère fait un amerrissage forcé pendant la nuit par rapport à un amerrissage de jour. À la suite de cette recommandation, l'Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers a interdit les vols de nuit. Les compagnies cherchent maintenant à reprendre les vols de nuit, ce à quoi plusieurs parties en cause, dont les travailleurs et leurs représentants, s’opposent avec force. Il y a donc encore des problèmes à ce niveau.
Toutefois, je le répète: nous appuyons le projet de loi parce que ce sont les représentants des travailleurs visés directement par le travail sur les plates-formes et la Newfoundland and Labrador Federation of Labour qui l’ont réclamé. Ils ont pris part aux négociations en Nouvelle-Écosse. Ils sont intervenus pour que les travailleurs affectés aux plates-formes profitent des mesures de sécurité qui s’appliquent sur terre, à savoir le droit d’un travailleur de refuser un travail dangereux et de participer à des comités de santé et de sécurité. Voilà toute une réalisation. Il n’est donc pas étonnant que les gens appuient ce projet de loi, qui est une avancée par rapport à ce qui a cours aujourd’hui. Le règlement serait mis en œuvre. Il aurait force exécutoire. Un système serait mis en place pour cela et les représentants des travailleurs seraient mis à contribution de façon plus rigoureuse dans les comités de santé et de sécurité. Ce serait une réussite.
Nous appuyons donc le projet de loi. Nous l’avons appuyé à l’examen qui en a été fait en comité. Nous voulions évidemment des améliorations. Je vais vous donner un exemple du genre de témoignage que nous avons entendu à ce sujet. J’aimerais citer un extrait de l’exposé de Mme Lana Payne, directrice d’Unifor pour l’Atlantique, qui a été présidente de la Newfoundland and Labrador Federation of Labour pendant un certain nombre d’années.
Dans son témoignage devant le comité, Mme Payne a déclaré:
[...] nous sommes heureux d'enfin avoir ce régime de sécurité pour les travailleurs du secteur pétrolier extracôtier, mais nous pensons néanmoins qu'un organe indépendant, autoritaire et autonome de sécurité et de protection de l'environnement n'est pas seulement nécessaire mais absolument essentiel pour assurer une plus grande sécurité dans le secteur pétrolier et gazier extracôtier de Terre-Neuve-et-Labrador.
C'est ce qu'a déclaré Mme Payne au cours du témoignage qu'elle a présenté devant le comité le 9 décembre dernier. Elle a ainsi fait écho à la recommandation no 29 du juge Wells, qui a dit qu'il s'agissait de sa recommandation la plus importante. Elle a fait suite à son étude des régimes en vigueur dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni, l'Australie et la Norvège. Même les États-Unis ont reconnu qu'il était nécessaire d'établir un régime distinct, de telle sorte que la santé et la sécurité des travailleurs du secteur pétrolier extracôtier soient traitées séparément dans la réglementation de l'industrie, ce qui nécessite une collaboration très intense. Le juge Wells a qualifié cette préoccupation de « détournement de la réglementation ».
Cette expression est utilisée pour décrire ce qui peut se passer si l'organe de réglementation entretient des liens tellement étroits avec l'industrie qu'il ne peut plus être indépendant et respecter sa seule priorité, soit assurer la santé et la sécurité des travailleurs.
C'est pourquoi le juge Wells a formulé cette recommandation. C'est aussi pourquoi les pays qui disposent de régimes éprouvés en matière d'exploitation pétrolière et gazière, comme la Norvège et le Royaume-Uni, dans la mer du Nord, y ont donné suite, conscients que cela était nécessaire pour s'assurer d'avoir, comme Lana Payne l'a si bien dit, « [...] un organe indépendant, autoritaire et autonome de sécurité et de protection de l'environnement ». Voilà ce qui est nécessaire. Le gouvernement de Terre-Neuve a appuyé cette recommandation. Il s'agit vraiment d'une situation bilatérale ici. La ministre ne nous a pas expliqué pourquoi le gouvernement du Canada avait dit non. Pourquoi a-t-il dit non? Dans son discours aujourd'hui, la ministre n'a pas du tout expliqué pourquoi le gouvernement avait exprimé son refus, et ce, même si deux — ou peut-être même trois — questions lui ont été posées à cet égard.
Le juge Wells est toujours convaincu de la pertinence de ses recommandations. Le gouvernement de Terre-Neuve tient absolument à ce que soit mis en place un organe indépendant chargé des questions touchant la santé et la sécurité des travailleurs du secteur pétrolier extracôtier et, j'ajouterais, de la protection de l'environnement, comme Lana Payne l'a souligné avec raison.
Évidemment, nous avons des réserves à ce sujet. Nous pensons que, même si le gouvernement ne voulait pas appliquer la recommandation no 29 et mettre sur pied un organisme indépendant de réglementation, il aurait pu accepter l'amendement suivant:
Au plus tard cinq ans après la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le ministre des Ressources naturelles fait déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport sur l'application et la mise en oeuvre de la présente loi, lequel porte notamment sur l'opportunité de créer un organisme indépendant de réglementation en matière de zones extracôtières.
Ainsi, le gouvernement se serait vu rappeler plus tard la possibilité de créer un organisme indépendant de réglementation. Dans cinq ans, le ministre aurait eu à répondre aux questions suivantes, au Parlement: « Quel constat pouvez-vous dresser de l'application de cette loi, compte tenu de la recommandation de créer un organisme indépendant de réglementation? Pouvez-vous nous montrer que la loi produit de bons effets, même sans un tel organisme? Sinon, êtes-vous d'avis qu'il faudrait établir un organisme indépendant de réglementation de l'exploitation des hydrocarbures extracôtiers? »
Nous avons fait un effort important et nous croyions que, dans l'optique de la gestion des affaires de l'État, nous aurions l'accord du gouvernement sur cet amendement, surtout lorsqu'on sait qu'il répond à une solide recommandation et que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, le partenaire du gouvernement fédéral dans ce dossier, est très favorable à cette idée. Mais non, les députés ministériels membres du comité ont balayé l'amendement du revers de la main, sans même prendre le temps de justifier leur refus.
Mais un tel comportement n'est pas inhabituel de la part du gouvernement actuel. Lors des réunions des comités, le gouvernement accueille constamment nos propositions de cette manière, même lorsque nous les étayons d'arguments convaincants, en ayant recours à des témoins et des experts.
Les choses n'ont pas toujours été ainsi. Je siégeais déjà comme député fédéral, dans les années 1980, à l'époque où un autre gouvernement, progressiste-conservateur, était au pouvoir. Lors des réunions des comités, nous pouvions suggérer des amendements. Nous en débattions. Certains étaient acceptés et d'autres, rejetés. Notre travail se faisait dans une ambiance plus collégiale, si vous me permettez l'expression, que l'ambiance qui règne avec le gouvernement actuel.
Chaque fois que le gouvernement fait une proposition, elle doit être considérée comme parfaite au départ. Du moins, jusqu'à ce que le gouvernement se rende compte qu'il a fait erreur et apporte lui-même toute une série d'amendements, comme il l'a fait dans ce cas. Je crois qu'il a apporté 10 amendements au projet de loi, en fin de compte: « Oh, il faudrait corriger ceci ou cela, et encore ceci. » Toutefois, lorsqu'un député d'un autre parti fait une suggestion, le gouvernement répond: « Mais non. Le projet de loi est parfait comme ça. Inutile d'en changer quoi que ce soit parce que, bien entendu, nous ne l'aurions pas présenté s'il n'avait pas déjà été juste et bon. »
C'est une attitude bien malheureuse. Je ne sais pas si c'est de la paranoïa, de l'immaturité, un manque d'assurance ou juste de l'entêtement, mais le gouvernement actuel ne semble pas admettre que de bonnes suggestions peuvent venir d'ailleurs que de son parti ou du Cabinet du premier ministre.
C'est peut-être que toutes les suggestions doivent venir du Cabinet du premier ministre plutôt que de députés de l'opposition qui écoutent ce qui se dit en comité, admettent que les arguments sont sensés et conviennent qu'il faudrait peut-être amender légèrement la mesure législative pour l'améliorer.
C'est à cela que servent en théorie les débats et les amendements. Les amendements servent à améliorer les mesures législatives, et non à les modifier de manière à en changer l'intention. Si un amendement va à l'encontre de l'intention initiale de la mesure législative, il est déclaré irrecevable. Les seuls amendements admissibles dans la procédure parlementaire sont ceux qui ne dépassent pas la portée du projet de loi et qui sont proposés pour mieux atteindre les objectifs du projet de loi.
Le but de cette mesure législative est d'avoir un régime de santé et de sécurité dans les zones extracôtières qui tienne compte des besoins des travailleurs de l'industrie et de l'industrie elle-même. Il vise à créer un régime fiable qui garantisse la sécurité de tous les travailleurs et qui assure le bon fonctionnement des opérations, comme la ministre l'a mentionné, à la fois sur le site et durant les déplacements jusqu'aux plateformes et aux installations de forage.
Comme on l'a mentionné, trois plateformes sont déjà en fonction et une quatrième, actuellement en chantier, devrait commencer ses activités en 2017. Le champ pétrolifère Hebron-Ben Nevis se trouve plus loin, à quelque 400 kilomètres des côtes. C'est une distance énorme. Bien que les hélicoptères ne volent pas lorsque le temps est vraiment mauvais, ils font le trajet dans toutes sortes de conditions maritimes qui rendent tout amerrissage forcé de l'hélicoptère difficile, si jamais cette manoeuvre est nécessaire. Dans le cas qui nous intéresse, l'hélicoptère utilisé est le seul de sa catégorie qui soit incapable de voler à sec pendant 30 minutes s'il se produit une perte d'huile de la boîte de transmission principale. Une norme exige que tous les hélicoptères puissent fonctionner à sec, donc sans huile dans la boîte de transmission, pendant 30 minutes. Cette exigence, d'une grande importance pour la sécurité, s'applique aussi aux hélicoptères militaires, et certains peuvent fonctionner à sec pendant une heure ou plus. La norme minimale s'établit toutefois à 30 minutes.
Quand Sikorsky a conçu cet hélicoptère, elle a bénéficié d'une exemption parce qu'on a supposé que ce problème ne se produirait jamais, ou peut-être une seule fois en 10 millions d'heures de vol. Toutefois, pendant les 100 000 premières heures de vol de ce type d'appareil, ce problème s'est produit deux fois, soit en Australie à l'été 2008, et au large de Terre-Neuve en mars 2009. Lorsque cet incident s'est produit en Australie, l'hélicoptère survolait heureusement la terre ferme; les pilotes ont pu atterrir rapidement et éviter la catastrophe. Le deuxième incident, au large de Terre-Neuve, a eu des conséquences tragiques. Malheureusement, la documentation de l'appareil indiquait qu'il pouvait fonctionner à sec pendant 30 minutes. Les pilotes se sont donc dirigés vers la terre ferme, pensant qu'ils disposaient de 30 minutes de vol, alors qu'ils avaient en réalité moins de 12 minutes. L'hélicoptère est tombé en panne et s'est écrasé dans l'océan, entraînant la mort de 17 des 18 personnes à bord. Une personne a survécu par miracle.
Comme on l'a dit, le projet de loi représente un grand pas dans la bonne direction. Il mettrait en place un régime de santé et de sécurité applicable au large des côtes. Les travailleurs auraient le droit de refuser des tâches dangereuses et de prendre part à des comités de santé et sécurité. Nous espérons que le régime sera utile et efficace. Nous regrettons toutefois qu'on ne prévoie pas créer d'organisme de réglementation indépendant, comme l'avait recommandé le commissaire Wells, une suggestion soutenue par le gouvernement et la population de Terre-Neuve-et-Labrador de même que les travailleurs extracôtiers. Il est dommage que le gouvernement ne veuille pas s'engager à réexaminer cette possibilité dans cinq ans. Quoi qu'il en soit, nous appuyons ce projet de loi.