Monsieur le Président, je soulève aujourd'hui la question de privilège au sujet d'un incident survenu un peu plus tôt cet après-midi au moment où je revenais à la Chambre avec plusieurs de mes collègues pour prendre part à un vote.
Permettez-moi de commencer par dire que, dans la foulée des événements d'octobre dernier et des rappels constants qui nous en sont faits, je voue, comme mes collègues néo-démocrates et, du reste, tous les députés, une admiration et un respect sans bornes aux forces de sécurité qui nous encadrent et nous gouvernent sur la Colline du Parlement. Nous les félicitons pour leur travail et leur courage indéfectible. Leur tâche n'est pas facile. Ils assurent l'accès du public à tous les édifices du Parlement et à la Chambre des communes. Compte tenu du monde dans lequel nous vivons, ils doivent maintenir un niveau de sécurité extrêmement élevé. Comme l'exigent la Chambre et la Constitution, ils doivent également permettre à tous les députés de se rendre aux Communes pour remplir leurs devoirs envers les Canadiens.
Or, aujourd'hui, un agent de la GRC m'a refusé, ainsi qu'à d'autres, l'accès à la Cité parlementaire. L'obstruction par des moyens physiques m'a empêché de m'acquitter de mes fonctions parlementaires, ce qui, je pense, constitue de prime abord une atteinte à mes privilèges de député.
Je tiens à rappeler à la Chambre que c'est une question qui concerne tous les députés du Parlement. D'ailleurs, dans l'autobus, j'étais en compagnie de députés conservateurs qui partageaient ma préoccupation sur ce qui s'était passé et sur notre incapacité de revenir à la Chambre car, comme les députés le savent, plusieurs votes avaient lieu aujourd'hui. Ces votes, pour lesquels nous revenions, se tenaient quelques minutes seulement après le moment où on nous a empêchés d'entrer sur la Colline du Parlement.
À la page 75 de l'ouvrage Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, Erskine May définit le privilège parlementaire comme suit:
Le privilège parlementaire est la somme des privilèges particuliers à chaque Chambre, collectivement, [...] et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions [...]
Bien entendu, nous prenons cela très au sérieux, car il s'agit du fondement même des principes démocratiques de la Chambre.
Je me permets d'expliquer ce qui s'est passé. Je pense que cela justifiera qu'une décision soit rendue plus tard dans la journée ou dans l'avenir.
Plus tôt aujourd'hui, un agent de la paix m'a refusé l'accès raisonnable et rapide à la Cité parlementaire. Je venais à la Chambre des communes pour participer à un vote visant à ajourner les travaux de la Chambres des communes.
Quand la cloche a sonné, je présidais une réunion du Comité permanent des finances à l'édifice de la Bravoure. Un certain nombre de députés étaient restés sur place pour entendre les témoins qui nous parlaient de l'enjeu important qu'est le financement des activités terroristes. Le comité a ajourné ses travaux de façon à donner à tous les membres assez de temps pour revenir à la Chambre. Je suis sorti sur la rue Wellington et j'ai pris l'une des navettes officielles du Parlement pour revenir immédiatement à la Chambre afin de participer au vote. Je dirais qu'il restait environ sept ou huit minutes avant la tenue du vote, ce qui était amplement suffisant.
Quand la navette est arrivée à l'entrée de la Cité parlementaire qui se trouve du côté de l'édifice de l'Est, un agent de la paix a refusé de la laisser faire demi-tour dans le périmètre de sécurité. La navette s'est retrouvée au milieu de la rue Wellington, dans la voie qui permet de tourner à gauche. Je suis certain que les députés savent de quoi je parle.
Des députés des deux côtés de la Chambre — des conservateurs et des néo-démocrates, mais surtout des conservateurs, si je me souviens bien — ont expliqué que l'on devait se rendre à la Chambre immédiatement. Il ne restait qu'environ cinq minutes avant le début du vote. Ils ont manifesté leur inquiétude et ont demandé au chauffeur de nous laisser descendre de l'autobus, puisque celui-ci ne pouvait pas entrer dans l'enceinte parlementaire.
Comme on pouvait s'y attendre, le chauffeur de l'autobus ne pouvait pas nous laisser descendre parce que nous étions au milieu de la rue Wellington. Cela aurait été extrêmement imprudent; c'est pourquoi il a refusé de nous laisser descendre — il avait d'ailleurs raison.
Certains de mes collègues conservateurs ont alors demandé au chauffeur d'empiéter sur une partie du trottoir. Ceux qui connaissent les lieux savent que le trottoir est large devant la barrière où se trouvait l'agent de la Gendarmerie royale du Canada qui nous a refusé l'accès à l'enceinte parlementaire. Le chauffeur nous a dit que ce n'était malheureusement pas possible. Les conditions de sécurité en vigueur à la Chambre interdisent ce genre de manoeuvre, et la GRC ne nous aurait pas donné son autorisation. Nous n'étions pas coincés dans la circulation, nous étions coincés au milieu de la rue et nous ne pouvions pas atteindre la Colline du Parlement.
Cela fait sans doute partie d'un protocole de sécurité qui devait être respecté à ce moment-là, mais on ne nous a rien expliqué quand nous avons finalement pu nous rendre sur la Colline.
L'agent de la Gendarmerie royale du Canada a fait savoir à notre chauffeur — qui nous a ensuite transmis l'information — qu'il faudrait attendre de trois à cinq minutes de plus avant que l'autobus puisse entrer dans l'enceinte parlementaire.
Comme les députés peuvent l'imaginer, cette situation nous a consternés, mes collègues et moi, tout particulièrement les députés conservateurs, car le temps qui s'écoule pendant que retentit la sonnerie est précieux. Une fois que la mise aux voix a commencé, on ne peut pas reprendre la procédure parce qu'un ou plusieurs députés étaient absents au début du vote.
On ne nous a pas dit pourquoi l'agent nous avait refusé l'accès à l'enceinte parlementaire. De nombreux autres députés se trouvaient comme moi à bord de la navette. La députée de London—Fanshawe, dont le bureau est situé dans l'édifice de la Bravoure et qui était aussi à bord de l'autobus, faisait des pieds et des mains pour réussir à aller voter et remplir ses fonctions. Les députés pourraient me rafraîchir la mémoire, mais je suis presque certain que les députés de North Vancouver et de South Shore—St. Margaret's se trouvaient aussi à bord de cet autobus, tout comme un autre député conservateur dont j'oublie le nom pour l'instant. Je suis persuadé que, s'ils le désirent, ils pourront intervenir au cours de ce débat, car, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, ils ont manifesté une certaine consternation face à cette situation.
À un moment donné, un député conservateur a dit que, si ce vote avait été un vote de confiance, le gouvernement aurait alors pu tomber, ce qui est inacceptable. Ce n'était pas un vote de confiance, mais on a déjà vu des votes de confiance se conclure par une différence d'une ou deux voix pour un côté ou l'autre. Nous nous souvenons de notre cher ami disparu, M. Cadman, et de son fameux vote. Ce soir-là, la Chambre des communes devait se prononcer sur une motion de confiance, qui allait décider de la chute ou du maintien du gouvernement, et c'est le seul vote de notre ami qui a finalement tranché.
Il y a plusieurs autres précédents. Comme les députés le savent, la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes dit ceci à la page 110:
Quand un député prétend avoir été, dans l'exercice de ses fonctions parlementaires, victime d'obstruction, d'entrave à son travail, d'ingérence ou d'intimidation par des moyens physiques, la présidence peut en déduire que de prime abord, il y a eu atteinte aux privilèges.
La présidence estime qu'il y a de prime abord atteinte aux privilèges pour des cas d'obstruction physique — comme des barrages routiers, des cordons de sécurité et des piquets de grève qui empêchent un député d'accéder à l'enceinte parlementaire ou nuit à sa liberté de mouvement dans cette enceinte — et des cas d'agression ou de brutalité physique.
Bref, les cordons de sécurité, les barrages routiers et les piquets de grève justifient tous qu'on puisse conclure de prime abord à une atteinte aux privilèges.
À la page 230 de la deuxième édition du Privilège parlementaire au Canada, Joseph Maingot écrit que « [l]es députés ont le droit de se livrer à leurs activités parlementaires sans être dérangés. »
Normalement, lorsqu'un député s'approche d'un cordon de sécurité ou de l'une ou l'autre des entrées de la Chambre des communes, il peut s'identifier au moyen de son épinglette parlementaire, d'une bague ou d'un autre article. Bien sûr, il n'y a aucune règle à ce sujet. Le service de sécurité est par ailleurs tenu de nous identifier à notre arrivée. Si je jette un coup d'oeil dans la Chambre aujourd'hui, je constate que, des deux côtés, des députés, dont moi, ne portent pas toujours leur épinglette. Il est absolument essentiel de s'identifier pour entrer. Je remarque que le leader du gouvernement à la Chambre des communes a oublié de mettre son épinglette aujourd'hui, sauf qu'il est évidemment libre d'accéder à la Chambre à sa guise. Il est toujours autorisé à le faire.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous soulevons ce problème. Or, on nous répond systématiquement qu'on se penchera là-dessus. Pourtant, rien ne change, ou si peu. Les cas d'atteinte aux privilèges de prime abord sont loin d'être rares. Je rappelle à la Chambre des décisions qu'a rendues la présidence dans des affaires semblables.
La première fois remonte au 15 mars 2012 lorsque, à l'occasion de la visite d'un chef d'État, les députés qui n'avaient pas leur pièce d'identité sur eux — non seulement l'épinglette, mais une pièce avec photographie — se sont vu interdire l'accès à la Colline du Parlement par les forces de sécurité.
La deuxième fois s'est produite deux ans plus tard, le 25 septembre 2014, lorsque le député d'Acadie—Bathurst n'a pas pu accéder à la Colline du Parlement à temps parce qu'il avait été retardé par un barrage érigé pour permettre le passage du cortège de voitures du président de l'Allemagne d'alors. Là encore, il y a eu obstruction au moment où la sonnerie retentissait pour convoquer les députés à un vote sur une motion d'attribution de temps présentée par le gouvernement conservateur, et le député a failli être privé de son droit de vote.
Dans ces deux cas, monsieur le Président, vous avez jugé qu'il avait, de prime abord, question de privilège. On a alors dit à la Chambre que de tels incidents ne se reproduiraient plus, qu'il y aurait des améliorations et que certaines mesures avaient été prises, mais, visiblement, ce n'était pas assez.
Nous devons rappeler à la Chambre que certains demanderont ce que cela peut bien faire si un député ne peut pas revenir voter. De ce côté-ci de la Chambre, nous croyons que ce droit et privilège est au coeur de la démocratie, que les députés doivent absolument pouvoir revenir voter le plus rapidement possible et ne doivent pas être empêchés d'entrer à la Chambre pour participer à un vote.
Rappelons les scénarios possibles. Les députés n'en verront peut-être pas l'intérêt dans le contexte actuel, mais il faut se rappeler que le résultat de nombreux votes n'est pas connu à l'avance. Certes, comme les conservateurs sont actuellement majoritaires, leurs voix leur permettent de gagner la plupart des votes. Nous avons toutefois eu des gouvernements minoritaires il n'y a pas si longtemps, et cette situation pourrait se reproduire. Dans ce cas, chaque voix influence le résultat du vote, donc l'adoption ou le rejet d'un projet de loi, ou même la survie ou la défaite d'un gouvernement, une défaite entraînant de nouvelles élections.
Je soulève cette question dans le contexte d'un enjeu plus vaste déjà mentionné à la Chambre, qui gagne en importance étant donné la motion que les conservateurs ont fait adopter à toute vitesse, au moyen d'une clôture d'ailleurs, au sujet de la sécurité de la Cité parlementaire. Cette motion demandait au Président de la Chambre des communes et à celui du Sénat d'inviter la GRC à assurer le commandement opérationnel de la sécurité de toute la Cité parlementaire et de la Colline du Parlement.
Monsieur le Président, votre autorité est compromise. J'en veux pour preuve le fait que, même si le Président de la Chambre des communes et celui du Sénat sont théoriquement maîtres de la Cité parlementaire, ils seront désormais tenus de déléguer les pouvoirs relatifs à l'ensemble des activités concernant le fonctionnement, l'entretien et la sécurité à la GRC, à TPSGC et tutti quanti. Je vous rappelle que, en ce qui a trait à nos services de sécurité, nous nous sommes retrouvés dans une situation où, contrairement à la tradition qui avait cours à la Chambre des communes — la nôtre comme la britannique — ainsi que dans la quasi-totalité des cités parlementaires démocratiques, les règles de sécurité nous ont été imposées, au lieu de faire l'objet de négociations entre les partis et d'un consensus entre les députés — pourtant la meilleure solution de toutes, puisque les intérêts partisans sont évacués, qu'il n'y aucun vote à aller chercher et que personne n'a à gagner quoi que ce soit du fait qu'on privilégie un service de sécurité au détriment d'un autre. Le gouvernement a fait adopter sa motion de force, sous le coup du bâillon, et voilà où nous en sommes.
Voilà qui, à mon avis, va à l'encontre de la seconde édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, qui dit ce qui suit à la page 323:
Un des privilèges fondamentaux de la Chambre est qu’elle a le droit de réglementer elle-même ses affaires internes en exerçant une compétence exclusive sur ses locaux et les personnes qui s’y trouvent.
Je me permets de rappeler cet énoncé; les lignes directrices que les parlementaires doivent suivre indiquent que notre sort se décide ici, y compris les questions entourant la sécurité. Ces services ne peuvent être confiés en sous-traitance ni impartis à une autre entité. La fonction du Parlement est unique, tout comme les fonctions des autres parties du gouvernement. L'accès libre et juste au vote et les systèmes de sécurité choisis par les députés sont exclusifs au Parlement. Or, le gouvernement s'engage dans une voie différente que nous jugeons précaire.
Je renvoie la Chambre aux pages 176 et 177 de l'ouvrage de Maingot, intitulé Le privilège parlementaire au Canada, où l'on peut lire ce qui suit:
[...] la Chambre des communes n'est pas un ministère du gouvernement du Canada mais se trouve être une des composantes du Parlement.
L'auteur va plus loin:
Chaque Chambre du Parlement a le droit d'administrer ses affaires dans sa propre enceinte sans l'intervention [d'entités] extérieures. La gestion des services et de l'occupation des locaux dans les édifices parlementaires incombe donc aux présidents du Sénat et de la Chambre des communes ...
— c'est-à-dire vous, monsieur le Président —
[...] au nom de leur Chambre respective. Par conséquent, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et les autres ministères du gouvernement n'interviennent au Parlement que sur avis des fonctionnaires des deux Chambres.
Par conséquent, nos règles et nos procédures concernant les fonctions parlementaires indiquent clairement que les mesures de sécurité et les fonctions des deux Chambres sont définies par les personnes que la Chambre des communes et le Sénat élisent à la présidence. Ces pouvoirs ne peuvent être délégués à l'externe. La Chambre n'est pas un ministère, et elle ne peut pas être contrôlée par le gouvernement en place, peu importe ce que les conservateurs essaient de faire.
Monsieur le Président, je crois que vous seriez le premier à convenir que tous les députés jouissent des mêmes privilèges à la Chambre, et qu'aucun député ne devrait se heurter à un obstacle ou subir un inconvénient qui l'empêcherait d'accéder à la Colline parlementaire afin de s'acquitter de ses fonctions de député. Si un groupe de députés ministériels voulaient se rendre à la Chambre pour voter afin que leur parti remporte le vote, et si le service de sécurité empêchait un certain nombre de parlementaires de franchir le cordon de sécurité, faisant ainsi perdre le vote au parti ministériel, j'imagine que les députés de ce groupe soulèveraient la même question de privilège, et que cette question transcenderait tous les intérêts politiques, car notre intérêt fondamental est de pouvoir exercer nos fonctions démocratiques.
Monsieur le Président, je vous demande de vous pencher sur la question de privilège que je soulève et sur les faits que je viens d'établir. Je crois que vous constaterez qu'on a porté atteinte à mes privilèges en m'empêchant d'exercer mes fonctions en tant qu'élu de la Chambre des communes. Si vous trouvez qu'il y a eu, de prime abord, atteinte à mes privilèges de député, je suis prêt à présenter la motion appropriée.