Monsieur le Président, je crois savoir que, dans quelques instants, le gouvernement présentera la motion no 635 inscrite au Feuilleton visant à nommer, conformément à l'article 111.1 du Règlement, le nouveau greffier de la Chambre des communes. Je crois que vous constaterez, monsieur le Président, après avoir examiné les données, que la motion devrait être jugée irrecevable à ce moment-ci.
Comme vous le savez, l'ancienne règle interdisant d'anticiper n'est plus vraiment observée dans cette enceinte, mais elle est néanmoins pertinente dans le contexte des travaux de la Chambre. À mon avis, dans le cas présent, l'application de cette règle est appropriée et nécessaire.
Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre est actuellement saisi de la nomination proposée. Il s'est réuni pendant seulement 45 minutes à ce sujet et il n'a pas encore fait rapport à la Chambre, que ce soit en faveur de la nomination ou non. C'est pour cette raison que la règle interdisant d'anticiper s'applique.
Je signale que, à la page 560 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, on indique:
Alors que l’interdiction d’anticiper fait partie du règlement de la Chambre des communes britannique, cela n’a jamais été le cas à la Chambre des communes canadienne. En outre, les mentions des tentatives faites pour appliquer cette règle britannique à la pratique canadienne ne sont pas concluantes.
Or, on ajoute:
La règle découle du principe qui interdit de décider deux fois de la même question dans la même session.
Dans le contexte actuel, je soutiens que, si la motion était présentée maintenant, elle anticiperait le rapport du comité de la procédure et des affaires de la Chambre, en supposant qu'il ne serait pas négatif.
L'ouvrage Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, 6e édition, contient aussi des dispositions pertinentes. Voici ce qu'on peut lire aux pages 161 et 162, commentaire 514. 2):
En dépit de l'inscription au Feuilleton d'un avis de motion portant examen du rapport d'un comité, l'étude d'une motion du gouvernement qui reprend essentiellement les conclusions du rapport bloque le débat sur cet avis de motion. Si la motion portant examen du rapport avait pu être proposée, elle aurait bloqué le débat sur la motion du gouvernement. Dès qu'une motion est inscrite sous la rubrique des ordres émanant du gouvernement, il appartient au gouvernement de décider s'il y a lieu d'y donner suite. C'est ici que pourrait intervenir l'interdiction d'anticiper, en ce sens que la motion du gouvernement, si elle était abordée, pourrait empêcher l'examen du rapport du comité.
On peut aussi lire ceci à la page 161, commentaire 513. 1):
Lorsqu'il juge s'il y a lieu d'interrompre un débat parce qu'il anticipe sur une autre affaire inscrite au Feuilleton, le président doit tenir compte de la probabilité que la Chambre soit saisie dans un délai raisonnable de l'objet du débat anticipé.
Les circonstances prévues dans le Beauchesne correspondent en tous points à la situation actuelle. La Chambre risque fort d'être saisie de cette question dans une forme plus officielle — c'est-à-dire un rapport du comité de la procédure et des affaires de la Chambre, à qui la question a été renvoyée, comme le prévoit le Règlement — et elle en sera saisie d'une manière ou d'une autre dans un délai raisonnable. Soit le comité produira un rapport d'ici 30 jours, soit le délai de 30 jours prévu au Règlement viendra à échéance. Dans un cas comme dans l'autre, la question aura été étudiée définitivement à l'intérieur d'un délai raisonnable, au sens qu'en donnent les autorités en la matière.
Qui plus est, jeudi dernier, j'ai déposé, comme le prévoit l'article 122 du Règlement, un certificat auprès du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre attestant qu'à mon avis, le témoignage de certaines personnes est essentiel.
Monsieur le Président, vous êtes aussi avocat de formation. Faisons donc la comparaison avec un tribunal. En l'occurrence, on vous demande de rendre une décision avant même d'avoir entendu la preuve. Jamais vous n'accepteriez une telle chose si vous étiez juge, alors je ne vois pas pourquoi vous l'accepteriez en tant que Président.
Je suis tout à fait conscient que la règle interdisant d'anticiper ne figure pas noir sur blanc dans le Règlement de la Chambre des communes, mais j'attire néanmoins votre attention sur l'article 1 du Règlement, monsieur le Président:
Dans tous les cas non prévus par le présent Règlement ni par un autre ordre de la Chambre, les questions de procédure sont décidées par le Président de la Chambre ou le président des comités pléniers, lesquels doivent fonder leurs décisions sur les usages, formules, coutumes et précédents de la Chambre des communes du Canada et sur la tradition parlementaire au Canada et dans d’autres juridictions, dans la mesure où ils sont applicables à la Chambre.
À ce sujet, je dirais que la règle interdisant d'anticiper est clairement appliquée dans des États comparables, mais qu'elle est devenue pratique courante à la Chambre, surtout en ce qui concerne le sujet dont nous parlons.
Selon l'article 28 du Règlement de la Chambre des communes du Royaume-Uni:
Pour décider de la recevabilité d'un débat au motif d'anticipation, le Président examinera la probabilité que le sujet soit soulevé à la Chambre dans un délai raisonnable.
J'aimerais attirer votre attention sur le texte qui figure à la page 390 de la 24e édition de l'ouvrage d'Erskine May, à savoir:
Pour décider de la recevabilité d'un débat au motif d'anticipation, il faut examiner la possibilité que le sujet soit soulevé dans un délai raisonnable […] la pratique récente veut que l'on interprète la règle de façon à ne pas imposer dans les circonstances ce qui pourrait être interprété comme des restrictions déraisonnables au débat.
Par souci de clarté, je dirais que la période de 30 jours envisagée aux termes du paragraphe 111(1) de notre Règlement est raisonnable. De plus et comme vous le savez, monsieur le Président, la motion proposée a été présentée aux fins du débat sans possibilité d'amendement. Autoriser l'adoption de la motion aurait donc pour conséquence d'éliminer toute possibilité de débat, d'analyse ou de témoignage au sein de la seule instance où cela est possible, en l'occurrence le comité de la procédure et des affaires de la Chambre.
En outre, Erskine May fait, à la page 398, l'observation suivante:
[…] la règle interdisant d'anticiper […] était autrefois rigoureusement appliquée. Selon cette règle, on ne peut aborder une question à l'avance si la démarche prévue est plus opportune que la nouvelle démarche proposée […]
Je le répète — et Beauchesne le fait aussi remarquer —, il est d'usage à la Chambre de considérer une motion portant sur un rapport de comité comme un mécanisme plus efficace qu'une mesure gouvernementale.
En outre, monsieur le Président, j'attire votre attention sur une référence canadienne en la matière. L'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, édité par John George Bourinot, fait autorité à la Chambre. À la page 339 du Bourinot, il est dit:
Comme le veut une règle ancienne du Parlement: « Une question, une fois posée et tranchée soit affirmativement, soit négativement, ne peut être mise sur le tapis, mais elle doit subsister comme décision rendue par la Chambre. »
Ce passage fait écho à l'ouvrage A treatise on the law, privileges, proceedings and usage of Parliament, rédigé en 1844 par Erskine May, qui établit le même principe à la page 186.
Tant Bourinot que May prévoient que l'adoption de cette motion empêcherait la présentation du rapport du comité et son adoption. Ainsi, la règle interdisant d'anticiper serait enfreinte.
Monsieur le Président, je soutiens que la présentation d'un rapport du comité de la procédure et des affaires de la Chambre avant le vote sur la nomination est manifestement la pratique établie à la Chambre.
J'attire votre attention sur le 47e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, présenté à la 1re session de la 38e législature, dans lequel le Comité recommande à la Chambre de ratifier la nomination de Mme Audrey Elizabeth O'Brien au poste de greffière de la Chambre des communes.
Je ferai observer que la nomination de la greffière — aujourd'hui greffière émérite — était la première effectuée en vertu des dispositions qui forment maintenant le paragraphe 111(1) du Règlement. Le rapport a été suivi d'un vote à la Chambre des communes.
Bien qu'un seul greffier de la Chambre des communes ait été nommé conformément aux règles actuelles de cet endroit, il n'en demeure pas moins que l'exercice nous instruit au sujet du processus et de la vision qui ont guidé les décisions de nos prédécesseurs.
Je reconnais tout à fait qu'il est possible qu'un gouvernement ait déjà pris des mesures semblables à celles que prend le gouvernement actuel, même si aucun exemple ne me vient à l'esprit. L'absence d'objection dans ces cas peut signifier le consentement de la Chambre. Or, en l'occurrence, ce n'est pas le cas. Une objection est soulevée.
À la lumière des éléments de preuves que je viens de présenter, je vous invite, monsieur le Président, à juger la motion comme étant irrecevable jusqu'à ce que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre fasse rapport à la Chambre des communes ou jusqu'à l'expiration du délai de 30 jours prévu au paragraphe 111(1) du Règlement.
J'ajouterais également, monsieur le Président, que d'après les rumeurs qui circulent à la Cité parlementaire, vous-même n'auriez pas été consulté à l'égard de la nomination proposée. J'espère que ce n'est pas le cas. Toutefois, le cas échéant, ce serait honteux, puisque ce serait un affront au poste que vous occupez et un désaveu du grand respect que la Chambre vous porte, en tant que défenseur des droits et privilèges de cet endroit.