Monsieur le Président, c'est un honneur de prendre la parole aujourd'hui au nom des gens bien que sont les habitants de Red Deer—Lacombe, dans le centre de l'Alberta, pour parler une autre fois de ce projet de loi, que le Sénat a renvoyé à la Chambre parce qu'il y a vu les mêmes failles que l'opposition avait relevées avant lui.
Le gouvernement libéral majoritaire a fait adopter le projet de loi à l'étape de la troisième lecture de manière expéditive pour tenter de respecter ses objectifs politiques sans prendre le temps de bien examiner les répercussions que cette mesure législative aurait sur les Canadiens, même s'il y est question des zones de protection marine.
À mon avis, aucun Canadien raisonnable n’est contre l'idée des zones de protection marine. Le gouvernement conservateur précédent avait d'ailleurs créé un grand nombre de ces zones en eaux douces et dans les océans. Le gouvernement actuel entend protéger 10 % des aires marines d'ici 2020, un objectif ambitieux.
Le comité des pêches, dont je suis membre, a parcouru le pays pour s'entretenir avec diverses parties intéressées et divers groupes à propos de ce à quoi cela ressemblerait. Les groupes autochtones, en particulier ceux dont le mode de vie dépend de l'océan ou de la mer, ont exprimé haut et fort leur crainte que les zones de protection marine portent atteinte à leur mode de vie. Les Inuits du Nord veulent avoir accès à divers estuaires pour la pêche au béluga. Les collectivités côtières dépendent du transport maritime. Les collectivités autochtones dépendent du saumon, du flétan, de la mye, et ainsi de suite, non seulement pour leur consommation personnelle, mais également pour les intérêts socioéconomiques qui existent au sein de leurs diverses bandes.
Dans sa sagesse, le Sénat a essentiellement conclu que le projet de loi C-55 ne remédie pas très bien aux préoccupations de certaines de ces collectivités. En fait, le sénateur Patterson, qui est du Nunavut, souhaitait amender l'article 5 du projet de loi pour améliorer les mesures de consultation et de coopération. Même le gouvernement se vante de vouloir s'assurer que le processus de consultation a lieu. Ainsi, le Sénat, pourtant dominé par des sénateurs qui ont été nommés par le premier ministre, s'est rangé du côté du sénateur Patterson, disant que cet article du projet de loi doit être revu.
Des gens de ma province, l'Alberta, trouvent peut-être étrange qu'un Albertain soit aussi préoccupé par les pêches, particulièrement celles sur la côte Ouest. Ils se demandent peut-être pourquoi un gars du centre de l'Alberta, qui a grandi sur une ferme, est toujours en train de parler de poisson et de saumon. Il se trouve que je m'y connais un peu. Je suis aussi conscient que la prospérité économique et l'avenir des gens que je représente dans le centre de l'Alberta dépendent de la capacité d'acheminer des produits énergétiques au large de la côte du Pacifique du Canada.
Personne de ma circonscription, de mon coin de pays, ne croit vraiment que le gouvernement actuel a l'intérêt de l'Alberta à cœur. C'est pourquoi, traditionnellement, depuis l'élection du premier ministre portant le même nom de famille que l'actuel premier ministre, la marque libérale, surtout à l'échelle provinciale, est pratiquement vouée à l'échec en Alberta. Pourquoi?
Pour ceux qui ont la mémoire courte ou qui n'ont pas très bien appris l'histoire, c'est parce que les gens ont compris que cette marque et ce nom étaient synonymes de chaos économique. Que l'on pense au programme de l'Office national de l'énergie qui a été mis en place il y a environ 40 ans ou aux initiatives qui sont mises en œuvre maintenant, personne en Alberta ne doute que les mesures sur les zones de protection marine dans le projet de loi C-55 serviront de massue politique pour réduire encore plus la capacité de la province à exporter ses produits des ressources naturelles vers la côte. Je vais expliquer pourquoi il en est ainsi.
D'abord et avant tout, le gouvernement actuel, même s'il prétend le contraire, n'aime pas les combustibles fossiles. Le premier ministre a dit très clairement, en commettant des lapsus, qu'il fallait éliminer progressivement les sables bitumineux. C'est ce qu'il a dit. En répondant à des questions sur la taxe sur le carbone, il a dit que l'augmentation du coût de l'énergie et du carburant pour les Canadiens est ce que nous voulons. Quand je dis « nous voulons », j'utilise les termes employés par le premier ministre. Le premier ministre croit vraiment que c'est ce que veulent les Canadiens.
Actuellement, le premier ministre de la Colombie-Britannique menace essentiellement de bloquer l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain, et pourtant, il menace en même temps de poursuivre le gouvernement de l'Alberta s'il cesse d'acheminer du pétrole à l'aide de l'actuel oléoduc Trans Mountain. Au Canada, nous nous trouvons dans une situation très étrange où personne ne croit qu'il y a le moindre député au sein du Parti libéral ou du NDP qui souhaite autoriser la construction de nouveaux pipelines sur la côte Ouest.
Il y a la taxe sur le carbone. On a apporté des modifications réglementaires. Le projet d'oléoduc Northern Gateway d'Enbridge a été carrément annulé, et on a modifié le processus réglementaire pour l'oléoduc Énergie Est. La toute première chose que le gouvernement libéral a publiée, en novembre 2015, ce sont les changements qu'il a apportés au processus de consultation sur les pipelines, retardant davantage l'expansion des oléoducs Trans Mountain et Énergie Est et torpillant tout simplement le projet d'oléoduc Northern Gateway.
Tout le monde dans le milieu appelle le projet de loi C-69 le projet de loi anti-pipelines. Cette mesure législative vise précisément et sciemment à empêcher la construction de tout nouveau pipeline au Canada, ce qui emprisonnera les ressources énergétiques de l'Alberta, de la Saskatchewan et de tout le Canada dans le marché nord-américain. Nous vendons ce pétrole brut au rabais sur le marché nord-américain. Ensuite, il est raffiné, puis il nous est réacheminé au plein prix, et ce sont les Canadiens qui doivent payer la note.
Il y a eu le projet de loi proposant un moratoire relatif aux pétroliers, le projet de loi C-48, qui cible la côte Ouest. Il est assez intéressant de noter que le gouvernement, qui se targue de vouloir protéger les milieux marins, n'a pas cru bon d'instaurer un moratoire sur la côte Est, où les pétroliers du Venezuela, de l'Arabie saoudite, du Nigeria et d'ailleurs approvisionnent l'Est du Canada en énergie, alors que les Canadiens de cette région préféreraient acheter du pétrole produit et raffiné ici même au Canada, afin que tous puissent s'en servir et profiter de ses retombées économiques.
Il n'y a donc rien de farfelu à penser que l'actuel ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne ou la personne que les libéraux pourraient choisir de mettre à sa place serait prêt à invoquer les dispositions du projet de loi C-55.
Tout me porte à croire, moi qui suis albertain, que les zones de protection marine seront désignées et délimitées non pas selon les données scientifiques et l'endroit le plus propice pour préserver une espèce, un habitat ou un écosystème particuliers, mais selon les endroits où sont menées les activités industrielles que le gouvernement ne préconise pas, et c'est sans compter le moratoire sur les pétroliers qui est déjà prévu dans le projet de loi C-48.
Les gens de ma province doivent comprendre que, normalement, la création d'un parc national est un processus long et ardu. Une consultation a lieu, puis un avis doit être publié dans la Gazette conformément à la Loi sur les parcs nationaux. Habituellement, on procède par des marchés de gré à gré. Lorsqu'il faut acheter des terres sur lesquelles on veut créer un parc national, notamment lorsqu'il s'agit de propriétés privées, il est nécessaire de suivre ce processus. L'expropriation n'a pas très bien fonctionné pour l'ancien premier ministre libéral lorsqu'il a employé ce moyen dans les provinces de l'Atlantique. Ainsi, nous utilisons des terres de la Couronne situées dans le Nord, soit là où se trouvent la plupart des terres de la Couronne. Dès qu'un parc national est créé, il est créé sur des terres de la Couronne. Or, les océans n'appartiennent à personne. Ils appartiennent en fait à Sa Majesté la reine. Ils appartiennent à la Couronne du chef du peuple du Canada.
Si le projet de loi C-55 est adopté dans sa forme actuelle, le ministre aura le pouvoir de désigner une zone de protection marine comme bon lui semble. Rien dans le projet de loi n'oblige le ministre à se fonder sur les meilleures données scientifiques disponibles. Le projet de loi ne prévoit pas non plus la publication d'un avis dans la Gazette.
Il s'agit du projet de loi le plus puissant que j'aie vu qui donne carrément au ministre le pouvoir de délimiter jusqu'à 10 % de nos océans — puisque c'est la cible fixée par le gouvernement — et d'interdire, comme bon lui semble, la totalité ou une partie des activités dans ces zones. Cela signifie que le ministre peut désigner une zone de protection marine où toute activité est interdite, depuis la couche d'eau où pénètre la lumière du soleil jusqu'à la zone pélagique et ensuite à la zone littorale, au fond, s'il y a suffisamment de lumière pour soutenir la vie, ou même jusqu'au benthos ou jusqu'à la couche au fond de l'océan, et ordonner qu'on cesse toute activité.
Le ministre pourrait dresser la liste d'exemptions qu'il veut pour tenir compte de son programme politique. Il pourrait interdire la pêche, le chalutage, la circulation des pétroliers ou la circulation de pétroliers particuliers. Il pourrait simplement dire, comme dans le projet de loi C-48, que la circulation des navires sera permise pourvu qu'ils ne contiennent pas tel ou tel produit. Le projet de loi ne prévoit absolument aucun recours.
C'est peut-être dangereux parce que je ne suis pas un joueur, mais je suis prêt à parier un beau billet de 10 $ tout neuf avec quiconque veut gager avec moi. Je parie que, une fois le projet de loi adopté, la première série de zones de protection marine sera établie à l'entrée Dixon et dans le détroit d'Hecate, à l'extérieur de Prince Rupert. Ce serait une sacrée bonne façon de faire en sorte, si le projet de loi C-48 n'est pas adopté, qu'aucun pétrolier qui transporte du pétrole brut ou n'importe quel sous-produit ou produit raffiné de pétrole brut ne puisse circuler dans la région de Prince Rupert-Kitimat.
Quiconque est persuadé du contraire se fait des illusions. Le ministre ne publiera ni justification ni motifs expliquant une telle décision dans la Gazette, car le projet de loi ne l'y oblige pas. Voilà pourquoi le Sénat nous a retourné le texte. Je ne m'attends pas à ce que le gouvernement prenne l'un de ces amendements au sérieux. L'attribution de temps sera probablement imposée. Je sais que le gouvernement a déjà envoyé une note au Sénat à propos du projet de loi.
Je ne m'attends pas à ce que le gouvernement accepte ces recommandations. Je ne m'attends pas à ce que le gouvernement accepte des amendements à ce projet de loi qui limiteraient la capacité unilatérale et autoritaire du ministre de délimiter les limites de ces zones selon son bon vouloir et au gré du programme politique des libéraux. C'est ce que je trouve le plus scandaleux et le plus frustrant dans ce projet de loi.
Une fois que le projet de loi C-55 sera adopté, le ministre aura le pouvoir de déterminer si la circulation de certains pétroliers ou de certains produits sera autorisée ou non, ou si la circulation de pétroliers sera autorisée tout court. Le ministre pourra décider si la pêche commerciale sera pratiquée dans cette zone. Le ministre serait autorisé à déterminer si la pêche sportive ou la pêche récréative sera autorisée dans cette zone particulière et à en fixer les conditions. Le ministre a déjà le pouvoir de réglementer les pêches en vertu de la Loi sur les pêches, mais il aura encore plus de libertés à cet égard grâce au projet de loi sur les zones de protection marine, et c'est ce que vise le projet de loi C-55.
Le gouvernement obtiendra aussi un pouvoir qui, à mon avis, sera presque aussitôt contesté. Je parle du pouvoir de décider unilatéralement de ce que les peuples autochtones du pays pourront faire dans ces aires marines protégées. Je ne m'attends pas à ce que le gouvernement impose trop de restrictions à cet égard, mais il en aurait la possibilité. Je suis curieux de voir si cette approche tiendra la route.
C'est très frustrant, car les beaux discours du gouvernement laissent croire que c'est une excellente idée. Évidemment, les gens qui, comme nombre de Canadiens, sont guidés par leurs sentiments — et c'est parfois une bonne chose — se réjouiront à l'idée que l'on protège 10 % des aires marines du pays. Cependant, voici où le bât blesse. Le projet de loi ne prévoit aucun critère, scientifique ou autre, qui obligerait le ministre des Pêches et des Océans à suivre certaines règles ou à respecter certaines exigences lors de l'établissement d'une aire marine protégée.
Je vais fournir un exemple en me fondant sur ce qui a déjà été proposé à l'égard des aires terrestres. D'ailleurs, j'en ai déjà parlé dans une intervention précédente. Il y a quelques années, soit il y a presque 30 ans, lorsque je tentais d'obtenir mon diplôme de zoologie à l'Université de l'Alberta, on suggérait des proportions comme 12,5 %, 75 % et 12,5 %. On proposait de réserver 12,5 % du territoire pour protéger complètement ces terres ou les gérer selon une structure semblable à celle qui encadre les parcs nationaux, dans le but de restreindre considérablement l'utilisation de ces terres ou les activités que l'on peut y pratiquer.
Ces terres sont désignées comme des zones destinées à la préservation. Bien entendu, pour obtenir l'approbation des Nations unies et de tous les autres organismes qui surveillent ces choses, elles doivent être représentatives des diverses biozones du pays. Elles ne pourraient pas se trouver entièrement dans l'Arctique, par exemple. On devrait y trouver des prairies, entre autres, d'où la création du parc national des Prairies, qui n'est pas encore terminée. Il nous faudrait représenter tout cela pour dire que nous protégeons un échantillon représentatif des divers écosystèmes et habitats au pays.
Il a été décidé, il y a longtemps, qu'une proportion de 75 % de la masse terrestre serait réservée à un usage commun; ce sont des zones où les pratiques de gestion et de conservation jouent un rôle pour répondre à nos préoccupations sur le plan environnemental. Par ailleurs, 12,5 % du territoire ont été désignés pour une pleine utilisation; il s'agit des zones asphaltées, recouvertes de ciment — villes, routes, autoroutes, zones industrielles —, des choses du genre, où il doit y avoir certaines activités humaines pour améliorer la qualité de vie de tous les habitants, non seulement au Canada, mais aussi dans le monde. C'était donc 12,5 %, 75 % et 12,5 %.
Nous observerons ces changements au sein de l'environnement terrestre, à l'avenir, mais voici le hic: chaque fois qu'une personne souhaite élargir les 12,5 % de terres destinées à la préservation, elle doit les prendre à même celles qui sont réservées à un usage commun. Nous avons vu comment cela s'est retourné contre Rachel Notley en Alberta, quand elle a tenté de prendre une partie des terres de la zone d'aménagement public, les 75 % de la masse terrestre qui sont soumises à des mesures de saine gestion et de conservation. Pour que des terres soient préservées, une personne doit les prendre à même les 75 % de la masse terrestre où tout le monde habite et gagne sa vie dans les petites régions rurales du pays. Il est très rare qu'un habitant d'une région urbaine doive payer un prix ou subisse des conséquences pour l'établissement de limites de préservation sur son territoire. C'est vraiment très rare.
La même chose va se produire dans les zones de protection marine. Cette mesure ne va rien coûter aux personnes qui ne s'aventurent pas sur les océans parce qu'elle n'aura aucune incidence sur leur vie. Toutefois, tous les gens vivant dans de petites collectivités rurales ou côtières ou tirant leur substance de la mer devront maintenant composer avec les délimitations arbitraires des zones de protection marine et s'assurer de respecter toutes les règles et les conditions fixées par le ministre. Aux termes du projet de loi, le ministre peut établir n'importe quelle règle qu'il juge appropriée. Aucune restriction ne lui est imposée. Il n'a pas besoin de publier un avis dans la Gazette ni d'obtenir aucune approbation, à l'exception d'un arrêté ministériel. Il n'a même pas besoin de l'approbation du gouverneur en conseil ni de ses collègues du Cabinet.
Le ministre peut tout simplement signer un arrêté ministériel et désigner un site comme une aire de protection marine. Il s'agit là d'un pouvoir énorme, d'autant plus qu'il est question de 10 % de la superficie, tout au long de la colonne d'eau jusqu'au fond de la mer, de l'océan, du lac, de la rivière ou de l'endroit où se trouve la zone. Ce pouvoir reviendrait à un seul décideur au pays. C'est beaucoup de pouvoir. C'est un pouvoir que les sénateurs nous invitent à reconsidérer et c'est pourquoi ils ont renvoyé le projet de loi à la Chambre.
Je souhaite sincèrement que la Chambre se penche attentivement sur le projet de loi. Je sais que le gouvernement commence à manquer de temps pour réaliser son programme législatif, mais j'espère que le bon sens l'emportera et qu'on fera ce qui s'impose en accordant aux amendements du Sénat l'attention qu'ils méritent et en prenant toutes les occasions de les réexaminer, et pas seulement à la Chambre. J'aimerais en effet voir le projet de loi renvoyé de nouveau au comité pour que celui-ci étudie le travail effectué par le comité sénatorial pour que nous, les représentants élus par la population canadienne, comprenions mieux les répercussions précises du projet de loi.