Monsieur le Président, je suis très heureuse d'avoir enfin la chance de contribuer au débat tant attendu sur la création d'un organisme de surveillance de l'Agence des services frontaliers du Canada. Il y a maintenant plus de 10 ans que le juge O'Connor avait recommandé la mise en place d'un mécanisme de surveillance de l'Agence. Depuis lors, de nombreuses voix persistent à exiger que l'Agence rende des comptes.
Je tiens à dire très clairement que le NPD appuie le projet de loi C-98. Les néo-démocrates et les divers intervenants attendent depuis très longtemps que le gouvernement libéral actuel agisse dans ce dossier.
En fait, en 2014 déjà, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, le Conseil canadien pour les réfugiés et l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés avaient émis un communiqué de presse conjoint pour demander la tenue d'un examen indépendant de toutes les activités associées à la sécurité nationale et au maintien de l'ordre à la frontière effectuées par l'Agence des services frontaliers du Canada.
L'Agence des services frontaliers du Canada est le seul organisme fédéral d'application de la loi d'importance sans surveillance externe. Ses agents ont de vastes pouvoirs. Ils peuvent stopper des voyageurs pour les questionner, ils peuvent exiger des échantillons d'haleine ou de sang, ils peuvent fouiller, détenir et arrêter des non-citoyens sans avoir besoin d'un mandat. Ils peuvent aussi interroger des Canadiens, et ils ont le pouvoir de prendre une mesure d'expulsion à l'endroit d'un ressortissant étranger et de l'appliquer. Ils ont recours à bon nombre de ces pouvoirs dans un contexte où les droits protégés par la Charte sont réduits au nom de la sécurité nationale. Malgré ces vastes pouvoirs, toutefois, il est ahurissant de constater qu'il n'existe aucune surveillance civile externe indépendante pour s'occuper des plaintes ou des allégations de mauvaise conduite de la part de cette agence.
À n'en pas douter, la grande majorité des agents de l'Agence des services frontaliers du Canada s'acquittent de leurs tâches dans le plus grand respect des individus avec lesquels ils interagissent et sont conscients qu'ils doivent utiliser de façon responsable les pouvoirs qui leur sont conférés. Il y aurait toutefois eu des écarts de conduite extrêmement graves, et le processus de traitement des plaintes est tout sauf ouvert et responsable.
Joel Sandaluk, un avocat en immigration de Toronto, a déclaré: « Cela fait des années que l'Agence des services frontaliers du Canada se croit au-dessus de la loi. »
Mary Foster, de l'organisme Solidarité sans frontières, a déclaré ceci: « Nous avons assez d'expérience pour savoir que nous n'obtiendrons jamais rien en déposant une plainte à l'Agence des services frontaliers du Canada concernant les agissements de l'Agence des services frontaliers du Canada. »
Si j'ai bien compris, de janvier 2016 au milieu de 2018, l'Agence des services frontaliers du Canada a fait enquête sur environ 1 200 allégations d'inconduite touchant son personnel. Les actes reprochés sont très variés et vont du manquement au devoir aux agressions sexuelles en passant par l'usage excessif de la force, les commentaires sexuels inappropriés, l'association à une organisation criminelle et le harcèlement.
En 2013, une femme qui, selon ce qu'on en sait, aurait fui le domicile conjugal pour échapper à son conjoint violent est morte alors qu'elle était sous la garde de l'Agence des services frontaliers du Canada. L'enquête a par la suite conclu qu'« aucun mécanisme indépendant et réaliste ne permet aux immigrants de faire valoir leurs revendications ou de se plaindre ».
En 2016, deux autres personnes en à peine une semaine sont mortes alors qu'elles étaient détenues par l'Agence des services frontaliers du Canada.
Dans les circonstances, si l'on veut que les procédures soient respectées et qu'il n'y ait plus d'abus de pouvoir, il faut accroître la reddition de comptes et la transparence. Autrement dit, nous devons absolument nous doter d'un organisme de surveillance indépendant pour étudier les plaintes.
À l'heure actuelle, lorsque les voyageurs, que ce soit des Canadiens ou des ressortissants étrangers, ont l'impression que quelque chose ne va pas, qu'ils ont été harcelés ou qu'on a employé la force avec eux, leur seul recours est de présenter une plainte à l'Agence des services frontaliers du Canada, qui procède à une vérification interne. Il ne faut pas oublier que le déséquilibre du pouvoir entre les autorités frontalières, comme l'Agence, et les voyageurs, surtout dans un pays étranger, est tel qu'il est très difficile de présenter une plainte. Certaines personnes décident de ne pas le faire. Les gens ont des craintes réelles, surtout s'ils ne connaissent pas bien le processus et si l'entité qui étudie la plainte n'est pas indépendante. Ils craignent, par exemple, que cela ait des répercussions lorsqu'ils voudront faire d'autres voyages. Ils craignent d'être punis la prochaine fois qu'ils voudront faire un voyage s'ils dénoncent un mauvais traitement.
Il faut garder à l'esprit que certaines personnes, comme les résidents temporaires et les visiteurs au Canada, ne sont tout simplement pas au pays assez longtemps pour déposer une plainte ou mener le processus à terme. En tant que nation qui reçoit des millions de touristes chaque année, dont les citoyens voyagent partout dans le monde et qui accueille des centaines de milliers de nouveaux immigrants tous les ans, il nous incombe surtout de veiller à ce que les gens se sentent respectés et protégés par nos agents frontaliers ainsi qu'en sécurité avec eux. C'est pourquoi il est essentiel que l'Agence des services frontaliers du Canada soit surveillée par un organisme public civil indépendant.
L'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a étudié la question de près et produit un rapport. Dans son rapport intitulé « Oversight at the Border: A Model for Independent Accountability at the Canada Border Services Agency », elle recommande « la création de deux mécanismes de responsabilisation indépendants pour l'ASFC: un qui assurerait la surveillance en temps réel des politiques et des pratiques de l'ASFC et un autre qui serait chargé de mener des enquêtes et de régler les plaintes ».
J'aimerais beaucoup entendre ce que l'Association et les témoins ont à dire sur le projet de loi et savoir s'ils estiment qu'il répond à la demande de mesures de surveillance et de responsabilisation indépendantes pour l'Agence des services frontaliers du Canada.
Je dois souligner que, pendant que nous débattons du projet de loi C-98, un autre projet de loi, le projet de loi C-59, passe actuellement à l'étape de la troisième lecture au Sénat. Nous nous attendons à ce qu'il soit bientôt renvoyé à la Chambre.
Le projet de loi C-59 vise à créer une agence d'examen, soit l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Cette nouvelle entité remplacerait le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ainsi que les fonctions que la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC assume dans les domaines de l'examen de la sécurité nationale et des enquêtes sur des plaintes. Cela signifie que le nouvel organisme serait habilité à surveiller des activités qui portent sur la sécurité nationale. Pour ce qui est de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, ce qui en restera continuera à être l'organisme d'enquête externe chargé d'examiner les plaintes du public concernant la conduite de la GRC. Cependant, le projet de loi à l'étude aujourd'hui vise à modifier le nom de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC pour qu'elle soit dorénavant connue sous le nom de Commission d’examen et de traitement des plaintes du public. Il vise aussi à élargir le mandat de celle-ci pour qu'elle exerce une fonction d'examen semblable à celle qu'assume l'Agence des services frontaliers du Canada.
En raison de ces changements, et selon la nature de la plainte contre l'Agence des services frontaliers du Canada, un organisme différent, doté de pouvoirs différents, sera appelé à examiner la plainte en question. Assurément, cette situation causera parfois de la confusion. On peut donc se demander pourquoi le gouvernement a décidé d'adopter cette approche, et ce, au moyen de deux projets de loi distincts.
Cependant, ce qui est encore plus inquiétant, c'est le manque de consultations au sujet de ce projet de loi et le fait qu'il a été présenté à la dernière minute. Trop souvent, après avoir mené des consultations interminables, le gouvernement décide de ne rien faire. À l'opposé, lorsque des consultations et des études sont essentielles pour veiller à la pertinence du projet de loi, le processus est incomplet.
Le Syndicat des douanes et de l'immigration, qui représente plus de 10 000 Canadiens qui travaillent à la frontière, n'a pas été consulté au sujet du projet de loi C-98. Selon moi, cela n'a pas de sens. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas demandé l'avis des personnes qui travaillent en première ligne et qui seraient désormais surveillées par un nouvel organisme, qui surveillerait aussi l'organisme qui les représente? Ce n'est pas une bonne façon de procéder.
Malheureusement, en tant que porte-parole du NPD en matière d'immigration, de réfugiés et de citoyenneté, je me suis devenue très familière avec les promesses non tenues du gouvernement libéral au chapitre de la bonne gouvernance.
Comme nous l'avons constaté avec le projet de loi C-97, la loi d'exécution du budget, les libéraux ont décidé de faire adopter à toute vapeur de dangereuses modifications au système de détermination du statut de réfugié du Canada et de mettre en danger des personnes vulnérables, particulièrement des femmes et des filles qui fuient la violence. Je soupçonne que les libéraux sentent la pression exercée par la droite et qu'ils veulent être perçus comme étant sévères à l'endroit des demandeurs d'asile. Les élections sont dans six mois, alors ils font adopter à toute vapeur des changements draconiens à l'aide d'un projet de loi omnibus d'exécution du budget.
Dans le cas du projet de loi C-98, même si les mesures visant à modifier le processus de plainte de l'Agence des services frontaliers du Canada ont été annoncées dans le budget, elles ont au moins été présentées dans un projet de loi distinct, soit le projet de loi C-98.
Ce n'est pas le cas des modifications au système de détermination du statut de réfugié, que le gouvernement cherche à faire adopter à toute vapeur à l'aide d'un projet de loi omnibus d'exécution du budget, ce qui veut dire qu'elles seront très peu étudiées. Dans leur empressement à se montrer sévères sur la question des frontières, les libéraux ont cédé aux pressions exercées par les conservateurs et à leurs campagnes de désinformation. C'est pourquoi, sans encore une fois se donner la peine de mener des consultations, ils ont apporté, dans le budget, des changements radicaux au système d'octroi de l'asile. Des experts ont réclamé immédiatement que ces dispositions soient retirées ou, à tout le moins, qu'elles soient présentées dans un projet de loi distinct. Cependant, le gouvernement libéral a rejeté cette demande.
Quelque 2 400 Canadiens ont écrit au premier ministre pour lui demander la même chose, mais il a refusé, eux aussi, de les écouter. Le vérificateur général a récemment indiqué que, l'année dernière, 1,2 million d'appels à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n'avaient pas été acheminés au gouvernement. Au moins, le projet de loi C-98 est un projet de loi distinct.
Cela dit, il faut aussi reconnaître, compte tenu du fait que les libéraux ont attendu jusqu'à la onzième heure pour agir, qu'il se pourrait que ce projet de loi ne reçoive pas la sanction royale avant les élections. Le cas échéant, cela représenterait une autre promesse non tenue par le gouvernement libéral, une autre promesse rompue en raison de son inaction.
Je me demande vraiment pourquoi il a mis autant de temps à déposer ce projet de loi. Pourquoi a-t-il attendu qu'il ne reste que cinq semaines de séances à la Chambre pour présenter le projet de loi C-98? Je soupçonne le gouvernement libéral de vouloir recourir à l'attribution de temps pour limiter le débat, un recours constamment décrié par les libéraux lorsque les conservateurs étaient au pouvoir. Je crains que le gouvernement limite encore un débat à la Chambre parce qu'il n'a pas pu mettre au point sa mesure législative à temps.
On ne peut fermer les yeux sur le risque que cela représente avec un projet de loi de cette amplitude. Le gouvernement, dans son empressement à le déposer avant la fin de la session, a omis de consulter les experts sur la forme que ce projet de loi devrait prendre. Maintenant, dans une course contre la montre, les libéraux, pour pouvoir dire qu'ils ont rempli leur promesse, devront limiter le débat démocratique sur ce projet de loi. C'est ce à quoi je m'attends.
Ce n'est pas une bonne formule pour une mesure législative. En fait, c'est tout à fait le contraire. Le gouvernement a déclaré qu'en 2017 et en 2018, plus de 96 millions de voyageurs ont interagi avec les employés de l'Agence des services frontaliers du Canada, ce qui revient à plus de 260 000 interactions par jour. Les employés ont traité plus de 21 millions d'expéditions commerciales, ce qui représente plus de 57 000 chargements par jour. Ils ont traité plus de 46 millions d'expéditions postales, ce qui représente plus de 126 000 colis par jour. Il s'agit d'une question sérieuse qui mérite d'être débattue en profondeur.
Nous espérons que le gouvernement permettra au comité de mener une étude approfondie de ce projet de loi. J'espère aussi que le gouvernement, après avoir entendu les témoignages des intervenants et des spécialistes en comité, sera disposé à accepter les amendements proposés par les témoins experts. J'espère que le gouvernement permettra que ce travail s'accomplisse de manière efficace et qu'il sera ouvert aux suggestions des intervenants.
La communauté attend depuis longtemps ce projet de loi. Je regrette que le gouvernement ait attendu aussi longtemps, jusqu'à la dernière minute, alors qu'il ne reste que six mois avant les élections et seulement cinq semaines à la session, avant de présenter le projet de loi C-98. Les Canadiens méritent qu'il y ait un processus de surveillance civil, externe et indépendant pour traiter les plaintes contre l'Agence des services frontaliers du Canada. Le gouvernement aurait dû agir bien avant pour mettre en place un processus adéquat pour tous les Canadiens.