Madame la Présidente, je suis heureux de prendre la parole au sujet du projet de loi C-418, Loi sur la protection de la liberté de conscience. Le projet de loi propose d'ajouter deux infractions au Code criminel: le fait d'intimider et le fait de mettre fin à un emploi. Ces modifications visent à protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé en interdisant le fait d'intimider un professionnel de la santé dans le dessein de le forcer à prendre part à la prestation de l'aide médicale à mourir, et en empêchant les employeurs de mettre fin à l'emploi d'un professionnel de la santé parce qu'il refuse de prendre part à la prestation de l'aide médicale à mourir.
Les dispositions législatives sur l'aide médicale à mourir sont entrées en vigueur il y a près de trois ans, soit en juin 2016. Elles permettent aux adultes qui éprouvent des souffrances intolérables, qui sont en déclin vers la mort et qui choisissent une mort plus paisible d'obtenir l'aide d'un médecin ou d'un infirmier praticien. Selon les données publiées récemment dans le quatrième rapport provisoire de Santé Canada, au 31 octobre 2018, plus de 6 700 Canadiens avaient reçu une aide médicale à mourir.
Pour un avocat, c'est toujours un plaisir d'aborder cet enjeu, ainsi que toute question concernant le droit constitutionnel. Ces questions m'interpellent tout particulièrement, car j'ai exercé dans ce domaine du droit pendant 15 ans avant d'entrer à la Chambre.
L'aide médicale à mourir a été et demeure un enjeu complexe et controversé. C'est un fait. Ce sujet soulève des questions par rapport à nos valeurs fondamentales; comment voulons-nous vivre et mourir en tant qu'êtres humains autonomes, comment la loi doit-elle protéger les personnes vulnérables, et la façon dont nous nous définissons les uns par rapport aux autres au sein de la société canadienne.
Un enjeu aussi complexe mérite qu'on examine de très près les nombreux points de vue qui s'y rapportent. Même dans cette enceinte, les différentes valeurs qui nous animent ont donné naissance à diverses positions lorsque nous avons amplement débattu de l'ancien projet de loi C-14.
Par exemple, à la suite du riche débat qui a eu lieu, la loi a exigé la réalisation de trois études indépendantes sur des sujets qui étaient particulièrement complexes et qui allaient au-delà du cadre du projet de loi, notamment les demandes d’aide médicale à mourir faites par les mineurs matures, les demandes anticipées et les demandes où un trouble mental est la seule condition médicale invoquée.
Le Conseil des académies canadiennes a entrepris la tâche monumentale de procéder à un examen des données probantes sur ces questions et a produit trois rapports détaillés qui continueront d’étayer le dialogue entre le public et les décideurs. Fait important, les rapports eux-mêmes font état des divers points de vue des experts sur les trois questions que j’ai soulignées.
Comme de nombreux députés le savent, divers tribunaux du pays sont actuellement saisis de contestations fondées sur la Charte. Elles concernent les critères d'admissibilité définis dans les modifications au Code criminel relatives à l'aide médicale à mourir, qui ont été adoptées il y a trois ans. Il s'agit d'un dossier en cours.
Il serait déplacé de commenter ces modifications de manière spécifique, mais je rappelle leur existence pour souligner les différentes valeurs fondamentales qui sont en jeu dans le débat sur l'aide médicale à mourir, des valeurs que nous tentons de concilier avec nos mesures législatives: le respect de l'autonomie individuelle, la protection des membres les plus vulnérables de notre société, et la défense des valeurs sociétales plus générales qui dépassent le désir individuel d'exercer un contrôle sur sa propre mort. Je pense par exemple à l'égalité de toutes les vies et à la prévention du suicide.
Au cours des déclarations préliminaires de ce débat, des députés ont soulevé l'enjeu posé par la conciliation des droits garantis par la Charte aux professionnels de la santé. Ces droits ont été défendus par le député de Cypress Hills—Grasslands, et par les patients aux prises avec le système médical, comme le député de Don Valley-Ouest et le député de Victoria l'ont rappelé dans leur question.
Tout comme les valeurs complémentaires sous-tendant les exemptions particulières au Code criminel que le Parlement a édictées pour permettre l’aide médicale à mourir, elles ont également un rôle en pratique. En effet, tout comme les Canadiens peuvent avoir, en général, des points de vue différents sur ce à quoi devrait ressembler l’aide médicale à mourir au Canada, il en est de même pour les personnes qui prennent directement part à cette pratique, soit nos professionnels de la santé, et plus particulièrement les médecins et les infirmières praticiennes qui sont autorisés à fournir l’aide médicale à mourir. Il faut s’attendre à ce qu’au sein de ce groupe diversifié de professionnels, il existe autant d’opinions diversifiées à propos de l’aide médicale à mourir.
C’est effectivement ce qu’a entendu le Parlement en développant la loi sur l’aide médicale à mourir. Notre gouvernement croit fermement que les médecins et les infirmières praticiennes ainsi que les autres professionnels de la santé qui font partie de l’équipe de soins d’un patient ne devraient pas être obligés de participer à la prestation de l’aide médicale à mourir.
La prestation de l'aide médicale à mourir est un acte qui entraîne des conséquences des plus graves. Certains professionnels de la santé considèrent qu'il s'agit là d'une partie importante de leur pratique qui leur permet de soulager les souffrances intolérables d'un patient à l'approche de la mort. D'autres considèrent que cette pratique va à l'encontre de leur conscience, de leurs croyances religieuses ou de leur rôle professionnel. Enfin, d'autres soutiennent en principe l'aide médicale à mourir, mais ne veulent pas y participer. Le gouvernement appuie et respecte tous ces points de vue.
J'insiste sur un point: au Canada, le cadre juridique régissant l'aide médicale à mourir relève d'abord et avant tout du droit pénal. Le Parlement a assorti les infractions d'homicide et d'aide au suicide d'exemptions soigneusement soupesées. Dans les faits, l'aide médicale à mourir est permise, mais la loi n'oblige personne à prendre part à l'acte lui-même.
Par souci de précision, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a proposé un amendement à ce qui s'appelait alors le projet de loi C-14. Il a en effet ajouté une nouvelle disposition au Code criminel, le paragraphe 241.2(9), afin de préciser que rien, dans l'article qui porte là-dessus, n'a pour effet d'obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir.
Nous devons absolument tous garder en tête, puisqu'il est ici question de droit constitutionnel, que l'alinéa 2a) de la Charte protège la liberté de conscience et de religion et empêche le gouvernement de s'immiscer indûment dans les croyances des gens et dans les choix relevant de leur conscience. C'est un fait établi, et la loi a été rédigée en conséquence. La décision Carter de la Cour suprême du Canada en tenait compte elle aussi. Voici ce que dit en partie le paragraphe 132 de la décision majoritaire rendue dans l'affaire Carter: « [...] rien dans la déclaration d'invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir. » Ces mots ont été pris en compte dans le projet de loi C-14 et renforcés par l'amendement proposé par le comité de la justice et adopté par le Parlement.
Le gouvernement sait que l'offre d'aide médicale à mourir au Canada peut causer des tensions dans certains milieux de travail où des professionnels de la santé et des membres du personnel infirmier peuvent avoir des opinions très différentes sur ce même sujet. Les médecins ayant participé en 2018 à une étude publiée dans le Journal of Pain Symptom Management — notamment des médecins disposés à fournir l'aide médicale à mourir, mais travaillant dans des milieux où la majorité était opposée à cette pratique — ont indiqué avoir observé que leurs relations avec leurs collègues s'étaient tendues. Cet exemple illustre bien les difficultés uniques auxquelles les médecins et le personnel infirmier peuvent se trouver confrontés quand ils travaillent dans un milieu où le point de vue majoritaire ou institutionnel sur l'aide médicale à mourir diffère du leur.
Par ailleurs, il faut concilier l'accès des patients admissibles à l'aide médicale à mourir et la liberté de conscience des médecins. C'est la question qui a été soulevée dans le contexte du présent débat et dans l'arrêt Carter et qui a trouvé une réponse dans le cadre du projet de loi C-14 tel qu'il a été adopté.
Il est important de noter que les provinces et les territoires sont responsables de la prestation des soins de santé et de la réglementation des pratiques des professionnels qui relèvent de leur compétence, et ils doivent remplir cette tâche complexe. Dans le cadre d'un débat sur le droit constitutionnel tel que celui que nous avons, nous devons tenir compte de la Charte, mais aussi du partage des pouvoirs en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour ce qui est de réglementer la pratique des médecins dans ce pays, cela relève des compétences des différentes provinces, comme l'a indiqué le député de Cypress Hills—Grasslands dans certaines de ses réponses.
Au fédéral, la ministre de la Santé a récemment institué un règlement établissant un régime de surveillance de l'aide médicale à mourir. Ce régime est entré en vigueur le 1er novembre 2018. Il permettra de recueillir des données utiles à propos des demandes écrites d'aide médicale à mourir et des patients qui font ces demandes, mais aussi à propos des raisons pour lesquelles un médecin qui reçoit une demande aurait aiguillé le patient vers un autre médecin ou en aurait transféré les soins, notamment pour savoir si ce refus était fondé sur le fait que la prestation de l'aide médicale à mourir allait à l'encontre de la liberté de conscience ou des croyances du médecin.
Des données nationales cohérentes sur le nombre de demandes d'aide médicale à mourir qui sont aiguillées vers un autre médecin en raison des croyances d'un professionnel de la santé permettront d'informer les Canadiens au sujet de l'étendue de cette question.
Par ailleurs, la loi sur l'aide médicale à mourir elle-même prévoyait un examen parlementaire quinquennal de toutes ses dispositions et de la situation des soins palliatifs au Canada. Cet examen pourrait commencer dès juin 2020. Il s'appuiera, bien évidemment, sur les rapports exhaustifs produits par le Conseil des académies canadiennes et sur tout autre document disponible relatif à l'expérience canadienne, notamment celle des professionnels de la santé fournissant de l'aide médicale à mourir ou concernés par celle-ci.
Je tiens à réitérer le respect que porte le gouvernement aux différents points de vue et croyances des professionnels de la santé concernant l'aide médicale à mourir. Nous savons que, pour eux, les patients...