Monsieur le Président, cela me fait énormément plaisir de me prononcer aujourd'hui sur le projet de loi C-418 déposé par le député de Cypress Hills—Grasslands en 2018.
Le projet de loi C-418, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), modifierait le Code criminel afin de créer deux nouvelles infractions visant à protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé qui refusent de participer à la prestation de l’aide médicale à mourir ou de fournir une telle aide.
Une infraction proposée porterait sur le fait d’user d’intimidation ou de violence pour forcer un professionnel de la santé à prendre part à la prestation de l’aide médicale à mourir contre son gré.
L’autre infraction proposée viserait à interdire à un employeur de punir un professionnel de la santé parce que celui-ci refuse de prendre part à la prestation de l’aide médicale à mourir, que ce soit en mettant fin à son emploi ou en refusant de l’engager en premier lieu.
Le projet de loi propose des mesures qui s'appuient sur les dispositions du projet de loi C-14, que le Parlement a adopté il y a près de trois ans. Le projet de loi C-14 a modifié le Code criminel afin de légaliser l'aide médicale à mourir, en réponse à la décision que la Cour suprême a rendue, en 2015, dans l'affaire Carter c. Canada.
Ces modifications au Code criminel ont créé de nouvelles exceptions à l’égard des infractions d’homicide coupable et d’aide au suicide. Les exceptions permettent aux professionnels de la santé d'offrir une mort paisible aux patients qui ne peuvent plus endurer la douleur physique ou psychologique dont ils souffrent vers la fin de leur vie.
Nous devons tenir compte de la gravité de ce geste. On demande à des fournisseurs de soins de santé de mettre fin à une vie, ce qui, jusqu'à tout récemment, allait non seulement à l'encontre du droit pénal, mais aussi complètement à l'encontre de la déontologie médicale.
Ce ne sont là que quelques-unes des raisons qui expliquent pourquoi l'aide médicale à mourir est une question profondément personnelle et difficile, car elle touche de nombreuses valeurs fondamentales de notre société, dont l'égalité, l'autonomie individuelle, le respect de la vie, la protection des personnes vulnérables, la dignité et la compassion.
L'aide médicale à mourir touche aussi à la liberté de conscience des professionnels de la santé. Je crois que c'est la valeur fondamentale qui motive le projet de loi C-418.
Comme le mentionne le Conseil des académies canadiennes dans ses rapports sur certains types de demandes d'aide médicale à mourir, déposés devant la Chambre il y a seulement quelques mois par les ministres de la Justice et de la Santé, l'expérience de vie, les valeurs et les croyances d'une personne forment les perceptions qu'elle a à l'égard de la question de l'aide médicale à mourir.
Bien que nous partagions tous certaines expériences et certaines valeurs, chacun d'entre nous possède également son propre vécu. Comme l'a mentionné le Conseil des académies canadiennes, cette diversité des expériences de vie nous amène chacun à établir une hiérarchie des valeurs lorsque les circonstances les font entrer en conflit.
Les députés ont certainement été témoins de cette diversité d'opinions en lisant les lettres des habitants de leurs circonscriptions, ou lors des conversations qu'ils ont entendues d'un bout à l'autre du pays. De nombreux députés ont probablement pris connaissance des témoignages et des mémoires présentés au comité de la justice et des droits de la personne alors que celui-ci se penchait sur l'ancien projet de loi C-14.
Nos concitoyens ont exprimé une grande variété de points de vue par rapport à cet enjeu. Alors que certains trouvent écho dans nos propres croyances, d'autres peuvent diverger de manière substantielle. Pour beaucoup, il faut tenir compte, d'une part, de la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé, et, d'autre part, des droits des patients aux prises avec des souffrances intolérables et qui choisissent l'aide médicale à mourir.
Bien que l'ancien projet de loi C-14 avait modifié le droit pénal pour permettre aux fournisseurs de soins de santé de répondre à la volonté des patients qui demandent l'aide médicale à mourir, il précisait également que les fournisseurs de seraient pas contraints de dispenser eux-mêmes l'aide médicale à mourir.
La Cour suprême du Canada avait d'abord soulevé directement la question de la protection de la liberté de conscience dans l'arrêt Carter. Au paragraphe no 132 de sa décision, la Cour suprême du Canada examine plusieurs aspects de cette question.
Premièrement, elle explique que sa décision n'aurait pas pour effet de contraindre les médecins à dispenser une aide médicale à mourir, puisque cette décision ne fait qu'invalider la prohibition criminelle, ce qui est compatible avec l'approche adoptée dans le projet de loi C-14, à savoir que le droit criminel, en permettant aux médecins et aux infirmières praticiens de participer à l'aide médicale à mourir, ne les oblige pas à le faire.
La Cour a bel et bien reconnu que la décision d'un médecin d'offrir l'aide médicale à mourir est une question de conscience et, dans certains cas, de croyance religieuse. En guise de conclusion, la Cour a souligné qu'il était nécessaire de concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins.
Les députés ne devraient pas oublier que l'aide médicale à mourir est une question complexe aux multiples facettes et dont les sphères de responsabilité sont complémentaires. Tandis que le Parlement est responsable du droit pénal, les assemblées législatives provinciales sont responsables de la prestation des services de santé, et les collèges des médecins ainsi que les organismes semblables sont responsables de la réglementation des professionnels de la santé.
L'aide médicale à mourir est très récente au Canada. Sur le terrain, les systèmes et les établissements de santé s'adaptent encore au changement. Dans les provinces, on a élaboré quelques nouvelles lois et politiques, tandis que d'autres sont peut-être encore en cours d'élaboration.
En ce qui concerne les données, l'ancien projet de loi C-14 obligeait le ministre de la Santé à prendre des règlements pour surveiller l'aide médicale à mourir en se fondant sur les rapports obligatoires provenant des fournisseurs de soins de santé. Après une période de développement et de consultation publique, ce régime est entré en vigueur le 1er novembre 2018. Le premier rapport est attendu en 2020. Il pourrait nous fournir des données quantitatives et qualitatives sur les cas où des médecins à qui on a demandé d'offrir l'aide médicale à mourir ont transféré les soins du patient pour des raisons d'objection de conscience.
D'ici là, Santé Canada a préparé des rapports intermédiaires fondés sur les renseignements qu'ont partagés volontairement les provinces.
Selon le dernier rapport publié le 25 avril 2019, plus de 6 700 Canadiens ont obtenu une aide médicale à mourir, ce qui représente une quantité assez extraordinaire.
Des études indépendantes ont aussi été réalisées au Canada. L'une d'elles, intitulée « Exploring Canadian Physicians' Experiences Providing Medical Assistance in Dying: A Qualitative Study », mentionne que, dans certains cas, les fournisseurs qui participent à l'aide médicale à mourir ont signalé que cela nuisait à leurs relations professionnelles avec leurs collègues. Cette constatation est tout aussi inquiétante que la possibilité que certains menacent physiquement des praticiens pour les contraindre à participer.
Je demande aux députés, et à tous les Canadiens, de respecter les croyances, les valeurs et les points de vue des autres, même dans les cas où il y a divergence complète. Lorsque des valeurs entrent en conflit, il n'y a pas une seule réponse juste. Notre devons dorénavant miser sur le dialogue, l'écoute et les compromis et non faire des menaces ou déclencher des conflits.
Je suis heureux que le projet de loi C-418 nous donne encore l'occasion de discuter de l'aide médicale à mourir et qu'il soit centré sur l'importance de respecter les divergences d'opinions et la diversité. Je recommande vivement à tous les députés d'aborder, avec ouverture d'esprit, ce projet de loi ainsi que les débats publiques et les débats sur les politiques concernant l'aide médicale à mourir.