propose:
Que la Chambre:
a) prenne note de l’importance d’une presse libre et indépendante pour une démocratie en santé;
b) exprime sa conviction que des acteurs engagés dans la politique partisane ne devraient pas choisir, en pleine année électorale, les gagnants et les perdants dans le secteur des médias;
c) condamne l’inclusion d’Unifor, un groupe qui a défendu et qui continue de défendre des positions politiques partisanes, dans le comité qui supervisera la distribution des 600 millions de dollars consacrés à l’aide aux médias;
d) demande au gouvernement de cesser immédiatement ses manœuvres destinées à lui donner avantage aux prochaines élections et de remplacer son plan d’aide aux médias par une proposition qui ne permet pas au gouvernement de choisir des gagnants et des perdants.
— Madame la Présidente, c'est avec beaucoup de plaisir que je prends la parole aujourd'hui sur ce sujet qui, évidemment, me touche personnellement. Je confesse tout de suite mon conflit d'intérêts, ayant été journaliste pendant 20 ans. Il est donc probable que je sache de quoi je parle. Le point fondamental est l'importance d'assurer l'indépendance et la liberté de la presse.
Madame la Présidente, j’ai le plaisir de vous informer que je compte partager mon temps avec le député de Thornhill, qui est lui aussi un ancien journaliste. Je suis sûr qu’il parlera de son expérience. Je rappelle qu’il était présent à l’intronisation de Robert Stanfield et de Pierre Elliott Trudeau lorsqu’ils ont été élus chefs de parti. Il était aussi correspondant pendant la guerre du Vietnam. Il a été mon professeur, et je me souviens très bien de la célèbre interview qu’il a faite de sir John A. Macdonald. Elle a été un jalon marquant dans l’histoire du journalisme. C’est une plaisanterie, il ne faudrait pas me citer là-dessus.
Aujourd’hui, il est question de la liberté de la presse et de l’indépendance de la presse. Le gouvernement libéral a fait sien son projet de vouloir octroyer près de 600 millions de dollars, provenant des contribuables, à certains médias qu’il va lui-même choisir. Tout cela à quelques mois à peine du déclenchement d’une élection. À première vue, c’est une ingérence politique partisane inacceptable en lien avec un des fondements principaux de notre démocratie, c’est-à-dire l’indépendance journalistique. Comme je l’ai mentionné en introduction, j’ai été journaliste pendant 20 ans. Je sais donc de quoi je parle.
Puisque j'ai travaillé comme journaliste pendant plusieurs années, je sais que des gens tentent parfois d’influencer le journaliste en lui présentant leurs idées et en expliquant pourquoi elles sont bonnes. Je n’ai aucun problème avec cela. Par contre, ce n’est pas le cas lorsqu’ils viennent lui dire qu’il est probable qu’ils puissent lui donner quelques millions de dollars pour aider son entreprise.
Les journalistes sont des êtres humains. Dire qu’ils peuvent être indépendants par rapport à une proposition semblable, c’est absolument impossible. C’est pourquoi j’estime que l’action du gouvernement libéral est tout à fait inadéquate envers les journalistes et qu'elle menace sévèrement l’indépendance journalistique, d’autant plus que leur projet de 600 millions de dollars ne règle absolument pas le problème de fond des médias.
Quel est le plan libéral? C’est de prendre 600 millions de dollars qui proviennent des contribuables et d'aider les médias qui sont en crise actuellement. Nous reconnaissons que, en raison des changements technologiques, les médias font face à une crise. Moi-même, je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai payé de ma poche pour avoir accès à de l’information en achetant un journal. Pourquoi? Parce que j’ai toujours accès gratuitement à l’information sur mon téléphone intelligent. J'y ai accès à la minute près.
C’est une réalité différente à laquelle il faut faire face. Pour le faire, le gouvernement libéral a choisi de prendre l’argent des contribuables et de l'investir dans les entreprises de presse qu’il va choisir lui-même.
Selon nous, ce n’est pas la bonne chose à faire. Non seulement le gouvernement s’octroie le choix des gagnants, c'est-à-dire de ceux qui vont recevoir l’argent des contribuables, mais cela ne règle pas le problème de fond des médias traditionnels, particulièrement des médias écrits qui font face à cette nouvelle réalité voulant que les gens s’abreuvent d’information sans avoir à payer. C'est ainsi que l'on faisait à l'époque. Je me souviens très bien d'avoir livré Le Soleil quand j’étais enfant, il y a environ 40 ans. Le journal était épais le mercredi et il l’était bien plus encore le samedi. Aujourd’hui, Le Soleil, publié à Québec, est pas mal plus mince qu’il ne l’était à l'époque, et cela n'a rien à voir avec les changements climatiques.
Il faut donc faire attention à cela. Selon nous, c’est un diachylon que l’on met sur une plaie ouverte, mais cela ne permet pas de régler le problème de base. Cela est un problème, mais ce n’est rien comparativement au problème que le gouvernement libéral a créé de toutes pièces en nommant à une table ronde un groupe politiquement partisan et engagé qui s’est donné la mission d’attaquer férocement l’opposition officielle — Unifor. Les gens qui participent à la table ronde doivent décider qui a raison et qui a tort, qui va recevoir les millions de dollars et qui ne les recevra pas.
Qu'est-ce qu'Unifor? C’est un syndicat qui, dit-on, représente plus de 12 000 personnes qui travaillent dans les médias. Cependant, ce n’est pas le seul syndicat qui représente les gens qui travaillent dans les médias.
Le 14 novembre dernier, à 16 h 40, ces gens ont publié un gazouillis très évocateur qui va vraiment au fond des choses et qui démontre le programme politique partisan du gouvernement libéral qui se cache derrière l'aide aux médias. Cette aide sera apportée grâce à des centaines de millions de dollars provenant des contribuables.
Le 14 novembre dernier, à 16 h 40 — l’heure est importante — le président d’Unifor, Jerry Dias, a publié le gazouillis suivant:
« Le conseil exécutif national d'Unifor commence aujourd'hui sa planification en prévision des élections fédérales »
Je ne peux pas montrer la photo qui a été publiée, mais il s'agit d'une photo en noir et blanc où l'on voit les cinq dirigeants principaux d'Unifor. Cela reprend exactement, au moyen de la même plateforme, ce que Maclean's avait publié quelques jours plus tôt.
On peut y lire: « La résistance: Voici le pire cauchemar de [...] », suivi du nom du chef de l'opposition.
En fait, le nom du chef de l'opposition y était inscrit, mais je ne peux pas le dire à la Chambre.
Unifor s'est engagé en politique de façon partisane, contre l’opposition officielle. Or il représente les journalistes. Ils sont choisis par le gouvernement libéral pour siéger au comité qui va leur dire comment faire pour choisir ceux qui vont gagner des centaines de millions de dollars. À l'évidence, cela n’a aucun rapport.
J’ai dit tout à l’heure que l'heure était importante. En effet, c'est le 14 novembre à 16 h 40 que Jerry Dias a publié son gazouillis qui évoquait clairement qu’il était en campagne électorale contre l’opposition officielle. À 17 h 46, soit environ une heure plus tard, David Akin, un journaliste d’honneur, a tout de suite réagi brutalement en se distanciant de son syndicat, Unifor.
« Je suis membre de ce syndicat, conformément aux conditions de mon emploi, et je ne saurais dire à quel point cette idée est stupide pour un syndicat qui représente des journalistes. »
C'est la réaction d'un homme d'honneur, d'un journaliste intègre et digne qui comprend que son représentant syndical n'a pas à s'ingérer dans le débat politique parce qu'il est journaliste. Comme journaliste, on doit être neutre, objectif et indépendant à l'égard du pouvoir politique, de quelque nature qu'il soit et peu importe le parti. Or, dans le cas présent, Unifor s'est engagé dans l'arène politique sans même consulter ses propres membres. Cela aussi, c'est insultant.
C'est pourquoi nous dénonçons férocement cette approche et, surtout, le fait que le gouvernement libéral est allé choisir, parmi les centaines de syndicats canadiens qui représentent les journalistes, celui qui s'était directement engagé à être le pire cauchemar du chef de l'opposition officielle. On ne peut pas être plus partisan que cela ou compromettre davantage l'indépendance journalistique. C'est exactement ce que les libéraux ont fait.
Heureusement, des gens chevronnés se sont distancés de cela. Selon Chantal Hébert, bien connue dans le monde politique et dans le monde journalistique, nombreux sont ceux, parmi les chroniqueurs politiques, qui craignent que ce soit une pilule empoisonnée qui finira par faire plus de mal que de bien au secteur de l'information.
D'autres ont aussi pris la parole. Selon Andrew Potter, collaborateur universitaire de l'Université McGill et correspondant à CBC, c'est en réalité pire que quiconque aurait pu l'imaginer. Il dit qu'un organisme indépendant composé entièrement de syndicats et de lobbyistes du secteur, c'est un vrai désastre.
Andrew Coyne, pour sa part, a écrit qu'il est maintenant tout à fait clair, si ce n'était pas déjà le cas, que c'est la menace la plus sérieuse pour l'indépendance de la presse dans ce pays, et ce, depuis des décennies.
Cette stratégie libérale va-t-elle vraiment aider les médias? Non. On nomme des amis du Parti libéral et des ennemis du chef de l'opposition au comité qui choisira les gagnants et les perdants dans l'octroi des 600 millions de dollars que le gouvernement veut envoyer aux médias sans toutefois régler le problème fondamental auquel ceux-ci sont confrontés. Cette stratégie démontre à quel point l'éthique du Parti libéral est élastique.
Je rappelle que le Parti libéral dirige le Canada depuis bientôt quatre ans et que c'est la cinquième fois que ce gouvernement fait l'objet d'une enquête du commissaire à l'éthique. Jamais, dans l'histoire de notre pays, le premier ministre en poste n'a fait l'objet d'une enquête qui s'est conclue par des condamnations pour avoir enfreint les règles d'éthique.
À mon point de vue, cette tentative de distribuer 600 millions de dollars aux médias sans les aider convenablement et, surtout, en nommant des partisans libéraux qui sont contre nous au comité qui sera chargé de distribuer ces fonds, démontre que les libéraux ont une éthique élastique.
C'est la même chose dans le cas du fameux scandale SNC-Lavalin. Lorsque la décision avait été prise de façon honnête, intègre et dégagée par le système judiciaire, comme prescrit par la loi, les libéraux se sont ingérés dans le système judiciaire à des fins partisanes, parce qu'ils n'étaient pas contents de la décision et parce que le premier ministre disait qu'il était un député de Montréal et qu'il devait être réélu. Ce sont les mots exacts prononcés par le premier ministre et ses sbires.
Ces exemples déshonorants démontrent que ce gouvernement a une éthique très élastique. L'exemple que nous soulevons dans la motion d'aujourd'hui le démontre encore plus, puisque les libéraux nomment à un comité dit indépendant un groupe ultrapartisan, Unifor, qui s'est donné comme mission de détruire le chef de l'opposition officielle en disant qu'il était le pire cauchemar des conservateurs. C'est tout à fait inacceptable. C'est pourquoi nous demandons aux députés d'appuyer cette motion qui vise à préserver l'indépendance journalistique.