Madame la Présidente, je remercie le député de Québec de son intervention, sauf pour ce qu’il a dit au tout début.
Le premier ministre Pierre Trudeau a eu le bon sens de ne pas vouloir s’immiscer dans les chambres de la nation. Son fils n’a pas la sagesse, la sagacité, la perspicacité, l’intuition ou l’intelligence de comprendre que l’État n’a rien à faire dans les salles de nouvelles de la nation.
Nous savons que le premier ministre libéral peut réciter par cœur une explication compliquée de l’informatique quantique, mais il nous a donné la preuve qu’il n’a aucun respect pour l’indépendance pourtant essentielle du quatrième pouvoir. Je vais en faire un bref rappel qui sera consigné au hansard, à l’intention du premier ministre, de ses acolytes et même du nouveau ministre du Patrimoine.
Jadis, le royaume britannique comprenait trois états : le clergé, la noblesse et le peuple. Au fil du temps et avec l’évolution de la démocratie parlementaire, on en était arrivé à donner le statut de quatrième état, ou quatrième pouvoir, à la presse puis à la radio et enfin à la télévision. Dans ce quatrième état, il y avait les chroniqueurs indépendants, les protecteurs et les défenseurs des faits et de la vérité, les arbitres de la confiance du public, et finalement des analystes et commentateurs des trois autres états : la Couronne, les tribunaux et le gouvernement. Puis soudain, à la fin du siècle dernier, le journalisme traditionnel, au sens où nous l’entendions, a commencé à connaître de graves difficultés.
Ces difficultés, c’était la technologie, les publics fragmentés, les recettes publicitaires tout aussi fragmentées, et l’abandon par les nouvelles générations des journaux traditionnels et des bulletins de nouvelles radiodiffusés à heures fixes. Au même moment, les gens se tournaient de plus en plus vers les sources d’information numériques, vers les blogues numériques et vers des médias sociaux et antisociaux non réglementés.
L’industrie canadienne de l’information a commencé à s’effondrer. Les journaux ont réduit leurs effectifs, bon nombre de travailleurs ont été licenciés et des tentatives de consolidation ont échoué. Des dizaines de journaux ont disparu. La production de vraies nouvelles locales, nationales et internationales a été réduite à une peau de chagrin, décimant ainsi les salles de nouvelles de la radio et la télévision.
On ne réglera pas la crise que connaît l’industrie canadienne de l’information en prenant des mesures de mitigation ponctuelles, comme le propose — en cette année électorale — le gouvernement libéral dans son plan d'aide aux journaux en difficulté, car ces journaux sont des dinosaures de la presse écrite, malgré ce qu'en dit le ministre du Patrimoine.
On trouvera la solution avec le temps. Les salles de nouvelles de la presse écrite et du monde de la radiodiffusion peuvent s’adapter et subsister en se transformant en plateformes numériques durables et lucratives. Pour favoriser l'avènement au Canada de ces plateformes de journalisme numériques indépendantes, le gouvernement devra modifier sa politique et assurer l'adoption de règles équitables dans l’industrie de l’information. Cependant, comment une organisation peut-elle être vraiment indépendante si elle est tributaire de subventions du gouvernement, d’allégements fiscaux accordés temporairement grâce à une caisse noire ou d’une aide financière directe ?
Il ne faut pas oublier que ces centaines de millions de dollars, près de 600 millions, ne seront versés qu’aux organisations journalistiques canadiennes admissibles, c'est-à-dire celles qui auront d’abord fait une demande d’aide financière et auront été jugées admissibles, selon un concept tout à fait typique de l’État providence des libéraux. Il s'agit là d'un concept sentencieux qui permet de conférer à certaines organisations le label bureaucratique d’organisation journalistique admise. Pour être admissible, une salle de nouvelles doit employer au moins deux journalistes qui travaillent un minimum de 26 heures par semaine pendant au moins 40 semaines consécutives. De plus, le groupe d'experts déterminera également l’admissibilité d’une organisation selon l'acceptabilité subjective des nouvelles générées par une salle de nouvelles.
Le gouvernement libéral va aussi décider, par l’intermédiaire de ce groupe, quels journaux en difficulté recevront de l’argent et lesquels n’en recevront pas. C’est un concept épouvantable, un concept scandaleux, qui viole les principes fondamentaux du journalisme indépendant. Mais le pire, c’est que ce comité disparate a été créé sans aucune consultation préalable. Son plus grave défaut est bien sûr l’inclusion d’Unifor, un syndicat qui n’a cessé de clamer qu’il serait le pire cauchemar du chef de l’opposition pendant la prochaine campagne électorale.
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu des protestations d’un grand nombre des 12 000 journalistes en exercice qu’Unifor prétend représenter, des journalistes qui ont été forcés d’adhérer et de payer des cotisations à un syndicat qui sape le journalisme indépendant. Unifor mis à part, nous avons aussi entendu des protestations de journalistes représentés par d’autres syndicats qui ont été choisis parmi les huit associations du groupe libéral. Par exemple, la présidente de l’Association canadienne des journalistes a dit qu’elle avait appris que son organisation faisait partie du comité par la proclamation du gouvernement, sans avoir été consultée au préalable, et elle s’est dite préoccupée du fait que les décisions du comité ne seront pas transparentes et finales mais qu’elles seront sujettes à l’approbation du Cabinet libéral.
Les journalistes qui sont représentés par leur organisation au sein de ce comité ne sont pas les seuls à dénoncer la décision malavisée des libéraux de choisir les gagnants et les perdants de l’industrie canadienne de l’information. Le chroniqueur Andrew Coyne, par exemple, a fait remarquer que le plan libéral exclut tous ceux qui ne font pas partie de l’industrie canadienne de l’information telle qu’elle existe actuellement, et qu’il vise « non pas l’avenir, mais le passé de l’industrie de l’information; non pas les jeunes pousses dynamiques qui auraient des chances de sauver l’industrie mais les dinosaures dépassés qui sont en train de la mettre à mort ».
Le fondateur et rédacteur de The Logic, l’une de ces jeunes pousses dynamiques, David Skok, déplore que le statut à temps plein des journalistes qui est exigé pour le financement ne tienne pas compte du rôle crucial que jouent les journalistes pigistes dans l’écosystème de l’information. M. Skok a fait remarquer dans un éditorial que, « selon Statistique Canada, il y avait en 2016 environ 12 000 personnes qui se disaient « journalistes de profession ». De ce nombre, on peut raisonnablement en déduire que le nombre de personnes qui ne sont pas employées à plein temps dans une salle de nouvelles est de plusieurs milliers ».
Chantal Hébert, dont le principal employeur est le Toronto Star, sera très certainement jugée admissible aux largesses des libéraux. Mais cela ne l’a pas empêchée de dire que « le programme d'un demi-milliard de dollars des libéraux ne réglera pas la crise [qui sévit dans les salles de nouvelles]. Il est fort possible qu'il ne fasse que repousser l'inévitable. » Et Mme Hébert d’ajouter que « [...] parmi les chroniqueurs politiques, plusieurs craignent qu'il s'agisse d'un cadeau empoisonné qui finira par faire plus de mal que de bien à l'industrie de l'information ».
D’autres personnalités importantes se sont fait entendre. Par exemple, Andrew Potter, de l’Université McGill, a écrit : « C’est encore pire que ce qu’on aurait pu imaginer. « Un organe indépendant » composé uniquement de syndicats et de lobbyistes de l’industrie, c’est une catastrophe ».
Jen Gerson, chroniqueur à CBC et pour le magazine Maclean's, a publié un gazouillis disant: « Si ces associations ou syndicats étaient dignes de gérer ce comité “indépendant”, elles l’auraient déjà dénoncé ».
Dans un gazouillis, Aaron Wudrick, de la Fédération canadienne des contribuables, a déclaré ceci: « Croyez-moi, cela ne va pas stopper l’érosion de la confiance envers les médias. Au contraire, et ça commence déjà ».
David Akin, journaliste de Global News, qui est souvent assis dans la tribune au-dessus de nous, a invité le président du syndicat Unifor, Jerry Diaz, à venir le rencontrer avec des membres d’Unifor qui sont aussi membres de la tribune de la presse parlementaire. David a écrit sur Twitter: « Je propose d’organiser la réunion. Vous verrez par vous-même tous les dommages que vous nous causez, à nous et aux entreprises qui nous emploient, à notre crédibilité, et vous constaterez que vous êtes très mal informé ».
Le ministre des Finances ne peut pas justifier ce sauvetage de 600 millions de dollars dans une année électorale, parce qu’il n’a aucune idée de ce qui se passera après la période de subventions, ce qui est inacceptable. C’est un véritable gaspillage de deniers publics, car une intervention de l’État doit avoir pour objectif non seulement la survie à court terme de la presse écrite mais aussi la durabilité du journalisme numérique qui est en pleine évolution.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, la transformation et la survie de plateformes canadiennes de journalisme robustes et indépendantes exigent une réorientation de la politique et une volonté gouvernementale, mais comment des organisations peuvent-elles être indépendantes si elles dépendent de subventions, d’échappatoires fiscales temporaires ou d’aides financières directes du gouvernement?