Madame la Présidente, je partagerai mon temps de parole avec le député de Sherwood Park—Fort Saskatchewan.
L’institution de la liberté de la presse est le fondement de toute nation démocratique. C’est le principe selon lequel nous comprenons que les journalistes ou les fonctionnaires enquêtent sur les politiques, les politiciens, les allées et venues, et qu’ils font la lumière sur ce qui se passe dans notre pays en apportant parfois différents points de vue. Nous voulons ainsi nous assurer d’avoir les meilleures politiques publiques et de travailler à l’égalité des chances économiques. Quelle que soit notre allégeance politique, j’espère que nous sommes tous d’accord sur l’importance de l’institution de la liberté de la presse.
Je voudrais comparer l’institution de la liberté de la presse avec ce dont parlait mon collègue, à savoir l’industrie du journalisme. L’institution est différente de l’industrie. L’institution de la liberté de la presse n’implique pas que quelqu’un doive en tirer un profit. Ce dont nous parlons aujourd’hui, c’est de l’ingérence de l’État dans l’industrie de la presse, et nous nous demandons si cette ingérence est appropriée ou non pour assurer la survie de l’institution au Canada.
En 2013, le rapport de PwC intitulé « Online Global Entertainment and Media Outlook 2013-2017 » prévoyait que les revenus des journaux auraient chuté de 20 % en 2017. Cette situation n’est pas attribuable à un manque de lecteurs parmi les consommateurs, mais plutôt à une transition des recettes publicitaires, qui sont passées des médias imprimés aux médias en ligne. Ce ne sera une surprise pour personne à la Chambre, ni parmi les gens qui nous écoutent à la maison, si je vous dis que la façon dont nous consommons l’information a changé radicalement au cours des dernières années. Beaucoup d’entre nous consomment de l’information sur leur téléphone. Nous consommons l’information avec de courts clips vidéos. Nous consommons l’information qui nous arrive par le téléphone.
L’industrie du journalisme au Canada savait, grâce à ses propres prévisions et à des rapports comme celui-ci, que son modèle d’affaires était voué à l’échec. On est en droit de se demander pourquoi les contribuables canadiens devraient renflouer la presse imprimée, un modèle d’affaires qui périclite. Ces entreprises auraient dû savoir, comme toute industrie, qu’elles devaient s’adapter pour survivre. Quiconque possède une entreprise sait que les modèles d’affaires peuvent changer. Par exemple, regardez les compagnies de taxi quand Uber est arrivé. Quand quelque chose perturbe une industrie, il faut s’adapter si on veut survivre.
Nous nous demandons actuellement si le gouvernement devrait payer pour renflouer un modèle d’affaires ou une industrie qui ne fonctionne pas. Malheureusement, la réponse du gouvernement dans ce dossier touche directement à la liberté de presse. N’importe qui, quelle que soit son allégeance politique, doit être conscient de l’importance de cette question. Un parti politique ne devrait pas utiliser l’argent des contribuables de façon à nuire à la liberté de presse au Canada.
Comment cela peut-il se faire? Le premier ministre a utilisé 600 millions de dollars, ce qui représente beaucoup d’argent qui pourrait servir à payer beaucoup de choses, pour aider un groupe ciblé d’acteurs de l’industrie du journalisme, en fonction de critères que le gouvernement sélectionne lui-même. Si ces acteurs de l’industrie ne sont pas sympathiques au gouvernement au pouvoir, peut-on vraiment les trouver crédibles comme acteurs dans l’institution de la presse libre? C’est la question qu’on est en train de se poser.
Quiconque — libéral, vert ou néo-démocrate — devrait être aussi à l’aise avec un gouvernement conservateur qui choisirait de tels critères qu’avec le gouvernement actuel. Il serait plutôt difficile d’accepter que, disons, Stephen Harper ait le contrôle sur les médias canadiens. Ce qui n’est pas acceptable pour les conservateurs ne devrait pas l’être pour les libéraux, sinon, nous avons un fichu problème. Quelqu’un qui vote pour le NPD ou pour les verts devrait aussi être inquiet de la situation.
Arrêtons de nous demander pendant quelques instants si les contribuables canadiens devraient renflouer une industrie moribonde qui n’a pas réussi à passer au commerce en ligne. Ce qui est en jeu, c’est la crédibilité de toute institution journalistique qui retire de l’argent de ce fonds et de ceux qui choisissent de ne pas le faire ou qui n’y sont pas admissibles. Ceux qui ne reçoivent pas de cet argent pourront-ils concurrencer des gens qui ont maintenant un intérêt partisan — parce que c’est bien de cela qu’on parle, monsieur le Président, d’un intérêt partisan.
Le gouvernement a nommé Unifor pour siéger avec les personnes qui choisiront les critères pour la répartition des fonds. Unifor a déjà lancé une campagne publique, financée par les deniers publics, contre un parti politique représenté à la Chambre. En fin de semaine, dans le cadre des émissions parlant de politique, le chef d’Unifor a dit qu’il devait faire partie de ce groupe parce que, pour lui, c’est une question d’équité. Il a dit que d’autres représentants de l’industrie et des médias avaient déjà appuyé les conservateurs, et que c’était un juste retour des choses qu’il puisse faire la même chose.
Ce dont nous discutons ici, c’est de critères pour déterminer quel acteur partisan est le mieux placé pour influencer l’industrie sur laquelle repose la liberté de la presse au Canada. C’est dégoûtant.
Nous avons eu beaucoup de discussions à la Chambre au sujet de l’influence étrangère dans nos élections, et des fausses nouvelles. Chaque Canadien doit apprendre à évaluer de façon critique l’information présentée comme une nouvelle. Le gouvernement ne peut pas réglementer cela. Bon nombre des acteurs actuels de l’industrie canadienne ont réagi à cette baisse de la qualité du contenu en ligne en tentant de créer leurs propres plateformes médiatiques et en utilisant des « pièges à clics ». Nous n’avons plus beaucoup de journalisme écrit que je qualifierais de journalisme. Il y en a un peu, mais il s’agit en grande partie d’opinions de droite et de gauche. Pourquoi les contribuables canadiens paieraient-ils pour perpétuer une industrie moribonde qui cause un tel fossé dans notre démocratie?
Je sais pourquoi le gouvernement libéral agit de la sorte et pourquoi le NPD l’appuie. Quand on contrôle la presse, on contrôle les gens. C’est de ça qu’on parle. Jerry Dias a dit qu’il avait un compte à régler avec les médias conservateurs. Les gens ne peuvent pas contrôler la presse par l’intermédiaire de l’État. C’est normal de débattre vigoureusement de politique et d’avoir le goût de nous étrangler les uns les autres en raison de nos différends en matière de politique publique. Toutefois, il est honteux de prétendre, d’une manière ou d’une autre, que ce qu’on voit actuellement est autre chose que le contrôle de la presse par l’État.
Les chroniqueurs qui affirment que tout journaliste qui travaille pour une entreprise qui reçoit de l’argent de ce fonds devra travailler 10 fois plus fort pour être crédible ont raison, et ils ont le courage de le dire.
En fin de compte, ce renflouement ne sauvera pas la presse imprimée au Canada. La seule façon de s’en sortir est que ces entreprises trouvent le moyen de faire la transition vers la nouvelle réalité numérique, ce que beaucoup d’entre elles n’ont pas réussi à faire.
Je m’oppose avec la plus grande fermeté à toute forme d’ingérence dans ce dossier. Nous devons avoir une discussion sur le rôle de l’État dans le financement des grands journaux au Canada. Nous devons nous opposer à ce que des acteurs politiques partisans participent à la distribution de l’argent des contribuables pour sauver une industrie sur laquelle repose la liberté d’expression dans notre pays. Je refuse de me lever et de dire, en tant que conservatrice, que je serais ravie d’avoir un tel niveau de contrôle. Non, nous devrions avoir un débat vigoureux qui remet en question ce dogme, qui permet de perpétuer un monopole contrôlé par des acteurs partisans. C’est mal et il faut mettre un terme à une telle pratique.