Monsieur le Président, avant de commencer, j'aimerais indiquer à la Chambre que je vais partager mon temps de parole avec l'excellente députée de Toronto—Danforth.
Je suis très heureux d'être ici et de m'exprimer sur un sujet qui est extrêmement important pour nos communautés rurales et nos communautés francophones. C'est sous cet angle que je vais aborder la motion d'aujourd'hui.
Je suis d'accord qu'il est important, et même fondamental, d'avoir une presse libre et indépendante pour assurer la santé de la démocratie. C'est pour cela que notre gouvernement a fait preuve de leadership en annonçant des mesures qui permettront aux Canadiens de continuer à avoir accès à des journaux d'information fiable. Plus tard cette année, les Canadiens seront appelés à se prononcer sur le choix de leur prochain gouvernement. Comme à chaque élection, ils compteront sur une presse indépendante et fiable pour être bien informés sur les grands enjeux économiques, sociaux et environnementaux auxquels fait face notre pays et pour faire un choix éclairé.
Pourrait-on imaginer une campagne électorale sans couverture journalistique? Peut-on raisonnablement penser que ce serait là une avancée pour la démocratie? Poser la question, c'est y répondre. De même, peut-on croire que la population canadienne serait mieux servie si nous n'avions pas de presse libre, forte et indépendante pour surveiller ce que font les gouvernements et les institutions publiques et renforcer leurs obligations à rendre des comptes? Encore une fois, la réponse est évidente.
Il faut chercher longtemps pour trouver un système démocratique en santé qui n'ait pas de presse libre et indépendante. À l'inverse, malheureusement, il est assez facile d'établir une longue liste de dictatures et de régimes autoritaires pour qui la liberté de presse reste un concept complètement inconnu. Ceux qui critiquent ce que fait notre gouvernement prétendent que le laisser-faire est la meilleure solution pour garantir la liberté et l'indépendance de la presse. D'ailleurs, ce sont les mêmes qui critiquent CBC/Radio-Canada. Ils pensent que les journalistes peuvent être achetés et qu'on peut les corrompre. Ces théories du complot sont insultantes pour les journalistes canadiens, qui méritent mieux que ce genre de préjugés.
De ce côté-ci de la Chambre, nous ne sommes évidemment pas de cet avis. Nous respectons les journalistes et leur travail. Nous faisons confiance à leur intégrité et nous savons que ce sont des professionnels. Nous avons aussi une conviction: une presse en faillite n'est pas une presse libre. C'est évident. L'industrie des médias écrits traverse une crise grave. Au cours de la dernière décennie, plus de 200 journaux communautaires et une quarantaine de quotidiens ont fermé leurs portes au pays. Selon Statistique Canada, plus de 10 000 postes de journalistes ont disparu au cours de cette période. Cette crise s'accélère. Dans l'industrie, la réduction des coûts et l'élimination des postes ne sont pas l'exception, mais bien la norme, et ce, dans les petites organisations journalistiques comme dans les plus grandes.
Par exemple, le Globe and Mail, le plus important quotidien au pays, a annoncé tout récemment des compressions afin de réduire ses coûts d'exploitation de 10 millions de dollars par année. Aucun acteur de l'industrie n'y échappe. Depuis 2008, les revenus annuels globaux de l'industrie des journaux au Canada ont diminué de 42 %. Cette baisse est principalement attribuable à la chute de plus de 60 % des revenus de publicité. En 2017, les revenus publicitaires annuels des journaux canadiens étaient inférieurs à ce qu'ils étaient 10 ans plus tôt de 1,7 milliard de dollars. Il s'agit d'une perte considérable qui ébranle la viabilité de toute l'industrie. De plus en plus d'annonceurs délaissent l'imprimé et se tournent vers Internet pour y mettre leurs publicités, mais les médias canadiens en ligne profitent très peu de cette nouvelle manne.
Cette transformation de l'univers médiatique a un impact direct et important sur la quantité, la qualité et la diversité des informations journalistiques fiables auxquelles les Canadiens ont accès. Dans un grand nombre de communautés de partout au pays, on assiste au déclin de la couverture journalistique des sujets d'intérêt public. L'accès aux nouvelles locales est plus particulièrement compromis dans de nombreuses communautés des zones rurales à la suite des nombreuses fermetures et réductions de postes.
Par rapport à cet enjeu, on parle de la responsabilité des gouvernements, non seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial et surtout au niveau local. C'est extrêmement important que l'on ait une presse libre et présente dans nos communautés, parce qu'elle est la seule gardienne de la responsabilité des gouvernements locaux chez nous, dans nos petites communautés. Je veux insister sur ce point, car il s'agit d'une menace sérieuse à la santé et à la viabilité de notre démocratie.
Si on ne fait rien, au cours des prochaines années, d'autres journaux vont fermer leurs portes, le nombre de journalistes qui couvrent les enjeux d'intérêt public va continuer à diminuer et la menace à la santé de notre démocratie ne va que s'intensifier.
Nos communautés rurales seront les premières à en souffrir. Nos groupes minoritaires seront gravement touchés, en particulier ceux en situation linguistique minoritaire, comme la communauté de Prescott—Russell, où la majorité des citoyens sont des francophones en milieu minoritaire en Ontario.
Il n'y a pas de pire moment pour baisser les bras. Nous n'acceptons pas de nous résigner et d'accepter la loi du marché, comme le voudrait le camp d'en face. J'ajouterais que nous sommes à une époque où Internet s'impose comme l'outil privilégié des Canadiens pour accéder à une diversité de contenus, y compris l'information. On sait aussi que l'exactitude de l'information contenue dans un grand nombre de sites, souvent d'origine étrangère, est pour le moins douteuse.
Je ne surprendrai personne en disant que les réseaux sociaux peuvent être d'une efficacité redoutable pour diffuser des fausses nouvelles et lancer des campagnes de désinformation visant à manipuler l'opinion publique. Plus que jamais, nous avons besoin d'information journalistique fiable pour faire contrepoids à la désinformation et aux fausses nouvelles qui se multiplient rapidement partout au pays.
Notre gouvernement s'est engagé à ce que tout geste visant à appuyer le journalisme assure le respect intégral de l'indépendance de la presse. Nous avons respecté cet engagement et nous allons continuer à le faire. Un grand nombre de démocraties occidentales ont mis en place, depuis des décennies, des politiques et des programmes d'appui aux médias d'information écrits, et ce, sans entraver l'indépendance de la presse. Si d'autres l'ont fait, nous pouvons y arriver nous aussi.
L'approche de notre gouvernement est de faire appel à un comité indépendant d'experts pour définir et préciser les critères d'admissibilité aux mesures fiscales d'appui au journalisme. Nous sommes convaincus que c'est important que le comité reflète la diversité de l'industrie et ses différents segments, les patrons comme les employés, mais aussi la diversité linguistique et ethnique de notre société.
C'est une formule qui permettra de mettre en œuvre des mesures d'appui au journalisme justes et efficaces, tout en respectant l'indépendance de la presse. À mon avis, il est clair que la motion de l'opposition officielle doit être rejetée par la Chambre. Nous appuyons une presse indépendante, mais il faudra la soutenir dans les années à venir.