Monsieur le Président, je suis ici pour parler du projet de loi C-92, qui porte sur la prise en charge des enfants autochtones, un sujet particulièrement important pour les résidants de ma circonscription, North Island—Powell River.
J'aimerais prendre un instant pour remercier l'ensemble des intervenants qui représentent les communautés et les groupes autochtones, métis et inuits de ma circonscription. Je les remercie de l'excellent travail qu'ils font tous les jours au nom des enfants.
Dans les communautés autochtones, les enfants sont sacrés. Je pense à certaines communautés que je représente. Je songe à l'aînée Elsie Paul. Elle m'a dit que les enfants étaient considérés comme des cadeaux offerts par le Créateur pour que la communauté les élève, et elle m'a expliqué ce que l'enlèvement de ces enfants représentait pour la communauté.
Je pense à Alberta Billy, une aînée d'une autre communauté autochtone que je représente. Elle m'a parlé des conséquences de la colonisation et des pensionnats indiens pour la communauté. Elle m'a demandé d'imaginer comment ma collectivité réagirait si on lui enlevait tous ses enfants de 4 à 16 ans. Je pense à tous ces aînés qui ont souffert et qui ont vu leur communauté souffrir à cause de la colonisation, des pensionnats indiens, de la rafle des années 1960 et d'une foule d'autres épreuves.
Nous devons également examiner les chiffres, et j'en ai quelques-uns aujourd'hui.
Il y a 112 ans, le Dr Bryce, un médecin hygiéniste, a établi un lien entre les iniquités du financement fédéral pour la santé et les décès évitables d'enfants des Premières Nations.
Il y a 73 ans, des experts en bien-être des enfants ont demandé que l'on améliore le soutien aux familles pour réduire le nombre d'enfants des Premières Nations confiés aux soins de l'État. Cela témoigne de quelque chose d'important que nous n'avons toujours pas fait, soit prendre des mesures de prévention et soutenir les collectivités touchées.
Il y a 38 ans, des experts ont demandé à ce qui s'appelait à l'époque Affaires indiennes et du Nord Canada de régler les conflits de compétence qui entraînaient des refus de services aux enfants des Premières Nations.
Il y a 12 ans, l'Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada ont entamé des poursuites contre le Canada pour des violations des droits de la personne.
Deux rapports du Bureau du vérificateur général ont confirmé l'iniquité du financement des services à l'enfance depuis 2008.
Plus de 165 000 enfants des Premières Nations sont touchés par les services discriminatoires du Canada.
Le nombre approximatif de nuits que les enfants des Premières Nations ont passées en famille d'accueil depuis 2007 s'élève à 25 millions.
Ces chiffres sont surprenants et ce qu'ils nous racontent devrait tous nous inquiéter.
Depuis 2016, sept ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne ont exigé que le Canada mette fin à sa discrimination. Combien de ces ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne le Canada a-t-il respectées? Zéro.
Chaque fois que nous prenons la parole à la Chambre pour parler des enfants autochtones, nous devons toujours nous souvenir de Jordan River Anderson, un enfant de la nation crie de Norway House, décédé au Manitoba en 2005, à l'âge de cinq ans, après que le gouvernement de la province et le gouvernement fédéral se soient disputés pendant des années pour déterminer qui allait payer les soins à domicile dont il avait besoin. Il s'agit d'une tragédie qui n'illustre que trop bien le cœur du problème. Il faut accorder l'importance qui se doit aux enfants autochtones et aux communautés qui les aiment. Ce jeune garçon est mort parce que deux ordres de gouvernement ne parvenaient pas à décider qui allait fournir l'argent nécessaire.
Personne ne souhaiterait que leur enfant soit traité de la sorte, alors je profite de l'occasion pour reconnaître cet enfant précieux et sacré, qui était un cadeau du Créateur et qui aurait dû être soutenu et protégé par tous, y compris le Canada, ainsi que sa famille qui a travaillé si fort pour l'aider malgré cette fin tragique. Nous ne devons pas l'oublier.
Aujourd'hui, il y a trois fois plus d'enfants autochtones pris en charge par le gouvernement qu'au pire de la période des pensionnats. Les conditions des enfants pris en charge aujourd'hui et leur sort sont souvent tragiques et de nombreux experts affirment que les conséquences modernes du Programme des services à l'enfance et à la famille s'appelleront désormais « la rafle du millénaire ». C'est dévastateur. Cela montre que l'histoire du pays se répète, et c'est inacceptable.
™J'aimerais profiter de l'occasion pour saluer les nombreux artistes autochtones qui se sont exprimés, que ce soit par l'art, la poésie ou la musique. Nous avons peine à reconnaître les répercussions que cela a eues sur la culture des Métis, des Premières Nations et des Inuits de partout au pays.
Je me permets de citer les paroles de membres de la nation Haisla.
L'une est: « Mon nom m'échappe. »
En voici une autre:
Cinq cents ans, mon peuple s'est fait rabaisser
Cinq cents ans, mon peuple a sans cesse lutté
Cinq cents ans de plus, pour toute notre jeunesse
Pendant cinq cents ans, le tambour a résonné sans cesse.
Nous nous trouvons dans cette importante enceinte, où sont prises d'importantes décisions qui auront des répercussions à long terme sur les gens. Il est dommage que le gouvernement ait attendu aussi longtemps pour présenter le projet de loi et qu'il faille maintenant précipiter les choses.
C'est dur pour moi. Je prends la chose très au sérieux. J'en ai parlé à la Chambre et en comité, à titre de vice-présidente. J'ai parlé de ce que c'est que d'être parent d'accueil dans une réserve, de tous les efforts que nous avons dû déployer dans la communauté pour essayer de garder les enfants chez eux, en contact avec leur culture. Je pense à mon mari, qui a emmené des enfants en tutelle, de jeunes hommes, à la rivière au moment où leur voix muait. Nous tenons à perpétuer pour eux la tradition qui veut qu'à ce changement d'âge, ils accomplissent le dur travail qui consiste à sortir pour obtenir l'appui de la communauté afin de procéder aux bains sacrés.
Voilà que nous nous précipitons pour faire adopter le projet de loi. Les enfants autochtones ont besoin que nous agissions. Toutefois, j'ai un peu peur qu'à cause de cette précipitation, nous ne fassions pas bien les choses. Certes, nous aurons adopté le projet de loi, mais nous n'aurons pas bien fait les choses. Les enfants autochtones méritent beaucoup mieux que cela.
J'ai mentionné les deux rapports du Bureau du vérificateur général qui font état de l'échec des gouvernements canadiens qui se sont succédé pour ce qui est de la prise en charge des enfants des Premières Nations. En 2008, dans son rapport, la vérificatrice générale a constaté que, depuis 1990, au moment de la création du programme des services à l'enfance et à la famille, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien donnait de l'argent « aux Premières nations, à leurs organismes d'aide à l'enfance et aux provinces pour couvrir les coûts de fonctionnement et d'administration des services d'aide à l'enfance dans les réserves ainsi que les coûts liés à la prise en charge d'enfants ».
La vérificatrice générale avait aussi conclu que, en 2008:
Le financement accordé par Affaires indiennes et du Nord Canada [...] n’est pas calculé en fonction des coûts réels. La formule de financement du Ministère, qui date de 1988, est utilisée à l'échelle nationale. Elle n’a pas été modifiée afin de tenir compte des différences dans la législation et la prestation des services à l’enfance des provinces ou du nombre d’enfants pris en charge.
Ce constat montre bien qu'il y a un problème systémique. Il montre que, en réalité, les enfants autochtones ont été laissés pour compte et qu'on ne leur a pas accordé d'importance. Non seulement ils ont été laissés pour compte, mais le soutien financier et préventif dont les familles et les communautés ont désespérément besoin ne sont pas non plus une priorité.
Le Canada connaît son histoire. Nous connaissons notre passé colonialiste. Nous savons qu'on a dévalué les Autochtones du Canada. Nous savons qu'on a tenté de détruire les communautés autochtones de multiples façons. Il faut assumer les conséquences de ses gestes.
L'une des choses qui me préoccupent beaucoup au sujet du projet de loi, c'est qu'il ne prévoit rien de concret au chapitre du financement. Il y a une petite allusion à ce sujet, mais c'est loin d'être suffisant. Il s'agit d'une loi-cadre. Ce projet de loi est censé créer quelque chose d'assez fort pour encadrer les mesures législatives présentées par les communautés autochtones. Si on ne prévoit pas les ressources nécessaires, ce sera un autre échec. Un autre rapport du vérificateur général nous dira que nous n'avons toujours pas réglé le problème.
En 2011, la vérificatrice générale a encore indiqué que:
En dépit des nombreux efforts déployés par le gouvernement fédéral pour donner suite à nos recommandations et améliorer les programmes destinés aux Premières nations, nous constatons que la qualité de vie et le bien-être des personnes vivant dans les réserves ne se sont pas améliorés. Les services offerts dans les réserves sont rarement comparables à ceux offerts ailleurs par les provinces ou les municipalités. Les conditions de vie dans les réserves restent médiocres. Des changements sont nécessaires si l’on veut que les Premières nations profitent davantage des services qui leur sont offerts.
De nombreuses années se sont écoulées depuis ce rapport. Le Tribunal des droits de la personne a rendu une décision en 2016. Le gouvernement a reçu sept ordonnances de non-conformité. Nous débattons ce soir, au Parlement, d'une mesure législative découlant de cette décision. Je suis inquiète parce qu'il est important d'agir, mais que je ne vois que de l'inaction. Je m'inquiète surtout au sujet des ressources requises pour nous attaquer aux problèmes systémiques qui sont en cause, le racisme et la discrimination qui sont inhérents à notre système. Il faudra beaucoup de travail et de ressources pour éradiquer ces problèmes. Si nous voulons améliorer la situation des communautés autochtones, si nous voulons honorer les Premières Nations, les Inuits et les Métis, nous devons enfin allouer les ressources nécessaires.
Le Tribunal des droits de la personne du Canada a conclu que la prestation et le financement de services par l'ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien étaient inférieurs à ceux de services provinciaux comparables et que le ministère avait fait preuve de discrimination raciale. Il a ordonné au gouvernement de combler l'écart de financement et de mettre en œuvre le principe de Jordan. Or, en date de juin 2017, le gouvernement avait dépensé 707 000 $ pour lutter contre cette décision, ce qui est vraiment triste.
L'étude du projet de loi C-92 nous rappelle que l'histoire se répète. Je voterai pour ce projet de loi. Je fais confiance aux communautés autochtones du pays, qui sauront s'acquitter des tâches difficiles qui leur incomberont.
Je tiens à souligner toutefois que certains groupes autochtones, comme l'Assemblée des chefs du Manitoba, s'opposent nettement au projet de loi. J'ai demandé au comité d'en tenir compte et de voir à ce que les communautés autochtones aient un droit de retrait, mais qu'elles obtiennent quand même les ressources dont elles ont désespérément besoin pour améliorer la situation. Or, ce n'est pas encore prévu dans le projet de loi, et pourtant, c'est nécessaire. Il est temps d'apporter de véritables changements. Il est bon d'en parler, mais il est important d'agir aussi.
Le projet de loi établirait des normes nationales, mais de nombreuses questions et lacunes demeurent, y compris en ce qui a trait aux responsabilités, aux compétences, à la collecte de données, à la production de rapports et, surtout, au financement. Le projet de loi prévoit que la question du financement serait réglée par des négociations entre le gouvernement du Canada, les groupes autochtones et les provinces, ce qui signifie qu'il pourrait y avoir une grande variation à cet égard.
À titre de députée de North Island—Powell River, je représente de petites communautés autochtones. Souvent, elles sont très isolées et elles rencontrent beaucoup de difficultés qui leur sont particulières. Je ne sais pas si le projet de loi qui nous est soumis suffira, mais je vais surveiller ce qu'il adviendra et continuer de proposer des solutions. Ces petites communautés doivent surmonter de très grandes difficultés, et il leur est très difficile de se doter des moyens nécessaires. Il faut qu'elles puissent avoir leur mot à dire. Elles doivent pouvoir suivre une démarche qui leur donnera espoir. Cependant, il y a lieu de craindre que les ressources nécessaires ne soient pas au rendez-vous.
Beaucoup de gens ont témoigné devant le comité, et les questions qu'ils ont abordées sont nombreuses. La vaste majorité des témoins a exprimé des inquiétudes. Ils voulaient que des principes régissant le financement soient inscrits dans le projet de loi. Nous n'avons pas pu faire adopter l'amendement nécessaire. Cependant, nous surveillerons tous très étroitement l'évolution de la situation.
Le gouvernement avait la possibilité d'appuyer les dispositions sur le financement que presque tous les témoins ayant comparu devant le comité ont appuyées. Nous avons eu droit à des demi-mesures. Cette situation me préoccupe, et je vais surveiller la suite des choses. Nous allons parler aux communautés pour déterminer si elles constatent que des progrès sont réalisés, comme le gouvernement nous l'a assuré. Il faut que des progrès soient réalisés. Assez, c'est assez.
Ces enfants ont le droit d'être des enfants. Or, quand ils ne jouissent pas des ressources ou du foyer dont ils ont désespérément besoin, on les prive de ce droit.
Natasha Reimer, fondatrice de Foster Up, a déclaré ce qui suit devant le comité:
Oui. Je pense que le financement est un volet clé. En l'absence de fonds, de services et de ressources adéquats, nous ne nous acquittons pas de nos obligations à l'égard de ces enfants et ces jeunes. Nous les laissons à eux-mêmes et dans l'impossibilité de s'épanouir ou de réaliser leur plein potentiel. À mon avis, il est essentiel que nous ayons un texte législatif qui assure l'allocation de fonds à cette fin et que ces ressources soient optimisées dans la pleine mesure possible, car c'est de la vie des enfants dont nous parlons ici. Ils méritent une chance. Après tout, ce sont des enfants.
C'est triste de voir le nombre d'enfants dans notre pays qui n'ont pas eu le droit d'être des enfants. Nous avons entendu des témoignages d'enfants qui avaient passé de grandes parties de leur enfance placés; ils nous ont parlé des difficultés qu'ils avaient vécues. Ils nous ont dit à quel point leur retour chez eux avait été difficile, qu'ils ne savaient plus qui ils étaient, avec qui et quand établir des liens. Nous avons eu des témoins qui faisaient partie de plusieurs nations et ne savaient pas vers laquelle se tourner ou vers qui se tourner en premier, ni comment faire.
Il est clair que le système ne fonctionne pas. Les témoins qui nous ont parlé de leurs problèmes de toxicomanie nous l'ont montré. Un d'entre eux nous a parlé des problèmes qu'il éprouvait en nous expliquant combien il lui avait été difficile d'apprendre à être un parent parce qu'il ne savait pas ce que cela voulait dire. Je pense que nous devons, nous ici, en assumer la responsabilité, puisque les décisions ont été prises ici. Cette décision-ci doit être prise et elle doit l'être de façon respectueuse; ces enfants le méritent.
Voici ce qu'a dit Naiomi Metallic, de l'institut Yellowhead:
Cette question [le financement] est étroitement liée à celle de la compétence parce qu'en fait, si la loi ne prévoit pas de financement ni de reddition de comptes adéquats, ce projet de loi ne fera que donner aux Autochtones le pouvoir de légiférer sur leur propre pauvreté.
Un autre problème qui a été soulevé est celui du nombre d'enfants qui sont retirés de leur communauté parce que celle-ci ne possède pas les ressources ni les produits de première nécessité requis pour subvenir à leurs besoins, ce qui ne devrait jamais arriver. Cela ne signifie pas que nous devrions laisser des enfants dans des logements insalubres; cela veut dire que la Chambre doit assumer ses responsabilités et déterminer comment elle peut agir dans ce dossier. Il s'agit toujours d'un problème. Nous ne savons toujours pas où nous en sommes avec le plan autochtone pour le logement. Je trouve cela très désolant, surtout à notre époque.
Je me soucie également beaucoup de l'intérêt de l'enfant. Le principe a été défini par les tribunaux provinciaux et fédéraux du Canada. Lorsque je me suis mariée, je suis devenue membre de la Première nation Homalco et, lorsque mon mari et moi avons eu nos enfants, on m'a dit que la relation entre parent et enfant était considérée comme totalement sacrée et que rien ne devait jamais s'immiscer dans cette relation d'amour. Par le passé, dans cette communauté, les tantes et les oncles s'occupaient de la discipline parce qu'on ne voulait pas que cela puisse empêcher les parents d'aimer leur enfant. Certaines choses sont faites de certaines façons, et il est important de le reconnaître.
Je tiens à remercier le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, qui a dit ceci:
[...] [Les] articles sur l'intérêt de l'enfant devraient être modifiés pour indiquer clairement que les instances dirigeantes des Premières Nations qui adoptent des lois prescrivant les facteurs de détermination de l'intérêt des enfants s'ajoutent aux facteurs prévus dans le projet de loi, venant reconnaître et soutenir nos façons de prendre soin des enfants et des familles. C'est important, car pour certains de nos peuples, nous ne retirons pas l'enfant. Nous retirons la personne qui cause du tort à l'enfant et nous gardons la famille intacte. Nous sommes convaincus que c'est dans l'intérêt de l'enfant. Nos lois doivent être affirmées et nos pratiques, soutenues pour préserver l'unité familiale.
Par conséquent, les députés doivent comprendre que les communautés autochtones font les choses différemment. Bien franchement, je pense que nous avons beaucoup à apprendre de cela. Ce qui me préoccupe, c'est que le projet de loi n'est pas suffisamment clair pour faire en sorte que le principe soit clairement défini dans ces collectivités. Il a déjà été défini par les tribunaux au pays, ce qui pourrait être un grave problème. Je ne crois pas que cet aspect soit traité aussi clairement qu'il le pourrait.
Je sais que mon temps de parole tire à sa fin, alors je saisis l'occasion pour saluer les membres des Premières Nations à la Chambre, de même que les communautés autochtones, les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et dire à quel point il est triste que nous devions débattre de cette question ici aujourd'hui. Cela n'aurait jamais dû se produire. L'histoire du Canada est une honte.
Comme le disait ma grand-mère, nous devons rectifier la situation. Ainsi, j'entends appuyer le projet de loi et je suis impatiente de continuer de travailler dur pour bien faire les choses.