Monsieur le Président, je partagerai mon temps de parole avec le député de Calgary Forest Lawn.
Cet accord a certainement été un parcours cahoteux pour le Canada. Il a suscité beaucoup de tensions — le mot « stress » serait peut être plus juste — pour une foule de Canadiens et d’entreprises canadiennes. Nous avons travaillé avec un président qui menaçait de déchirer l’ALENA pendant que se posaient toutes sortes d’autres enjeux aux États-Unis, comme les élections, et l’ALENA a très certainement retenu l’attention depuis quatre ans. Il est très important de parler maintenant de la suite de l’histoire, de la façon dont nous en sommes arrivés là où nous sommes et de la raison pour laquelle nous avons fini par être une cible au lieu d’avoir un accord qui rendrait l’Amérique du Nord plus concurrentielle sur le marché mondial.
Il y a deux ans et demi, le premier ministre s’est porté volontaire pour renégocier l’ALENA, et c’est très bien. On ne voyait trop quel était son but, par contre. Je ne crois pas qu’il avait un objectif clair à l’esprit. Je ne crois pas qu’il avait une idée claire du résultat qu’il souhaitait, et cela a causé beaucoup de stress et d’échecs au fur et à mesure du déroulement des négociations.
Nous pourrions considérer le nouvel ALENA comme une occasion de rendre l’Amérique du Nord plus concurrentielle, de créer un environnement à l’échelle de l’Amérique du Nord et de tirer parti de toutes les forces que le Mexique, les États-Unis et le Canada ont à offrir, de les rassembler et de livrer une solide concurrence sur le marché mondial. Nous avions cette occasion et n’avons pas su la saisir. C’est frustrant pour les entreprises canadiennes, et frustrant pour les entreprises de toute l’Amérique du Nord, car nous n’avons pas atteint l’objectif à notre portée.
Le Mexique appelle cela l’ALENA 0,8; pour nous, c’est l’ALENA 0,5. En réalité, ce n’est pas un bon accord. Il est mauvais, mais le monde des affaires préfère avoir un mauvais accord en l’occurrence plutôt que de ne pas en avoir, de laisser déchirer l’accord existant et de ne rien avoir. Après tout, 70 % de notre commerce se fait avec les États-Unis, soit quelque 2 milliards de dollars d'échanges commerciaux par jour. La réalité, c’est que nous nous sommes retrouvés avec un accord que les États-Unis et le Mexique ont négocié et auquel le Canada s’est rallié plus tard. Comment cela s’est-il passé?
Je vais parler un peu des jeux de coulisse qui se déroulaient à Washington à ce moment-là. Lorsque j’y suis allé pour la première fois après l’élection de Trump, l’ancienne chef du Parti conservateur Rona Ambrose et moi avons visité le Congrès. Très rapidement, nous avons constaté certaines choses. La première, c’est que le Canada n’était pas la cible de ces tractations. Des membres de la Chambre des représentants et du Sénat nous ont dit qu’ils avaient des difficultés avec le Mexique. Nous leur avons dit que s’ils renégociaient l’ALENA, ils devraient le faire aussi avec le Canada. Ils nous ont dit: « Nous n’avons pas de problèmes avec le Canada. C’est insensé. » Ils ne comprenaient même pas la relation entre le Canada et les États-Unis. Ils ne mesuraient pas toute l’importance de cette relation et toute l’ampleur des échanges entre les deux pays.
L’ancienne chef conservatrice et moi-même avons offert de les aider parce que, s’ils ne faisaient pas les choses correctement, cela nous coûterait beaucoup d’emplois et notre économie en souffrirait énormément. Nous avons collaboré étroitement avec le Parti libéral. Cela ne fait aucun doute. Nous ne nous en sommes pas cachés. J’ai organisé des tables rondes un peu partout au Canada et j’ai demandé à des entreprises canadiennes ce qu’elles attendaient de cet accord. Le comité a siégé pendant l’été pour donner à la ministre la chance de nous dire à quoi l’accord pourrait ressembler une fois achevé, mais elle n’a pas saisi l'occasion. Elle a fait étalage de vertu en parlant de ce qu’elle aimerait inclure dans l’accord, des idées que les libéraux savaient que le président des États-Unis n’accepterait jamais, des idées qui n’ont contribué en rien à accroître la compétitivité du Canada, mais c’était leur point de départ. Dès ce moment, nous savions que nous étions en difficulté.
J’admets que des députés de tous les partis ont très bien collaboré dans ce dossier. Que ce soit au sein du comité du commerce ou du groupe Canada-États-Unis, ils ont bien travaillé ensemble. Où les choses ont-elles dérapé? Ce qui est très grave et qui montre à quel point les situations peuvent s’aggraver parfois, c'est que les choses ont dérapé au Cabinet du premier ministre et au cabinet de la ministre. Les députés ont fait un excellent travail pour souligner aux élus américains, à l’échelon des États et à l’échelon fédéral, l’importance de la relation entre nos deux pays. Lorsque nous allons aux États-Unis, les élus américains nous rappellent les chiffres que nous leur avons donnés sur l’importance de cette relation. Comment se fait-il que le Canada soit devenu la cible plutôt que le Mexique?
Pendant ses discours de campagne électorale aux États-Unis, de quoi Trump parlait-il? Il parlait de construire un mur. Il disait que l’ALENA était horrible et que les Mexicains prenaient tous les emplois. Il disait que le commerce avec la Chine était horrible et que les Chinois prenaient tous les emplois. Il disait que les États-Unis avaient perdu tous leurs emplois. La seule chose qu’il mentionnait à propos du Canada, c’était le secteur laitier. Il voulait avoir accès au marché canadien des produits laitiers. Il n’appréciait pas que nos producteurs laitiers soient prospères tandis que ceux des États-Unis étaient pris dans un système qui ne leur permettait pas de prospérer. En réalité, les Américains ne voulaient pas expédier du lait au Canada; ils voulaient plutôt obtenir le même prix que les Canadiens pour leur lait en Ohio.
Qu’est-ce qui a changé? Je me rappelle avoir rencontré le secrétaire Ross, qui a dit: « Tout va bien entre le Canada et les États-Unis. En fait, il devrait y avoir quelques changements ici, nous devrions peut-être inclure le Canada dans les dispositions sur l'achat aux États-Unis, en tant que 51e État. » Je me souviens qu’il a ajouté que nous devrions conclure ensemble un accord commercial avec le Japon.
Nous avons été invités à la table des négociations avec le Japon, si cela nous intéressait. Nous avons préféré le PTP qui, à mon avis, est une meilleure voie. Cela montre cependant à quel point la relation était bonne à ce moment-là par rapport à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Cela nous ramène à la façon dont le Cabinet du premier ministre et la ministre ont géré leur relation avec le président des États-Unis.
Nous avons dit très publiquement que le premier ministre n’avait pas besoin d’être son meilleur ami, mais qu’il ne devait pas le provoquer. Je l’ai mis en garde. Il n’est pas sage de critiquer le président dans un discours à New York, c’est à dire dans sa cour. Cela donne peut-être au premier ministre l’occasion d’être invité à l’émission Saturday Night Live et d’être la coqueluche de tous les médias de gauche des États-Unis; le premier ministre est peut-être content d’être populaire auprès des médias américains de gauche, mais quel prix devra-t-il payer pour cela? Des emplois canadiens.
Après le Sommet de Montréal, quel a été l’effet des commentaires que le premier ministre a faits au sujet du président? Ils ont conduit à l’imposition des droits de douane sur l’aluminium et l'acier. Pour ce genre de choses, il ne peut pas se retenir. Il veut être un premier ministre populaire aux États-Unis. Moi, j’ai besoin d’un premier ministre fonctionnel ici au Canada, pas d’un premier ministre populiste aux États-Unis.
Avec la ministre, c’est pareil. Certains de ses articles publiés aux États-Unis étaient insultants à l’endroit du président. Pourquoi agir de la sorte au beau milieu des négociations avec notre principal partenaire commercial?
Monsieur le Président, comment réagiriez-vous si je vous insultais là, maintenant? Me couperiez-vous la parole et me sommeriez-vous de m’asseoir, ou me laisseriez-vous poursuivre?
C’est exactement ce qu’ils ont fait là-bas. C’est ce que le premier ministre et la ministre ont fait aux États-Unis. C’est ce qui a créé les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. C’est pour cela que nous nous retrouvons avec l’ALENA 0.5.
Nous aurions beau aller là-bas pour établir une solide relation entre la Maison-Blanche et le Parlement, ils n’auraient de cesse de détruire cette relation. Je suis certain que notre ambassadeur là-bas a dû s’arracher les cheveux quand il a reçu des directives pour faire du lobbying au nom du Canada, dont certaines étaient manifestement anti Trump ou anti républicaines. Pourquoi faire cela au beau milieu des négociations de notre plus important accord commercial? C’est incroyable.
Cela est arrivé à maintes reprises. Il faut raconter cette partie de l’histoire ici au Canada afin que les Canadiens comprennent pourquoi nous commençons à perdre des emplois, pourquoi nous avons renoncé à certains marchés, pourquoi ne pouvons pas agrandir une autre usine d’automobiles au Canada. Ce n’est pas parce que nous étions la cible dès le début. Ce sont les actions de ces bureaux qui ont créé cette situation problématique.
Nous allons appuyer cet accord. Comme je l’ai dit, un mauvais accord est mieux que pas d’accord du tout. Il y a trop d’emplois en jeu.
Il sera intéressant de suivre la situation. Face à ce qui se passe au Mexique et aux États-Unis et aux batailles qu’ils se livrent entre eux, il sera intéressant de voir si le premier ministre pourra vraiment rester à l’écart. Il sera intéressant de voir comment la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, va manœuvrer le projet de loi et comment nous allons nous y prendre. Même si nous croyons avoir un accord signé, tant que les démocrates américains ne l’auront pas adopté au comité des voies et moyens de la Chambre des représentants, nous n’avons pas vraiment d’accord définitif. Je pense qu’il est important que nous le fassions en même temps qu’eux. C’est la voie que le comité envisage.
Il n’aurait pas été nécessaire de procéder ainsi si nous avions abordé la question de la bonne façon avec le président des États-Unis. Lorsqu’il a dit qu’il avait des problèmes de main-d’œuvre au Mexique, nous aurions pu dire que nous en avions aussi. Lorsqu’il a dit que la Chine faisait du dumping de son acier dans son pays, nous aurions pu dire qu’elle en faisait également ici. Le Canada était lui aussi aux prises avec un grand nombre des problèmes dont le président américain parlait pendant sa campagne. Nous ne construisons pas de mur. Nous ne faisons pas de folies du genre. Nous n’avons pas besoin de le faire. Le Mexique est un bon partenaire commercial et un bon ami. Toutefois, la réalité, c’est qu’il y avait des possibilités de tirer parti des mêmes préoccupations que les États-Unis et de conclure un accord qui nous aurait permis d’être encore plus concurrentiels sur la scène internationale.
Un autre échec de cet accord concerne le bois d’œuvre. Les Canadiens doivent le savoir. En réalité, il y a beaucoup de choses dans cet accord que nous devons régler.
Le 21 octobre, les Canadiens vont changer de gouvernement, et nous aurons la responsabilité, encore une fois, de corriger toutes les divergences que les libéraux ont laissées en plan. Nous allons les régler. Nous retournerons aux États-Unis avec une attitude positive; nous serons accessibles et nous traiterons chaque question séparément. Un gouvernement dirigé par le chef de l’opposition réglera ces problèmes. Les Canadiens peuvent s’en réjouir.
Entretemps, cet accord sera adopté et, je l’espère, ratifié parce que, comme je l’ai dit, l’instabilité créée par l’absence d’un tel accord est bien pire que ce que nous avons actuellement.