Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat sur le projet de loi C-88, Loi modifiant la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et la Loi fédérale sur les hydrocarbures.
Ce projet de loi, comme beaucoup d'autres dont la Chambre a été saisie, est débattu et adopté à toute vapeur par la Chambre durant les derniers jours de la session, avant que l'ajournement pour l'été. Il importe de souligner que le projet de loi a seulement été étudié lors d'une réunion du comité des affaires autochtones et du Nord avant la tenue de l'étude article par article. Ainsi, nous n'avons pas entendu de témoignages d'intervenants comme l'Inuvialuit Regional Corporation, l'Association canadienne des producteurs pétroliers et la Chambre de commerce des Territoires du Nord-Ouest.
Récemment, nous avons été témoins de retards législatifs pour d'autres projets de loi importants, comme le projet de loi C-92, qui a été adopté à l'étape de la troisième lecture par la Chambre le 3 juin, la semaine dernière. Il est tout à fait inacceptable que les libéraux aient si mal géré leur calendrier législatif pour ce qui est des projets de loi dont nous sommes saisis actuellement, à quelques jours de la fin de la session.
Le projet de loi C-88 fait partie d'une longue tradition des libéraux, qui consiste à faire disparaître l'exploitation des ressources naturelles au pays. Le projet de loi modifie le paragraphe 12(1) de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, pour que le gouverneur en conseil puisse arbitrairement interdire les activités pétrolières et gazières dans les zones extracôtières de l'Arctique. En vertu de cette mesure législative, le gouvernement n'aurait qu'à évoquer l'intérêt national pour interdire l'exploitation pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort. Comme le projet de loi ne définit pas le terme « intérêt national », le gouvernement aurait le pouvoir discrétionnaire absolu d'interdire les activités pétrolières et gazières dans les zones extracôtières de l'Arctique. Les possibilités de développement économique dans le Nord seraient donc limitées et contrôlées par les ministres à Ottawa. Encore une fois, sous l'actuel gouvernement, c'est la devise « Ottawa knows best » qui prime.
Nous avons déjà vu les libéraux révéler leur paternalisme quand il était question des débouchés économiques pour les collectivités du Nord. Il suffit de remonter à décembre 2016; pendant que le premier ministre était à Washington, il a annoncé qu'il y aurait un moratoire sur l'exploitation du pétrole et du gaz naturel dans la mer de Beaufort. Non, il n'était pas dans le Nord du Canada. Il était en fait en compagnie du président Obama à Washington.
Aucune consultation n'a été tenue avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest avant l'annonce de ce moratoire à Washington. En fait, les dirigeants territoriaux de l'époque ont reçu moins d'une demi-heure de préavis avant que le premier ministre déclare le moratoire, aux États-Unis — le plus loin possible du Nord canadien.
En instaurant unilatéralement un moratoire sur l'exploitation du pétrole et du gaz naturel dans la mer de Beaufort, les libéraux disent aux collectivités du Nord qu'Ottawa est la mieux placée pour prendre cette décision. Par leurs actions, les libéraux disent que les habitants du Nord n'ont pas le droit de profiter de leurs propres possibilités économiques sans l'approbation du gouvernement fédéral actuel.
Nous avons entendu de nombreux témoins en comité nous parler des répercussions dévastatrices du moratoire imposé par les libéraux aux habitants du Nord. Wally Schumann, le ministre de l'Industrie, du Tourisme et de l'Investissement et ministre de l'Infrastructure des Territoires du Nord-Ouest, a déclaré ce qui suit à ce sujet:
J'imagine que nous pouvons être vraiment francs devant le Comité.
Initialement, lorsqu'il a été mis en place, nous n'avons pas vraiment reçu un préavis concernant toute la question du moratoire et du potentiel dans la mer de Beaufort. Il y avait des millions et des millions — peut-être même des milliards — de dollars de dépôts de soumission et de baux fonciers là-haut. Le moratoire a éliminé tout espoir que nous avions de mettre en valeur la mer de Beaufort.
Merven Gruben, maire de Tuktoyaktuk, s'est lui aussi prononcé sur la question. Il était très déçu par la décision unilatérale des libéraux de déclarer un moratoire touchant les habitants du Nord. Il s'est dit très préoccupé par l'impact d'une telle interdiction sur les habitants de sa collectivité. Il a dit:
Il est si facile, assis ici, de juger les gens qui vivent à 3 500 kilomètres et de prendre des décisions en leur nom, particulièrement en ce qui concerne le moratoire imposé dans la mer de Beaufort. Ce moratoire devrait être levé, merci beaucoup. Cela permettrait de reprendre les activités et de donner des emplois, de la formation et tout ce que nous voulons à notre population.
Malheureusement, les libéraux s'entêtent à faire la sourde oreille aux habitants du Nord, et ce sont les collectivités qui se retrouvent à devoir faire les frais de l'arrogance des libéraux. Il ne fait absolument aucun doute que le projet de loi C-88 n'est qu'une nouvelle façon pour le gouvernement libéral de créer la discorde dans le dossier de l'extraction pétrolière et gazière. Pour quelle autre raison le Cabinet se donnerait-il l'autorité de faire entrave au développement économique et chercherait-il à alourdir de plus belle les formalités administratives auxquelles sont soumis les promoteurs de projets énergétiques?
Le projet de loi complique encore davantage l'exploitation des ressources énergétiques dans le Nord en obligeant les promoteurs à devoir surmonter de nouveaux obstacles avant de pouvoir se mettre au travail.
De nombreux intervenants se sont dits préoccupés par ces dispositions hostiles à l'énergie et très politisées. La Chambre de commerce des Territoires du Nord-Ouest compte parmi les nombreux intervenants qui souhaitent que soient enfin retirées du projet de loi les dispositions qui donnent au gouverneur en conseil le pouvoir d'interdire le développement de ressources pétrolières et gazières. Elle a soumis un mémoire à notre comité. Elle y dit s'opposer à l'idée que le gouverneur en conseil soit l'autorité finale pour ce qui est d'interdire le développement pétrolier et gazier.
Voici un extrait du mémoire en question:
La décision définitive doit être approuvée par la nation autochtone de la région visée, qui est l’intendante de la région et qui dépend aussi des terres pour l’indépendance économique de ses membres et celle de l’ensemble des territoires du Nord.
De toute évidence, en faisant adopter à toute vitesse le projet de loi C-88 sans aucun amendement, les libéraux font preuve d'un manque d'intérêt total envers les points de vue et les préoccupations des collectivités du Nord qui seront fortement touchées par cette mesure. Une fois de plus, le gouvernement libéral fait la sourde oreille à ces voix du Nord.
La Société régionale inuvialuite figure aussi parmi les intervenants importants qui ont exprimé de graves inquiétudes à propos du projet de loi C-88. Malheureusement, ni la Société régionale inuvialuite ni la Chambre de commerce des Territoires du Nord-Ouest n'ont eu l'occasion de témoigner devant notre comité puisque, comme je l'ai déjà mentionné, nous n'avons eu qu'une journée pour entendre des témoins dans ce dossier crucial.
Les libéraux ont une fois de plus précipité les choses. La mauvaise gestion du programme parlementaire par les libéraux et le fait que ces derniers ont attendu à la dernière minute pour soumettre ce projet de loi à l'examen de la Chambre ont causé cette situation.
À l'instar de nombreux autres intervenants cruciaux, la Société régionale inuvialuite s'oppose au pouvoir unilatéral d'interdire l'exploitation pétrolière et gazière dans les zones extracôtières de l'Arctique, que le projet de loi confère au gouverneur en conseil.
Il n'est pas surprenant que la Société régionale inuvialuite s'oppose au pouvoir arbitraire accordé aux politiciens à Ottawa de déterminer le sort de l'exploitation des ressources énergétiques dans le Nord. Le projet de loi C-88 indique que le gouverneur en conseil peut interdire les projets d'exploitation pétrolière et gazière s'il estime que cela « est dans l'intérêt national ». Toutefois, le projet de loi C-88 indique-t-il en quoi consiste l'intérêt national? Le projet de loi C-88 indique-t-il aux collectivités nordiques en quoi consiste l'intérêt national? Bien sûr que non.
Comme dans le cas de nombreuses autres politiques libérales anti-énergie, seuls les libéraux peuvent décider ce qui constitue une question d'intérêt national. Le projet de loi ne fait que renforcer le credo arrogant voulant que les libéraux aient toujours raison.
Étant donné que la Société régionale inuvialuite n'a pas eu l'occasion de témoigner au sujet des discussions entourant le projet de loi C-88, je tiens à lire certaines des grandes préoccupations qu'elle a soulevées dans le mémoire qu'elle a présenté au comité.
Tout d'abord, il convient de souligner que la Société régionale inuvialuite est un organisme qui a été créé en 1984 pour gérer le règlement qui fait partie de la Convention définitive des Inuvialuits. Les Inuvialuits occupent la région désignée des Inuvialuits et un secteur qui déborde celle-ci.
La Convention définitive des Inuvialuits a été la première entente sur les revendications territoriales globales a être conclue au nord du 60e parallèle et la deuxième seulement à l'être dans toute l'histoire du Canada.
Pourquoi cette entente a-t-elle été si importante pour les Inuvialuits et pourquoi ont-ils négocié avec le gouvernement du Canada? Comme l'a dit la Société régionale inuvialuite, les négociations sur les revendications territoriales ont été menées « pour remédier à leur influence limitée sur l'accroissement des activités de développement dans leurs terres et dans les vastes zones marines de la région désignée des Inuvialuit ».
Puis, à court terme, les Inuvialuits sont parvenus à une entente sur leurs revendications territoriales, en partie pour pouvoir exercer une plus grande influence sur les activités de développement dans leurs propres terres.
Dans ce contexte, la Société régionale inuvialuite a transmis par écrit ses sérieuses réserves par rapport au pouvoir que le projet de loi donnerait à Ottawa pour déclarer des moratoires relatifs aux activités pétrolières et gazières sur ses terres. En fait, l'organisme a déjà vu le premier ministre imposer un moratoire sur une partie importante de la région désignée des Inuvialuits lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir en 2016. Au sujet de cette interdiction, la Société a écrit ceci:
Il importe de souligner que l’imposition du moratoire par le premier ministre a été faite sans consultation avec les Inuvialuit, ce qui violait la CDI, et sans que soient pris en compte le cadre établi et les promesses faites aux termes de l’Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources des Territoires du Nord-Ouest.
Les libéraux ont tout simplement saisi l'occasion, en 2016, d'imposer unilatéralement un moratoire sur les activités pétrolières et gazières dans le Nord alors que le premier ministre, comme je l'ai dit plus tôt, n'était même pas au pays. Il se trouvait aux États-Unis à la recherche de séances de photos et de publicité gratuite. Les libéraux n'ont consulté aucun intervenant avant de prendre cette décision. Pire encore, au lieu de s'excuser aux nombreuses communautés nordiques qui souffrent à cause du moratoire, les libéraux précipitent l'adoption du projet de loi C-88, comme nous le voyons ce soir, pour faire en sorte de pouvoir interdire unilatéralement l'exploitation pétrolière et gazière dans le Nord aussi souvent qu'ils le veulent.
Si on se fie au texte du projet de loi C-88, le gouverneur en conseil peut interdire une activité seulement s'il estime que c'est dans l'intérêt national. La Société régionale inuvialuite et les conservateurs aimeraient toutefois savoir ce que les libéraux entendent par « intérêt national »
Voici ce que la Société avait à dire là-dessus:
Le critère de l’intérêt national fait problème, car il ferait passer les priorités nationales du jour avant les priorités des Inuvialuit dans leur territoire traditionnel. Cela s’apparenterait à des mesures d’expropriation qu’un électeur du sud subirait sans que le gouvernement le dédommage. Le projet de loi C-88 ne définit pas ce qu’est l’intérêt national et il n’intègre pas non plus la nécessité expresse de prendre en considération comment il faudrait faire la part des choses entre l’intérêt national et la capacité des titulaires de droits de garantir leur avenir économique.
Malgré les réserves des Autochtones du Nord, les libéraux n'ont pas manqué une seule occasion de prouver — pensons à leurs nombreuses politiques anti-secteur de l'énergie — qu'ils n'ont aucunement l'intention de concilier leur vision de l'intérêt national avec celle des groupes autochtones qui ne partagent pas leur hostilité pour l'exploitation des ressources naturelles.
Hélas, le projet de loi C-88 est loin d'être la seule mesure législative libérale à nuire aux peuples autochtones du pays. Nous venons par exemple d'apprendre qu'ils craignent sérieusement les retombées du projet de loi C-69, sur les évaluations environnementales à la sauce libérale.
Le président-directeur général du Conseil des ressources indiennes et membre de la nation crie de Samson, Stephen Buffalo, a déclaré ce qui suit:
Les communautés autochtones sont à la veille d'accomplir une percée économique majeure, qui, enfin, permettra aux Autochtones de participer à la prospérité économique du Canada. Le projet de loi C-69 les arrêtera en plein élan.
De son côté, le chef de la nation Kainai — ou tribu des Blood—, Roy Fox, avait ceci à dire au sujet du projet de loi C-69:
[...] Les chefs de la plupart des nations du Traité no 7 et moi-même nous opposons fermement au projet de loi en raison de ses conséquences dévastatrices possibles sur notre capacité de faire vivre les membres de notre communauté, car il serait pratiquement impossible pour ma tribu de profiter pleinement de l'exploitation de nos ressources énergétiques.
Le projet de loi C-48, qui prévoit l'interdiction des pétroliers dans le Nord de la Colombie-Britannique est un autre projet de loi anti-énergie que les libéraux imposent contre la volonté des principaux intervenants autochtones. Le projet de loi C-48 ferme la porte au projet d'oléoduc Eagle Spirit, qui est appuyé par plus de 35 Premières Nations. Ce projet de corridor énergétique d'une valeur de 17 milliards de dollars qui appartient aux Autochtones peut offrir des débouchés économiques à de nombreuses communautés autochtones. Toutefois, tout comme le projet de loi C-88, le projet de loi C-48 dont nous sommes saisis ce soir est un autre projet anti-énergie qui nuit aux communautés autochtones et témoigne d'une condescendance à leur égard. Le projet de loi C-48 reprend le même discours que le gouvernement libéral d'Ottawa fait aux communautés autochtones quand il leur dit qu'elles ne peuvent pas s'occuper de l'exploitation de leurs propres ressources naturelles si cela ne va pas dans le sens du programme libéral du jour.
Les collectivités autochtones sont fatiguées du paternalisme que leur témoigne constamment ce gouvernement libéral anti-énergie. Le président et chef de direction d'Eagle Spirit Energy, Calvin Helin, qui est membre de la Première Nation Lax Kw'alaams, a fait le commentaire suivant à propos du point de vue des 35 Premières Nations qui sont en faveur du pipeline Eagle Spirit. Il a affirmé que ces Premières Nations « n'appréciaient pas l'ingérence des étrangers, particulièrement ceux qu'elles perçoivent comme étant de riches héritiers, qui viennent dicter la politique gouvernementale sur les terres traditionnelles qu'elles ont gérées pendant plus de 10 000 ans ».
Or, il est clair que les libéraux n'accordent pas une place à ces points de vue autochtones dans l'idée qu'ils se font de l'intérêt national; donc, ils n'en tiennent pas compte. L'indifférence des libéraux à l'égard des préoccupations de ces groupes autochtones a amené le conseil des chefs du projet Eagle Spirit à lancer en 2018 une campagne GoFundMe pour payer les frais juridiques d'une contestation judiciaire du projet de loi C-48. Les responsables de ce projet ont décrit ce triste état des choses en disant que les gens les plus pauvres du pays devaient entreprendre une démarche contre un ministère de la Justice fédéral aux ressources illimitées. D'autres groupes autochtones ont aussi entamé des poursuites ou prévoient le faire selon l'issue du processus législatif lié au projet de loi C-48.
Malheureusement, les libéraux n'ont pas écouté les points de vue autochtones dans ce cas-là et ils n'écoutent pas les points de vue autochtones des communautés du Nord aujourd'hui. Il est on ne peut plus clair que la seule chose qui intéresse les libéraux est la mise en oeuvre de leurs politiques anti-énergie, quel qu'en soit le prix. Or, le prix est humain. C'est la capacité des communautés du Nord de prendre les rênes de leur développement économique qui est en jeu.
Les libéraux n'ont cessé de promettre qu'ils allaient travailler avec les habitants du Nord. Il ne reste que quelques jours à cette législature. Quand vont-ils tenir cette promesse?