Monsieur le Président, j'ai le plaisir de donner aujourd'hui mon appui au projet de loi C-235, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (troubles causés par l’alcoolisation foetale).
L'alcool est l'une des substances les plus toxiques qu'un être humain peut consommer. Hélas, s'il est ingéré pendant la grossesse, il traverse les parois du placenta et compromet le développement du foetus. Certains enfants naissent alors avec l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale, ou ETCAF.
L'ETCAF a été diagnostiqué pour la première fois il y a un peu plus d'une quarantaine d'années, lorsque les spécialistes ont remarqué qu'un ensemble d'enfants étaient atteints de malformations comparables, mais les effets de ces troubles ne sont pas que physiques, loin de là. Les personnes atteintes de l'ETCAF peuvent avoir des problèmes de mémoire et d'attention; elles peuvent avoir tendance à ne pas prendre soin d'elles-mêmes, à avoir du mal à prendre des décisions ou à interagir avec les autres; elles peuvent aussi souffrir de divers problèmes de santé mentale, comme la dépression et la dépendance. Elles peuvent enfin avoir du mal à maîtriser leurs émotions, à organiser et planifier leurs activités quotidiennes ou à faire certaines tâches essentielles pour mener une vie productive.
En raison de ces déficiences, il leur arrive souvent d'avoir des démêlés avec la justice et de causer toutes sortes d'autres problèmes lorsqu'elles sont incarcérées. Les conséquences de l'ETCAF sont aussi vastes que nombreuses et elles peuvent toucher autant l'enfant lui-même que sa famille et son entourage.
L'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale, ou ETCAF, touche près d'un enfant sur 100 au Canada, ce qui donne une idée de sa prévalence. Selon certaines données recueillies au Canada, ces troubles sont plus fréquents dans les régions rurales, les systèmes de familles d'accueil, le système judiciaire pour les jeunes, et les populations autochtones.
Il existe souvent des liens entre la prévalence plus élevée de l'ETCAF parmi les enfants autochtones et les traumatismes historiques qui se perpétuent sur plusieurs générations. Les recherches et les données sur les conséquences de l'ETCAF se sont multipliées au cours des dernières décennies, et on a entrepris d'instaurer des programmes qui visent à prévenir l'ETCAF et à répondre aux besoins particuliers des personnes atteintes.
Le temps est venu d'examiner la situation de l'ETCAF dans le système de justice pénale. Dans ses appels à l'action, la Commission de vérité et réconciliation demande d'ailleurs au gouvernement du Canada et aux gouvernements provinciaux et territoriaux d'entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints de l'ETCAF.
Voyons maintenant pourquoi le projet de loi à l'étude est important. Comme l'a mentionné mon collègue, le député de Yukon, il poursuit plusieurs objectifs. Premièrement, il vise à définir l'ETCAF. Deuxièmement, il permettrait aux tribunaux d'ordonner des évaluations relatives à l'ETCAF lorsqu'ils ont des motifs raisonnables de croire que le délinquant pourrait être atteint de ces troubles et que ceux-ci auraient peut-être joué un rôle dans l'infraction commise. Troisièmement, le projet de loi permettrait aux tribunaux de considérer l'ETCAF comme une circonstance atténuante pour la détermination de la peine. Quatrièmement, on fournirait aux personnes atteintes de ces troubles un plan de soutien externe à leur libération.
Il est important de comprendre que le projet de loi ne vise pas à excuser les comportements répréhensibles par l'ETCAF. Une personne qui enfreint la loi doit répondre de ses actes. Comme les cas d'ETCAF ne présentent pas tous des signes physiques visibles et comme la personne atteinte n'a pas toujours reçu un diagnostic étant jeune, il importe que les tribunaux soient en mesure d'ordonner une évaluation lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne est atteinte. Une personne atteinte pourrait découvrir la cause de son état qu'à son entrée dans l'appareil de justice pénale. Afin d'aider les délinquants atteints, il est essentiel que le système de justice pénale fasse appliquer des mesures de dépistage de l'ETCAF. Plus il sera possible de repérer tôt les délinquants atteints, plus nous serons en mesure d'éviter qu'ils commettent des crimes plus graves et de gérer les difficultés qu'ils vivent en milieu carcéral.
Il s'agit maintenant de savoir pourquoi il importe de considérer l'ETCAF comme circonstance atténuante dans le processus de détermination de la peine. Lorsqu'une personne enfreint la loi, il faut la tenir responsable de ses gestes, certes, mais il importe aussi de garder une vue d'ensemble et de tenter comprendre les raisons à l'origine de ceux-ci.
Comme je l'ai dit plus tôt, les personnes atteintes de l'ETCAF peuvent souffrir d'une foule de symptômes qui peuvent notamment les amener à ne pas comprendre les conséquences de leurs actes, ce qui les rend plus susceptibles d'avoir des démêlés avec la justice.
Nous devons comprendre que ces personnes sont nées avec un trouble du développement parce qu'elles ont été exposées à l'alcool avant même de naître. Nous devons comprendre qu'elles sont victimes d'un trouble. Il faut donc trouver le juste équilibre entre la nécessité de tenir compte des effets de ce trouble sur les délinquants et celle de tenir ces personnes responsables de leur actes. Ce projet de loi permettrait aux tribunaux de le faire.
Selon Santé Canada, pas moins de 9 bébés sur 1 000 nés au Canada sont atteints de l'ETCAF. Les personnes atteintes souffrent d'une foule de déficiences physiques et mentales, y compris la difficulté à comprendre les conséquences de leurs gestes. Par conséquent, bon nombre des victimes de l'ETCAF aboutissent dans le système de justice et les prisons du Canada. Selon des données, l'ETCAF affecte de 10 % à 23 % des détenus au pays.
L'Association du Barreau canadien, l'organisme qui représente les professionnels du droit au Canada, convient que ce problème touche un trop grand nombre de personnes, et elle a exprimé son appui à l'égard du projet de loi C-235. L'association trouve injuste qu'un si grand nombre de personnes atteintes de l'ETCAF soient poursuivies par le système de justice. J'aimerais citer textuellement une lettre de l'ABC que le député de Yukon devrait avoir fait parvenir à tous les députés cette semaine. La lettre dit ceci:
Nous croyons que le projet de loi C-235 est une étape importante en vue de combler certaines des lacunes observées dans le cadre actuel [...]
Le projet de loi C-235 propose plusieurs changements qui sont conformes à des suggestions antérieures de l'ABC. L'ABC appuie la proposition de changement visant à définir l'ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale à l'article 2 du Code criminel. L'ABC appuie aussi une modification visant à permettre à un juge d'ordonner l'évaluation d'une personne qu'il soupçonne être atteinte de troubles causés par l'alcoolisation foetale. Nous croyons que cette mesure permettrait aux tribunaux de rendre des décisions plus adaptées à la situation des personnes atteintes de ces troubles. L'ABC appuie la modification proposée aux dispositions relatives à la détermination de la peine figurant à l'article 718.2 du Code criminel afin de permettre à un juge de considérer comme circonstance atténuante, pour la détermination de la peine, le fait que le délinquant est atteint de troubles causés par l'alcoolisation foetale. Nous sommes aussi d'accord avec la disposition qui exigerait que les juges ajoutent aux conditions de l'ordonnance de probation du délinquant l'obligation de se conformer à un plan de soutien externe établi pour qu'il reçoive le soutien dont il a besoin pour favoriser la réussite de sa réinsertion sociale. Enfin, nous appuyons la modification proposée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui exige expressément que le Service correctionnel du Canada tienne compte des besoins particuliers ou des limitations des personnes atteintes de troubles causés par l'alcoolisation foetale. Le problème que constitue l'incarcération de ces personnes est pressant, et on ne peut plus en faire abstraction plus longtemps.
Il s'agit d'un solide appui de la part de la profession juridique. Nous devons agir pour aider les personnes incarcérées atteintes de troubles causés par l'alcoolisation foetale et pour veiller à ce qu'elles reçoivent le soutien dont elles ont besoin pour réintégrer la société. C'est pourquoi j'exhorte tous les députés à envisager de voter en faveur de ce projet de loi très important.