Monsieur le Président, c'est avec beaucoup d'intérêt que je me lève aujourd'hui pour joindre ma voix à celle de nombreux citoyens, particulièrement à celle de nombreux historiens de ce pays, pour débattre ce projet de loi du gouvernement conservateur, le projet de loi C-49 visant à modifier la Loi sur les musées afin de constituer le Musée canadien de l'histoire.
À mon humble avis, cette idée n'est pas très bonne ni très heureuse. Évidemment, cela va totalement à l'encontre de ce qu'on entend depuis plusieurs heures maintenant, mais je pense avoir quelques éléments qui méritent d'être partagés, réfléchis et dont on devrait discuter.
Pourquoi est-ce une mauvaise idée? D'abord, je soupçonne fortement que le gouvernement conservateur, particulièrement le ministre du Patrimoine canadien, méconnaît ce qu'est l'histoire, ceux qui la font, ainsi que les enjeux entourant l'enseignement, l'éducation et l'histoire canadienne. D'ailleurs, les dernières minutes d'échanges m'incitent à croire encore plus fermement ce que j'avance. Je parle de l'histoire avec un grand H, car nous parlons de la science et non pas de l'histoire canadienne.
Après tout, il y a peut-être une excuse. Peut-être est-ce le ministre du Patrimoine canadien et non pas le ministre de l'Histoire. Cela expliquerait la confusion, car si on parle de patrimoine, il est plus facile de faire la liste ou l'accumulation des biens identitaires et culturels d'un pays, d'un peuple ou d'une nation.
Effectivement, les objets historiques font bien partie du patrimoine. Cependant, l'histoire elle-même, le récit historique et l'identité canadienne ne sont pas si faciles à mettre en vitrine. Si tel était le cas, il y a bien longtemps que les historiens auraient cessé de produire des ouvrages sur la colonisation du Canada, par exemple, sur l'instauration du parlementarisme dans notre pays ou sur l'émancipation des femmes dans notre société.
Si nous débattons encore aujourd'hui de ces sujets, c'est la preuve que notre compréhension de ces phénomènes n'est pas figée dans le temps. Quand je dis « nous », je fais davantage référence aux historiens qu'aux politiciens. Mettre ces phénomènes dans un musée, c'est risquer de clore le débat et de travestir la réalité.
Soyons encore plus clairs: créer un musée avec des objets qui incarnent l'histoire et l'identité canadienne relève d'une conception ou d'une vision particulièrement rétrograde de l'histoire. Il ne se trouve plus beaucoup d'historiens au Canada et dans le monde pour décrire la science de l'histoire de cette façon.
Bien des historiens diront que cette idée n'a pu germer que dans la tête d'un conservateur. En ce moment, j'utilise le terme « conservateur » dans son sens le plus littéral. Je pense donc à un conservateur qui préfère que les choses soient conservées en l'état et peut-être même par l'État. Qui sait? L'idée que l'histoire est une vérité immuable, écrite, éternelle et prête à être mise au musée est une idée qui n'a plus cours aujourd'hui. Tenons-nous le pour dit.
Il y a peut-être une exception. Il y a eu un grand projet de musée d'histoire en France voulu par le président Sarkozy. Toutefois, après de très nombreuses oppositions, le projet s'est lamentablement écroulé de lui-même. L'exemple de la France n'est pas toujours l'exemple à suivre, je suis d'accord. Cependant, sur la question des musées, il ne serait pas inutile d'aller voir ce que font nos partenaires. Il me semble qu'en matière de musée, la France possède tout de même une certaine expertise qui mérite le respect.
Il paraît que l'idée du musée d'histoire est venue, de son propre aveu, du ministre du Patrimoine canadien. Je l'ai entendu en personne. Or depuis quand les politiciens s'occupent-ils de problématiques entourant l'histoire? On laisse cela aux historiens.
Comme politiciens, nous avons à la rigueur le loisir, peut-être même le devoir, de constituer cette histoire par nos actions et par nos contributions, mais jamais celui d'imposer notre façon de la voir. Les politiciens s'occupent de commémorations et de célébrations d'événements historiques, mais pas d'histoire avec un grand H. Ces questions sont bien trop sérieuses pour les politiciens que nous sommes. Il faut bien le dire, nous ne sommes pas tous spécialisés en matière d'enseignement de l'histoire.
De grâce, laissons l'histoire aux historiens et la question des musées aux muséologues, ou à tout le moins, consultons-les avant d'aller plus loin. D'ailleurs, l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université a émis un certain nombre de réserves, notamment sur la méthode. Les membres de cette associations disent:
Nous exhortons le ministère du Patrimoine canadien à interrompre le processus de transformation du musée et à créer un groupe d’experts en matière historique et muséale apte à formuler des recommandations quant aux orientations les plus appropriées pour le renouvellement de ce site patrimonial remarquable.
On constate l'emploi du verbe « exhorter ». Ce n'est pas un petit verbe de la langue française. Ils ne disent pas « nous demandons », « nous conseillons » ou « nous suggérons », mais bien « nous exhortons le ministère du Patrimoine canadien ».
Donc, il faut bien dire qu'il ne s'agit pas simplement de la création d'un nouveau musée qui apparaîtrait de nulle part et qui grandirait, comme une génération spontanée. Il s'agit de la transformation d'un musée qui existe déjà et qui a déjà acquis ses lettres de noblesse.
Comme je le disais, ces questions sont bien trop sérieuses pour les politiciens que nous sommes. Laissons l'histoire aux historiens et les musées aux muséologues. Laissons-les s'entendre entre eux pour définir la matière, les orientations, les problèmes et les sujets qui seront exposés au Musée canadien des civilisations, qui sera éventuellement rebaptisé. Il est toutefois clair que la Société du Musée canadien des civilisations est une société d'État constituée en vertu de la Loi sur les musées. À ce titre, le ministre du Patrimoine canadien en est responsable et la loi détermine le mandat du musée.
Avant de changer une équipe gagnante, à savoir l'un des musées les plus visités au Canada, et certainement un des plus connus à l'extérieur de nos frontières, pourquoi le ministre ne consulte-t-il pas davantage les divers interlocuteurs pertinents? Par exemple, il pourrait consulter le Comité permanent du patrimoine canadien, les intervenants de la région de l'Outaouais, la communauté des historiens et les Premières Nations, qui sont fortement impliquées et présentes dans l'actuel Musée canadien des civilisations.
Une fois l'annonce faite, des consultations publiques ont été entreprises dans une douzaine de villes du Canada, mais cela a tout l'air de consultations bidon puisque la décision est déjà prise. Tout à l'heure, j'entendais que des contrats étaient déjà signés. Alors je me demande bien quel est le travail que l'on est en train de faire à la Chambre.
Les exemples de prises de décisions sur cette question ne me laissent malheureusement aucune lueur d'espoir. La fermeture soudaine et le démantèlement hâtif du Musée canadien de la poste démontrent le manque de transparence total qui entoure le processus. Il y a bien eu des consultations très dirigées, qui ont d'ailleurs connu un succès limité. Ces consultations n'ont cependant pas permis aux citoyens de remettre en question le choix de transformer le musée, et ce, malgré l'opposition de nombreux citoyens qui se sont déplacés pour y participer. Bref, le ministre intervient dans un domaine qui ne représente pas sa tasse de thé, sans consulter à fond les spécialistes.
Monsieur le Président, je vous mentirais en disant que j'ai une totale confiance en ce projet de loi et en l'avenir de ce musée. En fin de semaine, au moment où je lui parlais du projet de loi, un ami historien me disait ceci. Je le cite, parce que j'aurais difficilement pu écrire mieux: « Il est difficile de se prononcer sur les véritables intentions d'un gouvernement conservateur aussi peu enclin à révéler les dessous de cette affaire qu'à permettre l'exposition des dessous féminins. » Le reste fut une discussion courtoise entre amis.
Un autre aspect de ce projet de loi me gêne particulièrement. En modifiant le mandat et le nom du Musée canadien des civilisations, on introduit l'idée auprès du public que le pouvoir politique, c'est-à-dire le gouvernement conservateur du Canada, peut décider seul du contenu et de la signification des expositions qui y seront présentée, ou fortement les influencer. Cette possibilité d'ingérence de la partisanerie politique dans une institution scientifique et culturelle reconnue partout dans le monde m'est absolument insupportable.
L'artiste que je suis, ou que modestement j'essaie d'être, est absolument allergique à toute forme d'utilisation de la culture et des arts à des fins partisanes. Alors que les scientifiques et les artistes regardent le monde avec créativité et sens critique, le monde politique est en général assez frileux, notamment le parti d'en face.
Comme mon temps de parole file à toute vitesse, je passerai sous silence quelques arguments que j'avais encore en réserve. Je conclurai en disant que c'est parce que je suis persuadé que l'histoire canadienne et les historiens du Canada méritent mieux que je ne peux appuyer un tel projet de loi.
Le rôle d'un gouvernement, en matière de culture, est de permettre d'ouvrir des débats, d'offrir des lieux de rencontre, de recherche et d'expression. Je ne peux pas appuyer cette initiative partisane qui fait la promotion de symboles conservateurs: attachement aux personnages de la monarchie, insistance sur les valeurs militaires en contexte civil, célébration démesurée d'anciennes guerres et j'en passe.
Il s'agit d'une stratégie délibérée de réécriture de l'identité canadienne. Cela n'est pas le rôle de la Chambre des communes, et cela ne constitue pas le mandat d'un député, ni celui d'un ministre.