Je vous remercie d'avoir invité S.U.C.C.E.S.S. à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous croyons que le sujet de votre étude est important, et nous sommes honorés de vous communiquer notre point de vue.
Pour fournir un peu de contexte à ceux d'entre vous qui ne connaissent pas bien S.U.C.C.E.S.S., je précise que nous faisons partie de l'un des plus importants organismes d'aide aux immigrants et aux réfugiés du Canada. Notre organisme a 46 ans d'histoire. Nous offrons un vaste éventail de services sociaux et de services d'intégration à plus de 61 800 clients par année. Nos clients proviennent de divers milieux et vivent une expérience d'intégration particulière au Canada. Par conséquent, mon exposé d'aujourd'hui sera donné du point de vue d'un fournisseur de services d'intégration pour les nouveaux arrivants au Canada.
Nous croyons que toutes les formes de haine, y compris la haine en ligne, accentuent l'exclusion et la marginalisation des membres de nos collectivités. C'est une attaque perpétrée contre nos valeurs de Canadiens accueillants, ouverts et inclusifs, ainsi que contre la sécurité de nos collectivités, une attaque qui n'a pas sa place.
La technologie en ligne, qui présente d'énormes avantages en matière de promotion du savoir, d'échange d'information et d'établissement de relations, est utilisée pour répandre des messages haineux et pour radicaliser des gens. La haine en ligne touche un grand nombre de membres de nos collectivités. Je me souviens d'avoir aperçu, plus tôt cette année, des statistiques provenant d'une enquête nationale menée par l'Association d'études canadiennes. L'enquête a révélé que près de 60 % des Canadiens ont vu des formes de discours haineux affichés sur les médias sociaux. Nous croyons que les stratégies de lutte contre la haine en ligne doivent tenir compte de l'expérience des nouveaux arrivants, qui sont d'importants utilisateurs de la technologie numérique ainsi que la cible fréquente de discours haineux.
Selon notre interaction avec de nouveaux arrivants, que ce soit directement ou dans le cadre de notre travail de développement communautaire, nous constatons que, pour diverses raisons, bon nombre d'entre eux peuvent hésiter à signaler toute forme de crime et, à plus forte raison, la haine en ligne. Par exemple, ils peuvent avoir l'impression qu'en communiquant de n'importe quelle façon avec les forces de l'ordre — même pour signaler un crime qui doit faire l'objet d'un rapport —, ils pourraient compromettre leurs chances d'obtenir la citoyenneté ou le statut de résident permanent. Par ailleurs, il se peut qu'ils ne fassent pas confiance à la police, qu'ils ne comprennent pas ce qui constitue un discours haineux ou qu'ils ne sachent pas qu'il s'agit d'un crime qui doit faire l'objet d'un rapport. Ils pensent peut-être que, si le discours haineux n'est pas rédigé dans l'une des langues officielles du Canada, cela ne constitue pas un crime et que les forces de l'ordre locales ne prendront pas cela au sérieux. Certains d'entre eux ne comprennent pas le processus de signalement de la haine en ligne et ce qui se produit par la suite. Ils pensent peut-être que le signalement de ce crime n'aura pas un effet bénéfique ou qu'ils causeront simplement des problèmes, en particulier si le crime haineux a été perpétré par un membre de leur propre communauté.
Même si ces problèmes ne touchent pas uniquement les nouveaux arrivants, ce sont souvent les obstacles qui empêchent les nouveaux arrivants de signaler des crimes haineux. Nous croyons qu'une stratégie nationale de lutte contre la haine en ligne est nécessaire.
L'une des premières étapes de l'élaboration de ces stratégies devrait consister à s'assurer que la participation à l'échelle nationale est générale et inclusive, en particulier en ce qui concerne les segments de la population qui ont tendance à être sous-représentés lors des consultations — y compris les nouveaux arrivants —, afin de pouvoir comprendre les expériences de ces membres de la population en matière de haine en ligne. Nous devons nous assurer que le processus est aussi accessible et inclusif que possible, afin de nouer un dialogue avec divers groupes, et que nous prévoyons un espace sécuritaire où les gens ou les groupes les plus vulnérables peuvent raconter leurs expériences.
Par exemple, dans le cas des nouveaux arrivants, cela ne doit pas se limiter à l'embauche d'interprètes en vue d'organiser plusieurs groupes de consultation des nouveaux arrivants. Il faut plutôt organiser des consultations, dès le début de la conception du processus, afin de garantir que les divers nouveaux arrivants sont encouragés à participer et inclus d'une façon constructive.
Cependant, il ne suffit pas de mener des consultations ou de modifier les lois. Il faut utiliser un langage facile à comprendre et inclusif pour renseigner les communautés sur les lois relatives à la haine en ligne. De plus, la définition de haine en ligne, par opposition à des propos offensants, doit être claire.
Tous les membres des communautés, et pas seulement le milieu juridique ou les experts en la matière, doivent comprendre ce qu'est la haine en ligne et comment elle peut se retrouver sur Internet, que ce soit sous le couvert de documents éducatifs ou de nouvelles. Ils doivent aussi comprendre comment faire un rapport et ce qui se produit après avoir signalé un crime haineux. Si les communautés ne comprennent pas la définition de haine en ligne ou le processus, leurs membres hésiteront à intervenir ou à faire un rapport.
Nous devons aussi assurer un meilleur suivi de la haine en ligne, tel qu'elle est vécue par les différents segments de la population, y compris les nouveaux arrivants. La définition et la normalisation de la collecte et de la communication des données doivent être plus claires afin que nous disposions d'une plus grande quantité de données fiables sur la prévalence de la haine en ligne. Nous devons également mener un plus grand nombre d'études communautaires pour déterminer la prévalence des crimes haineux non signalés, pour comprendre les obstacles au signalement et pour distinguer les groupes communautaires qui ont tendance à ne pas signaler les crimes haineux.
Par ailleurs, il importe aussi d'établir une communication ouverte à propos de l'existence et de la prévalence de la haine. Il ne suffit pas de discuter de la haine que vivent certaines communautés; il faut aussi parler de la responsabilité que nous avons tous de prendre des mesures lorsque nous constatons qu'un membre de notre communauté diffuse des messages haineux.
La haine en ligne peut se propager rapidement et facilement. Même si nous croyons que les entreprises responsables des médias sociaux, les organismes d'application de la loi et les décideurs ont tous des rôles clés à jouer à cet égard, il incombe également à tous les membres des communautés de prendre certains types de mesures lorsqu'ils aperçoivent de la haine en ligne. Nous devons mieux renseigner les membres des communautés sur la façon de se faire des alliés et de réagir de façon appropriée dans de telles circonstances, afin d'assurer la sécurité de ces personnes et de favoriser les signalements.
L'éducation est particulièrement importante pour nouer un dialogue avec les jeunes nouveaux arrivants, qui vivent des expériences particulières et complexes, et qui subissent des pressions. Ces jeunes ont du mal à affronter une nouvelle réalité sociale et font peu confiance aux représentants de l'autorité, en plus d'avoir le sentiment d'être impuissants et de vivre des situations désespérées.
Mme Ratna Ghosh, de l'Université McGill, mène actuellement une importante étude sur l'éducation, en tant que forme de puissance discrète et d'outil essentiel de prévention de l'extrémisme violent, en appuyant chez les jeunes le développement des valeurs, des compétences, des comportements et des normes qui favorisent la sécurité et la résilience. Toutefois, la plupart des ressources et des programmes d'éducation communautaires portant sur les crimes haineux au Canada ont été élaborés pour la population générale et ont tendance à être offerts uniquement en français et en anglais. Nous devons créer des stratégies de mobilisation et des ressources qui sont inclusives sur le plan linguistique et culturel, afin de pouvoir nouer un dialogue avec diverses communautés, y compris celle des nouveaux arrivants. En même temps, nous devons offrir un plus grand nombre de services d'aide aux nouveaux arrivants pour améliorer leur sensibilisation aux médias et pour leur apprendre comment consulter les médias afin d'évaluer l'information et les nouvelles en ligne en vue de déterminer leur crédibilité ou leur potentiel d'incitation à la haine.
Nous devons aussi accroître la capacité des communautés à résister à la haine en favorisant la diversité et l'inclusion. Cela comprend l'établissement de meilleures relations avec les communautés, que ces relations reposent sur des dimensions religieuses, ethnoculturelles, autochtones, linguistiques, LGBTQ2S+, etc.; des relations qui favoriseront une meilleure sensibilisation et compréhension interculturelles, qui aboliront la crainte des autres et qui aideront les membres des différentes communautés à percevoir les similarités entre leurs expériences. Ces relations renforceront nos communautés, afin que nous puissions nous tenir debout et forger des alliances dans notre lutte contre la haine.
Bien entendu, la prise de mesures concrètes pour combattre la haine en ligne doit être accompagnée d'un accès à une quantité adéquate de ressources. Il faut que, partout au Canada, des fonds durables soient investis dans des activités de sensibilisation communautaire, de formation, de reddition de comptes, de prévention et d'application de la loi; des activités axées uniquement sur la lutte contre la haine en ligne.
Je vous remercie encore une fois de nous avoir donné l'occasion de vous communiquer notre point de vue aujourd'hui.