Madame la Présidente, je suis heureux de participer au débat de ce soir. Je sais que le député de Kingston et les Îles ne l’est pas, mais je le suis parce que je pense qu’il est très important. Il met en évidence le droit fondamental de demander des comptes au gouvernement, un droit tout à fait primordial qui est maintenant pleinement reconnu par notre Parlement, la Chambre des communes et ses députés.
Nous l’entendons à répétition, mais dans l’esprit de ce gouvernement, on dirait que l’idée est reléguée au rang d’un simple cliché, car les libéraux semblent adopter la même position que celle du gouvernement conservateur en 2010.
En 2010, les conservateurs ont adopté cette position à la Chambre lorsque le comité sur l’Afghanistan a demandé des documents à propos des détenus qui avaient été capturés par les Forces canadiennes en Afghanistan, remis aux autorités afghanes et ensuite torturés. Il était important que le comité sur l’Afghanistan examine cette question et détermine ce qui se passait, comment cela avait pu se produire et ce que le gouvernement et les responsables militaires savaient et ne savaient pas. Toutes ces questions étaient extrêmement importantes du point de vue des obligations juridiques du Canada en vertu de la Convention de Genève et de plusieurs questions extrêmement graves concernant les affaires internationales et la réputation du Canada, et tout ce qui s’y rattachait.
Il pourrait sembler que la question était encore plus grave dans de telles circonstances; pourtant, le gouvernement de l'époque avait pris cette décision en 2010. Je sais de quoi je parle, car je siégeais alors au comité sur l’Afghanistan et j’ai participé à des débats semblables à celui-ci concernant les pouvoirs des comités et les pouvoirs de la Chambre face au pouvoir exécutif.
Je vais lire un extrait de la décision du Président Milliken du 27 avril 2010. J’ai participé au débat et à l’argumentation qui y a mené. Le Président Miliken dit la chose suivante:
En ce qui concerne la portée de ce droit, la présidence aimerait aborder l’argument avancé le 31 mars par le ministre de la Justice, selon lequel l’ordre de la Chambre du 10 décembre constitue une atteinte à la séparation constitutionnelle des pouvoirs entre l’organe exécutif et l’organe législatif.
Le Président Milliken venait alors d'établir que la présidence devait conclure que la Chambre avait en effet le droit de demander à consulter les documents listés dans l’ordre du 10 décembre 2009. Il dit ensuite:
La présidence est d'avis que le fait d'admettre que l'organe exécutif jouit d'un pouvoir inconditionnel de censurer les renseignements fournis au Parlement compromettrait en fait la séparation des pouvoirs censée reposer au cœur même de notre régime parlementaire, ainsi que l'indépendance des entités qui le composent. En outre, cela risquerait d'affaiblir les privilèges inhérents de la Chambre et de ses députés, privilèges qui ont été acquis et qui doivent être protégés.
Cette séparation des pouvoirs s'applique aux organes exécutif et législatif, ce dernier ayant le devoir constitutionnel d'exiger des comptes du gouvernement.
Dans sa conclusion, le Président Milliken déclare:
Comme on l'a vu plus tôt, les ouvrages de procédure affirment catégoriquement, à bon nombre de reprises, le pouvoir qu'a la Chambre d'ordonner la production de documents. Ils ne prévoient aucune exception pour aucune catégorie de documents gouvernementaux, même ceux qui ont trait à la sécurité nationale.
Il affirme ensuite:
[...] l’ordre de produire les documents en question s’inscrit parfaitement dans le cadre des privilèges de la Chambre. Si l’on considère que le rôle fondamental du Parlement est d’exiger que le gouvernement rende des comptes, il m’est impossible, en tant que serviteur de la Chambre et de protecteur de ses privilèges, de souscrire à l’interprétation du gouvernement selon laquelle l’ordre de produire ces documents contrevient au principe de la séparation des pouvoirs et constitue une ingérence dans la sphère d’activité de l’organe exécutif.
C’est une déclaration puissante. Elle a donné lieu à un ordre par le Président de la Chambre de produire les documents, et elle a été réaffirmée aujourd’hui par le Président actuel dans sa décision. Je pense qu’elle passera dans l’histoire, tout comme la décision du Président Milliken, la décision précédente ayant été suivie dans d’autres législatures pour son autorité.
La situation actuelle n’est pas très différente. Il est évident que les circonstances sont différentes, mais le principe est tout à fait le même, à savoir qui a le pouvoir d’accéder aux documents, comment en disposer et comment protéger les intérêts nationaux au nom de la sécurité. Le Président, à mon avis, a rendu une excellente décision, une forte décision sur les questions dont il a été saisi et a trouvé qu’elles constituaient de prime abord une violation des règles du Parlement. Ayant constaté cela, la motion appropriée devait être présentée. Il a constaté que la motion proposée par les conservateurs ne respectait pas la primauté de la Chambre. Par conséquent, une pause a été prise afin que la motion puisse être révisée.
L’autre question sur laquelle s’est prononcé le Président dans sa décision aujourd’hui concerne une solution. Je crois que, comme l’a dit le député de Kingston et les Îles, manifestement, une responsabilité qui va de pair avec cela. Cette responsabilité incombe à la Chambre, qui doit prendre des mesures pour assurer la sécurité des documents. C’est à la Chambre de le faire. La Chambre l’a fait dans la motion qui lui a été présentée. L’autre solution, présentée par le gouvernement dans sa réponse, proposait que la question soit soumise au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale. C’était la solution du gouvernement. Elle était proposée pour la première fois, à mon avis. D’après ce que je sais, c’est ainsi que le gouvernement et la Chambre ont décidé de traiter la question de la décision du président Milliken. Ce comité a justement été créé pour de telles situations.
La première fois que j’en ai entendu parler, c’est quand le gouvernement a répondu de cette manière quand on lui a demandé pourquoi il ne respectait pas les ordres de la Chambre du 2 juin, ainsi que les ordres du 31 mars et du 10 mai du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. C’était la première fois, à ma connaissance, qu’on lui rappelait pourquoi le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, le CPSNR, avait été créé. Comme le Président l’a dit, ce n’était pas une réponse à la question de savoir comment la Chambre devrait traiter les questions de sécurité nationale, si ce n’est pas ce que la Chambre a décidé.
Il a été mentionné au Comité spécial sur les relations sino-canadiennes, et à la Chambre ce soir, que le CPSNR est composé de députés et de sénateurs. Il réunit les deux chambres du Parlement, mais ce n’est pas un comité parlementaire. C’est ce que dit cette loi. Les membres sont nommés par le gouverneur en conseil, c’est‑à‑dire par le Cabinet, et ce à titre amovible. Autrement dit, ils peuvent en être écartés. Ils présentent également leurs rapports au premier ministre, qui a le droit d’en exiger la modification et qui a le droit de ne pas communiquer de documents au comité, et toutes les autres choses concernant les relations entre l’exécutif et les organismes qu’il crée.
Lorsque cet argument lui a été présenté, le Président a conclu à juste titre que la loi précise clairement qu'il ne s'agit pas d'un comité du Parlement. Voici ce que le Président a dit:
Ce Comité se trouve à l’extérieur du Parlement.
Dans ces circonstances, la présidence ne peut conclure que le dépôt de documents au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement permet de satisfaire à un ordre de la Chambre ou de ses comités.
Il a ajouté:
Rien dans la loi ne touche ou ne restreint le privilège de la Chambre d'ordonner la production de documents, même ceux qui ont une incidence sur la sécurité nationale. Il appartient à la Chambre, et non au gouvernement, de décider comment de tels documents doivent être examinés et quelles mesures de protection doivent être mises en place, s'il y a lieu.
C'est ce qui s'est passé. La Chambre elle-même a adopté une motion qui prévoit des mesures de protection, ainsi qu'une méthode pour régler la question. C'est là un point que le Président Milliken a abordé et que le Président a, lui aussi, reconnu. En parlant de l'affaire à l'étude, le Président a affirmé que, d'après son examen de la décision rendue le 27 avril 2010 par le Président Milliken, ce dernier était toujours préoccupé, même après avoir constaté qu'on avait omis de remettre des documents non caviardés à la Chambre. Il demeurait soucieux des questions soulevées.
Comme le Président l'a dit aujourd'hui, le Président Milliken:
[...] a jugé bon de demander aux députés de poursuivre leurs discussions pendant une période limitée avant de permettre au député qui avait initialement soulevé la question de privilège de proposer la motion habituelle pour débat. En effet, l'ordre dont il était alors question n'offrait aucune mesure permettant de protéger l'information confidentielle que contenaient les documents exigés [...]
Il a poursuivi en proposant quelques moyens d'y parvenir. Il a recommandé la tenue de discussions à ce sujet. Il a déclaré que le résultat de ces discussions n’affecterait en rien sa décision, « l’intention de la présidence se limitant à offrir un ultime délai pour en arriver à un compromis. »
Puis, il a poursuivi en disant autre chose, et c'est l'argument présenté par le député de Kingston et les Îles, soit qu'il n'y avait pas de protection pour assurer la sécurité. Il a dit:
Dans la situation actuelle, l’ordre adopté prévoit que le Bureau du légiste et conseiller parlementaire examine au préalable les documents, les caviarde selon des critères précis et en discute avec les membres du Comité spécial lors d’une réunion à huis clos. La comparution de la ministre de la Santé, qui a eu lieu le lundi 14 juin dernier, était aussi prescrite pour traiter de nouveau de la question afin de poursuivre une certaine forme de dialogue. Il n’appartient [...] pas à la présidence de [décider] de l’étendue des mesures prises, mais de prendre acte qu’on l’a envisagé. Il n’y a donc pas lieu d’accorder un délai supplémentaire.
La ministre de la Santé est venue témoigner au comité Canada-Chine lundi. On lui a demandé à maintes reprises de reconnaître que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement n'était pas un comité parlementaire, mais elle a évité de répondre et s'est contentée de dire qu'il avait des privilèges en matière de sécurité.
Elle n’a pas répondu à la question, et il est clair que le Président de la Chambre a reconnu que l’excuse donnée par le gouvernement n’est pas valable, qu’il n’est pas acceptable que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement soit le dépositaire de ces documents, que la motion présentée aujourd’hui sous la forme habituelle est recevable et que la Chambre doit l’adopter. La Chambre a le droit de présenter cette motion et c’est à elle de décider si elle l’accepte ou non.
Je pense que la question est très simple. Je ne vais pas m’attarder à expliquer pourquoi ces documents sont nécessaires. Ils le sont de toute évidence parce que le comité sur les relations sino-canadiennes en a besoin pour s’acquitter de ses fonctions et de ses responsabilités, qui consistent à demander des comptes au gouvernement et à examiner les relations entre le Canada et la Chine. Ce sont précisément les obligations que lui impose la motion créant ce comité spécial.
C’est ce que le comité a fait. Il s’est penché sur les questions de sécurité et les rapports entre le laboratoire de microbiologie de Winnipeg et les laboratoires sous la responsabilité de la Chine. Il était question de virus très graves et dangereux et de mesures de sécurité à prendre pour assurer la sécurité des Canadiens, la sécurité des laboratoires et la santé du public.
C’est une question simple, qui relève de la compétence du comité en vertu de son mandat, et c’est au comité de décider des documents dont il a besoin pour mener à bien ce mandat. Compte tenu de l’appui du comité et de la Chambre, il incombe maintenant au gouvernement de s’acquitter de cette obligation et de rendre ces documents disponibles de la façon suggérée.
Le gouvernement refuse de le faire. Cette motion est nécessaire pour résoudre la question de l’outrage de la part de l’Agence de la santé publique du Canada qui sera mise au jour si la motion est adoptée. L’agence sera déclarée coupable d’outrage au Parlement pour avoir omis de se conformer à l’ordre de la Chambre et de produire les documents, afin qu’ils puissent être transmis au légiste et conseiller parlementaire, qui s'acquittera de sa fonction consistant à aider à caviarder les documents et à donner suite à la motion dont la Chambre est saisie.
C’est tout ce que je voulais dire. C’est une question extrêmement importante. Il s’agit de comprendre le fonctionnement du Parlement et les responsabilités que les députés élus à la Chambre doivent assumer lorsqu’ils prêtent serment. En fait, c’est une fonction de notre société démocratique que la Chambre ait le pouvoir ultime et que l’exécutif soit tenu de lui rendre des comptes.
Sans cela, nous n’aurions pas de démocratie, mais une décision du Cabinet, de l’exécutif, et non de la Chambre des communes, des gens qui sont élus. C’est notre système démocratique. Il s’agit de maintenir ce système démocratique. C’est la responsabilité sacrée que nous avons et qui nous oblige à mener à bien et à appuyer les efforts de nos comités, ainsi qu’à faire notre travail en exigeant, en vertu de cette motion, que ces documents soient produits.