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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 novembre 1998

• 1533

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte, puisque tout le monde est présent cet après-midi.

Comme chacun sait, le Comité des finances s'est déplacé d'un bout à l'autre du pays, pour consulter les Canadiens quant aux priorités du prochain budget fédéral.

Avant de vous donner la parole, je tiens, au nom du comité, à remercier les témoins d'avoir accepté de participer à ce groupe de discussion qui sera sans doute très instructif pour le comité.

Permettez-moi d'ajouter que c'est la dernière journée que les membres du Comité des finances vont consacrer aux consultations prébudgétaires, et nous allons commencer la rédaction de notre rapport dans les jours à venir.

Au nom du comité, je tiens à souhaiter la bienvenue aux représentants de Canadian Parents for French, de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires, de la Section 27 du Syndicat des Carpenters and Allied Workers, de Don't Tax Reading Coalition, de Ducks Unlimited Canada, du Centre de démarrage économique communautaire; Création d'emplois Inc. et de la Conservation de la nature Canada.

Nous commencerons par les témoins de l'organisme Canadian Parents for French, soit la présidente, Carole Barton, et la vice-présidente, Joan Netten. Soyez les bienvenues.

Mme Carole Barton (présidente, Canadian Parents for French): Merci.

L'organisme Canadian Parents for French est un réseau national de bénévoles qui considèrent que la langue française fait partie intégrante de la réalité canadienne. Ils se consacrent à la promotion et à la création de possibilités d'apprentissage du français langue seconde pour tous les Canadiens. Notre organisme croit également que tous les enfants ont le droit d'apprendre les deux langues officielles dans les écoles publiques du pays. À l'heure actuelle, aucun enfant du Canada n'a ce droit, et quelques-uns seulement jouissent de ce privilège. La grande majorité des étudiants réussissent à apprendre le français grâce au travail assidu des bénévoles dévoués de notre organisme. Les membres de Canadian Parents for French sont fermement convaincus que l'apprentissage des deux langues officielles est un élément important d'une éducation complète et de qualité pour les Canadiens, et essentiel à l'avenir du pays.

• 1535

Notre organisme a joué un rôle clé dans la mise en vigueur de programmes de français langue première dans plusieurs provinces du Canada et de programmes de français langue seconde dans toutes les provinces du pays. Nous comptons plus de 12 000 membres répartis dans toutes les provinces et les territoires du pays, et nous sommes à l'oeuvre dans environ 150 sections locales dans des collectivités allant de St. John's, à Terre-Neuve, à Campbell River, en Colombie-Britannique.

L'organisme Canadian Parents for French s'efforce de sensibiliser la population à l'importance du français dans la société canadienne. En 1991, 23 p. 100 des adolescents canadiens âgés de 15 à 19 ans étaient bilingues, ce qui représentait le groupe le plus important de Canadiens bilingues de notre histoire. Aujourd'hui, près de 25 p. 100 des jeunes Canadiens de 18 à 29 ans sont bilingues.

Mme Joan Netten (vice-présidente, Canadian Parents for French): C'est pourquoi nous souhaitons parler aujourd'hui du programme des langues officielles dans l'enseignement. Le nombre de Canadiens bilingues, c'est-à-dire qui parlent le français et l'anglais, les deux langues officielles de notre pays, ne continue pas d'augmenter parce que le budget du programme des langues officielles dans l'enseignement ne cesse de diminuer. Ce programme consiste en une série d'ententes conclues entre le gouvernement fédéral et les provinces, en vertu desquelles des fonds sont alloués aux ministères provinciaux de l'éducation pour offrir des programmes dans les écoles qui enseignent l'autre langue officielle, le français langue première et le français langue seconde en dehors du Québec, ainsi que des programmes de français langue seconde et anglais langue seconde au Québec.

Le financement est offert selon une formule calculée par habitant et fonction du nombre d'étudiants à plein temps qui participent à un programme. Le montant réel varie d'une province à l'autre. Ces fonds ont diminué de 42 p. 100 depuis l'année 1992-1993: 30 p. 100 la première année et 12 p. 100 l'an dernier. Cette diminution a poussé les Canadiens à croire que le gouvernement fédéral n'accorde plus aucune importance à l'enseignement des langues officielles. L'enseignement des deux langues officielles a en fait beaucoup diminué depuis 1992. Ce résultat n'était pas prévu et le Comité des finances doit se pencher sur le problème. Cette diminution risque de poser un problème sérieux au Canada à l'avenir. La majorité des personnes bilingues au Canada sont en général francophones et, qui plus est, l'absence de population bilingue nuira à la préservation des droits linguistiques des minorités francophones au Canada, ainsi qu'à tout l'avenir de notre pays.

En réponse à la première question que nous a posée le président du comité, M. Bevilacqua, nous voulons faire savoir au gouvernement qu'il faut rétablir, voire accroître le financement de programmes comme le programme des langues officielles dans l'enseignement, car il revêt une importance cruciale pour l'avenir et les jeunes de notre pays. Le gouvernement devrait être conscient du message qu'il envoie à tous les Canadiens quant à l'importance du français au Canada, lorsqu'il réduit le budget de ses programmes.

Quant à la deuxième question, nous ne sommes pas à même de donner notre avis sur les nouveaux investissements stratégiques et les modifications à la fiscalité, car la réforme fiscale sort de notre champ de compétence.

En réponse à la troisième question, la meilleure façon de profiter des occasions qu'offre cette nouvelle ère est de s'assurer que tous les Canadiens ont la possibilité, voire le droit d'apprendre les deux langues officielles. L'apprentissage de la langue seconde est une compétence professionnelle extrêmement importante que nous devrions donner à tous les jeunes Canadiens. C'est également une compétence importante dans le monde des affaires internationales.

L'apprentissage de la langue seconde offre d'autres avantages, notamment en favorisant la capacité de résolution de problèmes et l'esprit critique, tout comme le fait l'étude des mathématiques et des sciences sur laquelle le système scolaire semble mettre davantage l'accent en raison du message qu'il reçoit du gouvernement fédéral lorsque celui-ci effectue des réductions dans les programmes; cela permet également d'apprendre plus facilement une troisième ou une quatrième langue, ce qui est très important à l'heure actuelle dans le monde des affaires internationales.

• 1540

En outre—et ceci est très important pour l'avenir du Canada—l'apprentissage de la langue seconde favorise la compréhension et la sensibilisation sur le plan culturel qui sont nécessaires si l'on veut rapprocher les deux groupes linguistiques officiels de notre pays.

En réponse à la quatrième question, pour leur donner accès à un maximum de possibilités d'emplois, les gouvernements devraient s'assurer que les jeunes Canadiens possèdent des compétences dans les deux langues officielles. Faute de posséder ces compétences, les jeunes sont désavantagés sur le marché du travail, tant au Canada qu'à l'étranger.

Mme Carole Barton: L'organisme Canadian Parents for French collabore avec de nombreux partenaires pour promouvoir les possibilités d'enseignement de la langue seconde au Canada. Par exemple, voici ce qu'on peut lire dans la lettre que nous avons reçue récemment de la Chambre de commerce du Canada: «Les relations d'affaires vont aujourd'hui bien au-delà du marché intérieur et s'étendent à la scène internationale.» La communication et la collaboration en français et en anglais—voilà la réalité et le destin de notre pays.

Nous sommes ici pour vous demander d'accroître le financement du programme des langues officielles dans l'enseignement, ainsi que des fonds alloués aux organismes bénévoles comme le nôtre qui font la promotion de l'enseignement des deux langues officielles.

Ces mesures sont essentielles à l'avenir du Canada.

Je vous remercie.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre le témoignage des représentantes de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires: Mme Joyce Reynolds, directrice en chef, Affaires gouvernementales, et Jill Holroyd, directrice en recherche et en communications.

Soyez les bienvenues.

Mme Joyce Reynolds (directrice en chef, Affaires gouvernementales, Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires): Je m'appelle Joyce Reynolds et je représente les intérêts de l'industrie des services alimentaires, laquelle emploie 867 000 Canadiens et a un chiffre d'affaires de 32 milliards de dollars.

L'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires se réjouit de ce débat sur les allégements fiscaux. Après 30 ans d'augmentations d'impôts et de dette publique qui ne cesse de gonfler, cela représente un changement positif et encourageant. Jusqu'ici la discussion a très peu porté sur les effets néfastes de la fiscalité.

Pour la majorité des Canadiens, il ne s'agit plus de savoir s'il faut ou non réduire les impôts et taxes, mais plutôt lesquels doivent être réduits et de combien. Toutefois, tout comme lors du débat sur les augmentations d'impôts qui dure depuis une trentaine d'années, je pense que nous passons à côté d'une question importante, à savoir dans quels secteurs les diminutions d'impôts auraient-elles le plus d'incidence positive sur l'économie?

Le gouvernement doit agir dans l'intérêt supérieur du pays et non par simple commodité ou pour gagner un maximum de voix. Les économistes s'entendent à dire que les charges sociales ont une incidence destructrice et perverse sur la création d'emplois et l'activité économique, et pourtant le gouvernement insiste sur son projet de maintenir les cotisations à l'assurance-emploi à un niveau inutilement élevé, contrairement à ce que prévoit la législation, afin de détourner les fonds de l'assurance-emploi vers d'autres fins sans rapport avec celle-ci, et notamment les diminutions d'impôt sur le revenu.

Étant donné l'importance cruciale que revêt pour le secteur de la restauration la question des charges sociales inutilement élevées, tout mon exposé d'aujourd'hui portera sur cet aspect du problème. Dans notre mémoire, nous faisons d'autres observations sur la TPS.

L'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires recommande au gouvernement de rétablir le compte distinct qui existait auparavant pour l'assurance-emploi et de réduire en priorité les cotisations à l'assurance-emploi. Ces réductions de cotisations donnent au gouvernement une occasion en or d'atteindre en même temps plusieurs objectifs de politique gouvernementale. Il vaut beaucoup mieux réduire sensiblement les cotisations à l'assurance-emploi que l'impôt sur le revenu car cela profite à la fois aux entreprises et aux travailleurs, contrairement aux diminutions d'impôt sur le revenu qui ne ciblent que les particuliers. Cette initiative stimule les dépenses de la part des particuliers et des entreprises. Cela diminue un impôt régressif en vertu duquel les travailleurs qui gagnent 39 000 $ par an paient le même montant de cotisations que ceux qui en gagnent 200 000 $. Cela réduit l'impôt sur les emplois. Cette mesure compense aussi l'incidence économique néfaste des augmentations prévues des cotisations au RPC. Cela permettra aussi aux provinces d'avoir plus d'argent en caisse pour l'affecter aux soins de santé. Enfin, cela rétablit l'intégrité du régime d'assurance-emploi.

La création de la Commission d'étude Mintz en vue d'évaluer les impôts versés par les entreprises a marqué le début d'une étude stratégique nécessaire de la fiscalité. Dans son rapport, la Commission a fait état de l'augmentation importante des impôts non liés aux bénéfices, comme les charges sociales, qui sont injustes à l'égard d'industries travaillistiques comme celles des services alimentaires.

Le rapport Mintz a confirmé ce que les restaurateurs savent depuis un certain temps: l'industrie est en difficulté à cause de notre fiscalité trop lourde et punitive. Les conclusions du rapport Mintz en ce qui a trait à la fiscalité et au chômage sont particulièrement pertinentes pour l'industrie des services alimentaires. M. Mintz a signalé que, entre les années 60 et les années 90, le chômage a augmenté considérablement. Il en conclut que l'augmentation continuelle des charges sociales est une des causes de la hausse du chômage.

• 1545

Le gouvernement compte de plus en plus sur les charges sociales pour ses recettes fiscales. En 1965, les charges sociales représentaient 8 p. 100 de l'ensemble des impôts versés par les sociétés. En 1965, les sociétés ont payé 1,4 milliard de dollars en charges sociales. En 1995, les charges sociales avaient grimpé pour atteindre 36 p. 100 de l'ensemble des impôts versés par les sociétés, soit 23,9 milliards de dollars. L'appétit insatiable du gouvernement pour les recettes fiscales est passé de l'impôt sur le revenu aux charges sociales, et c'est dans ce secteur qu'Ottawa devrait commencer par envisager des réductions.

Le ministre des Finances, M. Martin, a dit un jour que les charges sociales comme l'assurance-emploi étaient un cancer pour notre économie, et il a raison. Selon les estimations, entre 100 000 et 316 000 emplois ont été supprimés entre 1990 et 1993, et cela est dû principalement à l'augmentation des cotisations à l'assurance-emploi-chômage. C'est pourquoi il y a un taux de chômage de 14,7 p. 100 parmi les jeunes Canadiens alors que notre économie connaît sa meilleure année de la décennie 1990. C'est pourquoi il y a un déficit des vrais emplois pour les jeunes et un excédent de «squeegee kids», de jeunes qui font n'importe quel travail pour quelques sous, et c'est pourquoi nous devons profiter de l'occasion pour remanier le régime fiscal de façon à créer des emplois et à favoriser la croissance économique plutôt que de plaire à l'électorat.

Ce qui est vraiment sidérant, c'est que la méthode de perception des cotisations à l'assurance-emploi, si on l'applique à la perception des recettes fiscales, comme le fait le ministre Martin, représente l'une des formes de fiscalité les plus régressives. Ceux qui se trouvent en bas de l'échelle des salaires paient en proportion les plus fortes cotisations. Les cadres supérieurs de Bay Street paient nettement moins, toutes proportions gardées, de cotisations à l'assurance-emploi que les serveuses et les plongeurs dans notre industrie. Ce remboursement se fait aux dépens des Canadiens les moins bien rémunérés.

En outre, les cotisations à l'assurance-emploi sont un impôt sur l'emploi. En octobre 1994, le ministre des Finances a déclaré ce qui suit à votre comité:

    À notre avis, rien n'est plus ridicule qu'un impôt sur l'embauche. Pourtant, c'est le cas de charges sociales élevées. Ces dernières ont augmenté considérablement au fil des ans. Elles touchent beaucoup plus les petits salariés que ceux qui sont en haut de l'échelle des revenus.

Les employeurs de l'industrie des services alimentaires ont connu une augmentation régulière des charges sociales prélevées par le fédéral depuis que le ministre a tenu ces propos, à l'exception de cette année où il y a eu une faible diminution. Des secteurs travaillistiques comme le nôtre, où 3 $ sur chaque tranche de 10 $ de revenu du restaurant servent au paiement des charges sociales, versent un montant disproportionné en charges sociales.

Notre industrie se compose de petites entreprises qui emploient 867 000 Canadiens. Près de la moitié d'entre eux ont moins de 25 ans. Ce sont ces personnes qui profiteront d'une réduction des cotisations à l'assurance-emploi, d'une augmentation du revenu net et d'un accroissement des possibilités d'emploi. Une diminution sensible des cotisations à l'A-E compensera l'incidence économique de l'augmentation des cotisations au RPC—lesquelles doivent augmenter de 30c. à compter du 1er janvier 1999. Selon les estimations de l'économiste Peter Dungan, la hausse prévue des cotisations au RPC entraînera des pertes de 13 milliards de dollars au titre du PIB et la disparition de près de 20 000 emplois.

Il n'est un secret pour personne que les réductions des paiements de transfert au titre des services de santé sont une source de friction entre le fédéral et les provinces. Une diminution de 90c. des cotisations à l'A-E sur une période de trois ans rapportera entre 800 millions et 1 milliard de dollars aux provinces, sommes qui pourront être réaffectées vers les services de santé, priorité qui a été désignée tant par les provinces que par le gouvernement fédéral.

Enfin, une réduction sensible des cotisations à l'A-E rendra à ce programme son intégrité. À l'heure actuelle, le gouvernement enfreint un principe inviolable. Les employeurs et les employés versent de bonne foi leurs cotisations au programme d'assurance-emploi. Extorquer de l'argent aux parties prenantes d'assurance-emploi pour utiliser à des fins sans rapport avec celle-ci constitue un abus de confiance. Il est extrêmement injuste pour les préposés aux tables, les plongeurs, les serveurs et les serveuses de s'apercevoir qu'ils subventionnent des diminutions d'impôt sur le revenu de travailleurs autonomes, de retraités, du premier ministre, des députés et d'autres Canadiens qui tirent leurs revenus de leurs placements plutôt que d'un emploi.

Pour conclure, si l'on rétablit la caisse de l'assurance-emploi comme un compte vraiment distinct et que l'on diminue considérablement les cotisations, on atteindra une foule d'objectifs: cela permettra de réduire un impôt régressif et néfaste pour l'emploi, de stimuler les dépenses de la part des particuliers et des entreprises, de compenser la hausse prévue de 30c. des cotisations au RPC, de laisser plus d'argent à la disposition des provinces pour l'affecter aux services de santé, et en outre, cela permettra de rendre son intégrité au programme d'assurance-emploi.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, madame Reynolds.

Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Richard Mahoney, pour la section 27 des Carpenters and Allied Workers.

M. Richard Mahoney (partenaire, Fraser Milner, avocats; section 27 des Carpenters and Allied Workers): Merci, monsieur le président.

• 1550

Nous avons préparé pour cet après-midi un mémoire qui, et je m'en excuse à l'avance, n'est disponible qu'en anglais pour le moment. Nous vous en ferons parvenir la version traduite dès demain.

Nous comparaissons aujourd'hui au nom de la section 27 des Carpenters and Allied Workers, un syndicat de l'Ontario. Nous avons répondu aux quatre questions que vous nous avez posées, monsieur le président, en les replaçant dans un contexte national et en tenant compte des questions d'intérêt national au nom du syndicat United Brotherhoold of Carpenters and Joiners of America dans tout le pays.

Je suis accompagné aujourd'hui de M. Eddie Thornton, directeur général de la section 27 des Carpenters and Allied Workers, et de M. Dan McCarthy. Dan est le directeur canadien de la recherche et des programmes spéciaux pour le United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America. Notre mémoire porte principalement sur le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral dans le cadre du budget de 1999 relatif au marché du travail et à la formation d'apprentissage au Canada, compte tenu des ententes sur le développement du marché du travail conclues avec toutes les provinces sauf l'Ontario.

Je vais maintenant donner la parole à M. McCarthy qui va vous présenter notre réponse aux quatre questions.

M. Dan McCarthy (directeur canadien de la recherche et des programmes spéciaux, United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America; section 27 Carpenters and Allied Workers): Pour vous en dire un peu plus à notre sujet, sachez que nous représentons environ 50 000 gens de métier au Canada, et notamment des menuisiers, mécaniciens-monteurs, opérateurs de batteuse de pieux, installateurs de planchers, poseurs de cloisons sèches, et même un député.

Si nous témoignons aujourd'hui devant votre comité, c'est que nous représentons non seulement les 50 000 gens de métier, mais aussi les associations d'employeurs. Nous avons ce que nous appelons des fonds de fiducie pour la formation d'un bout à l'autre du pays. Ce sont des organismes patronaux-syndicaux dont le budget est fonction des sommes relevées à la source auprès des travailleurs et négociées dans une convention collective pour nous permettre d'assurer la formation de nos membres—pas seulement les apprentis, mais également pour un perfectionnement des compétences—afin de répondre à la demande actuelle. Lorsque vous entendrez le témoignage des employeurs, ils vous diront quelle est la demande actuelle. Nous sommes également ici en tant que porte-parole des apprentis d'aujourd'hui et de demain. Ce sont eux qui représentent l'avenir de l'industrie.

Lorsque les gens comparaissent devant le Comité des finances et discutent de placements, il me semble qu'il nous faut préciser que l'apprentissage n'est pas apprécié à sa juste valeur en tant qu'effet de levier. Entre la contribution de l'entrepreneur, au titre du salaire versé et de la perte de productivité de l'instructeur qui s'occupe des apprentis, et les déductions dont j'ai déjà parlées, nous assumons près de 85 p. 100 du coût de la formation d'un apprenti pour lui permettre de devenir un ouvrier qualifié. Donc, chaque dollar investi rapporte cinq fois plus sur le terrain.

Je voudrais également en arriver à l'objet de notre mémoire, soit nous assurer que le budget prévoit une affectation de fonds pour un investissement direct. J'insiste sur le terme «direct» car le gouvernement fédéral doit préparer les jeunes Canadiens pour les possibilités d'emplois—je ne parle pas de création, mais de possibilités d'emplois—qui sont disponibles et vacants dans l'industrie du bâtiment à l'heure actuelle.

Nous avons besoin de travailleurs spécialisés pour bâtir une infrastructure, car si l'on veut tirer parti de l'économie mondiale, il faut mettre en place des réseaux de communication et de transport nécessaires. Si nous ne sommes plus en mesure de les construire rapidement et de les avoir sous la main au besoin, toute l'économie en pâtit.

Dans l'industrie du bâtiment, nous nous heurtons au problème du recrutement de nouveaux apprentis. Nous sommes également confrontés à un problème bien réel lié au facteur démographique. Certaines études de portée nationale indiquent que la plupart des gens de métier sont en moyenne dans le milieu ou la fin de la quarantaine. Nous savons également que le taux de sortie, quand les gens commencent à prendre leur retraite, s'accélère entre 50 et 55 ans. Nous avons donc une réserve de travailleurs qui s'amenuise.

• 1555

Parallèlement, la réforme de l'assurance-emploi a eu un effet dissuasif et néfaste sur le recrutement. J'aimerais demander à Eddie Thornton de vous citer quelques exemples des problèmes auxquels nous nous heurtons dans la région métropolitaine de Toronto lorsque nous essayons de doter des postes qui sont actuellement vacants.

M. Eddie Thornton (directeur général, section 27, Carpenters and Allied Workers): Nous avons publié un article dans la section consacrée aux foyers du Toronto Star du 15 août dernier. Cet article faisait ressortir l'importante pénurie de main-d'oeuvre spécialisée que nous connaissons dans le bâtiment, et notamment les possibilités offertes aux jeunes. Le moment est bien choisi pour se lancer dans ce domaine d'activités. Nous avons reçu 1 600 appels à notre bureau dans les trois jours. Sur ces 1 600 appels, nous avons fait passer 450 entrevues. Sur les 450 personnes intéressées, 39 d'entre elles étaient admissibles à l'assurance-chômage.

Nous avons demandé du financement à DRHC pour offrir un programme de formation en coffrage de béton. Il a fallu attendre quatre mois pour obtenir une réponse. Lorsque nous avons enfin reçu une réponse, sur les 39 personnes qui étaient admissibles à l'assurance-chômage, six seulement l'étaient encore car elles avaient dû accepter un petit boulot en attendant. Ces personnes ont été pénalisées en étant exclues d'une possibilité qui leur aurait mis le pied à l'étrier dans l'industrie du bâtiment et nous aurait fourni les compétences dont nous avons besoin.

Dans la région de Toronto, nous connaissons actuellement une sérieuse pénurie de menuisiers qualifiés. Étant donné le nombre de projets importants qui sont censés débuter l'an prochain, nous... À l'heure actuelle, nous rappelons de la retraite des travailleurs qui sont âgés de 70, voire 74 ans—pour surveiller des projets, car il est impossible de faire participer les jeunes au programme faute de définitions.

Nous pouvons nous adresser à un bureau de DRHC à Scarborough, à l'extérieur de Toronto, à Mississauga et à plusieurs autres à Toronto, et chacun d'entre eux applique un critère différent pour établir si une personne est admissible à un programme de formation, de façon à acquérir les compétences voulues pour travailler dans la construction. Il faut absolument se pencher sur cette question et nous vous demandons d'en tenir compte dans le prochain budget.

M. Dan McCarthy: En outre, nous venons de vous citer un exemple de la région métropolitaine de Toronto, qui est de toute évidence l'un des principaux marchés de la construction au Canada, mais il en va de même pour les champs de pétrole de l'Alberta. Étant donné les milliards de dollars qu'investissent Suncor et plusieurs autres sociétés, et les usines de valorisation de Westminster, en Saskatchewan, les besoins sont tout aussi criants: nous ne pouvons pas trouver un seul mécanicien-monteur.

J'étais à Terre-Neuve il y a deux mois et, dans notre bureau d'embauche, il y avait une liste de travailleurs de la province qui s'inscrivaient pour aller travailler en Alberta ou en Ontario, et pourtant nous ne réussissons toujours pas à combler les postes. Ce n'est pas simplement un problème de mobilité. Sauf erreur, nous avons près de 100 poseurs de cloison sèche qui sont originaires du Nouveau-Brunswick et travaillent au centre-ville de Toronto. Certains font valoir l'argument que, en effet, c'est vrai, il y a un fort taux de chômage dans d'autres régions. Il est difficile de trouver suffisamment de gens et nous les incitons à se déplacer. Nous appelons. Nous essayons de les faire venir.

Si je veux insister sur cette question, c'est qu'il n'y a pas que le problème de l'assurance-emploi. C'est vrai, il y a des facteurs de dissuasion et des problèmes de définition, mais à mon avis, il nous faut nous demander dans quel cas nous exerçons un levier direct sur l'économie où le gouvernement fédéral a l'occasion d'intervenir. À mon avis, les fonds de fiducie pour la formation dont j'ai parlé plus tôt, les fonds de fiducie patronaux-syndicaux—ce sont des gens qui sont vraiment entrepreneurs et qui travaillent dans les salles d'embauche pour essayer de combler ces postes—sont très semblables à certains conseils sectoriels dans l'industrie aérospatiale et l'industrie automobile, par exemple le secteur des réparations et des fournitures automobiles... Ce sont non seulement des représentants du patronat et du syndicat, mais très souvent ce sont des agents de liaison des gouvernements fédéral et provinciaux, qu'ils soient basés en Ontario, au Québec ou ailleurs. C'est pour le gouvernement actuel l'occasion de prévoir un poste dans le budget qui stipule que lorsque vient le moment... Et selon l'étude que l'on consulte, l'industrie du bâtiment occupe le deuxième ou troisième rang en importance. Il nous faut des leviers que peut utiliser le gouvernement fédéral pour s'assurer... lorsqu'il y a une demande.

• 1600

M. Richard Mahoney: Dan, pourriez-vous, pour la gouverne des députés, nous expliquer quel rôle ont joué les conseils sectoriels et d'autres secteurs d'activité et nous dire dans quelle mesure les fonds de fiducie pour la formation pourraient jouer le même rôle dans l'industrie du bâtiment.

M. Dan McCarthy: À mon avis, le plus important lorsque je considère les conseils sectoriels—et je pense par exemple à l'aérospatiale, avec le succès de Bombardier et, à court terme, De Havilland, et depuis peu Regional Jet. Lorsque ces sociétés reçoivent des commandes, il leur est facile de prévoir qu'elles auront besoin rapidement d'un nouvel apport de machinistes spécialisés. Dans l'industrie du bâtiment, nous disposons d'un instrument très semblable, le fonds de fiducie pour la formation.

Permettez-moi de vous citer un exemple qui prouve que l'industrie de la construction est un monde à part et mal compris. J'ai comparu dernièrement devant une commission de DRHC. Les responsables m'ont dit que nous devrions demander aux employeurs de nous indiquer par lettre le nombre de gens qu'ils comptent engager. Dans la construction, puisque tout le monde ne le sait peut-être pas, on doit soumissionner pour obtenir un contrat, mais ce n'est jamais garanti. Un employeur en pleine possession de ses moyens ne signera jamais une lettre disant qu'il va engager ces 50 personnes. Nous le savons, parce que, au fonds de fiducie pour la formation, par exemple, nous avons siégé aux côtés des responsables de PCL, Eastern, Ellis Don—ils obtiennent tous les plus importants projets de l'Amérique du Nord—et ils nous ont dit qu'ils ne peuvent pas faire d'offre tant que nous ne leur donnons pas...

Ils ne peuvent pas prévoir qui va obtenir le contrat, mais ils connaissent très bien les besoins de l'industrie. De là à les convaincre de signer une lettre dans laquelle ils s'engagent à recruter tant de travailleurs pour le coffrage, tant de mécaniciens-monteurs, etc., il ne faut pas rêver. Ils peuvent toutefois affirmer avec une certaine certitude, car ils savent quels sont leur coûts, que si le projet représente sept ou huit millions de dollars, cela se traduit par l'embauche de tant de travailleurs pour tant de semaines ou tant d'heures.

Il est très difficile de s'y retrouver dans les formalités administratives qui ont été conçues pour le travail de bureau, ou le secteur de la fabrication, mais qui ne s'appliquent pas au bâtiment. Je tiens à dire au gouvernement qu'il faut non seulement disposer d'un levier direct pour les principaux secteurs de l'économie, dont la construction fait partie, mais qu'il faut également un mécanisme comme les fonds de fiducie pour la formation pour les personnes qui savent quelle est la demande dans les régions et qui peuvent la prévoir.

Par conséquent, il s'agit non seulement de prévoir des crédits budgétaires pour une intervention directe, mais aussi de reconnaître que certains mécanismes peuvent exercer l'influence voulue sur l'économie.

M. Eddie Thornton: Je voudrais ajouter une chose que j'ai oubliée de dire tout à l'heure, pour faire suite à ce qu'a déclaré Dan.

Dans la région de Toronto, c'est la région de York qui connaît l'expansion la plus rapide. Lorsque j'ai communiqué avec les bureaux locaux du Développement des ressources humaines, ils m'ont dit de placer une annonce dans le journal, de faire payer à chaque jeune 1 000 $ chacun afin que la formation s'autofinance. Le ministère emploie des gens dans ses bureaux de toute la région de Toronto qui ne comprennent pas notre industrie et lorsque nous demandons un financement gouvernemental, nous nous faisons tout simplement éconduire.

M. Dan McCarthy: Comme je l'ai dit, nous ne demandons pas simplement un investissement direct; cela a un effet multiplicateur. Si vous aidez un jeune à suivre un programme d'apprentissage, c'est lui-même et le secteur privé qui paient les 85 p. 100 restants du cours.

Lorsque vous obtenez votre certificat de qualification au bout de la quatrième ou cinquième année d'apprentissage, vous continuez à payer cette déduction jusqu'à la fin de votre vie active, jusqu'à la fin de votre carrière comme charpentier, mécanicien-monteur ou parqueteur. Vous payez vos frais de scolarité pendant toute votre vie. Lorsque vous retournez vous recycler parce que la technologie a évolué, vous pouvez suivre des cours qui répondent à des besoins précis et ils sont presque entièrement payés par les déductions qui ont été faites sur votre salaire au cours des années. Je dois donc le souligner de nouveau.

Je m'écarte un peu du sujet, mais pour ce qui est de la dernière question, en ce qui concerne les possibilités d'emploi non seulement pour les aînés Canadiens mais pour les jeunes Canadiens, nous avons mentionné certains aspects dysfonctionnels des règles de l'assurance-emploi. J'ajouterais que nous avons besoin de quelque chose spécialement adapté à notre secteur. Nous avons fait allusion au fait que la construction est une industrie différente et qu'il faut traiter directement avec les travailleurs du bâtiment pour faire ce genre d'investissement.

• 1605

Nous avons parlé assez longuement sans couvrir tous les points abordés dans notre mémoire, mais je crois que notre message est clair et succinct. La demande est énorme à l'heure actuelle. Nous perdons notre main-d'oeuvre. Il faut que les jeunes entrent dans notre secteur. Il faut qu'ils y entrent par la grande porte. Les règles dysfonctionnelles actuelles de l'assurance-emploi les en empêchent. Le gouvernement doit avoir pour cela un mécanisme stratégique comme les fonds de fiducie pour la formation. Il faut prévoir pour cela des crédits budgétaires et donner aux jeunes une carrière qui va non seulement les rendre productifs, mais contribuer aussi à la productivité du Canada et nous donner l'infrastructure voulue pour soutenir la concurrence mondiale.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McCarthy, monsieur Mahoney et monsieur Thornton. Nous reviendrons probablement à vous lorsque nous poserons des questions. Vous pourrez alors revenir sur certains éléments que vous n'avez peut-être pas pu aborder.

Nous allons maintenant entendre Mme Jacqueline Hushion, présidente de Don't Tax Reading Coalition. Bonjour.

Mme Jacqueline Hushion (présidente, Don't Tax Reading Coalition): Merci, monsieur Bevilacqua. Nous sommes ici pour parler des mêmes sujets que les autres témoins, c'est-à-dire de l'éducation, de l'apprentissage, de la formation et du recyclage. Nous parlons de compétences. Que trouvez-vous à la base de toutes ces compétences? Le plus bas dénominateur commun est l'alphabétisation.

Notre coalition représente un million d'employés au Canada. Nous comptons maintenant plus de 25 membres à plein temps.

Vos quatre questions portaient sur l'emploi et le message que nous voulions adresser au gouvernement quant aux priorités pour l'utilisation du dividende budgétaire, comment profiter des possibilités qui accompagnent l'entrée dans une ère nouvelle et ce que nous pourrions faire pour modifier la fiscalité, au besoin, afin que tout cela se réalise.

Il est temps de supprimer entièrement la taxe sur la lecture. Félicitations au ministre, M. Martin, qui a déjà pris des mesures très importantes. Il a éliminé la taxe sur les livres achetés par les établissements d'enseignement et les bibliothèques et a exclu la taxe sur les livres de son programme d'harmonisation dans les provinces de l'Atlantique. Mais il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. Nous avons laissé tomber les étudiants. Les étudiants des établissements postsecondaires doivent acheter leurs propres livres. Les collèges ou universités ne les achètent pas pour eux. Ils doivent payer la taxe lorsqu'ils achètent les livres, les manuels scolaires qu'exigent leurs divers professeurs.

On a laissé tomber le consommateur. Rien n'a été fait pour les citoyens ordinaires, pour reprendre l'expression du chef d'un des partis politiques. Le grand-parent, l'ami de la famille ou la gardienne d'enfants qui va acheter un livre pour un enfant a la certitude d'avoir à payer la taxe. Le livre sur lequel vous payez la taxe est tout aussi éducatif et tout aussi important que n'importe quel livre, magazine ou abonnement à un journal qu'achète un établissement d'enseignement.

L'alphabétisation commence à la maison. Le 24 août 1992, le premier ministre a écrit à notre coalition une lettre dans laquelle il promettait, s'il était élu, de supprimer la taxe sur la lecture dès son premier mandat. Cette taxe existe toujours.

• 1610

Il est temps d'agir. Plus de deux millions de contribuables canadiens ont communiqué personnellement avec le gouvernement pour lui demander d'agir immédiatement. Ils ont communiqué par téléphone, par télécopieur, par carte postale et par lettre. Ils ont signé des milliers de pétitions. Nous avons apporté un tas de pétitions que nous avons reçues ce mois-ci.

Les Canadiens n'ont pas oublié. Ils ne se sont pas résigné à payer la TPS sur la lecture. Cela les scandalise. Ils trouvent scandaleux que l'on taxe les outils d'alphabétisation sur lesquels repose tout ce que nous faisons, depuis l'enfance jusqu'à nos vieux jours si nous avons la chance de nous y rendre.

Il est temps de supprimer entièrement la taxe sur la lecture.

M. David Hunt (coordonnateur national, Don't Tax Reading Coalition): Merci, Jackie.

Une taxe sur les livres est, comme nous l'avons souligné depuis que le gouvernement a songé à la mettre en place, une chose tout à fait inhabituelle dans le contexte international. Le Canada est l'un des rares pays industrialisés qui taxe les livres alors que tous ces pays ont maintenant une TVA. La taxe canadienne, qui est de 7 p. 100 au niveau fédéral et de 15 p. 100 dans la zone où la taxe est harmonisée, est l'une des plus élevées qui soit imposée sur les livres et journaux au sein de l'OCDE et la plus haute pour ce qui est des pays du G-8.

De nombreux pays qui n'ont pas la chance d'avoir un dividende budgétaire se dirigent vers l'exonération des livres, journaux et périodiques. Ce moi-ci, la Finlande et l'Indonésie se sont joints à la très longue liste de pays dans lesquels seuls ces articles sont détaxés. Si l'Indonésie peut se le permettre malgré ses difficultés financières actuelles, le Canada peut sans doute en faire autant. L'année dernière, la Russie a également éliminé la TVA sur les livres. Les périodiques et les journaux étaient déjà détaxés et elle a refusé obstinément d'y appliquer la taxe.

Les statistiques montrent que cette taxe continue de faire baisser les ventes de périodiques, de livres et de journaux, tant pour ce qui est des ventes à la pièce que par abonnement. Nous avons cité ces statistiques à de nombreuses reprises et nous pouvons vous les communiquer de nouveau sur demande. Mais nous tenons à signaler que, selon Statistique Canada, les Canadiens à faible revenu continuent de dépenser un pourcentage plus important de leur revenu pour les livres, journaux et périodiques et qu'une TVA sur ces articles est donc régressive. Les plus durement touchés sont les Canadiens les plus pauvres et ceux qui ont le plus besoin d'améliorer leur niveau d'alphabétisation et de faire lire leurs enfants.

D'autre part, les statistiques montrent que le principal facteur déterminant pour ce qui est de l'alphabétisation et de l'employabilité est la présence de livres pendant l'enfance. En fait, la seule statistique que nous ayons trouvée pour prédire le revenu et le niveau de productivité à l'âge adulte est la quantité d'ouvrages de lecture qui étaient présents à la maison pendant l'enfance.

Nous avons calculé le montant de la TPS perçue sur les livres et, compte tenu des récentes réductions de la TPS sur les livres achetés par les établissements d'enseignement, nous sommes arrivés à un chiffre total net de 182 millions de dollars par an. Cela représente la taxe sur les livres, périodiques et journaux. Nous avons également calculé les recettes fiscales supplémentaires que la suppression de cette taxe rapporterait au gouvernement.

Nous savons que l'emploi dans le secteur de l'impression et de l'édition—qui est le troisième employeur de l'industrie au Canada—dépend beaucoup des ventes et que les ventes sont étroitement reliées aux prix. Nous savons que l'emploi augmenterait dans ces secteurs une fois cette taxe supprimée, comme on nous l'a souvent promis. Et nous avons calculé que cette croissance de l'emploi se traduirait par des recettes fiscales supplémentaires de 64 millions de dollars et de près de 1 000 nouveaux emplois.

On a laissé entendre que si la TPS sur les livres, journaux et périodiques était éliminée, on réclamerait la même chose pour toutes sortes d'autres marchandises... Nous rejetons cet argument. Les livres, périodiques et journaux sont les seuls produits pour lesquels le gouvernement actuel a promis de supprimer la taxe avant les élections de 1993 et, de nouveau en 1997. C'est le seul produit que les cinq partis représentés au Parlement ont recommandé de soustraire à la TPS.

• 1615

L'assiette de la TPS a été révisée à plusieurs reprises par le passé. On en a supprimé des articles tels que le yogourt et la crème-dessert, les coquelicots du jour du souvenir et le sperme de taureau. Cela n'a pas entraîné une vague de réclamation et il n'y en a pas non plus aujourd'hui, comme vous pouvez le constater. Nous sommes de retour et nous reviendrons souvent, parce que cette promesse nous a été faite noir sur blanc.

Les Canadiens savent que les ouvrages de lecture sont différents. Les livres et certains périodiques sont les seuls articles que le gouvernement ait supprimés de l'assiette de la taxe de ventes harmonisée, à la toute dernière minute, parce que c'était une condition d'harmonisation. Les provinces ont exigé qu'il tienne au moins sa promesse de ne pas inclure les livres dans l'assiette de la taxe harmonisée.

Les Canadiens attendent que le gouvernement tienne le reste de sa promesse, mais ils savent en tout cas qu'il a fait une promesse très précise et qui se limitait au matériel de lecture.

Par conséquent, pour répondre à la première question du président quant aux priorités à l'égard du dividende budgétaire, l'une des ces priorités consiste à tenir vos promesses. Le gouvernement a promis que, dès qu'il pourrait se permettre d'abaisser les impôts, il tiendrait la promesse faite dans le Livre rouge en 1993 en supprimant la lecture de l'assiette de la TPS.

Si vous ne respectez pas les engagements que vous avez pris par écrit au cours de la campagne électorale quant à l'utilisation du dividende budgétaire, cela met en doute la validité de tout autre engagement que vous prendrez dans votre rapport ou ultérieurement.

Mme Jacqueline Hushion: Enfin, le Sénat étudie actuellement un projet de loi, le projet de loi S-10. Il a été présenté par le sénateur Consiglio Di Nino. Comme l'a dit David, ce n'est pas une question sectaire. Le libellé du projet de loi S-10 qu'étudie actuellement le Sénat reprend, mot pour mot, celui qu'un député libéral avait déjà présenté à la Chambre. C'est également le libellé que l'éminent Jacques Hébert avait utilisé dans son discours au Sénat, à la veille de la mise en place de la TPS. Il avait alors déclaré au gouvernement:«ne taxez pas la lecture. Cela ne s'est jamais fait depuis que notre pays existe. Ne le faites pas».

Peu importe si vous recommandez au gouvernement de supprimer entièrement la taxe et si la Chambre reçoit un projet de loi qui émane du Sénat et décide de l'adopter, avec l'agrément du ministre des Finances. Le fait est qu'il faut supprimer cette taxe parce que le premier ministre a dit qu'il le ferait et parce que c'est la bonne chose à faire. Cela enverra un message positif aux Canadiens.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Hushion et monsieur Hunt.

Nous allons maintenant passer à Canards Illimités Canada représenté par M. Don Young, vice-président exécutif. Bonjour monsieur.

M. Don Young (vice-président exécutif, Canards Illimités Canada): Merci, monsieur le président.

Canards Illimités est un organisme de bienfaisance privé, sans but lucratif, qui a pour mission de conserver les habitats des terres humides afin d'assurer un environnement sain à la faune et à la population. Forts des 100 000 membres et plus que nous comptons au Canada et d'un budget annuel de 70 millions de dollars, au cours de nos 60 années d'existence, nous avons conservé plus de 18 millions d'acres d'habitat faunique et consacré 800 millions de dollars à cette conservation et à l'éducation dans le domaine environnemental.

Nous reconnaissons que c'est certainement la faune qui bénéficie de ces 18 millions d'acres d'habitat, mais c'est également l'ensemble de la société dans la mesure où ces terres humides lui procurent des avantages importants en ce qui concerne la prévention des inondations, la filtration des polluants et des eaux de surface et des ruissellements qui alimentent la nappe phréatique, sans oublier les possibilités récréatives énormes qui sont offertes aux Canadiens.

Je suis ici aujourd'hui pour demander un allégement d'impôt pour les Canadiens qui sont disposés à donner généreusement des terres pour la protection écologique à perpétuité de ces zones. Le Canada possède environ 25 p. 100 des terres humides de la planète. Néanmoins, depuis le début du siècle, 80 p. 100 de ces terres ont été abîmées, drainées ou complètement perdues. De plus, le taux de disparition annuel des zones marécageuses qui subsistent dans certaines régions du pays est d'environ 2 p. 100 par an. À ce rythme, il est très possible que d'ici 25 à 30 ans, une bonne partie du sud du Canada où se trouvent la plupart des habitants du pays ainsi que les régions agricoles sera totalement dépourvue de ces terres humides tellement importantes.

• 1620

Une forte proportion de ces zones marécageuses se trouve sur des terrains privés et à moins d'inciter leurs propriétaires à les préserver, nous ne pourrons probablement pas les conserver. Huit provinces sur dix ont légiféré pour établir des servitudes de conservation. Cela témoigne de façon très tangible de leur engagement à conserver ces zones grâce à un mécanisme qui permet aux propriétaires de protéger des aires écologiques importantes sur leurs terres tout en en conservant le titre de propriété.

Les organismes environnementaux et agricoles tiennent beaucoup à inciter les propriétaires de terrains privés à protéger ces aires de conservation et désirent également contribuer aux objectifs du Canada sur le plan de la biodiversité.

Notre propre organisme a de nombreuses façons d'assurer la conservation. Cela comprend l'achat de terrains, l'obtention de servitudes et la recherche d'autres possibilités qui sont parfois bloquées par des facteurs économiques ou les municipalités locales qui s'opposent souvent à l'achat de terrains à grande échelle.

Nous croyons qu'en tant que cosignataires du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine conclu entre le gouvernement canadien et le gouvernement des États-Unis, nous avons des objectifs à long terme pour la conservation de nos habitats fauniques. Les incitatifs fiscaux accordés aux propriétaires privés nous aideraient à atteindre ces objectifs.

Il existe des précédents sous la forme d'exemptions accordées pour les dons de biens culturels ou d'une réduction des gains en capital pour les titres négociables. Deuxièmement, nos voisins du sud accordent une exonération complète des gains en capital pour les dons de terres présentant une importance écologique.

J'ai déjà dit qu'une bonne partie des terres du pays qui présentent une importance écologique se trouvent entre les mains de propriétaires privés. Ces personnes désirent beaucoup obtenir la possibilité de conserver ces zones dans leur propre intérêt, mais aussi dans l'intérêt des générations futures.

Une étude récente qui consistait à examiner les raisons incitant les propriétaires de terrains à donner ce genre de propriété révélait que c'était surtout pour assurer la protection et la valeur de production des terres. Le deuxième facteur était l'obtention d'une réduction des gains en capital afin qu'ils ne soient pas pénalisés pour avoir donné généreusement des terrains.

On est généralement d'accord pour offrir un allégement d'impôts aux Canadiens prêts à donner ces terres et tel est évidemment l'opinion des secteurs qui oeuvrent pour la conservation de la faune, mais également celle des secteurs agricole, forestier et autres.

Notre organisme est déterminé à coopérer avec le ministère des Finances, le ministère du Revenu de même que d'autres ministères provinciaux et fédéraux pour soutenir cette initiative. Environnement Canada, au niveau fédéral, prépare actuellement une nouvelle loi sur les espèces en péril qui dépendra beaucoup de la bonne volonté des propriétaires privés. Nous croyons que ce genre d'allégements fiscaux contribuera à obtenir l'appui des propriétaires privés pour la création d'aires de conservation et la protection des espèces en péril.

J'aimerais ajouter que d'autres groupes agricoles comme la Fédération canadienne de l'agriculture sont tout à fait en faveur de cette initiative. Comme je l'ai dit tout à l'heure, toutes les provinces du pays sont d'accord.

Pour conclure, je répète que le Canada possède une forte proportion des terres humides de la planète. On dit souvent que les forêts du monde sont les poumons de la terre parce qu'elles purifient l'air, mais les terres humides du Canada jouent certainement le rôle important de reins de la planète pour ce qui est de la protection et de la régulation des eaux.

Le Canada approuve certes le principe de la protection des terres humides étant donné qu'il a cosigné une convention internationale appelée la Convention de Ramsar. De plus, il y a moins de six semaines, le premier ministre du Canada a annoncé à quelques mètres d'ici, le Programme des partenariats du millénaire du Canada auquel notre organisme participe pour protéger l'environnement. Pour que nous puissions tenir cette promesse, il est essentiel de pouvoir établir des aires de conservation avec l'appui des propriétaires privés du pays.

• 1625

La protection de ces zones vitales peut être assurée en créant des servitudes de conservation qui permettront aux propriétaires privés de garder leur titre de propriété tout en protégeant l'environnement, sans êtres pénalisés pour avoir fait ce don.

Notre organisme croit possible d'atteindre les objectifs de conservation du Canada, ce qui peut être facilité en exemptant les dons de servitudes de conservation de l'impôt sur les gains en capital.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Young.

Nous allons maintenant entendre les représentants du Centre de démarrage économique communautaire: Création d'emplois Inc. et Mme Bokya-Lokumo.

Vous êtes les bienvenus.

Mme Monique Bokya-Lokumo (Ph.D., professeure, organisatrice communautaire et conseillère de l'industrie, Centre de démarrage économique communautaire: Création d'emplois Inc.): Nous tenons à vous remercier. Je voudrais vous présenter les membres de mon organisme qui m'accompagnent aujourd'hui.

Il s'agit de Marie Mboyo, secrétaire; Laurent Mboyo, agent de communications et Maurice Leblanc, membre de la communauté.

[Français]

Le Centre de démarrage économique communautaire: Création d'emplois Inc. vous remercie de l'avoir invité à témoigner en ce 17 novembre 1998. Nous voudrions vous présenter notre demande d'aide financière en vue de poursuivre les activités économiques communautaires que nous avons déjà planifiées.

Je fais la promotion de ce centre enregistré en Ontario à titre d'organisme sans but lucratif. Je suis une enseignante, une organisatrice communautaire et une conseillère industrielle. Ayant rassemblé toute cette expertise, je crois que je saurai contribuer à la réussite de ce centre qui vise la création d'emplois.

Notre centre se propose de bâtir une force économique communautaire basée sur l'équilibre économique de l'offre et de la demande. Cela signifie que nous désirons que tous les membres de la communauté aient leur place sur le marché du travail. C'est une toute nouvelle démarche, et je crois que le Canada est le premier pays à l'envisager.

La population ne sera pas spectatrice; elle n'agira pas de la façon qu'on vient de décrire et ne tiendra pas tout pour acquis. Nous sommes assez mûrs pour entreprendre des démarches qui assureront l'avenir de notre pays.

Notre centre se propose de bâtir une force économique communautaire basée sur l'équilibre économique de l'offre et de la demande dans le marché de l'emploi. L'emploi est un marché. Nous devons marchander d'une bonne manière. Le marché se base déjà sur la force et l'équilibre de l'offre et de la demande, et continuera d'évoluer en ce sens à l'avenir.

Je commencerai par préciser certaines définitions. La communauté ne se limite pas aujourd'hui aux Africains, aux Haïtiens ou à je ne sais quel autre peuple. Elle se définit en fonction des gens qui se retrouvent et vivent ensemble dans un lieu donné où l'on tient compte de l'équilibre économique qui va se jouer.

Notre organisme est justement basé sur cette notion. Je pourrais vous lire quelques passages relatifs aux objectifs que poursuit notre organisme, à la personne morale qui a été constituée. Notre centre vise à développer, concevoir et créer des emplois dans un même environnement communautaire, ainsi qu'à gérer les emplois ainsi créés au moyen d'une banque d'emplois personnalisée.

• 1630

J'ai acquis de l'expérience et travaillé dans le domaine de l'emploi pendant 15 ans. J'ai reçu ma formation auprès d'un centre d'emploi du Canada et je sais comment ça fonctionne. On semble dans l'impossibilité de créer des emplois; on s'occupe du client et on lui donne une formation, mais en bout de ligne, qu'est-ce qu'on lui donne vraiment? Il faut se doter d'une nouvelle méthode en vue de créer de l'emploi et, à mon avis, cela se fait au sein de la communauté.

Il faut établir un réseau d'emploi communautaire accessible à tous et à toutes au sein d'une même communauté, localité ou environnement et favoriser la création de coopératives. Ces coopératives regrouperont les individus d'une même communauté, où prévaudra un équilibre économique et où on se demandera si tout le monde travaille dans la communauté.

Je suis de Scarborough, plus précisément de Malvern Town Centre. Je me suis interrogée au sujet de l'équilibre économique et j'ai cherché à savoir combien de gens vivant à Malvern Town Centre ne travaillaient pas. Personne ne s'était posé cette question. Nous ne voulions pas nous limiter à chercher la réponse à cette question. Nous voulions aussi développer des activités économiques communautaires, ce que nous avons fait. Les activités ont été planifiées et nous sommes prêts à procéder à leur mise en oeuvre. Nous sommes prêts à assumer cette relève économique communautaire, où prévaudra un équilibre économique au niveau du marché de l'emploi.

Chaque membre de la communauté doit jouer un rôle dans ces marchés de l'emploi. L'atteinte de l'équilibre de l'offre et de la demande au niveau des emplois se traduit par un équilibre économique communautaire. Le chômage est réduit considérablement et on met fin à la dépendance monétaire et à la stagnation de la main-d'oeuvre.

Nous avons investi dans ce projet toute notre expertise. J'y ai apporté mon expérience à titre d'enseignante, d'organisatrice communautaire et de conseillère industrielle. Il y a moyen de faire en sorte qu'il n'y ait plus de chômeurs au Canada. Nous avons tout ce qu'il nous faut pour développer notre économie de façon dynamique, en autant que les gens ne se contentent pas d'attendre, tandis que d'autres observent la situation. Nous voulons promouvoir l'activité économique et inciter toute la communauté à investir et à trouver sa place dans l'économie de demain.

Le centre a planifié la mise en oeuvre d'activités économiques communautaires qui permettront aux sans-emploi de trouver leur place sur un marché de travail qu'ils connaissent et qu'ils bâtissent ensemble. Il fournit également aux employeurs les outils nécessaires pour développer de façon maximale les offres d'emploi à court, moyen et long termes. Vous trouverez de plus amples renseignements relatifs à la planification des activités dans les dossiers que nous avons compilés. Je vous invite à consulter le dossier que je vous soumettrai sous peu.

Il faudra ensuite alimenter le marché de l'emploi par la création de coopératives économiques.

Ce sont les nouvelles démarches auxquelles nous avons recours en vue de faire face à l'avenir. Il faut vraiment promouvoir l'effort économique de chacun afin que chacun puisse tirer profit de la vie économique.

J'insisterai également sur le programme de planification et les outils à l'intention des employeurs. Je suis une femme d'affaires et j'exploite ma petite entreprise. Dans son plan de dotation, tout employeur devrait

[Traduction]

détermine le temps dont il dispose pour ajouter des employés à son plan de dotation à court, moyen, et long terme.

Tout cela doit être planifié. Il ne suffit pas de dire que vous allez embaucher deux personnes aujourd'hui. Il faut avoir un plan de dotation. Combien de gens dois-je embaucher au cours du premier, deuxième, troisième ou du quatrième trimestre? À combien de gens dois-je donner un emploi?

• 1635

Notre organisme, le Centre de démarrage économique communautaire, travaille avec l'employeur pour établir un bon plan indiquant par exemple que cette année, il aura besoin de cinq employés supplémentaires. Nous possédons tous ces renseignements et nous les communiquons à la collectivité. Tout le monde sait ce qui se passe sur le marché de l'emploi.

[Français]

Nous comptons sur votre collaboration et votre appui financier pour assurer le succès économique communautaire.

[Traduction]

J'espère que vous nous aiderez à atteindre nos objectifs. Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, professeure Bokya-Lokumo. J'apprécie certainement ce que vous avez dit quant au renforcement des moyens d'action des collectivités.

Nous allons maintenant entendre M. John Lounds de Conservation de la nature Canada.

Bonjour monsieur.

M. John Lounds (directeur général, Conservation de la nature Canada): Merci, monsieur le président.

[Français]

Puisque je ne m'exprime pas aisément en français, je ferai ma présentation en anglais. Je m'en excuse.

[Traduction]

Nous voudrions parler du défi que pose la conservation sur les terres privées du pays. Je voudrais me faire l'écho de certains propos qu'a tenus aujourd'hui le représentant de Ducks Unlimited. Je voudrais surtout parler de la nécessité d'exempter les dons écologiques de l'impôt sur les gains en capital afin d'inciter les Canadiens à contribuer aux objectifs de conservation.

Comme M. Young l'a mentionné, les dons écologiques sont des dons de terres en fief simple qui représentent une importance écologique ou des dons de servitude de conservation dans des terres qu'on s'efforce de protéger.

Conservation de la nature Canada est un organisme de bienfaisance national dont la mission est de préserver les zones naturelles importantes sur le plan écologique, les lieux d'une beauté particulière ou d'un intérêt spécial sur le plan éducatif. Nous le faisons au moyen d'achats, de dons et d'ententes de conservation. Nous travaillons avec les particuliers, les collectivités, les entreprises et les gouvernements. Nous comptons 10 000 membres répartis dans l'ensemble du pays. Et depuis 1962, l'année où nous avons commencé, nous avons protégé plus de 750 propriétés des diverses régions du pays.

Le Canada a pris un certain nombre d'engagements pour atteindre ces objectifs de conservation et j'aimerais en mentionner trois aujourd'hui.

Premièrement, le Canada a signé la Convention sur la biodiversité qui l'engage à protéger les espèces rares, menacées et en péril du pays.

Deuxièmement, le Canada s'est aussi engagé à terminer son plan pour les parcs nationaux et les zones protégées. À l'heure actuelle, ces zones ne couvrent que 5,9 p. 100 environ de la superficie totale du pays. Les normes nationales sont généralement de 12 p. 100 et nous avons donc encore beaucoup de chemin à faire.

Troisièmement, le Canada a adopté, en 1995, un projet de loi sur les dons écologiques dans le cadre des modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette mesure visait à promouvoir les dons de terres présentant une importance écologique, les concessions et servitudes aux fins de conservation.

Environnement Canada a établit des critères détaillés pour définir les terres admissibles et est chargé de certifier les terres et les organismes qui peuvent en bénéficier. Par ailleurs, la loi a supprimé l'obstacle que représentait le plafond de 20 p. 100 imposé pour les déductions du revenu annuel. Cela a contribué à résoudre le principal problème à savoir qu'il fallait payer l'impôt sur les gains en capital sur une disposition présumée avant d'obtenir son avantage fiscal, qui était réparti sur cinq ans.

C'était là une mesure importante pour promouvoir la philanthropie privée, mais elle ne règle pas le problème que présentent les gains en capital présumés sur les dons écologiques. Plus de 50 p. 100 des espèces en péril du Canada se retrouvent dans les 10 p. 100 de terres qui sont privées. Sans l'aide et la contribution des propriétaires privés, nos objectifs de conservation ne pourront pas être atteints.

Il y a trois raisons pour lesquelles nous croyons qu'il est temps de supprimer l'impôt sur les gains en capital pour les dons écologiques.

Premièrement, cela coûte moins cher que d'acheter directement cette terre. C'est une solution moins coûteuse et qui incite les Canadiens à participer à la réalisation de l'objectif visé. D'autre part, quand le gouvernement n'a pas à mettre en place l'infrastructure de gestion nécessaire pour gérer les terres, des organismes comme Ducks Unlimited et Conservation de la nature Canada financent eux-mêmes la gestion des terres. Nous payons pour l'assurance. Nous payons la surveillance. Nous payons la supervision de ces terres en levant des fonds privés. Il est essentiel d'inciter les propriétaires de terres naturelles d'une importance capitale à faire preuve de générosité.

En deuxième lieu, ce traitement fiscal serait plus équitable compte tenu des dispositions dont bénéficient d'autres types de dons. Les dons culturels sont exonérés de l'impôt sur les gains en capital. Les titres négociables sont imposés à 37,5 p. 100 du gain en capital. Les dons écologiques de terres importantes que nous essayons de protéger, sont imposés à 75 p. 100 du gain en capital. Le traitement fiscal des dons écologiques est nettement moins favorable que ce n'est le cas aux États-Unis où les dons de propriétés détenues pendant plus d'un an sont exonérés de l'impôt sur les gains en capital.

• 1640

En troisième lieu, cela incite les Canadiens à protéger l'environnement. La majorité des dons que nous avons reçus jusqu'ici nous ont été faits par des personnes âgées de plus de 60 ans, ayant un revenu limité et qui possédaient les terres en question depuis plus de 20 ans. Ces donateurs risquent de ne plus pouvoir se prévaloir des dispositions touchant les contribuables à revenu fixe s'ils ont un gain en capital présumé au cours d'une année donnée. Ces donateurs constateront également que, du point de vue fiscal, ils ont avantage à vendre leurs terres et à faire don du produit de la vente après avoir payé l'impôt sur les gains en capital que de simplement donner les terres.

Cela peut paraître bizarre, mais c'est vrai. Si on fait don d'un terrain qui vaut 100 000 $, ayant un prix de base rajusté de 20 000 $, on obtient un gain en capital de 80 000 $. Avec la disposition présumée, l'impôt sur les gains en capital serait de 30 000 $. Le crédit d'impôt de 100 000 $ que l'on obtient pour avoir donné le terrain vaut 50 000 $ aux donateurs, ce qui représente un crédit net de 20 000 $, une fois payé l'impôt sur les gains en capital. Si vous vendez ce même terrain, vous obtenez 100 000 $ pour vente de la propriété, et vous payez 30 000 $ en impôt sur les gains en capital. Cela vous laisse 70 000 $. Si vous le donnez à un organisme de bienfaisance, vous obtenez 35 000 $ de crédit d'impôt net.

Il vaut donc mieux vendre la terre que d'en faire don. Je pense que nous n'organisons pas le système de façon logique pour les gens qui veulent faire don de leur propriété.

Depuis 1995, date à laquelle la mesure législative sur les dons écologiques a été établie, il y a eu 75 dons écologiques, portant sur 9 000 hectares de terre. C'est environ 3 000 hectares par an. Nous estimons avoir un objectif de préservation d'environ un million d'hectares pour les 30 à 50 prochaines années. Nous pensons qu'il nous faudra environ 16 000 hectares par année pour que cela se réalise. Sans modifications au système, nous n'allons pas atteindre cet objectif.

Nous pensons qu'en fait il y aura renoncement à de l'impôt sur les gains en capital. Cela représentera environ 11 millions de dollars par an. Nous pensons avoir fait une évaluation élevée de ce montant. Nous serions ravis d'en discuter davantage avec les fonctionnaires du ministère des Finances. Si l'on craint que cela ouvre toutes grandes les vannes, nous favoriserions l'établissement d'une échéance, comme on l'a fait pour les titres négociables. Il pourrait y avoir un examen tous les cinq ans, ou quelque chose de ce genre.

En conclusion, la résolution du problème encouragera les Canadiens à contribuer à la conservation d'habitats importants se trouvant sur les terres privées; reconnaîtra la contribution remarquable de ceux qui ont été gestionnaires à long terme des terres privées écologiquement importantes qui restent au Canada; favorisera la décision de faire un don écologique dans la même mesure que les dons culturels ou de titres négociables; offrira au gouvernement du Canada un mécanisme non conflictuel visant l'atteinte des objectifs de conservation de la diversité biologique; et mettra la conservation des dons écologiques à un niveau comparable à celui prescrit par la politique fiscale américaine.

Nous recommandons que les dons écologiques soient exemptés de l'impôt sur les gains en capital afin d'encourager les Canadiens à aider le Canada à atteindre ses objectifs en matière de conservation. Si le gouvernement du Canada ne parvient pas à réaliser cela, nous chercherons au moins à obtenir quelque chose de comparable aux dons de titres négociables.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lounds.

C'était là le dernier exposé de la consultation prébudgétaire de cette année. Nous passerons maintenant à la période des questions et réponses. Nous commençons par M. Epp.

Monsieur Epp, ce seront des tours de 10 minutes.

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci à tous de vos exposés. Nous avons entendu l'expression de toute une série d'intérêts, non seulement aujourd'hui, mais pendant toutes nos audiences des cinq ou six dernières semaines, ou même plus. Il y a beaucoup de gens qui ont des priorités différentes en matière de planification budgétaire.

Je voudrais tout d'abord poser une question à l'Association Canadian Parents for French.

L'éducation ressortie aux provinces. N'est-il pas vrai qu'au lieu d'envoyer de l'argent à Ottawa et d'espérer ensuite qu'une partie nous soit renvoyée, nous ferions peut-être mieux de garder cet argent un peu plus près de nous et, à cette fin, le remettre aux gouvernements provinciaux, qui ont la responsabilité ultime en matière d'éducation? Essentiellement, vous demandez que soit rétabli le niveau fédéral de financement d'il y a quelques années. Tout cela signifie que le gouvernement canadien va percevoir plus d'impôts pour obtenir cet argent afin qu'il puisse en rendre une partie après lui avoir fait quelques petits tours ici, dans les tourbillons de la bureaucratie.

• 1645

Mme Joan Netten: L'éducation est une responsabilité provinciale, mais, au Canada, le bilinguisme est une valeur fédérale. Par conséquent, si le gouvernement fédéral reconnaît vraiment l'importance du bilinguisme au Canada, c'est lui qui doit transmettre aux gouvernements provinciaux un message au sujet de l'apprentissage des deux langues officielles par les jeunes Canadiens. Le message donné par ce programme des langues officielles dans l'éducation représente la partie la plus importante de cette thèse. Il ne s'agit pas simplement de transfert de fonds.

M. Ken Epp: Mais cela ne fonctionne pas. Je parlais l'autre jour à un Québécois francophone. Son épouse est francophone. Ils ont tous deux une lignée francophone. Toutefois, pour que leurs enfants soient bilingues, ils voulaient que l'anglais, l'autre langue officielle, leur soit enseigné. Le gouvernement du Québec ne leur permet pas d'inscrire leurs enfants dans une école anglaise. Il a donc dû inscrire ses enfants de l'autre côté de la frontière afin de les faire entrer dans une école anglaise. Ils apprennent très bien le français chez eux et dans leur localité. Il voulait qu'ils apprennent l'anglais à l'école.

Cela ne fonctionne donc pas. Le gouvernement fédéral ne peut pas imposer aux provinces des choses qu'elles se refusent à faire.

Mme Joan Netten: Le gouvernement fédéral ne peut pas imposer cela à une province. Toutefois, l'exemple dont vous vous servez est très particulier et s'applique seulement au Québec. Pendant un instant, je voudrais vous parler des provinces anglophones ou principalement anglophones au Canada.

Il existe une très grande différence entre l'apprentissage de l'anglais au Québec et l'apprentissage du français dans les provinces anglophones. Essentiellement, le point de vue relatif à l'apprentissage de l'anglais pour les francophones c'est que l'anglais n'a pas vraiment besoin d'être enseigné. En fait, dans certains milieux francophones, ce que l'on dit c'est que l'anglais est contagieux. Il est si fortement présent dans la collectivité et sur le continent nord-américain, que les gens qui parlent le français vont automatiquement apprendre l'anglais du fait de la présence de cette langue.

Ce n'est pas du tout le cas pour ce qui est de l'apprentissage du français dans les provinces anglophones. Dans les autres provinces la nécessité pour les anglophones d'apprendre le français n'est pas du tout aussi forte. Le milieu francophone n'exerce certainement pas sur les anglophones des pressions semblables pour les amener à apprendre le français. Résultat, au Canada actuellement, 80 p. 100 des gens bilingues sont francophones. Cela signifie qu'il y a une différence considérable entre la collectivité anglophone et la collectivité francophone parce qu'il y a un très petit pourcentage d'anglophones qui deviennent bilingues.

Nous avions une statistique qui provenait de Statistiques Canada. La génération actuelle des jeunes Canadiens sera la génération la plus bilingue de l'histoire du Canada. Toutefois, cela n'est pas vrai. C'était vrai jusqu'en 1992-1993, date à laquelle les compressions budgétaires ont été appliquées aux programmes de langues officielles et d'éducation. Depuis lors, le nombre d'anglophones suivant un cours de français jusqu'à la fin des études secondaires a considérablement diminué. Ce n'est pas le résultat attendu. Cela représente un grave problème pour l'avenir du Canada. Si la plupart des Canadiens bilingues sont d'origine francophone, il va y avoir un problème du point de vue des anglophones au Canada.

M. Ken Epp: Je voudrais discuter de cela avec vous pendant deux ou trois heures, mais je veux aussi passer à certains des autres sujets. En conclusion, je pense que je vais simplement noter que vous estimez qu'il revient au gouvernement fédéral de financer l'éducation en langues officielles dans les provinces. C'est un point de vue que je respecte certainement, si c'est celui que vous voulez nous transmettre.

• 1650

Je voudrais maintenant parler aux restaurateurs. J'ai un fils qui a un diplôme en philosophie et en anglais, et qui travaille dans un restaurant, puisque c'est le meilleur emploi qu'il puisse obtenir au Canada à l'heure actuelle. Cela semble péjoratif pour l'industrie de l'alimentation, mais je suppose que nous avons besoin de philosophes qui servent aux tables, n'est-ce pas?

Je voudrais vous poser une ou deux questions. Vous faites état de la lourdeur oppressive des charges sociales et vous vous êtes exprimés de façon virulente à ce sujet, mais vous traitez à peine de la TPS. Est-ce parce que vous avez manqué de temps? Vouliez-vous en dire un peu plus à ce sujet maintenant?

Quelles sont vraiment vos objections à la TPS? Tout le monde me dit que c'est une taxe merveilleuse qui remplace la taxe sur les ventes des fabricants et que les Canadiens l'adorent.

Mme Joyce Reynolds: Ce que nous reprochons à la TPS c'est que les exploitants de restaurants sont forcés de la percevoir, mais que nos concurrents les plus immédiats, les magasins d'épicerie, ne le sont pas. Il y a donc inégalité de traitement. On peut acheter exactement le même produit chez dépanneur et ne pas payer de taxe; lorsque vous l'achetez dans un restaurant, vous payez la taxe. Voilà ce que l'on reproche à la TPS.

Si nous nous sommes surtout intéressés à l'assurance-emploi, c'est parce qu'il s'agit d'une question très opportune. Nous nous attendons à apprendre d'ici une ou deux semaines quelle sera la réduction et nous avons des idées très claires de ce devrait être la priorité du gouvernement. C'est pourquoi j'ai traité exclusivement de cela dans l'exposé d'aujourd'hui.

M. Ken Epp: Oui. C'était un très bon exposé, sur lequel je ne vous poserai pas de question, étant que vous m'avez, moi au moins, entièrement convaincu. Je pourrais même aller jusqu'à dire que j'étais convaincu avant votre exposé. Il y a de nombreuses statistiques qui montrent que les charges sociales... en fait, on réduit automatiquement ce que l'on taxe. C'est la nature humaine. Si l'on taxe les emplois, on va probablement réduire l'emploi et les emplois. C'était donc très convaincant.

Poursuivons. Avez-vous autre chose que vous tenez à nous dire?

Mme Joyce Reynolds: J'allais dire, relativement à votre fils, qu'une statistique intéressante révèle qu'un tiers de la population obtient son premier emploi dans la restauration. Il n'est donc pas inhabituel que nous ayons des biologistes du milieu marin et des étudiants en philosophie. Nous avons une gamme complète de gens dont le premier emploi est dans notre secteur.

M. Ken Epp: Je lui ai dit que s'il reste là beaucoup plus longtemps, je voudrais qu'il commence bientôt à planifier la création de son premier restaurant. Cela va se produire, j'en suis sûr.

Mme Joyce Reynolds: C'est un secteur où il est difficile de gagner sa vie.

M. Ken Epp: Passons à la Carpenters and Allied Workers Union. Vous avez dit une chose qui me semble contradictoire. Je voudrais obtenir des éclaircissements. D'une part, vous dites que le coût de formation des apprentis est payé par les syndiqués eux-mêmes, par les cotisations versées au long de leur vie et que vous avez appelé des frais de scolarité à vie. Je comprends cela, parce qu'une partie de l'argent que les syndicats perçoivent est consacré à la formation. D'autre part, vous dites que le message que vous voulez nous transmettre, c'est de recommander au ministre des Finances, pour le prochain budget, que le gouvernement fédéral investisse directement dans ces programmes de formation. Je voudrais que vous explicitiez cela. Si vous financez 85 p. 100 de la formation, dites-vous vraiment que le gouvernement doit financer les 15 p. 100 qui restent, quelle que soit la source qui les paie actuellement? Je sais qu'une partie de la formation des métiers provient des employeurs et des entreprises, parce que j'ai travaillé dans ce secteur.

Dites-vous que le gouvernement fédéral devrait verser plus d'argent afin que vous puissiez en payer moins, ou demandez-vous simplement qu'il continue de payer? Qu'entendez-vous exactement par ce pourcentage, 85 p. 100?

M. Dan McCarthy: En réalité, lorsqu'on a apporté les modifications à la Loi sur l'assurance-emploi et qu'on a effectué la cession correspondante de la formation aux provinces, la responsabilité en matière de formation a clairement été cédée aux provinces, mais on a gardé une partie de l'argent.

Je peux vous donner un certain nombre d'exemples. L'âge moyen des apprentis au Canada, selon l'enquête nationale sur l'apprentissage, est de 26 à 28 ans, selon la province. Vous savez comment fonctionnent les programmes d'apprentissage. Vous passez tant d'heures en classe et vous passez pratiquement le reste de l'année sur le terrain, à travailler. Ensuite, vous revenez et vous suivez encore un peu plus de cours en classe. Lorsque vous revenez pour la formation en classe, si vous quittez votre emploi, on vous payait antérieurement les deux premières semaines, la période de carence habituelle. Cela a été supprimé. On demande donc à une jeune personne de 26 ou 28 ans, ayant des responsabilités familiales ou autres de laisser un emploi rémunéré pour retourner aux études.

• 1655

M. Ken Epp: Un bon nombre d'entre eux ne peuvent pas se le permettre.

M. Dan McCarthy: C'est exact. Ce qui se produit donc, c'est que des gens continuent pendant des années d'être des apprentis de deuxième année, à 60 ou 65 p. 100 de leur traitement, simplement par nécessité économique. Cela a certes été un inconvénient. L'ensemble de l'argent consacré à la formation des apprentis a énormément chuté, puisque ce n'est pas ce seul programme qui a été touché.

Par ailleurs, chose intéressante au plan fiscal également, lorsque l'AE a été introduite, on a supprimé la Loi nationale sur la formation. Cette loi prévoyait que l'argent consacré aux frais de scolarité, à la garde des enfants, aux déplacements et aux livres, à ce type de dépenses, était exonéré de taxe. Or, d'après une décision rendue par Revenu Canada, ces choses ne sont pas taxées à la source, mais l'on vous rattrape lorsque vous payez vos impôts en avril. Cela ne vous encourage pas beaucoup à trouver une garderie afin de pouvoir retourner à l'école ni à acheter vos livres ni à voyager pour pouvoir fréquenter un établissement d'enseignement. Il n'y a pas eu seulement cession de la formation et modification à la Loi sur l'assurance-emploi, mais le montant accordé aux personnes admissibles pour les lancer sur le marché du travail a été réduit et les obstacles ainsi que certaines tracasseries de l'AE empêchent certaines personnes d'obtenir leur premier emploi.

Nous sommes toujours prêts à payer les mêmes 85 p. 100; le coût reste le même. C'est simplement que l'argent qui leur est remis initialement pour les lancer sur la voie de l'emploi a disparu ou a été réduit.

Le président: Merci, monsieur McCarthy. Merci, monsieur Epp.

Monsieur Martin.

M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, monsieur le président. Je pense qu'il a été très utile d'obtenir quelques renseignements sur un secteur qui, selon moi, n'est pas très bien compris. Votre secteur est unique et je trouve opportun que certains députés obtiennent de vous ces renseignements. Il s'agit d'un secteur sans lieu de travail fixe, doté d'une main-d'oeuvre itinérante. La stratégie, en matière de ressources humaines, doit donc être unique et cultivée ainsi. J'ai trouvé intéressant d'entendre vos remarques à ce sujet.

Je suis heureux que M. Epp ait soulevé la question de l'argent accordé par l'AE. Pour ce qui est de la période de carence de deux semaines, vous avez dit que cela était payé aux apprentis au cours de leurs deux premières semaines de scolarité. Reprenez-moi si je me trompe mais je crois comprendre que le coût total de cette mesure était de 10 millions de dollars par année. C'est donc là l'économie totale réalisée par le gouvernement lorsqu'il a éliminé cette mesure, dans la caisse de l'AE ayant un excédent de 600 millions de dollars par mois.

Parlons un peu plus de l'incidence de l'élimination du paiement de cette période de carence sur des apprentis qui peuvent aller jusqu'à décrocher complètement et non seulement se contenter de remettre leur formation à plus tard.

Il y a autre chose également. L'argent versé par la caisse d'assurance-chômage au système d'apprentissage est déjà payé par l'industrie, parce que les seuls à verser de l'argent dans cette caisse sont les employeurs et les employés. Le gouvernement fédéral a cessé d'y cotiser en 1989. Je vous demanderais également de parler un peu plus de l'importance de l'apprentissage pour la transmission des connaissances du métier et du caractère d'un autre secteur, celui du bâtiment. Je sens encore que je fais un peu partie de ce milieu. Parlez-nous également de l'initiative patronale-syndicale que représentent votre fonds de fiducie conjoint pour la formation et de l'importance qu'il soit géré par le secteur.

M. Richard Mahoney: Par respect pour les députés, je vais laisser Dan et Eddie répondre à cela. Je pense que ce ne sont pas tant les avocats que vous voulez entendre que les gens qui travaillent effectivement sur le terrain.

Un de nos plus grands problèmes, selon moi, et Dan et Eddie en conviendront, c'est que non seulement nous perdons des gens compétents, mais que certains de nos gens les plus compétents deviennent des députés. Nous devons donc également faire face à ce problème.

M. Eddie Thornton: Au sujet de la question soulevée plus tôt par Ken, pour savoir si nous voulons bien continuer à payer notre juste part, je dirai qu'une étude récente effectuée par M. Rick Loreto relativement aux métiers de la construction dans la région de Toronto, a révélé que les fournisseurs privés de services de formation comme nous-mêmes reçoivent 9,6 p. 100 du soutien aux programmes d'apprentissage du gouvernement fédéral et 5,4 p. 100 du gouvernement provincial.

• 1700

En notre qualité de fournisseurs privés de services de formation, issus du monde syndical et patronal, nous ne recevons pas les prêts en capital et les bourses que reçoivent les universités et les collèges communautaires. Pourtant, nous sommes contraints de livrer concurrence aux collèges communautaires quant aux frais de scolarité par journée de formation. Nous ne pouvons pas exiger des frais supérieurs aux leurs par journée de formation. Nous devons donc financer nos propres programmes de formation ou fermer boutique.

On a prouvé à d'innombrables reprises que les collèges communautaires ne peuvent pas fournir la formation directe qui permettrait d'offrir à l'industrie de la construction la main-d'oeuvre dont elle a besoin. Nous sommes donc prêts à continuer de payer, mais nous voudrions obtenir des conditions plus justes, semblables à celles qu'obtiennent les universités et les collèges.

M. Dan McCarthy: Autre chose, Pat. L'économie de 10 millions dont vous parlez n'est manifestement qu'une goutte d'eau dans l'océan. Les chiffres sont éloquents.

Toutefois, voici ce que je trouve très intéressant: je me suis rendu à une cérémonie de remise de diplômes aux apprentis. En fait, je me suis rendu à deux de ces cérémonies cette année dans deux provinces différentes. Les gens prennent maintenant six ans environ pour un programme d'apprentissage de quatre ans, parce qu'ils passent plus de temps sur le terrain. Ils tâchent d'attendre le moment où il y a coïncidence entre la tenue d'une session en place et l'intervention d'une mise à pied normale.

La nature cyclique de la construction intervient aussi, de la même façon que, lorsque les champs de pétrole et le sud de l'Ontario s'échauffent, tout le pays commence à bouger. Les travailleurs de la construction se déplacent.

Nous constatons également une pénurie—on en a parlé plus tôt—de superviseurs et de contremaîtres. Faire travailler des gens qui n'ont pas terminé l'apprentissage de tous les aspects du métier et qui ne sont donc pas des ouvriers qualifiés ayant un sens approfondi des compétences nécessaires signifie qu'ils ne peuvent pas être promus au rang de contremaître.

Mettons qu'une entreprise obtienne un contrat. Elle a un très petit bassin de contremaîtres qu'elle veut élargir très rapidement. Certains des meilleurs et des plus brillants n'ont pas toutes les compétences requises parce qu'ils sont retardés par toutes sortes d'obstacles telles que les responsabilités familiales, etc.

Ce n'est pas donc seulement qu'il y a pénurie. La pénurie existe à tous les niveaux. Lorsqu'on examine les statistiques, elles révèlent un léger renflement au niveau des gens dans la vingtaine qui essaient d'entrer dans le métier. Ce sont des apprentis. Nous constatons ensuite une diminution, lorsque les gens sont dans la trentaine, mais cela remonte avec les gens dans la quarantaine. Je crains vraiment qu'à mesure que cette vague progresse, nous nous retrouvions en très grosse difficulté.

Nous savons ce que la solution canadienne traditionnelle a été. Nous avons ouvert nos portes à l'immigration et avons fait venir des gens de métier de l'extérieur. Cela n'existe plus. Cela ne va simplement pas se produire. Nous ne pouvons plus, sous prétexte que le Canada est une terre d'opportunité, faire payer les autres pays à notre place. Cette solution n'est plus là.

Voilà vraiment ce que nous disons. Je tiens à souligner ce besoin de nouveau. Les emplois sont disponibles; le gouvernement a besoin d'un levier.

Vous avez parlé de collaboration patronale-syndicale. Nous parlions avec Paul Richer, de chez Ellis-Don, l'autre jour. Il nous a dit que si nous n'arrivons pas à obtenir au Canada des mesures bientôt, ils vont essayer de former leurs propres gens sans nous. Voilà à quel point il est désespéré. Il veut répondre à des appels d'offre. Ellis-Don n'est pas une petite entreprise, ni ici ni aux États-Unis. Ils disent que, si nous leur obtenons la main-d'oeuvre, ils enverront des offres pour plus de contrats.

Voilà le message qu'il faut transmettre. Ce monsieur est coprésident de notre fonds de fiducie pour la formation à Toronto depuis des années. Ce sont ces gens-là qui font ces déclarations.

Pour nous, c'est très éloquent. Très franchement, nous pouvons parfois nous illusionner sur les besoins. Mais songez un instant que vous allez à une réunion où l'on vous hurle à la tête qu'on a besoin, dès le lendemain, de 25 coffreurs. On vous dit qu'il les faut tout de suite, et vous passez donc la nuit au téléphone, à tâcher de les trouver.

Selon moi, c'est le type de levier dont le gouvernement fédéral veut disposer. Je pense que cela existe dans certains des conseils sectoriels. Ce que je dis, en clair, c'est que, à mon sens, le fonds de fiducie pour la formation est le moyen idéal.

Désolé de prendre tout le temps qui vous est accordé pour votre question.

M. Pat Martin: Non, ça va.

J'en ai encore une autre, monsieur le président.

D'un point de vue plus pratique, arrivons-en précisément à ce que vous voudriez voir se produire. Vous avez parlé d'un poste de dépense, dans le budget, reconnaissant la nécessité de ce type d'intervention et de formation directe dans ce secteur. Où cela se ferait-il? Le financement proviendrait-il du système d'AE, encore une fois, ou prévoyez-vous un poste de dépense dans le Trésor public?

• 1705

M. Dan McCarthy: C'est intéressant, parce que, si je comprends bien, après avoir écouté le ministre Martin s'adresser à votre comité, la ligne de démarcation entre l'excédent d'AE et le Trésor public est plutôt floue.

Très franchement, il est probablement plus rapide d'envisager de réinvestir les cotisations des travailleurs là où il y a des possibilités d'emploi et je ne pense pas que la distinction entre le Trésor et l'assurance-emploi soit très utile. L'argent est là. Il provient de ces travailleurs; il provient des employeurs. Il y a un besoin désespéré, et il faut doter les emplois qui existent. J'estime que c'est là la plus grande différence en ce moment.

M. Pat Martin: Donc, l'argent de l'assurance-emploi devrait servir, entre autres choses, à l'apprentissage. Même si la formation de main-d'oeuvre a été transférée aux provinces, vous demandez au gouvernement fédéral de jouer, en quelque sorte, un rôle de surveillant en matière d'apprentissage.

M. Dan McCarthy: Absolument, surtout en raison des moyens de dissuasion que des DRHC pourraient prendre des années à régler.

Mettons qu'il y a quelqu'un qui travaille à temps partiel chez McDonald et à temps partiel ailleurs; il se présente au centre de formation et déclare vouloir devenir menuisier. Dès qu'il abandonne son emploi à temps partiel pour suivre des cours, il n'est plus admissible. Il y a un problème.

M. Richard Mahoney: Nous tâchons de répondre à votre question, à savoir, que devrait-on faire du dividende? Vous avez également demandé: quel est éventuellement le rôle du gouvernement fédéral en matière de formation, une fois les ententes conclues avec les provinces quant au développement du marché du travail? Nous estimons que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle en investissant directement dans la formation. Le moyen d'accomplir cela, c'est de recourir à ces conseils sectoriels. Il y a déjà des précédents à cela dans deux secteurs, celui de l'automobile et de l'aérospatiale.

Le président: La question des conseils sectoriels a été souvent soulevée. Personnellement, je me souviens que, pour ce qui est du secteur automobile, cela a fonctionné plutôt bien.

Je voudrais vous poser une question au sujet du recrutement des travailleurs. Je suis parfaitement conscient des défis auxquels nous faisons face. Je suis de la région de York, celle dont vous parlez.

J'ai déjà fait une analyse des différences entre les modèles d'apprentissage allemand et canadien. J'ai découvert qu'en Allemagne l'âge moyen d'entrer dans les programmes d'apprentissage est beaucoup plus bas. Cela est parfaitement logique, parce qu'il est également moins coûteux de former une personne de 16 ou 17 ans.

Quel est l'âge moyen de nos apprentis, 26 ou 27 ans? Lorsque vous avez cet âge-là, vous avez d'autres responsabilités et d'autres défis à relever. Vous êtes à une étape différente de votre vie. Je ne comprends pas pourquoi, au Canada, nous n'avons pas accepté un modèle—soit dit en passant, le système allemand est un système double—où ces apprentis obtiennent un diplôme. En Allemagne, 66 p. 100 de tous les ingénieurs professionnels ont passé par ce double système. Il ne s'agit donc pas d'une formation «professionnelle» en quelque sorte...

Au Canada, la formation professionnelle n'est pas acceptée comme... Si l'on ne peut pas faire autre chose, on devient un... En Europe, on a une vue différente des programmes d'apprentissage dont je parle.

Quel a donc été le problème? Pourquoi devons-nous attendre que les apprentis aient 26 ou 27 ans? Pourquoi n'a-t-on pas accepté le double système d'apprentissage?

M. Dan McCarthy: Je pense que vous avez mis le doigt dessus. Il y a eu une idée... Je sais certainement que, au cours des années 50 et 60, si vous n'aviez pas les aptitudes nécessaires pour les études scolaires habituelles, y compris un problème de discipline, on vous orientait dans une voie plutôt que dans l'autre. J'ai eu moi-même des problèmes de discipline. J'ai fini par me débrouiller.

C'est une chose terrible à surmonter, mais je voudrais également dire que c'est une chose à laquelle nous travaillons.

Il y a autre chose. On avait la perception qu'il ne fallait pas aux ouvriers des compétences en mathématiques ni dans d'autres matières. Or nous constatons maintenant... En fait, nous préférerions ne pas avoir d'apprentis qui n'ont pas terminé leurs études secondaires. Dans la plupart des provinces, ils ont encore seulement une 10e année. Avec les ordinateurs, le dessin assisté par ordinateur, le positionnement global... On a maintenant des camions chenille qui se servent du système de positionnement global pour niveler les routes; on n'a plus besoin d'enfoncer des jalons dans les routes à grands coups de marteau. Nous nous orientons vers ces techniques nouvelles.

• 1710

En fait, je vais demander à Eddie de vous parler de deux programmes auxquels nous nous joignons avec des commissions scolaires, à Toronto, pour trouver des solutions à ces problèmes.

M. Eddie Thornton: Tout récemment, nous avons entamé des négociations avec le Toronto Catholic District School Board et le Toronto District School Board pour conclure un accord selon lequel nous serons responsables du placement d'étudiants de 11e et de 12e année dans des chantiers de construction, de février à juin, en alternance avec leurs études, ce qui leur donnera quatre crédits pour l'obtention de leur diplôme.

Il nous a fallut environ 12 ans pour parvenir à cela. Il y avait une certaine hésitation de la part des conseillers en orientation à conclure ces ententes avec nous, mais les récentes compressions budgétaires en éducation en Ontario ont amené à la table de négociations beaucoup de gens qui n'y venaient pas auparavant. Ils y sont forcés par le programme du Service d'aide à l'adaptation de l'industrie. Les commissions scolaires peuvent maintenant demander du financement au titre de ce programme. C'est uniquement pour cela qu'elles s'adressent à nous. Auparavant, elles ne manifestaient aucun intérêt. Toutefois, depuis deux mois, elles ont exprimé un intérêt considérable pour ce type d'entente. Nous les accueillons à bras ouverts, parce que ce mécanisme nous permet d'amener dans notre main d'oeuvre des gens beaucoup plus jeunes.

Le président: Et c'est un problème qu'il nous faut surmonter. Je me souviens que, durant les discussions qui ont abouti à la cession de la formation de la main-d'oeuvre aux provinces, nous avons préféré garder les programmes de stage plutôt que les programmes d'apprentissage et comment nous avons réussi, par des mesures législatives et des programmes, à offrir quand même ces possibilités aux jeunes.

Toutefois, la question de la perception du public représente vraiment un défi que vous devez relever. Très franchement, l'industrie devrait entreprendre une campagne de marketing pour attirer les jeunes et leur dire que dans ce métier... Si les gens savaient seulement combien gagnent ces ouvriers, je vous dis que la plupart des Canadiens sentiraient naître la volonté d'entrer dans ce secteur.

M. Dan McCarthy: Nous travaillons actuellement à la préparation d'une vidéo qui s'adresse aux étudiants du secondaire. Nous avons abandonné l'idée de former des universitaires qui sont des conseillers d'orientation. Nous allons leur remettre une cassette vidéo, afin que si quelqu'un leur pose la question, ils puissent leur remettre la cassette. Nous essayons de ne pas nous montrer dans le film. Ce seront des apprentis de première et de deuxième année, des jeunes, y compris l'animateur, que l'on montrera et ce sera en fait produit en collaboration avec une école secondaire. Nous allons donc essayer de faire cela. C'est une énorme dépense, mais nous devons le faire, et nous sommes prêts à nous en occuper.

Le président: Et bien, bonne chance, parce qu'avec le vieillissement de notre société, les défis sont nombreux. C'est très grave. Si on examine la transition démographique qui se produit au Canada, vous allez être confrontés à des pénuries qui vont être très difficiles à combler.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci beaucoup.

Je tiens à remercier l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires pour le travail qu'elle a effectué sur... J'ai pensé que c'était très intéressant. Il y a d'excellents tableaux là-dedans, notamment l'annexe 1, qui montre la progression chronologique. Je regarde cela et je vois qu'en 1991 les taux d'AE sont passés de 2,25 $ à 2,80 $ en une année—une augmentation de 55c.—simplement parce que la caisse théorique a commencé à avoir un déficit, quoi donc, 4,2 milliards de dollars pour cette seule année? Toutefois, la tendance est positive et, depuis 1993, cela a baissé systématiquement, et nous en sommes à 2,70 $.

J'ai trouvé cela intéressant et je voudrais obtenir un éclaircissement au sujet de votre conclusion finale. Vous dites qu'il faut «refaire du fonds d'AE un compte vraiment distinct et réduire considérablement les cotisations...». Voulez-vous dire qu'il faudrait en fait qu'il y ait un compte en banque à part, que les cotisations y soient versées et que les prestations en soient tirées?

Mme Joyce Reynolds: Je pense qu'il devrait être entièrement séparé du Conseil du Trésor, à l'instar du Régime de pensions du Canada. C'est exact.

M. Paul Szabo: Ce serait donc un programme financé, comme l'est le RPC. Les cotisations doivent financer les prestations.

Mme Joyce Reynolds: C'est exact, mais il serait distinct du Trésor. Des députés et le ministre des Finances nous disent qu'en réalité, depuis 1986, lorsque le vérificateur général a dit que l'AE devait être fusionnée à l'ensemble des états financiers, il n'y a pas eu de compte distinct, à proprement parler.

• 1715

Nous nous opposons à cela, parce qu'à l'époque le budget du Canada accusait un déficit et que le déficit de l'assurance-emploi s'était répercuté sur nos besoins d'emprunt. Pendant cette récession, comme vous l'avez noté, les cotisations ont augmenté de façon draconienne, mais provisoire, et malheureusement elles n'ont pas diminué. Elles ont été réduites par tout petits paliers, mais nous estimons qu'elles auraient dû revenir au taux de 2,25 $, où elles étaient avant la récession.

L'autre question qui nous préoccupe, c'est que le ministre des Finances a dit que les contribuables financent le programme et qu'il n'existe pas de compte distinct du fait des paiements d'intérêts sur ce compte. Mais si on examine le même tableau, on constate que le Trésor paie de l'intérêt au compte d'AE lorsqu'il est en excédent et que les parties intéressées à l'AE—les employeurs et les employés—remboursent l'intérêt au Trésor lorsque le compte est en déficit. Les contribuables généraux n'ont donc jamais payé pour le programme d'AE. Ce sont toujours les employés et les employeurs seuls qui ont payé.

M. Paul Szabo: De 1990 à 1991, le fonds est passé d'un excédent de 2 milliards de dollars à un déficit de 2 milliards de dollars, en un seul exercice financier. Il y a un retour de balancier de 4 milliards de dollars du fait du repli de l'économie. Nous avons eu une augmentation importante des cotisations à l'AE parce que, tout à coup, le fonds s'est trouvé sous-financé.

Si l'on établit un fonds distinct, qui sera responsable du financement d'une récession, lorsque tout à coup le nombre des chômeurs augmente énormément et qu'il ne reste plus d'argent dans ce compte en banque pour payer les prestations d'assurance-emploi aux gens qui espéraient être assurés en conséquence?

Mme Joyce Reynolds: Nous pensons que le système devrait être financé de la façon dont il avait été établi à l'origine. Il faut avoir un coussin de sécurité dans le compte pour assurer la stabilité des cotisations lorsqu'il y a repli économique. En fait, au cours des deux dernières années, lors de nos comparutions antérieures, nous avons dit que nous appuyions l'objectif du ministre des Finances de prévoir un coussin de sécurité dans le fonds. Le problème, c'est que nous avons de 5 à 10 milliards de dollars de plus que ce que l'actuaire considère comme prudent. C'est là le fond de la question.

Je suppose également que l'autre préoccupation tient au fait qu'il s'agit maintenant d'une partie du Trésor et que s'il y a un repli économique, nous allons devoir soit emprunter de l'argent, soit augmenter de nouveau les taux de cotisation, puisqu'il n'existe pas de fonds réel; c'est simplement un compte parmi l'ensemble des états financiers...

M. Paul Szabo: En réalité, le fonds est un état des entrées et sorties. Il ne représente pas véritablement un montant en espèces. L'argent a servi à réduire la dette...

Mme Joyce Reynolds: Justement. Nous devrons peut-être emprunter de l'argent.

M. Paul Szabo: Mais l'état du fonds donne tout de même les exigibilités, il indique le montant qui doit être comptabilisé pour le programme d'assurance-emploi. Même si l'argent a été utilisé, la Loi sur l'assurance-emploi continue de s'appliquer au fonds et d'imposer une réduction des cotisations.

Je constate, d'après votre tableau, que le fonds a été en équilibre à partir de 1995. Cela ne fait donc pas tellement longtemps. Le fonds affichait un très petit surplus en 1995. Puis, tout à coup, même si le gouvernement a réduit les taux chaque année, l'excédent s'est accumulé trois ans de suite. Je ne sais pas si votre groupe s'est déjà penché sur le phénomène, mais, au Canada, les récessions frappent toujours à la fin d'une décennie—1950, 1960, 1970, 1980, 1990—et nous arrivons justement au bord du gouffre, à la fin d'une décennie.

Or, si nous réduisons trop les cotisations au moment où survient une récession—j'espère que ce ne sera pas le cas, mais nous ne sommes pas maîtres de notre destin si le secteur de l'automobile aux États-Unis pique du nez, et c'est cela l'indice—il serait prudent—et je vous inviterais à l'être—de continuer à ne pas réduire la cotisation d'assurance-emploi de façon trop précipitée—en fin de compte, on veut réduire, mais c'est une question de degré—tant que les caractéristiques du cycle économique n'ont pas été bien établies.

• 1720

Mme Joyce Reynolds: Oui, mais si vous prenez connaissance de l'annexe 3 vous constaterez que l'excédent prévu au compte de l'assurance-emploi demeure considérable, en dépit de réductions importantes des cotisations. Évidemment, comme nous venons de le dire, il s'agit d'un surplus qui n'existe pas vraiment.

M. Paul Szabo: On suppose qu'il n'y a aucune modification du taux actuel.

Mme Joyce Reynolds: Non, ici, les taux passent de 2,70 $ à 1,70 $ selon trois scénarios distincts.

M. Paul Szabo: Oui, mais une réduction de 1 $ vaut environ 12 milliards de dollars pour chaque année. Si l'excédent était utilisé jusqu'à épuisement pour combler des déficits, il faudrait ensuite faire augmenter les taux très rapidement. Je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée...

Mme Joyce Reynolds: Nous proposons une réduction de cotisation de 30 cents cette année et des réductions équivalentes au cours des deux années suivantes.

M. Paul Szabo: Dans la mesure où vous préconisez un fonds distinct pour l'assurance-emploi, dont la valeur serait comptabilisée séparément des recettes principales du gouvernement et de la réserve générale, j'aimerais savoir si certains de vos membres ont déjà envisagé la possibilité de retrait du régime des segments de l'économie canadienne où on préférerait un régime d'assurance distinct?

Mme Joyce Reynolds: La question est fort intéressante. Durant tout le débat sur la réforme de l'assurance-emploi, les représentants dans notre secteur ont très clairement préconisé une exemption pour les étudiants. Nombreux en effet sont les étudiants qui cotisent au programme de l'assurance-emploi et qui n'ont jamais l'occasion d'en bénéficier.

M. Paul Szabo: Les cotisants des huit grands secteurs d'activité, comme ceux de la construction, de la forêt, des pêches, etc., ont été des bénéficiaires nets par le passé. C'est-à-dire qu'ils ont retiré davantage du régime qu'ils n'y ont versé.

Mme Joyce Reynolds: Nous serions favorables à un régime où les taux seraient fixés selon les résultats s'il était possible de le faire entreprise par entreprise plutôt que secteur par secteur.

M. Paul Szabo: C'est fort sensé.

Mme Joyce Reynolds: Dans tous les secteurs, certaines entreprises y ont davantage recours que d'autres.

M. Paul Szabo: Encore une fois, je tiens à remercier les témoins de leur excellent travail. Les membres de l'Association des restaurateurs et des services alimentaires participent régulièrement à nos consultations budgétaires depuis que j'y participe moi-même, soit depuis 1993. Ils font un excellent travail, et je tiens à les en féliciter.

Le président: Si la chose vous intéresse, ils tiennent un caucus au restaurant, et vous pourrez donc peut-être parler à Mme Reynolds plus tard.

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président. J'aimerais poser une question à M. Young. Ducks Unlimited fait un travail formidable. J'étais présente à l'Université de Waterloo lorsque nous avons tenu une grande journée mondiale des terres humides, et le rôle de chef de file que nous avons joué par rapport à la Convention relative aux zones humides d'importance internationale a été reconnu.

Vous dites dans votre mémoire que huit des dix provinces ont adopté des lois concernant les servitudes à des fins de conservation. Pouvez-vous me dire précisément quelles sont les deux provinces qui n'en ont pas?

M. Don Young: Le Québec et Terre-Neuve. Le Québec envisage d'adopter une telle loi, et il existe déjà certaines lois visant la conservation dans cette province.

Mme Karen Redman: Je suis plutôt favorable à vos propositions concernant les personnes qui voudraient léguer des terres et accorder des servitudes pour favoriser la conservation de zones humides. Existe-t-il un problème à cet égard dans le cas des provinces qui n'ont pas adopté de loi en la matière?

M. Don Young: Je ne le croirais pas, puisque les lois dont vous avez parlé ne visent que les servitudes à des fins de conservation. Les gens peuvent léguer la propriété foncière au lieu de n'accorder qu'une servitude visant un aspect du territoire. Il n'y a donc aucun problème à cet égard.

Mme Karen Redman: D'accord, merci.

Le président: Merci. Voilà qui met fin à la comparution de ce groupe de témoins.

• 1725

Allez-y, monsieur Epp.

M. Ken Epp: J'aurais une question à poser au représentant des Carpenters and Allied Workers. Vous avez déclaré notamment que le recrutement était plus difficile. Or, nous sommes dans une période d'expansion, et on n'arrive pas à combler les postes. Pourtant, il est difficile de recruter des gens, des jeunes, je suppose. Comment l'expliquez-vous?

M. Dan McCarthy: Je crois que dans notre exposé nous avons donné des statistiques... tirées d'un article de journal. Sur 1 600 appels téléphoniques, 450 personnes ont manifesté de l'intérêt et 39 étaient admissibles.

Ce que nous constatons surtout, ce n'est pas que les jeunes ne travaillent pas, c'est plutôt qu'ils travaillent à temps partiel ou qu'ils occupent plusieurs emplois à temps partiel. Pour participer à la première phase d'un programme de formation, il faut être admissible à l'assurance-emploi. Or, la personne qui abandonne un emploi à temps partiel n'est pas admissible à l'assurance-emploi et ne peut donc pas effectuer la transition.

M. Ken Epp: Pensez-vous donc qu'il faudrait découpler l'accessibilité aux programmes d'apprentissage de l'ensemble du programme d'assurance-emploi?

M. Dan McCarthy: Le terme «découpler» ne m'était pas venu à l'esprit, mais un tel découplage serait effectivement utile pour les nouveaux arrivants, notamment pour les jeunes qui sont sous-employés ou qui occupent des emplois faiblement rémunérés et qui souhaitent effectuer une transition. Donc, on pourrait y arriver en élargissant les critères d'admissibilité à l'assurance-emploi ou d'une façon plus directe... et il s'agirait dans ce cas d'une mesure complémentaire importante qui répondrait mieux aux besoins du secteur de l'entreprise, notamment dans des domaines importants touchés par des cycles économiques.

M. Ken Epp: D'accord.

Voilà qui répond à ma question, monsieur le président, mais j'aimerais faire une brève déclaration.

Personne n'a posé de questions aux témoins qui ont parlé de taxe sur la lecture. J'aimerais leur dire que, selon moi, ils ont exposé leur point de vue avec beaucoup d'éloquence et que je suis tout à fait gagné à leur cause. Je crois bien que d'autres personnes qui sont ici en diraient autant. Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Epp.

Comme je l'ai dit plus tôt, vous êtes le dernier groupe de témoins à comparaître cette année dans le cadre de nos consultations prébudgétaires. Je tiens à vous dire que nos rencontres avec divers groupes de Canadiens un peu partout au pays ont été fort stimulantes pour nous. Nous avons pu constater qu'un grand nombre de Canadiens croient sincèrement au grand potentiel de notre pays.

Que nous parlions de réductions d'impôts, d'investissements en matière de développement communautaire ou de soins de santé, ou de toute autre question qui touche les Canadiens de près, nous savons qu'il nous suffit de persévérer, de nous relever les manches et d'aller de l'avant pour bâtir l'avenir tel que nous l'envisageons. Nous avons beaucoup à faire, mais nous avons les ressources humaines pour le faire.

De Vancouver à Terre-Neuve, la participation des témoins m'a émerveillé. Il y a d'ailleurs un thème qui revient constamment: tous les participants ont le même but, celui d'améliorer la qualité de vie des Canadiens.

Au cours de ces séances, je suis arrivé à la conclusion que le temps était venu pour nous, Canadiens, d'envisager de conclure tous ensemble un pacte de productivité. Si nous souhaitons vraiment accroître le niveau de vie de la population du Canada, alors nous devons nous donner les moyens d'y arriver. À titre de président du comité, je tiens à vous dire que je vais accorder beaucoup d'attention à cette question, qui m'interpelle d'autant plus qu'il existe en matière de productivité un écart important entre les États-Unis et notre pays. Nous devons certainement y réfléchir. Évidemment, vous n'avez pas manqué de faire des propositions qui vont dans le sens d'une augmentation de la productivité et du niveau de vie de la population canadienne.

• 1730

Au nom du comité, je tiens à remercier tous ceux qui ont fait partie de ce qui s'avère être, comme d'habitude, un excellent groupe de témoins. Merci beaucoup encore une fois.

La séance est levée.

• 1731




• 1831

Le président: Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue à tous ceux qui sont ici ce soir.

Nous avons le plaisir d'accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, M. Gordon Thiessen, ainsi que M. Tim Noël.

Comme d'habitude, nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire.

Monsieur le gouverneur.

M. Gordon Thiessen (gouverneur, Banque du Canada): Merci, monsieur le président.

Nous sommes heureux, mes collègues et moi, de l'occasion qui nous est offerte de nous présenter devant votre comité après la publication de chaque livraison du Rapport sur la politique monétaire. Comme vous le savez peut-être, nous avons fait paraître hier notre dernier rapport. Celui-ci traite d'un large éventail de questions d'ordre économique et monétaire et nous donne la possibilité de rendre compte des mesures que nous prenons et des résultats obtenus.

Permettez-moi d'abord de souligner que l'objectif de la politique monétaire est de contribuer à instaurer et à maintenir au pays un climat monétaire propice à une amélioration durable de la tenue de l'économie. Et la meilleure façon pour la politique monétaire d'apporter cette contribution est de faire en sorte que l'inflation se maintienne à un niveau bas et stable.

Comme le précisent les cibles de maîtrise de l'inflation arrêtées conjointement par la Banque du Canada et le gouvernement, notre objectif est de maintenir l'inflation à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 p. 100.

Dans la livraison de mai du Rapport, nous avions insisté sur l'incertitude qui assombrissait les perspectives économiques à l'échelle mondiale. Depuis, l'incertitude s'est encore intensifiée. Si l'Asie a retrouvé un calme relatif, l'instabilité s'est propagée à d'autres régions durant l'été, en réaction à de nouveaux signes témoignant de l'incapacité du Japon de régler ses problèmes et à la décision de la Russie d'imposer un moratoire sur sa dette.

Un grand nombre d'économies émergentes ont été confrontées à des fuites massives de capitaux et à l'accroissement marqué des écarts de taux d'intérêt au-delà du taux des obligations du Trésor des États-Unis, les investisseurs s'étant mis en quête d'un abri sûr pour leurs placements. De façon plus générale, l'écart entre les rendements des obligations du secteur privé et ceux des obligations d'État s'est aussi élargi, et la liquidité des marchés a diminué.

Durant toute la période, la conduite de la politique monétaire au Canada a été influencée par ces facteurs externes. La situation difficile en Asie et en Russie a contribué à une baisse marquée des cours des produits de base que nous exportons. Les problèmes que cela a occasionnés dans notre secteur primaire sont à l'origine des pressions persistantes à la baisse qui se sont exercées sur le dollar canadien pendant l'été. En août, les marchés financiers sont devenus extrêmement nerveux et incertains. Le dollar canadien a fait l'objet d'intenses pressions à la baisse, et nos taux d'intérêt à moyen et à long terme se sont mis à grimper fortement.

Afin de prévenir une perte éventuelle de confiance dans notre monnaie, la Banque du Canada a relevé le taux officiel d'escompte d'un point de pourcentage. Par la suite, le dollar canadien s'est stabilisé, et les taux d'intérêt à moyen et à long terme se sont repliés.

En réaction à l'inquiétude et au manque de liquidités observés sur les marchés financiers d'août à octobre et devant certains signes d'un étranglement possible du crédit, la Réserve fédérale aux États-Unis a abaissé son taux cible à deux reprises, pour un total de 50 points de base, et de 25 points de base additionnels encore aujourd'hui.

En raison de l'importance que revêt l'économie américaine pour le Canada et étant donné que notre taux d'inflation se maintient à de bas niveaux, la Banque du Canada a emboîté le pas à la Réserve fédérale et a elle aussi réduit le taux officiel d'escompte de 50 points de base au total. Depuis, la volatilité a diminué sur les marchés financiers internationaux.

• 1835

[Français]

Par ailleurs, les perturbations économiques et financières survenues sur la scène internationale ont donné lieu à des révisions à la baisse des estimations relatives à la croissance économique mondiale pour 1998 et 1999. Néanmoins, l'activité économique dans les grands pays industriels, en particulier aux États-Unis et en Europe, devrait être assez soutenue d'ici la fin de 1999.

La banque prévoit que l'expansion de l'économie canadienne se poursuivra au cours de la prochaine année compte tenu de la progression continue de la demande intérieure attendue aux États-Unis et de la présence de conditions monétaires expansionnistes au Canada. Toutefois, les turbulences qui ont agité l'économie mondiale ont accru l'incertitude qui entoure normalement les perspectives économiques.

La stabilité financière est capitale pour le maintien de la confiance des ménages et des entreprises. Par conséquent, le rythme auquel les capacités inutilisées dans l'économie canadienne seront absorbées par la croissance de la demande durant la prochaine année sera fonction de la rapidité avec laquelle les marchés financiers au pays et à l'étranger se stabiliseront. À court terme, la banque s'attachera donc tout particulièrement à préserver la confiance des investisseurs à l'endroit des marchés financiers canadiens. Je me réjouis d'ailleurs de la plus grande stabilité que les marchés financiers ont affichée au cours des dernières semaines.

Je tiens à réaffirmer que l'objectif fondamental de la politique monétaire à moyen terme demeure le maintien de l'inflation à l'intérieur de la fourchette de 1 à 3 p. 100 visée par la banque. Tout porte à croire que l'inflation restera dans la moitié inférieure de la fourchette cible au cours de la prochaine année.

[Traduction]

En conclusion, monsieur le président, j'aimerais insister à nouveau sur le fait que la conjoncture internationale demeure incertaine et que cela aura un effet sur le Canada. Cependant, nous résistons mieux cette fois-ci aux difficultés engendrées par l'évolution de l'économie mondiale que nous ne l'avons fait par le passé. Cela tient, selon moi, aux progrès que nous avons réalisés au cours des dernières années: nous avons assaini nos finances publiques, notre taux d'inflation se situe à un bas niveau et est plus stable et la restructuration entreprise par le secteur privé a permis à celui-ci d'accroître sa productivité ainsi que sa compétitivité à l'échelle internationale.

Merci, monsieur le président. Nous sommes disposés à répondre à vos questions.

Le président: Merci, monsieur le gouverneur. Nous commencerons par M. Epp.

M. Ken Epp: Merci, monsieur le président.

Je vous remercie, monsieur le gouverneur, d'honorer notre comité de votre présence.

Étant moi-même un néophyte pour ce qui est de surveiller l'évolution de notre économie dans ses diverses étapes, je tiens tout d'abord à vous dire que je suis impressionné par l'ampleur de la tâche que vous avez à faire. J'espère que vous allez rester en poste suffisamment longtemps pour assurer la stabilité de l'économie canadienne.

Quel est donc le rapport entre les taux d'intérêt au Canada et les taux d'intérêt aux États-Unis? Je ne pense pas simplement aux chiffres. J'aimerais savoir sur quelle théorie économique vous vous fondez pour décider des taux d'intérêt canadiens.

M. Gordon Thiessen: Nous les déterminons en fonction des perspectives de l'économie sur le plan de la croissance, et des implications à long terme de cette croissance sur l'inflation.

Nous étudions toujours l'évolution des taux d'intérêt parallèlement à celle de la valeur du dollar canadien. Il faut envisager les deux simultanément. Il faut toujours se demander quel est l'effet combiné des taux d'intérêt et du niveau du dollar canadien sur l'économie canadienne. Les deux auront un effet sur la volonté des gens de dépenser et d'investir.

• 1840

Nous formulons des projections en vue de déterminer à quoi va ressembler l'économie canadienne dans un an ou deux et dans quelle mesure elle se sera approchée de sa pleine capacité de production. C'est à partir de cela que nous prenons une décision. S'il semble que la croissance risque d'exercer de fortes pressions sur la capacité de production, ce qui pourrait avoir un effet inflationniste, alors nous relevons les taux d'intérêt et envisageons une hausse de la valeur du dollar. Si c'est l'inverse qui se produit, alors nous aurons tendance à favoriser un relâchement de la situation monétaire.

Pour ce qui est maintenant du rapport entre les taux d'intérêt au Canada et aux États-Unis, il faut dire d'entrée de jeu que l'indépendance en matière de taux d'intérêt n'existe tout simplement pas. Les taux d'intérêt sont tous affectés par ce qui se passe ailleurs dans le monde, et les nôtres, bien entendu, le sont encore davantage par ce qui se passe aux États-Unis. C'est un pays très vaste, dont les marchés financiers sont très considérables.

Ainsi, l'évolution de l'économie des États-Unis influe inévitablement sur celle du Canada, et nous devons en tenir compte. Par contre, de toute évidence, les taux d'intérêt canadiens peuvent diverger par rapport à ceux des États-Unis. Parfois ils sont plus bas et parfois ils sont plus élevés, selon notre situation.

M. Ken Epp: Lorsque vous fixez des taux d'intérêt inférieurs au Canada à ce qu'ils sont aux États-Unis, comme la chose est arrivée, cela n'a-t-il pas pour effet d'entraîner une fuite des capitaux du Canada?

M. Gordon Thiessen: Pas nécessairement. Nous l'avons fait à un moment où notre économie était relativement faible et où notre taux d'inflation était très faible par rapport à celui des États-Unis. Dans de telles circonstances, il serait normal de s'attendre à ce que les taux d'intérêt soient inférieurs à ceux des États-Unis.

Les taux d'intérêt en vigueur au Canada ne peuvent être inférieurs aux taux en vigueur aux États-Unis que si l'on s'attend à ce que la valeur du dollar canadien augmente. Les investisseurs n'accepteront pas de bon gré des taux d'intérêt inférieurs à ce que pourrait leur rapporter leur argent s'il était placé dans l'autre pays, à moins qu'ils ne s'attendent à ce que le taux de change augmente en leur faveur. Pendant un certain temps, les investisseurs misaient sur une augmentation de la valeur du dollar canadien en raison du faible taux d'inflation au Canada. Voilà pourquoi les taux d'intérêt étaient moins élevés au Canada qu'aux États-Unis pendant un certain temps.

M. Ken Epp: Très bien. Pourriez-vous nous expliquer à nous, profanes, comment il se fait que pendant que notre dollar chutait le dollar américain prenait de la valeur? Les taux d'intérêt canadiens suivent habituellement les taux d'intérêt américains ou mettent habituellement une semaine à les rattraper. Dans ce cas, comment expliquez-vous cette situation?

Le Canada est un pays choyé. Il jouit d'abondantes ressources. En fait, nos actifs dépassent de loin la dette nationale. S'il en était autrement, pourquoi continuerait-on de nous consentir des prêts? Qu'est-ce qui explique donc l'énorme baisse du dollar canadien l'été dernier?

M. Gordon Thiessen: Cette baisse est essentiellement attribuable au fait que la valeur de certains actifs canadiens a diminué l'été dernier. Les actifs auxquels je songe sont des actifs dans les industries du secteur des matières premières.

Au cours des 12 derniers mois, les prix internationaux des matières premières ont diminué de 15 p. 100. C'est une baisse importante. La faiblesse des industries visées a exercé une pression à la baisse sur notre dollar.

Les États-Unis produisent aussi certaines des mêmes matières premières que nous, mais leur économie repose dans une mesure beaucoup moins grande que la nôtre sur les exportations de ces produits, et le secteur manufacturier tournait à fond de train pendant cette période. L'économie américaine a presque atteint sa pleine capacité. Dans ces circonstances, il était normal que le dollar américain augmente de valeur pendant que notre dollar chutait.

À cela s'ajoute aussi la crise financière en Asie et en Russie, qui a effrayé plusieurs investisseurs internationaux. Ces investisseurs ont voulu rapatrier leurs investissements dans des pays sûrs. Ils se sont rabattus sur les États-Unis, le pays ayant la plus grande et la plus forte économie du monde ainsi que les marchés de capitaux les plus attrayants. C'est une autre raison qui explique la force du dollar américain. Toutes les devises ont perdu de la valeur par rapport au dollar américain à la même époque.

• 1845

M. Ken Epp: Vous soutenez que le dollar canadien prend de la valeur lorsque vous augmentez les taux d'intérêt. Pourquoi?

M. Gordon Thiessen: Si nous augmentons les taux d'intérêt, cela attire des investisseurs au Canada qui veulent le meilleur taux de rendement possible sur leur argent. Cela renforce le dollar canadien jusqu'à ce que la différence—et je regrette que mes explications se compliquent un peu...

M. Ken Epp: Peu importe, je tiens à comprendre ce qu'il en est.

M. Gordon Thiessen: Cela renforcera le dollar jusqu'à ce que la différence entre les deux niveaux de taux d'intérêt soit compensée par les attentes des investisseurs quant au comportement de notre devise.

Si nous augmentons les taux d'intérêt, le dollar canadien aura tendance à prendre de la valeur jusqu'à ce que le changement attendu dans la valeur du dollar canadien égale le changement dans les taux d'intérêt.

Si, par exemple, les taux d'intérêt augmentent de 50 points de base ou de un demi pour cent, cela signifie, généralement parlant, que les investisseurs s'attendront à ce que le dollar canadien se déprécie d'environ un demi pour cent au cours de l'année qui suit. Une fois que c'est fait, on atteint un certain équilibre. Les investisseurs se disent qu'ils peuvent obtenir un taux de rendement plus élevé sur leur argent au Canada, mais que le dollar canadien va perdre un peu de sa valeur.

M. Ken Epp: Vous attendez-vous à ce que la valeur du dollar canadien remonte à 75 sous?

M. Gordon Thiessen: Il est très difficile de prédire ce qui va arriver au dollar canadien. À mon avis, le prix des matières premières est cependant trop bas. Les marchés sont actuellement trop pessimistes, et c'est ce qui explique que le prix des matières premières soit plus bas qu'il ne devrait l'être. On exagère aussi l'importance des matières premières pour le Canada. Même si elles jouent un rôle très important dans notre économie, je crois qu'on exagère ce rôle. Si, comme je le pense, le prix des matières premières remonte, et qu'on comprend enfin mieux quelle est leur place dans l'économie canadienne, je pense qu'on pourrait s'attendre à ce que le dollar canadien augmente progressivement de valeur, et j'insiste sur le fait que cela ne peut être que progressivement, parce que je ne peux pas faire de prédictions à court terme.

M. Ken Epp: Le niveau des prix des matières premières à une incidence sur l'économie canadienne. Si je ne m'abuse, environ 80 p. 100 de nos exportations sont à destination des États-Unis. J'aurais cru que si l'économie américaine est vigoureuse, la demande de produits serait forte, y compris les produits canadiens, et que cela renforcerait notre dollar. Or, ce n'est pas ce qui semble s'être produit. Pourquoi?

M. Gordon Thiessen: La baisse des prix a aussi touché les matières premières que nous vendons aux États-Unis. Même si nos ventes aux États-Unis se sont maintenues à un niveau raisonnable, les prix obtenus pour ces matières premières ont été considérablement inférieurs aux prix antérieurs. Le taux de rendement sur ces exportations a donc aussi diminué. Les recettes de ces industries diminuent et les perspectives dans ces secteurs ne sont pas aussi bonnes qu'elles l'étaient auparavant. Cela se reflète sur notre devise.

Il existe des marchés internationaux pour tous les produits de base, qu'il s'agisse du blé, de l'aluminium, du cuivre ou du nickel.

M. Ken Epp: Je vois. Ma dernière question sera sans doute celle à laquelle il vous sera le plus difficile de répondre. C'est du moins ce que je crois. J'ai discuté à plusieurs reprises de ces questions avec un électeur qui connaît bien le domaine des finances et le secteur bancaire. Selon lui, le Canada et les États-Unis feraient bien de mettre en commun leurs ressources. Nos pays sont voisins. Nos frontières sont très ouvertes. Il serait bon d'aligner le dollar canadien sur le dollar américain au lieu de permettre que son cours flotte de façon indépendante. Il m'a expliqué comment cela pourrait être fait. Je pense qu'il a proposé de remonter arbitrairement le dollar canadien de 1 p. 100 par mois jusqu'à ce qu'il atteigne la même valeur que le dollar américain.

Qu'est-ce qui ne va pas, le cas échéant, avec cette théorie? Mon ami, M. Barlott, a peut-être raison.

M. Gordon Thiessen: Il est très intéressant de savoir que le Canada a été le premier pays à adopter un cours flottant pour sa devise après la Seconde Guerre mondiale. Cette décision a été prise en 1950 parce que le prix des matières premières augmentait rapidement entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. L'appétit des investisseurs ainsi que la demande pour nos produits étaient énormes.

• 1850

D'énormes pressions s'exerçaient sur notre taux de change stabilisé. Nous ne pensions pas pouvoir continuer d'aligner notre dollar sur le dollar américain. Nous aurions pu augmenter la valeur de notre dollar, mais nous ne savions pas quelle était sa juste valeur. Nous avons donc décidé d'opter pour un taux flottant.

Nous avons décidé de nouveau d'aligner notre dollar sur le dollar américain en 1962. Au début des années 70, les prix des matières premières sont de nouveau montés en flèche. Nous nous sommes retrouvés dans la même situation que dans les années 50 et nous avons dû encore une fois faire face à un afflux incroyable d'investissements et à de nouvelles pressions sur notre devise.

Nous avons décidé encore une fois d'adopter un taux flottant. Un taux de change flottant agit un peu comme un amortisseur lorsque se produisent de grands changements dans l'économie, qu'il s'agisse d'une baisse ou d'une chute des prix des matières premières. D'autres chocs peuvent se produire, mais c'est habituellement une baisse ou une augmentation du prix des matières premières qui a la plus grande incidence sur notre économie.

J'aimerais aussi signaler que les problèmes qui se sont produits en Asie ont presque tous été causés parce que les devises dans cette région sont alignées les unes sur les autres. Ces pays ont été durement frappés par certains chocs auxquels ils n'ont pas pu résister. Le cours des devises asiatiques, au lieu de fluctuer, est tombé en chute libre. Tant que le Canada continuera d'être un grand exportateur de matières premières, je crois qu'il serait bon que le taux de change continue de flotter.

M. Ken Epp: Autrement dit, vous êtes fortement en faveur du statu quo et vous vous opposez à ce que le dollar soit aligné sur l'étalon-or ou sur la devise américaine, n'est-ce pas?

M. Gordon Thiessen: Oui, j'appuie fortement un taux de change flottant.

M. Ken Epp: Je n'ai plus d'autres questions. Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie, monsieur Epp.

Monsieur le gouverneur, j'aimerais vous poser une question. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que notre pays a fait de grands progrès au cours des deux dernières années. Nous avons éliminé notre déficit. Nous repayons maintenant notre dette. Notre croissance économique est forte. Il semblerait, à première vue, que la situation de notre pays s'améliore.

Je m'inquiète cependant de notre productivité. Comme nous le savons tous, notre niveau de vie dépend beaucoup de notre productivité. Or, notre productivité a diminué au cours des vingt dernières années. Il est évident qu'il faut inverser cette tendance.

Je me demande si vous pensez, en votre qualité de gouverneur de la Banque du Canada, que le moment est venu dans notre histoire de conclure un pacte portant sur la productivité. Je songe à une entente aux termes de laquelle le gouvernement du Canada, les paliers de gouvernement et le secteur privé tiendraient compte de l'incidence de leurs décisions sur la productivité afin d'assurer une croissance économique soutenue et de permettre le maintien du niveau de vie auquel nous sommes habitués et que nous aimerions léguer aux générations futures.

M. Gordon Thiessen: Je conviens avec vous, monsieur le président, que le niveau de vie d'un pays dépend de sa productivité. Il ne fait aucun doute que c'est à une augmentation soutenue de la productivité que nous pouvons attribuer l'augmentation enregistrée, au cours des années 60, dans les revenus du secteur privé et ceux du secteur public. Ce sont ces revenus que les gouvernements ont investis dans le domaine des services sociaux.

Je pense effectivement que nous n'accordons pas suffisamment d'importance à la productivité. J'aime assez l'idée qu'on demande à ceux qui proposent de nouveaux programmes d'expliquer en quoi ceux-ci vont permettre d'augmenter la productivité. À long terme, notre niveau de vie ne peut augmenter que si notre économie et notre productivité croissent de façon soutenue.

Le président: Je vous remercie, monsieur le gouverneur.

Monsieur Riis.

M. Nelson Riis (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, NPD): Je vous remercie, monsieur le président. C'était une bonne question.

Merci, monsieur le gouverneur. Je me joins à mes collègues pour vous souhaiter la bienvenue devant le comité. J'ai écouté avec plaisir votre exposé, et je suis heureux de pouvoir maintenant vous poser quelques questions.

Je sais que vous êtes un homme d'une grande intelligence et que vous ne faites pas beaucoup d'erreurs, monsieur le gouverneur, mais je crois que vous en avez tout de même fait une. Vous avez dit que les États-Unis avaient augmenté leurs taux d'intérêt trois fois. Si je ne m'abuse, vous avez dit que vous ne leur aviez emboîté le pas que deux fois. Vous êtes-vous trompé, ou allez-vous leur emboîter le pas une autre fois...

• 1855

M. Gordon Thiessen: Les États-Unis ont augmenté leurs taux d'intérêt, ou plutôt les ont diminués, la dernière fois...

M. Nelson Riis: Ai-je dit qu'ils les avaient augmentés? Je voulais dire le contraire.

M. Gordon Thiessen: Et j'ai promptement fait comme vous. Les États-Unis ont diminué leurs taux d'intérêt pour la dernière fois il y a à peine quelques heures. Je ne peux vraiment pas vous en dire plus.

M. Nelson Riis: Je pensais que vous vous étiez trompé.

M. Gordon Thiessen: Non.

M. Nelson Riis: Très bien.

The Economist de cette semaine affirme que la valeur pondérée du dollar canadien a diminué au cours de la dernière année. Quelle incidence cela a-t-il eu sur notre compte courant, et que pensez-vous qu'il adviendra au dollar pondéré au cours de la prochaine année?

M. Gordon Thiessen: Le déclin de la valeur du dollar, comme je l'expliquais, est attribuable en grande partie à la chute des prix des matières premières. Bien que le niveau de nos ventes soit demeuré stable, la valeur de ces ventes a diminué en raison de la chute des prix des matières premières. Cela a évidemment nui au compte courant de notre balance des paiements.

Pendant que nos exportations de produits manufacturés augmentaient, ce qui a eu une incidence positive sur notre balance des paiements, la valeur de nos matières premières, qui représentent 35 et parfois même 40 p. 100 de nos exportations, diminuait.

La faiblesse du dollar, attribuable à la chute des prix des matières premières, a dans une certaine mesure compensé pour cet effet négatif. La faiblesse du dollar a certainement aidé notre secteur manufacturier. Mais cela ne se traduit pas nécessairement immédiatement par une grande amélioration de notre compte courant.

Quoi qu'il en soit, je crois que notre compte courant s'améliorera progressivement. À mon avis, le fait que les industries canadiennes se soient restructurées et aient consenti de nouveaux investissements devrait accroître notre compétitivité. J'anticipe à long terme une diminution du déficit de notre compte courant. Je pense même que ce déficit disparaîtra à un moment donné. Je ne m'attends pas à ce que le déficit de notre compte courant se maintienne à long terme.

M. Nelson Riis: Qu'est-ce que cela signifie à long terme pour notre devise, qui est pondérée sur la base de notre commerce extérieur?

M. Gordon Thiessen: À long terme, cela dépendra d'un certain nombre de facteurs. Si notre taux d'inflation demeure relativement faible par rapport à celui d'autres pays, cela exercera une influence à la hausse sur la valeur de notre dollar pondéré sur la base du commerce extérieur. Le facteur qui pourrait cependant entraîner la plus forte hausse de la valeur pondérée de notre dollar est l'augmentation des prix de matières premières. Si notre productivité augmente davantage que celle de nos partenaires commerciaux, cela fera également augmenter la valeur pondérée de notre devise.

Rien de tout cela n'est facile à prédire. Si l'on constate une amélioration dans tous ces domaines, notre devise devrait aussi prendre de la valeur.

M. Nelson Riis: Monsieur le gouverneur, bien des gens, en particulier au cours des derniers jours, ont fait valoir que les prévisions du ministre des Finances sont très loin d'être justes. Vous avez abordé la question de l'inflation dans votre déclaration. Je crois que vous vous êtes fixé comme objectif, au cours des 18 ou 19 derniers mois, un taux d'inflation variant entre 1 et 3 p. 100. Je remarque que le taux d'inflation n'a jamais été supérieur à 3 p. 100 et que pendant 40 p. 100 du temps il a été inférieur à 1 p. 100.

Les prévisions sont loin d'être exactes. Si un taux de 3 p. 100 semble trop élevé, pourquoi ne pas rabaisser un peu cet objectif? A-t-on une raison inavouée de fausser les prévisions?

M. Gordon Thiessen: Absolument pas.

Nous basons nos prévisions sur ce que nous appelons un taux d'inflation de base. Il s'agit de l'IPC, dont on exclut la nourriture, l'énergie et les impôts indirects, qui sont source de volatilité. Depuis 1993, il n'est arrivé que pendant quelques mois que le taux d'inflation de base soit inférieur à 3 p. 100. Vous avez cependant raison de faire remarquer que ce taux se rapproche davantage de la limite inférieure.

Nous avons vraiment ressenti durement les effets de la crise asiatique. L'impact de cette crise sur les prix des matières premières a eu pour effet d'abaisser le taux d'inflation et d'affaiblir notre économie. Voilà qui explique que le taux d'inflation se situe à la limite inférieure. Nous ne nous attendons pas à ce que la situation change rapidement. Nous nous attendons donc à ce que le taux d'inflation demeure à la limite inférieure pendant la prochaine année.

• 1900

M. Nelson Riis: Monsieur le gouverneur, vous avez fait remarquer que la devise américaine était forte, et nous pouvons constater à quel point c'est le cas sur les marchés internationaux. L'Europe se dirige maintenant vers l'euro, qui sera sans doute une devise très forte. Peut-être vous est-il complètement impossible de répondre à cette question, mais si le dollar américain est fort et que l'Euro est fort, qu'est-ce que cela signifiera pour la pauvre petite devise canadienne? Comme vous le savez sans doute, certains pensent que cela veut dire qu'il faudra dans une certaine mesure aligner notre devise sur la devise américaine. Que pensez-vous de cette hypothèse?

M. Gordon Thiessen: Je ne pense pas qu'elle soit nécessairement juste. Si on avait deux devises fortes, et on pourrait en avoir une troisième si l'économie japonaise s'améliore, cela ne signifie pas que le cours d'autres devises ne peut pas flotter par rapport au cours de ces devises. Je ne pense pas que parce que les Européens ont opté pour une monnaie commune, cela signifie nécessairement que nous devons tous le faire.

Dans une certaine mesure, la décision de l'Europe d'adopter une devise unique était politique plutôt qu'économique. Elle avait vraiment quelque chose à voir avec les guerres européennes. Mais il est vrai aussi que ces économies, notamment celles du soi-disant coeur de l'Europe, c'est-à-dire la France, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Belgique, sont très semblables. Elles sont essentiellement industrielles et ne dépendent pas comme nous du commerce des produits primaires alors que ce n'est pas nécessairement le cas de nos voisins, les États-Unis. Elles n'ont donc pas à subir le genre de secousses que nous ne pouvons éviter. Vous pouvez toujours dire qu'elles ont de bonnes raisons d'adopter une devise unique, mais je ne crois pas que nous devrions forcément les imiter.

M. Nelson Riis: J'ai posé cette question au ministre des Finances, qui, à mon avis, n'y a pas vraiment répondu; alors je vais vous la poser à vous. Elle porte sur la vulnérabilité des banques canadiennes sur le marché dérivé et sur les conséquences de cette vulnérabilité. Vous n'avez pas à insister sur les conséquences de cette vulnérabilité, puisque nous pouvons tous nous les imaginer, mais j'aimerais que vous nous expliquiez dans quelle mesure les banques canadiennes sont vulnérables sur ce marché.

M. Gordon Thiessen: Tout dépend de ce qu'on entend par «vulnérabilité». Il est vrai que les banques ont des marchés dérivés, mais dans la plupart des cas elles y ont recours pour se protéger contre d'autres risques. À titre d'exemple, si une banque a fait des investissements dans l'industrie pétrolière, et qu'elle peut être vulnérable aux fluctuations du prix du pétrole, elle voudra sans doute réduire ce risque en investissant sur le marché pétrolier à terme. De cette façon, elle sera moins vulnérable à une chute du prix du pétrole même si elle a consenti des prêts à des sociétés pétrolières. C'est tout à fait légitime. On pourrait dire que la banque est vulnérable parce qu'elle a investi sur le marché pétrolier à terme, mais cela lui permet de réduire ses risques dans d'autres secteurs.

Il faut donc faire très attention à la façon dont on interprète ces choses.

M. Nelson Riis: Je ne veux pas vous faire dire ce que vous ne dites pas, monsieur le gouverneur, mais faut-il comprendre que vous pensez que les banques devraient investir davantage dans les marchés dérivés pour réduire leur vulnérabilité?

M. Gordon Thiessen: Elles pourraient le faire. Si elles le font judicieusement, les marchés dérivés peuvent leur être très utiles, parce qu'ils leur permettent...

M. Nelson Riis: Ils peuvent aussi connaître des difficultés.

M. Gordon Thiessen: Évidemment, tout comme les emprunteurs.

M. Nelson Riis: Les marchés dérivés peuvent connaître des difficultés plus rapidement.

M. Gordon Thiessen: Pas nécessairement. Tout dépend. Il est cependant vrai que ces marchés sont relativement nouveaux. Ils ne sont pas aussi développés que les marchés traditionnels, et il est vrai qu'ils intéressent parfois des spéculateurs. Il est facile de spéculer sur ces marchés parce que l'investissement de base n'est pas élevé. On peut aussi perdre beaucoup d'argent. Je pense cependant, généralement parlant, que le fait de pouvoir conserver les risques qu'on juge acceptables et se défaire des autres par les marchés dérivés constitue un grand pas en avant. J'en suis convaincu. Si on y a recours judicieusement, ces marchés peuvent être très utiles.

Mon collègue, M. Noël, connaît cependant beaucoup mieux que moi les marchés dérivés.

• 1905

M. Tim Noël (sous-gouverneur, Banque du Canada): Il s'agit de questions très complexes qui reposent sur de longs calculs mathématiques. Les institutions financières qui investissent sur ces marchés doivent bien en comprendre le fonctionnement, se fonder sur de bons modèles de gestion des risques et être sûres que les risques contre lesquels elles veulent se protéger sont bien ceux contre lesquels elles doivent le faire. Il ne faut pas en conclure que ces marchés ne sont pas risqués, parce qu'ils présentent de grands risques si on les connaît mal, mais je pense qu'on peut faire confiance à nos grandes banques à cet égard.

M. Nelson Riis: J'espère que vous avez raison, monsieur Noël. Je me souviens d'avoir discuté avec un représentant d'une des grandes banques du secteur des marchés dérivés. Je lui ai demandé combien ces marchés rapportaient à sa banque, et il m'a répondu qu'ils lui rapportaient énormément d'argent. Il a aussi dit qu'il ne savait pas d'un jour à l'autre s'il conserverait son emploi en raison de la volatilité de ce secteur. Je vous remercie cependant de ces renseignements.

Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie. Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Je vous remercie.

J'aimerais revenir sur ce qu'a dit M. Riis. Nous ne savons pas non plus d'un jour à l'autre si nous ne perdrons pas notre emploi, mais nous ne faisons pas autant d'argent. Je ne crois pas que la personne dont il nous a parlé soit tellement à plaindre. Quant à nous, nous pouvons au moins dormir tranquille pendant trois ou quatre ans.

Je vous remercie beaucoup, monsieur le gouverneur et monsieur Noël, d'être parmi nous aujourd'hui.

J'ai deux ou trois questions à vous poser. Vous avez dit que le secteur privé devait se restructurer pour devenir plus productif et plus compétitif à l'échelle internationale. À votre avis, le déclin enregistré dans notre productivité au cours des 20 ou 30 dernières années est-il lié de près au déclin du dollar canadien?

M. Gordon Thiessen: Non, je ne le pense pas. Je crois plutôt que le déclin du dollar canadien reflète le fait que la productivité n'a pas augmenté. C'est l'inverse.

M. Scott Brison: C'est aussi ce que je pense.

M. Gordon Thiessen: Il y a cependant évidemment des gens qui pensent que c'est l'inverse.

M. Scott Brison: Je pense qu'on peut aussi dire que le libre-échange et des mesures comme la déréglementation des services financiers et des transports ont eu un effet bénéfique.

Pensez-vous que le fait que les impôts soient élevés au Canada et qu'il existe des obstacles au commerce interprovincial entrave l'amélioration de la productivité?

M. Gordon Thiessen: Je pense que c'est certainement le cas des obstacles au commerce interprovincial. Je crois que c'est facile à voir. Ce n'est pas aussi évident en ce qui touche les impôts. Comme M. Bevilacqua l'a dit, il faut se demander quelle est l'incidence de tous les éléments sur la productivité. Chaque fois qu'on crée un nouveau programme, il faut se demander s'il va favoriser ou entraver la productivité. J'aime l'idée qu'on demande aux partisans des nouveaux programmes de nous dire ce qu'il en est à ce sujet.

M. Scott Brison: Cet été, pendant que le dollar semblait être en chute libre, la Banque du Canada a fait l'objet de grandes pressions pour qu'elle intervienne. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que vous avez dit, mais je pense que la Banque du Canada a à un moment donné fait savoir qu'elle était prête à intervenir. Vous l'avez plus ou moins fait savoir aux marchés, ou du moins c'est la façon dont la presse a présenté les choses.

J'ai entendu M. Riis se reporter à The Economist, et je sais que cette revue a fait paraître un article faisant valoir que la Banque du Canada avait fait preuve d'une naïveté économique sans précédent en agissant de la sorte. On ne peut pas dire que The Economist ait été plus dur envers la banque que... J'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous avez dit au juste et la façon dont on a interprété vos propos. J'aimerais aussi savoir si vous agiriez autrement dans les mêmes circonstances.

M. Gordon Thiessen: Vous ne serez pas étonné d'apprendre que nous estimons avoir été mal interprétés. Je n'ai rien dit de tel. Dans notre rapport de mai dernier, nous avons déclaré que, s'il n'y avait pas de mauvaises surprises, s'il n'y avait pas de chocs importants, les conditions monétaires étaient bonnes. C'est ce que nous avons dit—nous avons parlé des conditions monétaires, de l'effet combiné des taux d'intérêt et des taux de change. Nous n'avons pas dit ne pas être prêts à défendre le taux de change. Nous n'avons pas dit que nous ne modifierions pas les taux d'intérêt. Nous n'avons pas dit ce que nous ferions en cas de crise.

• 1910

Peu de temps après, la situation s'est détériorée très rapidement au Japon. L'économie, qui semblait déjà se diriger vers une récession, a ralenti très rapidement. Nous avons constaté que, pendant le premier trimestre, l'économie japonaise avait rétréci de 5 p. 100.

Le gouvernement japonais a alors connu des difficultés politiques, et on s'est alors demandé s'il serait en mesure de confronter ses problèmes macroéconomiques et ses problèmes bancaires. Il y a d'ailleurs eu des élections au Japon à la fin de juin ou au début de juillet. En conséquence, le prix des produits primaires, qui avait commencé à remonter lentement au début du printemps au Canada, a chuté. Toutes les devises liées aux produits de base, telles que le dollar canadien, le dollar australien, le dollar néo-zélandais, et même le rouble russe, en ont subi les contrecoups. C'est le rouble qui a le plus souffert, à un point tel que cela a provoqué une crise en août. Cela a représenté pour nous un choc important auquel nous devions réagir.

J'estime que les banques centrales ont agi en toute légitimité, mais leurs mesures pouvaient laisser croire que les conditions étaient différentes et que ce que nous avions prévu de faire en l'absence de crises importantes n'était plus possible. Je crois qu'on nous a très mal interprétés.

M. Scott Brison: Si tel est le cas, vous savez alors comment les politiciens se sentent parfois.

En août, vous avez fait une intervention massive sur le marché monétaire qui a eu une incidence à court terme, et je présume que vous avez réagi à ce qui se passait au Japon, à la crise imminente... Vous êtes d'avis que votre intervention a alors été efficace.

M. Gordon Thiessen: Certainement. Le véritable problème, c'est que nous sommes intervenus au début du mois d'août. Cela a semblé stabiliser le marché des devises, mais les Russes ont alors dévalué leur devise et déclaré un moratoire unilatéral sur le service de la dette. Cette mesure a fait des vagues sur les marchés financiers internationaux, et nous avons été emportés par la vague. Par conséquent, malgré notre tentative de stabilisation de la devise au début d'août, nous avons été emportés par cette vague de panique qui a déferlé sur tous les marchés.

M. Scott Brison: J'ai des questions à poser sur les enjeux mondiaux; j'estime que votre travail nécessite à bien des égards un point de vue mondial, peut-être même davantage que dans le passé.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de la proposition de Jeffrey Sachs et de certaines autres de ses suggestions sur la création d'une banque centrale mondiale.

Dans un article que j'ai lu récemment, on parlait aussi de voir si l'Union monétaire européenne connaîtrait du succès ou non... À mon avis, on ne pourra pas évaluer le succès de l'Union monétaire européenne dans un avenir rapproché, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Cela peut sembler abstrait, mais il m'apparaît important d'au moins envisager la possibilité d'une devise mondiale. D'ailleurs, déjà nous avons des problèmes parfois lorsque les gouvernements adoptent des politiques monétaires contraires à leur politiques budgétaires. Vous avez laissé entendre que cela a peut-être provoqué les difficultés de l'Asie, entre autres choses, et c'est peut-être une possibilité à envisager à long terme.

Le dernier point sur lequel j'aimerais avoir vos observations est le suivant—je vous les donne tous tout de suite, et vous pourrez les commenter dans l'ordre: certains ont proposé l'adoption de la taxe Tobin en vue de réduire les transactions spéculatives. Je sais que l'ONU assimile ça au luddisme, et certains critiques estiment que cette taxe réduirait non seulement la spéculation, mais aussi la spéculation positive et, du coup, empêcherait les pays d'adopter des politiques budgétaires contraires à leurs politiques monétaires, etc. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la taxe Tobin, car je crois qu'on en discutera au Parlement dans les mois à venir, et il serait bon qu'on connaisse les pour et les contre.

Merci.

• 1915

M. Gordon Thiessen: En ce qui concerne une banque centrale mondiale, ce n'est pas pour demain; d'ailleurs, je ne sais trop comment elle fonctionnerait. Déjà, en Europe, on s'interroge sur ce que devrait être la relation entre la Banque centrale européenne et le Parlement européen et les parlements nationaux, et cela cause un malaise.

Disons qu'en Allemagne et en France la demande est en croissance rapide et qu'il faut donc des taux d'intérêt raisonnablement élevés et une devise forte; que se passera-t-il dans les pays voisins si chaque parlement ne peut adopter sa propre politique budgétaire? Je vois mal comment cela fonctionnerait. À mon avis, cette solution ne présente pas suffisamment d'avantages pour qu'on envisage de l'adopter dans les meilleurs délais.

Si on crée une banque centrale mondiale, il faudra inévitablement se doter d'une devise mondiale. L'un ne va pas sans l'autre. Sinon, cela n'a aucun sens.

M. Scott Brison: Les États souverains seraient moins libres d'agir en matière de politique monétaire, mais pourraient néanmoins utiliser tous leurs leviers financiers. On prétend même que certains pays ont tenté d'assurer leur prospérité à l'aide de politiques monétaires malvenues fondées sur la dévaluation.

Pour l'instant, cela reste une solution à très long terme. N'y a-t-il rien d'avantageux à forcer les gouvernements à adopter des politiques budgétaires plus rigoureuses?

M. Gordon Thiessen: Oui, mais un taux de change fixe suffit. J'aime à croire que nous avons appris beaucoup au cours des 20 dernières années. Nous avons appris que des politiques monétaires laxistes ou des politiques budgétaires qui font fi de l'accumulation de dettes ne peuvent qu'entraîner des difficultés. Il faut être très prudent à ces deux chapitres.

On le constate un peu partout autour de nous. Peu importe la couleur du parti au pouvoir. Dans les grands pays industriels, on s'entend généralement sur l'importance de ces deux choses, mais on a vu au cours des 20 dernières années qu'il était crucial de ne pas les négliger.

Je ne crois donc pas que c'est avec une banque centrale mondiale ou une devise mondiale qu'on puisse imposer cette discipline. D'ailleurs, on n'aurait pas le genre de latitude dont je viens de parler, qui nous permet de réagir aux grandes fluctuations, à la hausse ou à la baisse, du prix des produits de base. Cette souplesse peut être utile. Pour jouir de cette souplesse, il faut des politiques budgétaires et monétaires très claires et très strictes; sinon, vous aurez des ennuis.

En ce qui concerne la taxe Tobin, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. La spéculation peut être très utile, même si elle peut avoir des effets perturbateurs. En général, je dirais qu'elle est utile. Au Canada, par exemple, en hiver, nous importons beaucoup de produits alimentaires; nos échanges commerciaux tendent donc plutôt vers le déficit en hiver.

Normalement, cela n'influe pas vraiment sur notre monnaie, car même s'il y a déficit commercial et que cela pourrait déprimer notre devise, on juge généralement que c'est une situation temporaire et que le dollar canadien reprendra du mieux. Il y a donc spéculation sur le dollar canadien, ce qui fait augmenter sa valeur, laquelle reste relativement constante pendant cette période.

Le nombre de spéculateurs est si grand que cela supprime les anomalies. La valeur du dollar canadien est un peu élevée par rapport au dollar australien; sans raison particulière, ils feront de l'arbitrage entre les deux. Tout cela assure le fonctionnement sans heurt des marchés. Ce genre de spéculation ne comporte habituellement qu'une petite marge de profit. Si on imposait une taxe Tobin sur ces transactions, on ralentirait cette spéculation utile.

La spéculation perturbatrice se produit habituellement lorsqu'on s'attend à une crise quelconque, à la chute ou à la montée soudaine d'une devise. Les spéculateurs qui s'adonnent à ce genre de transactions s'attendent habituellement à un rendement très élevé. Ce n'est pas une taxe Tobin qui les dissuadera. Une taxe de ce genre ralentirait la spéculation utile sans pour autant mettre fin à la spéculation nuisible.

• 1920

M. Tim Noël: J'ajouterais seulement que la spéculation est bonne pour la dette et la liquidité des marchés et, par conséquent, profite à tous ceux qui travaillent en faveur de l'économie. De plus, la spéculation permet à ceux qui préfèrent ne pas prendre de risques de laisser ces risques à d'autres. Elle joue donc un rôle très utile au sein de l'économie.

Le président: Oui, allez-y.

M. Scott Brison: L'idée de la taxe Tobin a été lancée il y a environ 20 ans. De temps à autre, elle refait surface, particulièrement en temps de crise. Bien sûr, depuis la crise en Asie, on en a beaucoup discuté.

Dans un rapport, on laissait entendre que les spéculateurs ont peut-être, de façon perverse, atténué la crise en Asie en prévenant une crise encore plus grave qui se serait produite ultérieurement si les gouvernements... Encore une fois, en soulignant l'existence d'incohérences entre les politiques budgétaires et monétaires et une politique monétaire insoutenable, ils ont forcé bien des gouvernements à faire ce qu'ils auraient dû faire de toute façon. Qu'en pensez-vous?

M. Gordon Thiessen: Je serais d'accord avec vous s'il s'était agi de devises à taux de change libres. Dans ce cas, compte tenu des problèmes de politique qui existaient, les taux de change auraient baissé, et cela aurait soulevé des questions sur la pertinence des politiques monétaires et budgétaires.

Mais parce que les taux de change de la Thaïlande, de la Corée du Sud, de la Malaisie et des Philippines étaient fixes, la spéculation a entraîné une hausse de la pression jusqu'à ce que la crise éclate. Quand les taux de change sont fixes, ce genre de spéculation peut être perturbatrice, ce qui n'est pas le cas lorsque les taux de change sont libres.

Le président: Merci, monsieur Brison.

Monsieur Pillitteri.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'ai vu que, avant de poser sa question, M. Brison a jeté un coup d'oeil de notre côté. Je vous assure que Brian Tobin n'est pas assis avec nous, et que nous n'avons pas non plus de taxe Tobin de ce côté-ci. Si vous voulez en discuter à la Chambre, vous devrez le faire seul ou avec quiconque voudrait en parler.

M. Scott Brison: La taxe Tobin ne tient pas son nom de Brian Tobin.

M. Gary Pillitteri: Je le sais. Je croyais qu'il le prendrait au mot.

Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux de vous revoir, monsieur Thiessen.

J'ai quelques questions à vous poser. Il y a une vingtaine d'années, l'économie du Canada était fondée à plus de 60 p. 100 sur les produits de base. Or, près de 11,5 p. 100 de l'investissement total au Canada provenait de l'étranger. Notre économie ne dépend plus des produits de base qu'à 30 p. 100, mais nous n'attirons plus qu'environ 4,5 p. 100 d'investissements étrangers au Canada. Les deux chiffres devraient être inversés. Notre rendement comme pays... nous comptons moins sur les ressources naturelles et davantage sur la fabrication de produits, ce qui devrait aider le dollar canadien. C'est la première partie de ma question. Y voyez-vous un lien?

Les spéculateurs réclament en général qu'on relève le seuil des investissements étrangers de 20 p. 100 à 30 p. 100. Cela signifierait que davantage de capitaux quitteraient le Canada et qu'il y aurait une pression accrue sur le dollar canadien.

Que répondez-vous à cette question en trois volets?

M. Gordon Thiessen: En ce qui a trait aux investissements étrangers, en général, c'est le secteur primaire qui attire des investissements étrangers considérables. Si vous voulez ouvrir une mine dans le Nord de l'Ontario, si vous voulez exploiter un puits de pétrole en Alberta, il vous faut beaucoup d'argent. C'était souvent ce genre d'entreprises qui attiraient des investissements étrangers. Il y avait d'importants investissements à faire dans les mines, les machines, etc. Ces entreprises attiraient des investissements étrangers, car c'était là des investissements qu'on pouvait faire en bloc et qu'il était difficile pour notre pays de faire.

• 1925

Cela ne m'étonne donc pas que nous dépendions moins des investissements étrangers directs, puisque notre économie se fonde de moins en moins sur les produits primaires et de plus en plus sur les biens usinés.

Je dois avouer que je n'ai pas d'opinion précise à ce sujet. Il est bon qu'on encourage les étrangers à investir au Canada. Et il est bon qu'ils investissent dans le secteur manufacturier. En général, ce genre d'investissement s'accompagne d'un savoir-faire et d'un esprit d'entreprise qui devraient être bienvenus.

Je me contenterai donc de dire que, en général, les produits de base ont attiré davantage d'investissements étrangers parce qu'ils nécessitent généralement de gros investissements en bloc. C'est tout ce que je peux vous donner comme explication.

Peut-être n'ai-je pas bien compris votre question?

M. Gary Pillitteri: Vous n'avez en effet peut-être pas bien compris la question. Notre secteur manufacturier a pris de l'ampleur, mais nous attirons moins d'investissements étrangers. Or, il me semble que les investissements dans le secteur manufacturier seraient moins risqués que dans le secteur primaire.

Voici ma question: la situation ne devrait-elle pas être renversée? Il me semble que le dollar canadien devrait valoir plus.

M. Gordon Thiessen: Si vous exploitez des mines de nickel à Sudbury, votre investissement peut vous rapporter très gros. L'extraction et la mise en marché de ce minerai pourraient avoir un très bon rendement. Voilà pourquoi les étrangers aimaient faire ce genre d'investissement. En revanche, dans le secteur manufacturier, on voit plutôt de petits investissements, car le rendement est moindre que s'il s'agissait d'une mine de nickel, d'une fonderie d'aluminium à Kitimat, ou d'autres choses de ce genre.

M. Gary Pillitteri: Que pensez-vous de l'idée de relever la limite du contenu étranger des REER, qui est actuellement de 20 p. 100?

M. Gordon Thiessen: J'ignore quand on devra se pencher sur la question, mais je sais que, à long terme, à mesure que la population canadienne vieillit, les épargnants seront plus nombreux et les épargnes, plus importantes. Je prévois aussi qu'un jour il y aura d'année en année un excédent au compte courant, et notre pays deviendra un prêteur net au niveau international. Dans de telles circonstances, il faudra permettre aux Canadiens une plus vaste gamme de possibilités d'investissement.

C'est ce que l'avenir nous réserve. J'ignore toutefois quand il faudra en tenir compte. Il faudrait peut-être attendre que l'excédent du compte courant soit dans un avenir rapproché. Quand cela se produira—et je crois que cela se produira—on voudra probablement relâcher certaines règles.

M. Gary Pillitteri: Voici ma dernière question. Depuis deux ou trois ans, notre dollar vaut environ 65 cents. Cela plaît bien aux gens d'affaires, car cela les aide à soutenir la concurrence. Mais ce n'est peut-être pas encore suffisant. Croyez-vous que, dans l'avenir, un dollar canadien à 65 cents entraînera des problèmes? Les gens d'affaires canadiens sont très concurrentiels. Le Canada pourrait, sans aucun doute, trouver sa place dans le monde. Croyez-vous que la valeur du dollar canadien constitue une menace pour l'avenir?

M. Gordon Thiessen: Je dois reconnaître que cela m'inquiète un peu. À l'heure actuelle, notre monnaie est faible en raison de la faiblesse du prix des produits de base et de notre secteur primaire.

Mais cela signifie aussi que l'argent est bon marché. La monnaie est sous-évaluée, ce qui n'encourage peut-être pas le secteur manufacturier à être aussi productif et concurrentiel qu'on le souhaiterait. Il serait malheureux que, compte tenu de ce que je considère comme la sous-évaluation de la monnaie, notre secteur secondaire s'assoie sur ses lauriers et abandonne la recherche des gains de productivité et de compétitivité dont on a besoin pour rehausser notre niveau de vie à long terme.

• 1930

Je reconnais donc être un peu inquiet, et j'espère que les entreprises canadiennes comprennent que la monnaie est sous-évaluée et que cela ne durera pas.

M. Gary Pillitteri: Monsieur Thiessen, comme vous l'avez dit, la politique monétaire est une boule de cristal. Étant un homme d'affaires, je compte bien en profiter. Selon vous, les taux d'intérêt vont-ils augmenter au Canada et, dans l'affirmative, quand?

M. Gordon Thiessen: Ils augmenteront si notre économie prospère au point d'excéder sa capacité et de faire augmenter le taux d'inflation à plus de 3 p. 100.

Le président: Ce tuyau vous sera-t-il utile?

Madame Redman?

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Thiessen. Je retire toujours beaucoup de vos témoignages. Je n'avais jamais entendu parler «d'investissements en bloc»; j'en sais donc un peu plus qu'hier.

À la page 20 du rapport, vous dites que la banque a dû aider des marchés financiers à se concentrer sur l'essentiel. Vous dites, et je cite:

    [...] la banque a dû s'attacher tout particulièrement à calmer les marchés financiers afin que les opérateurs puissent se concentrer sur les facteurs fondamentaux de l'économie.

Cela soulève la question de savoir si ceux qui s'inquiètent de la volatilité du marché sont suffisamment avertis pour savoir que le Canada n'est pas une économie fondée sur les ressources et que sa situation budgétaire s'est grandement améliorée.

M. Gordon Thiessen: Je crois que oui, pour ce qui est des finances du pays. Notre situation à cet égard est bien connue.

Je dois cependant dire qu'on a tendance à exagérer l'importance des produits de base pour l'économie canadienne. Ce ne sont pas seulement les négociateurs qui en sont coupables, car les négociateurs n'ont que des effets temporaires sur le marché. Ce sont les investisseurs qui peuvent influer à long terme sur les marchés. Ce sont eux qui décident s'ils veulent détenir des actifs en dollars canadiens ou sous d'autres formes. On a encore tendance à voir le Canada comme il y a 20 ans. Il est donc essentiel que nous insistions sur le fait que le secteur dont les exportations croissent le plus rapidement, c'est le secteur des produits usinés autres que les produits automobiles, ce que bien des gens oublient.

Mme Karen Redman: Merci.

Le graphique 13 porte sur le taux de change du dollar canadien. La dernière ligne dit: «Indice des cours du dollar canadien vis-à-vis des monnaies du G-10 autres que le dollar américain». Il continue de chuter. Pourquoi?

M. Gordon Thiessen: Le dollar américain a été très faible récemment, surtout par rapport au yen japonais. Il y a eu tout un revirement. Le yen, qui a été faible pendant si longtemps, a repris du poil de la bête récemment. Cette baisse prononcée est attribuable au fait que le dollar canadien a suivi le dollar américain et que celui-ci s'est dévalué par rapport au yen et, dans une certaine mesure, par rapport au mark allemand.

Si ces graphiques étaient mis à jour, vous constateriez une petite reprise depuis, mais c'est ce que cela traduit—la reprise du yen japonais.

Mme Karen Redman: J'ai une dernière question à vous poser. En fait, vous avez déjà abordé le sujet en réponse à d'autres questions. Si notre taux de change était fixe, comment notre économie aurait-elle réagi à la crise en Asie orientale, et comment se serait-elle adaptée à la baisse du prix des produits de base?

M. Gordon Thiessen: Tout déclin du prix des produits primaires comme celui que nous avons connu a une grande incidence sur les revenus au Canada, essentiellement sur la richesse.

Cela se compare à ce qui se passe dans les familles, si du jour au lendemain on vous dit que votre entreprise a perdu 15 p. 100 de sa valeur parce que, dorénavant, vous devrez baisser vos prix de 15 p. 100.

• 1935

C'est ce qui s'est passé au Canada lorsque le prix des produits de base a baissé. Cela signifie que notre pays n'est pas aussi riche qu'avant et que, compte tenu des circonstances, nous devrons exercer une pression à la baisse sur la monnaie. Nous serons moins bien nantis qu'avant, et cela se répercutera sur le pays.

Si nous tentons d'établir un taux de change fixe, cela touche aussi notre richesse, nos revenus et notre niveau de vie. On ne peut y échapper. Cela se traduirait par une économie affaiblie. Il y aurait une pression à la baisse sur les prix et les salaires, et ce, jusqu'à ce qu'ils traduisent bien le fait que nous ne sommes pas aussi riches qu'auparavant. Il est fort probable que cela s'accompagnerait d'un relèvement des taux d'intérêt visant à maintenir le dollar à son niveau.

C'est donc un processus difficile et désagréable. On le voit dans certains pays, comme le Brésil, qui tentent de conserver un taux de change fixe.

Le déclin du prix des produits de base se fait sentir dans les deux cas; ce qu'il faut se demander, c'est: comment s'y adapter? Doit-on faire baisser les prix, les salaires et l'emploi, ou accepter un taux de change réduit?

Mme Karen Redman: Merci beaucoup.

Le président: Merci, madame Redman.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo: Merci, monsieur le président, et merci, monsieur le gouverneur, de vos remarques. Je ferai écho à ceux qui ont dit que vos explications sont toujours très instructives. La dynamique dans laquelle nous nous trouvons est certainement complexe.

Un des intervenants a parlé de la stabilisation du dollar, et vous avez indiqué que notre pays a été le premier, en 1950, à stabiliser sa monnaie après la guerre. J'ai examiné les graphiques et j'ai vu que, en 1950, le dollar a tout de suite baissé à 95c., l'inflation a augmenté et une récession s'est amorcée. Cela m'apparaît intéressant, bien que j'ignore si cela a une signification particulière.

J'ai vu, un peu plus loin dans le graphique, qu'en 1957 et au début de 1958 il y a eu une autre récession, comme cela a été le cas à la fin de 1969 et au début de 1970. Il y a aussi eu une petite récession en 1980, ainsi qu'à partir de la fin de 1981 jusqu'à la fin de 1982, et dès le milieu de 1990 jusqu'au milieu de 1991.

J'ai regardé ce qui s'était passé aux États-Unis et j'ai pu tracer des parallèles. Nos voisins américains ont connu des récessions en 1953, 1954, 1958, 1960, 1970, 1974, 1982 et 1990. Leurs récessions ont été plus nombreuses; les récessions y ont été plus fréquentes au cours de 50 dernières années. Mais ce que ces récessions ont en commun, c'est qu'elles se sont toutes produites autour de la fin d'une décennie.

Ensuite j'ai regardé ce qui arrivait à l'inflation juste avant une crise économique, et, comme on pourrait s'y attendre, l'inflation était en hausse.

Voici donc ma question. Vous voyez déjà où je veux en venir, n'est-ce pas? Au cours des cinq dernières décennies, au cours des cinquante dernières années, on constate une tendance claire non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis, qui démontre que les cycles existent toujours. Si le déclencheur, c'est l'inflation, dans votre description de l'utilisation relative de la capacité ou de la surcapacité, en supposant que l'inflation à l'heure actuelle est au bas de la gamme de 3 à 1 p. 100, j'en conclus que malgré cinq décennies d'expérience, de tendances et de cycles, vous n'êtes pas disposés à vous protéger contre la possibilité d'une crise économique à l'orée du nouveau millénaire.

• 1940

Avez-vous réfléchi à ces cycles et pensez-vous que la dynamique de la gestion de la politique économique et monétaire ait vraiment changé? Je pose cette question à cause des termes que vous avez utilisés—volatilité, nervosité, instabilité, incertitude mondiale, etc. Il y a une histoire sous-jacente à tout cela. On dit souvent que si on ne connaît pas l'histoire, on est condamné à la répéter. Où en sommes-nous dans les cycles?

M. Gordon Thiessen: Je ne pense pas que le cycle commercial ait disparu, mais fait à noter, quand je me souviens de tous ces cycles, au début des années 80 et encore au début des années 90, c'étaient les plus décourageants de la période de l'après-guerre. Ils étaient plus prononcés et avaient tendance à durer plus longtemps que les autres. Ils étaient également précédés des taux les plus élevés d'inflation. Nous avons eu quelques poussées inflationnistes au moment de la guerre de Corée, mais très brièvement et sans la persistance des augmentations du taux d'inflation au cours des années 70 et encore une fois dans les années 80.

Je pense que l'ampleur de la crise économique est reliée très étroitement au niveau précédent d'inflation. Avec l'augmentation du taux d'inflation, les gens spéculent de plus en plus. Ils tentent de se protéger contre l'inflation. Ils spéculent sur le marché immobilier. Ils cherchent des valeurs refuges, des métaux précieux aux tableaux, etc. Il y a une grande accumulation de dettes pendant ces périodes. Quand les choses finissent par tourner mal, le fardeau de la dette est très lourd et la crise économique beaucoup plus profonde parce que ceux qui se sont endettés lourdement au cours de la période de crise se retrouvent en grave difficulté, comme ce fut le cas, vous vous le rappellerez, sur le marché immobilier du début des années 90.

Incontestablement, plus l'inflation est élevée, pire sera la crise. Toutefois, je tiens à souligner que même si nous réussissons à maintenir le taux d'inflation à un niveau relativement faible, il y aura toujours des fluctuations, mais elles ne devraient pas être dramatiques.

Quant à savoir si le moment au cours de la décennie a de l'importance, je ne le crois pas. C'est une question de chance. Si nous étions en train de nous diriger vers une autre poussée inflationniste actuellement, je dirais que vous avez parfaitement raison de vous inquiéter du fait que nous allons répéter ce qui s'est passé au début des années 90 et 80. Ce n'est pas ce que je constate. Je ne peux pas vous affirmer que nous allons éviter complètement les crises, mais nous ne connaîtrons guère le genre de crise que nous avons vue en 1991 ou en 1981.

M. Paul Szabo: Ce que vous venez de dire se reflète exactement dans ce tableau, où une période d'inflation à la hausse nous mène à une crise économique et à des taux d'intérêt à la hausse. Dans toute l'histoire du Canada, je ne vois aucun exemple d'un taux d'inflation inférieur à 3 p. 100 qui ait mené à une crise économique. Donc les chiffres du passé ont tendance à appuyer votre point de vue.

Cela dit, nous vivons une incertitude à l'échelle de la planète; il y a des événements, et nous en faisons partie. Nous ne pouvons pas nous fermer aux influences mondiales. Quelle est votre évaluation de la résistance relative du Canada face à une crise économique moyenne comme celle que nous avons vue au cours des cinquante dernières années; sommes-nous prêts?

M. Gordon Thiessen: Je pense que nous sommes en bien meilleure posture qu'à tout autre moment depuis les années 60, car pendant presque toutes les années 70 et 80, non seulement les taux d'inflation étaient relativement élevés, mais nous avions également des déficits budgétaires et un endettement croissant. Lorsque les choses ont mal tourné, nous étions beaucoup plus vulnérables.

• 1945

Lorsque l'économie mondiale éprouve des difficultés, comme investisseurs, vous regardez la situation et vous vous demandez où vous voulez investir et où vous ne voulez pas vous retrouver. Vous vous rappellerez j'en suis persuadé, la crise monétaire mexicaine de 1995, lorsqu'un grand nombre d'investisseurs, canadiens et étrangers, se sont demandé où ils voulaient mettre leur argent. Ils ont été nombreux à se dire qu'ils ne voulaient pas investir dans la devise canadienne à cause de notre situation budgétaire, qui ne semblait pas être sous contrôle. Je pense donc que nous sommes mieux placés, maintenant qu'auparavant.

Un autre aspect qui me rassure beaucoup, c'est le secteur des affaires au Canada. Il me semble qu'il est beaucoup plus conscient du fait que nous sommes dans une économie mondiale et qu'il faut pouvoir faire concurrence à l'échelle mondiale. Nous avons pu vendre sur les marchés internationaux. Certainement, les gens d'affaires à qui je parle sont maintenant beaucoup plus axés sur l'international qu'auparavant, et cela me rassure.

M. Paul Szabo: Jusqu'à la terrible crise du début des années 80, le taux des bons du Trésor canadiens de 90 jours et l'indice des prix à la consommation étaient plutôt parallèles; les courbes étaient très près l'une de l'autre, et l'écart dans les taux était minime. Depuis cette crise terrible, nous avons connu un grand effet d'entraînement, de cascade, et l'écart entre les bons du Trésor et l'indice des prix à la consommation s'est élargi. Cette divergence semble maintenant avoir cessé. Toutefois, aujourd'hui, le taux des bons du Trésor est d'environ 50 p. 100 supérieur au taux de l'indice des prix à la consommation. L'IPC est de 4,2 p. 100 et le taux des bons du Trésor est d'environ 6,4 p. 100.

Qu'est-ce qui provoque vraiment cette différence? Doit-on y voir une indication que quelque chose de vraiment fondamental a changé à cause de la crise des années 80?

M. Gordon Thiessen: Actuellement, le taux des bons du Trésor est d'un peu moins de 5 p. 100 et le taux d'inflation est d'environ 1,5 p. 100.

Si on remonte tout particulièrement au début des années 80, je pense qu'il y a eu une perturbation. Le risque d'inflation était plus élevé qu'auparavant et la situation budgétaire semblait être moins sous contrôle. Dans les deux cas, je pense que ce que nous appelons une «prime de risque» commençait à s'infiltrer dans nos taux d'intérêt. Les investisseurs étaient juste suffisamment inquiets face à l'avenir pour exiger des taux d'intérêt plus élevés, afin de se rassurer, car ils craignaient que quelque chose de désagréable n'arrive.

Si vous remontez à des périodes antérieures, surtout au début des années 70, les taux d'intérêt étaient relativement faibles par rapport à l'IPC. En fait, il y a eu des moments où les taux d'intérêt réels étaient négatifs. Si vous placiez votre argent dans des bons du Trésor, vous étiez plus pauvre à la fin de l'année qu'au début. Donc, au début on avait l'impression que l'inflation ne pouvait se maintenir à un tel niveau, et personne ne voulait permettre à l'inflation de grignoter la valeur des épargnes des gens. Lorsque nous sommes arrivés aux années 80, on avait vraiment l'impression que peut-être l'inflation allait grignoter nos épargnes et qu'il se passerait quelque chose de néfaste au niveau de notre dette publique. L'écart s'est donc creusé. Je pense que maintenant il se rétrécit, mais nous n'aurons plus jamais de taux négatifs comme dans les années 70. Une telle situation n'est pas du tout viable. Il ne faut pas que les épargnants se retrouvent en plus mauvaise posture à la fin de l'année qu'au début.

M. Paul Szabo: C'est déprimant. Il semble que vos prévisions soient sur le point de faire perdre leur symétrie aux tableaux. J'espère que vous avez raison, et je vous remercie de ces explications réfléchies.

Le président: Merci, monsieur Szabo.

Monsieur le gouverneur, j'aimerais revenir à une question soulevée par M. Pillitteri ainsi que par le ministre des Finances dans sa mise à jour économique et financière, à savoir que le monde a une opinion démodée du Canada. Comme la plupart des déclarations, ça ne va pas plus loin. Quelle est la solution à ce problème? À qui revient la responsabilité de changer la perception qu'on a du Canada à l'étranger? Comme nous vivons dans un marché mondial, pensez-vous qu'il faille consacrer plus de ressources pour changer l'opinion que le monde a du Canada?

• 1950

M. Gordon Thiessen: C'est une bonne question. Je pense qu'il nous incombe certainement à tous, y compris à nous tous à la Banque, de faire valoir ce point peut-être plus fortement que nous ne l'avons fait. Comme j'ai des collègues en route actuellement vers New York et Londres pour parler de ce rapport sur la politique monétaire dont je vous ai entretenus aujourd'hui, je pense que je dois leur rappeler de le faire valoir. Je pense que nous avons la responsabilité de le préciser plus clairement.

Le président: J'aimerais également ajouter, très franchement, que même ici au pays, si vous demandiez aux Canadiens ce qu'ils pensent de ce pays, ils vous feraient probablement la même réponse. Nous ne pouvons pas laisser cette situation s'éterniser à cause des nombreuses possibilités qui nous échappent parce que notre pays n'est pas bien connu à l'échelle mondiale.

M. Gordon Thiessen: J'en conviens, bien que je ne voudrais pas donner l'impression que je pense que c'est affreux que nous ayons toujours un important secteur industriel primaire. On ne peut pas venir de la Saskatchewan, comme moi, sans croire que ces industries primaires sont toujours importantes.

Le président: M. Riis sera suivi de M. Epp. Je vous en prie, Ken.

M. Ken Epp: Je suis curieux d'en savoir plus long sur vos prévisions en matière d'inflation. Vous n'avez pas inclus l'impôt, et pourtant il est très clair, du moins à partir des données que nous avons, tirées de plusieurs études, que la famille moyenne a vu son revenu après impôt diminuer considérablement, en termes réels, à cause des augmentations de taxes à tous les niveaux. J'aimerais donc vous demander pourquoi vous ne les incluez pas dans l'IPC quand vous fixez vos objectifs?

M. Gordon Thiessen: Les seules taxes que nous excluons sont les taxes de vente. Voyez-vous, s'il y a une augmentation ou une diminution, cela se reflète dans notre tableau sur l'IPC. Il y a un point où l'IPC qui n'exclut pas les taxes tombe à zéro en 1994. C'est au tableau 1, page 6. C'est essentiellement à cause de la réduction des taxes sur les cigarettes et le tabac.

En fait, on peut avoir une impression très fausse sur la tendance de base de l'inflation. Les taxes augmentent et diminuent, mais en réalité, ce qui détermine l'inflation, ce sont les pressions qu'exercent les dépenses et notre capacité de production. On veut donc soustraire les ajustements pour taxes afin de voir de quoi la tendance a l'air. Nous retirons donc uniquement les taxes de vente et d'accise de l'IPC. L'impôt sur le revenu n'est pas inclus dans l'IPC.

M. Ken Epp: Ici au comité, nos témoins n'ont cessé de nous répéter, encore et encore, dans le cadre de cette étude prébudgétaire, qu'ils s'inquiètent énormément des charges sociales et des taxes en général qui provoquent l'exode des cerveaux, etc. Je suis persuadé que les taxes ont une grande incidence sur notre productivité, la question dont nous parlons. Notre dollar serait plus solide si nous avions un niveau supérieur d'activité économique au pays. Il me semble qu'une meilleure mesure consisterait à prendre l'inflation comme telle, y compris le fardeau fiscal des Canadiens.

M. Gordon Thiessen: Je ne pense pas que la politique monétaire peut influer là-dessus. Elle peut le faire sur le niveau de la demande dans l'économie comparativement à notre capacité de production. La politique monétaire peut faire comprendre aux Canadiens que nous pouvons maintenir l'inflation à un niveau faible et stable, à long terme, de façon à refléter la demande relativement à la capacité. Si nous y parvenons, vous aurez une économie moins instable et plus prévisible. Je ne conçois pas que la politique monétaire puisse avoir le moindre effet sur l'impôt sur le revenu. Nous n'avons absolument pas la capacité de faire quelque chose à ce sujet. Je pense donc que ce n'est pas une bonne idée d'inclure l'impôt sur le revenu dans l'indice des prix à la consommation.

• 1955

M. Ken Epp: J'ai peut-être tort, je m'en remets donc, facilement, à votre plus grande sagesse. Prenons un cas extrême, disons que les impôts augmentent de 10 p. 100 par année, dorénavant. Il vous faudrait alors les inclure, n'est-ce pas?

M. Gordon Thiessen: Pas s'il s'agissait de l'impôt sur le revenu puisque cela n'a aucune incidence sur le niveau des prix. Voyez-vous, nous tentons de supprimer les variations dans le niveau des prix qui compliquent les décisions que prennent les gens sur l'épargne et l'investissement.

Ainsi, si les impôts augmentaient à chaque année, cela aurait certainement une incidence sur le désir des gens de dépenser, d'épargner, etc., mais cela n'aurait aucune incidence directe sur le niveau des prix. Dans la mesure où ces changements de niveau d'impôt influent sur la demande totale dans l'économie, nous en tiendrions certainement compte, mais pas sous forme d'une incidence directe sur l'indice des prix à la consommation. Je ne sais pas si c'est clair.

M. Ken Epp: Je veux bien vous croire, bien que je ne sois pas convaincu. Il me semble que si vous augmentez les impôts de 10 p. 100 à tous les ans, après environ deux ou trois ans, les entreprises canadiennes vont devoir demander beaucoup plus pour leurs produits afin de survivre, sinon elles feront faillite. Elles devront verser une rémunération supérieure à leurs employés; elles devront payer des coûts d'intrant plus élevés qui reflètent les impôts accrus que doivent verser les entreprises et leurs employés. Ainsi, les impôts feront tout simplement grimper votre prix. Cependant, vous prétendez que les impôts n'influent pas sur les prix.

M. Gordon Thiessen: Pas directement. Les changements d'impôt peuvent influer sur la pression sur la demande qui provient du gouvernement, mais cela n'aura pas d'incidence directe sur les prix. Le fait que les employés doivent verser plus d'impôt ne change pas automatiquement le prix que l'employeur demandera.

Si comme employeur vous devez payer un certain salaire à vos employés et que le gouvernement augmente leurs impôts, ce sont ces employés qui doivent payer l'impôt, pas l'employeur. Cela n'aura donc pas d'incidence directe sur les prix que demande l'employeur.

M. Ken Epp: Si je suis dans les logiciels et que je veux garder un employé, l'empêcher d'aller aux États-Unis, je n'ai pas de choix. Ou je peux faire faillite, ce qui réduira l'offre et fera également augmenter les prix. Peut-être que je ne comprends tout simplement pas, peut-être faudra-t-il en discuter une autre fois.

Nelson, à vous.

M. Nelson Riis: Je vais changer de sujet, d'une certaine manière. J'ai deux questions, monsieur Thiessen, mais dans un cas il s'agit de revenir à une des questions de mon ami M. Szabo.

Vous avez présenté un scénario très positif et très optimiste ce qui m'a rappelé ce que John Kenneth Galbraith a dit il y a peut-être deux mois. Il s'est donné la peine de prédire qu'il y aurait une crise économique. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi quelqu'un comme lui dirait cela alors que vous, vous dites ce que vous dites?

M. Gordon Thiessen: Je ne sais pas. Je dois dire que je doute fort que le professeur Galbraith suive l'économie de si près maintenant. Je ne sais donc pas ce qui le porterait à faire cela.

Pour aboutir à un scénario comme celui-là, il faudrait qu'énormément de choses aillent vraiment mal et je ne crois pas que ce soit là quelque chose de très probable. Il faut vraiment que toutes sortes de catastrophes arrivent en même temps.

M. Nelson Riis: J'ai été surpris de l'entendre dire cela.

Ma dernière question, monsieur le président, est encore un peu à côté de la coche, mais un peu plus tôt aujourd'hui j'ai rencontré le Dr Suzuki qui doit présenter quelque chose à l'Université Carleton ce soir. Il m'a demandé si je serais là pour l'entendre et je lui ai répondu que non, je serais ici et que je vous écouterais. Il m'a demandé si j'aurais la chance de vous poser quelques questions et je lui ai répondu que je l'espérais bien. Il m'a demandé si j'en poserais une pour lui.

Alors je crois bien que c'est permis, quoique je n'en sois pas sûr. Habituellement, nous ne posons pas des questions pour des tierces parties. Ça va, monsieur le président, j'espère?

Le président: Vous savez, les députés du Parti réformiste le font tout le temps.

• 2000

M. Ken Epp: C'est notre politique.

M. Nelson Riis: Monsieur Thiessen, le Dr Suzuki m'a demandé de vous poser une question de portée générale. Il m'a dit que les mots «économie» et «écologie» partagent la même racine, c'est-à-dire «éco», qui signifie «maison». Il m'a dit que, se fondant sur sa perspective scientifique, à son avis rien ne jouit d'une croissance illimitée sur cette terre. C'est une vérité de La Palice. Il m'a dit que lorsqu'il écoute les grands banquiers de l'État et d'autres—et je ne vous vise pas personnellement—qui nous parlent de l'économie... Comme dans votre rapport, vous y consacrez beaucoup de place aux questions de croissance et d'expansion de l'économie et ainsi de suite, ce qui est habituel. Il a donc demandé si vous croyez vraiment que l'économie canadienne et les autres économies, en général, peuvent vraiment jouir d'une croissance illimitée ou y a-t-il une limite au-delà de laquelle les économies ne pourront plus croître?

M. Gordon Thiessen: Je crois que tout dépend de la productivité. Si nous réussissions à augmenter sans cesse notre productivité, en d'autres termes, toujours en produire plus avec la même quantité de ressources alors oui, nous pourrions jouir d'une croissance illimitée.

M. Nelson Riis: Donc, la croissance perpétuelle est une possibilité?

M. Gordon Thiessen: Oui, c'est bien le cas. Mais la productivité doit augmenter.

M. Nelson Riis: C'est la prémisse sur laquelle se fonde cette théorie.

M. Gordon Thiessen: L'efficience accrue existe. Nous avons eu presque...

M. Nelson Riis: Je crois bien que c'est là une question qu'il poserait. Il n'accepterait pas la réponse, pas plus que moi, de toute évidence. Il commencerait à s'agiter...

M. Gordon Thiessen: Il aurait peur que nous manquions un jour de ressources.

M. Nelson Riis: De toute évidence, il s'inquiéterait de ce que l'on pourrait manquer un jour de ressources, mais il se demanderait aussi si l'on peut maintenir une productivité à l'infini. Je crois bien qu'il remettrait ça en question.

M. Gordon Thiessen: Je crois que c'est une bonne question. À mon avis, ce qui est remarquable lorsqu'on se remémore notre siècle, c'est combien la productivité a augmenté. À certaines époques, comme pendant la dépression, elle n'a pas augmenté, mais à part d'exceptions comme celle-là, le plus souvent la productivité des pays industrialisés a augmenté de façon plutôt régulière.

Il reste aussi qu'il y a beaucoup de pays sous-développés où il existe un potentiel énorme d'augmentation de productivité. Si cela devait arriver, nous nous en porterions tous mieux parce que cela signifie qu'il y aurait probablement plus de produits venant chez nous de ces pays à des meilleurs prix qu'auparavant. Je crois que ce potentiel existe, c'est-à-dire que la productivité augmente et que le monde, en général, connaisse une augmentation de sa richesse. C'est surtout vrai pour les pays en voie de développement.

M. Nelson Riis: Monsieur Thiessen, je ne suis ni philosophe ni très bon historien, mais lorsqu'on songe aux autres économies qui se sont développées à une échelle régionale, même importante, il n'y en a pas beaucoup qui ont duré éternellement, pour quelque raison que ce soit...

M. Gordon Thiessen: Je crois qu'il s'agit plutôt de régimes politiques qui n'ont pas duré éternellement. Si l'on a connu des hauts et des bas politiques, depuis un siècle environ, les économies des pays développés, en gros, ont joui d'une croissance assez régulière pendant les périodes de paix et ce, grâce surtout aux améliorations au niveau de la productivité.

M. Nelson Riis: C'est une question de temps. Je ne sais pas si nous aurons l'occasion de revenir à cette question dans 100 ans. Merci de m'avoir permis cette intervention, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Riis.

Monsieur le gouverneur, monsieur le sous-gouverneur, nous vous remercions d'être venus. Nous avons toujours hâte de voir votre rapport et nous sommes heureux, évidemment, des bonnes nouvelles dont vous nous avez fait part ce soir. Au nom du comité, merci.

M. Gordon Thiessen: Merci, monsieur le président.

Le président: La séance est levée.