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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 27 mars 2001

• 0907

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.

Chers collègues, avant d'entendre nos témoins, j'aimerais que nous réglions d'abord quelques affaires. Toutefois, je ne veux pas y consacrer beaucoup de temps et j'aimerais donc avoir votre opinion sur le temps qu'il faudra pour cela. S'il faut beaucoup de temps, nous ne traiterons pas ces questions maintenant.

M. Harb est ici et comme vous le savez, son sous-comité étudie la question du bois d'oeuvre et a récemment tenu des audiences. Le sous-comité souhaite envoyer une lettre au ministre Pettigrew et à M. Zoellick.

Monsieur Harb, je crois savoir que tous les membres du comité approuvent sans réserve cette lettre. Vous demandez au comité de la ratifier, mais pas de la modifier. Vous avez déjà discuté de ce sujet au comité et vous avez l'appui de ses membres.

Je me demande donc, chers collègues, si vous seriez prêts à appuyer M. Harb.

M. Gary Lunn (Saanich—Gulf Islands, AC): Je présente une motion.

Le président: Oui, monsieur Lunn? Je vous en remercie.

[Français]

Madame Lalonde, vous avez une question?

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): [Note de la rédaction: Inaudible] ...du sous-comité ont lu la lettre?

Le président: Oui. Cela a été envoyé hier.

Mme Francine Lalonde: Sont-ils d'accord?

Le président: Ils étaient d'accord sur le principe, peut-être pas sur chaque mot, mais ils ont tous voté en faveur de la lettre et de son contenu. Peut-être pourrait-on, comme d'habitude, laisser au président du comité la liberté de corriger les termes, le texte, etc., avec les autres membres si nécessaire. Est-ce que ça va comme ça?

[Traduction]

Monsieur Harb, pouvons-nous vous charger des petites modifications qui pourraient être souhaitées par les membres du comité?

Cela vous irait?

M. Gary Lunn: Oui, tout à fait. Il pourrait y avoir des corrections, mais nous nous en chargerons.

Le président: D'accord, chers collègues. Et qu'en est-il de la lettre à M. Zoellick? Avons-nous à intervenir?

M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): C'est la même chose. Si nous pouvons l'approuver en principe, avec de petites...

M. Gary Lunn: Je présente la même motion.

Le président: M. Lunn présente la même motion et les membres du comité s'occuperont des modifications à apporter.

Merci beaucoup, chers collègues.

Merci beaucoup, monsieur Harb. Si vous réussissez à résoudre le problème du bois d'oeuvre, vous serez connu comme le plus grand parlementaire de tous les temps. Nous vous transformerons en arbre et si vous n'arrivez pas à résoudre le problème, nous en ferons de la pâte.

• 0910

Chers collègues, nous accueillons ce matin un groupe important de témoins, dans le cadre de notre étude sur le sommet des Amériques. Nous allons les entendre dans l'ordre dans lequel ils figurent à la liste de notre ordre du jour.

[Français]

Je demanderais au professeur Brunelle de parler le premier.

Professeur Brunelle, je vous remercie de vous présenter devant ce comité.

M. Dorval Brunelle (professeur de sociologie, Université du Québec à Montréal, membre du Groupe de recherche sur l'intégration continentale de l'UQAM, Réseau québécois sur l'intégration continentale): Vous voulez que je brise la glace, quoi.

Le président: Exactement, mais seulement la glace, s'il vous plaît. Malheureusement, il y a de la glace ici, à Ottawa, ces jours-ci.

M. Dorval Brunelle: Vous m'accordez combien de temps?

Le président: De 10 à 15 minutes, afin qu'il reste du temps pour les questions.

M. Dorval Brunelle: Je voudrais aborder trois dimensions de la Zone de libre-échange des Amériques, mais permettez-moi d'abord, monsieur le président, de vous remercier et de remercier le comité de me recevoir.

Je suis ici à un double titre peut-être, à la fois comme responsable de recherche du Groupe de recherche sur l'intégration continentale et surtout, ce matin, à cause de ma participation au Réseau québécois sur l'intégration continentale. Le groupe de recherche est membre fondateur du réseau et, comme vous le savez, le réseau coorganise avec Common Frontiers, au Canada, le Deuxième Sommet des peuples, qui se tiendra à Québec du 16 au 21 avril prochains, donc immédiatement avant et au tout début du Troisième Sommet des Amériques.

Il y a donc trois aspects: l'enjeu démocratique de cette négociation, la place des mouvements sociaux et, finalement, quelques pistes de réflexion que je voudrais offrir.

L'expression «le déficit démocratique» est de plus en plus utilisée pour qualifier le processus de la négociation comme tel, mais aussi pour qualifier, et je vais insister là-dessus tout à l'heure, le processus de la mise en oeuvre des accords de libre-échange.

La notion de déficit démocratique est utilisée de plus en plus par les parlementaires. Elle a été utilisée dans les débats à l'intérieur de la Conférence des parlementaires des Amériques. Nous sommes face à une situation de plus en plus paradoxale, monsieur le président, dans la mesure où, alors qu'il y a de plus en plus d'information et que les citoyens sont de plus en plus éclairés, pour des enjeux aussi importants que les négociations de libre-échange et en particulier celles de la Zone de libre-échange des Amériques, il n'y a aucune information et nous sommes dans l'opacité la plus totale.

Je crois qu'il y a ici un problème qu'il faut affronter. On ne peut plus laisser les exécutifs mettre en place, au nom de la démocratie, des cadres normatifs qui ont une telle importance sans en informer la population et sans qu'il y ait des débats sur ces questions-là. Il m'apparaît que le secret, à l'heure actuelle, a un effet pervers, à la fois dans la société civile et même auprès des parlementaires, qui sont complètement coupés de la moindre information sur ce qui est en train de se passer.

Je crois qu'il y aurait beaucoup moins de turbulence de la société civile, à l'heure actuelle, s'il y avait quelque part un débat un tant soit peu ouvert sur ces questions. J'y reviendrai tout à l'heure.

Il n'est pas normal que sur des enjeux aussi importants, il y ait des inquiétudes très fortes dans la population vis-à-vis de la question de savoir si la négociation porte ou non sur les questions d'éducation, sur les questions de santé, dans quelle mesure les accords affectent ou non les normes qu'on a appliquées dans le contexte fédéral et provincial au Canada en matière environnementale, en matière salariale, en matière de droit économique et social. Ce sont des questions centrales qui préoccupent de plus en plus les gens et je le vois au jour le jour, dans toutes les présentations, les conférences, les débats, les formations et informations qu'on fait sur ces questions-là.

Il me semble ici que l'enjeu de la démocratie d'exécutifs touche au premier chef les législateurs. Une des questions qu'on doit se poser est de savoir s'il n'y a pas un déclin du parlementarisme, à l'heure actuelle, à la fois au Canada et dans les Amériques, en particulier autour de ces questions de libre-échange.

J'en veux pour preuve ce que l'on tolère de plus en plus d'un côté de la clôture—et ce n'est pas une métaphore—, et ce que l'on tolère de moins en moins de l'autre: que le secret de la négociation, la clandestinité de la négociation, soit au fond brisé par une connivence de plus en plus forte entre chefs d'État et chefs d'affaires.

Je pense qu'il y a là quelque chose qui frise l'indécence, monsieur le président, et il faut absolument sortir de cette spirale de l'enfermement et de la connivence entre milieux d'affaires et exécutifs pour pouvoir rétablir des passerelles et des ponts avec la population dans son ensemble, et même avec les parlementaires.

Je crois qu'il y a à ce niveau-là quelque chose de très litigieux, ce qui m'amène au deuxième point de mon exposé.

• 0915

Je vais parler des mouvements sociaux. On sait maintenant, depuis Seattle, qu'il y a une conscience très forte dans la société civile vis-à-vis de cette question de la mondialisation, mais soyons plus précis vis-à-vis de cette question de la libéralisation à outrance des marchés, de tous les marchés.

On s'est arrêté, bien sûr, aux turbulences de Seattle, mais on n'a pas analysé à fond l'événement, c'est-à-dire l'incroyable mobilisation d'un nombre de plus en plus croissant d'organisations sociales et d'organisations économiques autour de ces questions-là.

Alors, ou bien on continue et on s'enferme dans cette infernale logique d'une sélectivité, d'une clandestinité, ou bien on jette des ponts et des passerelles.

Les exécutifs ont bien vu le problème. On a, à l'heure actuelle, dans cette société civile, ceux qui portent des enjeux et qui, comme on dit d'une manière technique, transnationalisent leurs actions de la même façon que les multinationales ou les corporations transnationales transnationalisent leurs actions. Je pense, par exemple, aux plus connus: Amnistie Internationale, Greenpeace, etc. De plus, il y a un mouvement syndical de plus en plus transnationalisé. De plus en plus, les anciennes liaisons au niveau international, que ce soit à la CISL ou à l'ORIT, deviennent des liaisons, des liens de plus en plus prégnants dans la question des Amériques, à l'heure actuelle, en particulier.

Il y a aussi d'autres acteurs qui émergent et se posent des questions avec la meilleure bonne foi au monde. C'est vrai du mouvement des femmes. On l'a vu avec la Marche mondiale des femmes, en octobre dernier. C'est vrai du mouvement environnemental. C'est tellement vrai que les exécutifs ont même jeté eux-mêmes des passerelles, de telle sorte qu'on voit de plus en plus dans la société civile, à l'heure actuelle, non seulement des ONG, des organisations non gouvernementales, mais aussi des OVG, des organisations vraiment gouvernementales, qui sont financées par les exécutifs et qui servent à établir ce dialogue avec la société civile.

Je pense que dans toute cette confusion, il est temps d'essayer d'ouvrir des portes et d'établir des ponts à l'intérieur, entre la classe politique dans son ensemble et ces sociétés civiles, ces groupes qui, de bonne foi, essaient d'avoir quelque chose à dire dans cette question des Amériques.

Quand on voit la position privilégiée qui est accordée aux associations de gens d'affaires et en particulier à l'Americas Business Forum dans tout ce processus, il y a là quelque chose qui est complètement asymétrique et de plus en plus inacceptable.

Je voudrais terminer par des réflexions d'une autre nature et essayer, étant donné que je m'adresse à des parlementaires, de mettre en piste quelques réflexions sur cette américanité que nous essayons de forger tous ensemble maintenant.

L'idée est peut-être d'essayer d'éviter de concentrer toute l'attention sur une dimension fondamentalement vénale de notre rapport avec les Amériques. C'est très joli, le commerce, et nous en voulons tous. Nous voulons encore beaucoup plus de produits, mais nous ne sommes pas que des consommateurs, et nos vis-à-vis en Amérique latine ne sont pas que des consommateurs non plus. Cette dimension-là est importante.

Nous avons autour de nous des spécialistes de ces négociations qui continuent de négocier. Mais ce qui est proprement intolérable, c'est que toute la réflexion soit concentrée sur une dimension qui est essentiellement celle-là. On ne voit les Amériques qu'à travers le prisme du commerce, du mercantilisme, de l'investissement, de l'exploitation. Si on nommait les autres dimensions des Amériques, quelle serait la place du Canada dans ce processus? Est-ce que le Canada ne pourrait pas avoir une vision un peu plus haute de son insertion tardive dans ces Amériques?

C'est ça, le défi qu'il faudrait relever. C'est peut-être vers ça qu'il faudrait aller. Il faudrait peut-être aller vers cette vision plus haute, aller vers une façon plus solidaire de les voir, poser concrètement le problème des effets utiles ou nuisibles des accords qu'on a signés, faire fond sur d'autres engagements auxquels on a souscrit et qui sont demeurés sans suite, non pas d'avoir une aide au développement, mais vraiment d'avoir une vision qui serait apparentée à la vision très forte que certains Européens ont portée dans l'après-guerre et qui a permis à des pays d'Europe de rejoindre maintenant le centre des pays les plus développés de l'Europe. Je pense à la Grèce, à l'Irlande qui étaient, il y a 20 ou 30 ans, des pays sous-développés et qui sont, à l'heure actuelle, dans une position économique tout à fait honorable. Pourquoi ne pas avoir dans les Amériques, alors qu'il y a des asymétries aussi importantes entre les partenaires, une vision aussi forte, une vision aussi haute?

Je vous rappelle que parmi ceux qui vont négocier à Québec au mois d'avril prochain, il y a, bien sûr. les quatre grands partenaires des Amériques, États-Unis, Brésil, Canada et Mexique, qui font respectivement 75, 6, 5 et 4 p. 100 de la richesse totale des Amériques, ce qui nous mène, parce que j'ai laissé tomber les virgules, à plus de 92 p. 100 du poids économique des Amériques qui est concentré dans ces quatre pays seulement. Cela laisse donc 8,2 p. 100 pour les 31 autres. Et les deux plus pauvres pays des Amériques, le Nicaragua et Haïti, font ensemble 1/2000 de la richesse de ces Amériques.

• 0920

Est-ce qu'il y a moyen de rapprocher ces pays du peloton de tête? Est-ce qu'il y a moyen de penser autrement qu'on ne le fait maintenant? Il est évident qu'un accord de libre-échange qui ne prévoit pas de mesures d'adaptation, qui ne prévoit pas de filet de sécurité ne pourra pas avoir un effet bénéfique pour ces pays, de la même façon que si on n'a pas de filet de sécurité chez nous, on n'aura pas en main tous les effets bénéfiques.

Je vous rappelle d'ailleurs, en terminant, que le seul pays des Amériques qui ait jamais prévu des mesures d'adaptation pour sa main-d'oeuvre touchée par l'ALENA, c'est les États-Unis, dont on dit souvent que c'est un pays où on sanctionne le libéralisme le plus fort, alors que cela nous avait été promis par vos adversaires politiques, les conservateurs. Au moment où ils avaient négocié le libre-échange, ils nous avaient promis des mesures de soutien, d'adaptation et de transition comme celles-là.

Je vois que j'ai un peu épuisé mon temps. Je voudrais peut-être, en terminant, dire une dernière chose. J'ai trouvé, monsieur le président, et j'en profite pour le mentionner de manière publique, tout à fait déplorable l'attitude de notre gouvernement vis-à-vis de la COPA. Je pense que l'initiative de la COPA, même si elle vient de Québec—il y a parfois certaines choses intéressantes qui viennent de Québec, monsieur le président, et il faudrait peut-être chasser ce fantôme de certaines têtes à Ottawa—, était une idée lumineuse. C'était une idée de haute vision, monsieur le président. Elle ne vient pas seulement de l'Assemblée nationale du Québec. C'est une idée qui avait germé dans la tête de certains parlementaires aux États-Unis. D'ailleurs, la racine profonde de cela vient des États-Unis. Je trouve que l'idée, toutes tendances politiques confondues, d'avoir ce pluralisme et de s'adresser concurremment, comme disent les Anglais, à la fois au niveau fédéral, au niveau central, au niveau des gouvernements infraétatiques, les 164 gouvernements, États ou provinces des Amériques, de même que les parlements supranationaux, était une idée très riche, une idée vraiment très importante, une idée qui doit être soutenue par le Canada, quelles que soient les réputations qu'on fasse à cette idée ailleurs dans les Amériques.

Je trouve que la stratégie du gouvernement, notre gouvernement, monsieur le président, de vouloir mettre en piste ce FIPA, ce Forum interparlementaire des Amériques, qui est de la frime à l'état pur, qui traîne dans les dossiers depuis trois ans, sur laquelle on n'est pas capable de faire quelque chose de très intéressant, devrait être mise à la poubelle. On devrait plutôt revenir à l'idée de la COPA, qui est une idée riche, et peut-être essayer de convaincre ces chefs d'État, comme cela a été demandé, de recevoir les représentants de la COPA au moment de la tenue du Sommet de Québec, le mois prochain. Je pense que ce serait déjà un geste intéressant et important à faire. Cela n'atténuerait pas l'ampleur du déficit démocratique ni la caricature de négociation à laquelle on va assister à Québec, mais cela permettrait peut-être de faire valoir une certaine bonne volonté dans une situation qui risque de se détériorer.

Imaginez-vous, monsieur le président, et ce seront mes derniers mots, que si jamais la situation devait se détériorer à Québec, ce serait très triste pour cette démocratie d'exécutifs. On imagine mal quelle serait, la fois suivante, la hauteur des palissades et quel serait le niveau de sécurité auquel il faudrait avoir recours pour empêcher des scènes semblables de se reproduire à l'avenir. Je pense donc qu'il est urgent que, de part et d'autre, on essaie de défaire cette palissade, qu'on essaie d'ouvrir le processus, qu'on essaie d'informer sur ce qui est en train d'arriver et qu'on permette aux gens de débattre de cette question-là.

Ça fait trois fois que je dis que je vais terminer. Je vais finir par le faire. J'ose à peine dire, monsieur le président...

Le président: C'est une technique très intelligente.

M. Dorval Brunelle: ...que l'aide ou l'absence d'aide qu'on a eue du gouvernement fédéral pour organiser le Sommet des peuples est quelque chose de scandaleux. Il est scandaleux qu'on dépense 70 millions de dollars en sécurité pour organiser cette espèce de spectacle que sera la négociation clandestine à Québec et que, pendant ce temps-là, on laisse des miettes à l'organisation d'un Sommet des peuples des Amériques. Cela fait plusieurs fois qu'on le dénonce. On l'a dénoncé devant M. Lortie. On l'a dénoncé devant M. Pettigrew et devant M. Manley. Maintenant, en désespoir de cause, une finale tragique, monsieur le président, je viens aujourd'hui plaider pour qu'on finance davantage ce Sommet des peuples.

Merci.

Le président: Merci. J'ai deux questions d'ordre technique. Que veut dire OVG?

M. Dorval Brunelle: C'est un terme que j'ai inventé, monsieur le président, pour désigner ces organisations...

Le président: Ah bon.

M. Dorval Brunelle: ...vraiment gouvernementales qui sont mises en piste par les exécutifs et qui servent d'interlocuteurs de la société civile.

Le président: Organismes...?

M. Dorval Brunelle: Organismes vraiment gouvernementaux.

Le président: Est-ce qu'à votre avis, l'Americas Business Forum tombe dans cette catégorie?

M. Dorval Brunelle: Je vous laisse juger, monsieur le président.

Le président: D'accord. Et qu'en est-il d'un autre mot: américanité?

M. Dorval Brunelle: Américanité.

• 0925

Le président: C'est-à-dire americanization en anglais?

M. Dorval Brunelle: Non, au contraire, monsieur le président. En français, il y a une distinction importante à faire entre l'américanisation, ou encore la «coca-colonisation», et l'américanité, qui est une vision plus forte, mettons bolivarienne, monsieur le président.

Le président: D'accord. Donc, l'américanité, c'est bon et la «coca-colonisation», c'est mauvais. C'est ça?

M. Dorval Brunelle: Ça dépend des jours. Quand il fait chaud, c'est bon.

Le président: On a compris.

M. Dorval Brunelle: Quand il fait chaud, c'est très bon.

Le président: On reviendra sur le FIPA. Monsieur Brunelle, vous savez peut-être que je suis le président du FIPA. Je donne donc à vos paroles tout le poids que je considère qu'elles valent.

[Traduction]

Passons maintenant au professeur Hart. Bienvenue de nouveau à notre comité.

M. Michael Hart (Norman Patterson School of International Affairs, université Carleton): Merci beaucoup, monsieur le président.

Permettez-moi de vous présenter maintenant une perspective un peu différente.

Le président: Nous ne l'aurions jamais cru.

M. Michael Hart: Moi non plus.

Des voix: Oh, oh.

Le président: Vous nous surprenez dès le début.

[Français]

M. Michael Hart: Eh bien, oui.

[Traduction]

Je me présente devant vous sous un double jour, d'abord comme un professeur qui enseigne cette matière à l'université Carleton mais aussi comme quelqu'un qui a passé 22 ans à négocier ce genre d'accords en secret et à imposer de tels accords aux Canadiens et au reste du monde.

Je souhaite profiter de l'occasion pour discuter deux questions: premièrement, la question du secret, et deuxièmement, celle de la disponibilité du texte. J'aimerais situer les choses dans leur perspective pour indiquer ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

Vendredi dernier, le Post affichait un grand titre accrocheur pour annoncer, dans ses pages sur le monde des affaires, que le Canada et les États-Unis négociaient en secret au sujet du bois d'oeuvre. Ce grand titre a certes eu l'effet que son auteur souhaitait: il a piqué ma curiosité. J'ai donc lu le premier paragraphe de l'article, un article fascinant de Peter Morton, qui, comme vous le savez, se trompe généralement qu'une fois sur deux. L'auteur commençait par dire que le Canada et les États-Unis avaient entamé des négociations secrètes, donc le grand titre correspondait à l'article.

J'ai trouvé cela intéressant et je me suis demandé comment il avait eu vent de ces négociations secrètes. La réponse se trouvait au second paragraphe. Il avait appris leur existence parce que les deux parties avaient publié le communiqué de presse et tenu des conférences de presse pour annoncer qu'elles avaient eu ces discussions. Les deux parties avaient expliqué en détail ce qui avait été discuté et avaient indiqué qu'il s'agissait de discussions très préliminaires pour voir s'il existait une possibilité de solution à un problème qui, si je comprends bien, préoccupe également certains des membres de votre comité, un problème qui existe depuis 1854, je crois. Le problème n'est pas nouveau, mais il est très épineux.

Ce que le grand titre et Peter Morton voulaient dire, c'est qu'il y avait eu des discussions privées—non pas des négociations secrètes, mais des négociations privées—entre les gouvernements, sur un problème. Ces gouvernements étaient tout à fait prêts à faire savoir à la population ce qui avait été discuté, mais ils n'avaient pas invité Peter Morton et ses collègues dans la salle où étaient tenues les discussions. Pourquoi? Parce que si ces gouvernements veulent réaliser quelque progrès que ce soit dans ce dossier très épineux, ils ont besoin d'une marge de manoeuvre pour trouver des solutions innovatrices.

Voilà un exemple typique de ce qui est devenue l'attitude habituelle de la presse et d'autres organismes: chaque fois que quelque chose est négocié à huis clos, il s'agit de négociations secrètes et un peu louches. Ce qu'ils veulent dire dans ça, c'est qu'ils n'ont pas les compétences nécessaires pour comprendre les enjeux très complexes qui sont discutés dans ce cas.

Il importe que les parlementaires fassent la distinction entre le secret et la compétence. Les négociations en cours ne sont pas vraiment secrètes, mais il faut pour les comprendre un certain degré de compétences.

Permettez-moi d'illustrer par un exemple en quoi cette compétence est très utile. Dans mes classes, à l'université Carleton, j'utilise fréquemment des simulations pour enseigner. C'est une technique d'enseignement que je n'aurais pas utilisée il y a 10 ans, car il aurait été très difficile aux étudiants d'obtenir les renseignements dont ils ont besoin pour faire du bon travail. Mais au cours des trois dernières semaines, nous avons fait un certain nombre de simulations pour lesquelles les étudiants doivent consulter Internet. Je suis étonné de la quantité de renseignements que mes étudiants sont capables de trouver. La semaine dernière, ils ont simulé une réunion du groupe de travail de l'OMC dans laquelle ils examinaient les politiques commerciales du Paraguay, un pays sur lequel il n'est pas vraiment facile de trouver de l'information, un pays qu'il n'est pas facile de classer dans une catégorie. Les étudiants avaient toutefois trouvé tout ce dont ils avaient besoin sur internet.

La différence entre ces étudiants et certains autres que j'ai rencontrés, c'est qu'ils ont acquis une certaine compétence en lisant des livres, en assistant à des conférences et en réfléchissant à ces questions. Ils ont donc fait preuve d'une compréhension assez étendue d'enjeux qui ne sont pas secrets mais pour lesquels il faut un certain degré de compétences.

Cela explique en partie la réticence des gouvernements à rendre public leur fameux texte.

• 0930

Je me suis informé un peu avant de venir ici pour voir où en était ce texte. J'ai appris qu'il avait 900 pages. C'est un très long texte. Pour moi, cela signifie qu'il ne s'agit pas d'un texte de négociation. C'est un texte dans lequel les 34 pays membres ont exprimé leurs souhaits et leurs intérêts, sans distinction quant à la réalité de chaque élément. Il contient des choses qui ne se trouveront jamais dans le texte définitif. En fait, un fonctionnaire m'a dit que si ce texte était revu et corrigé, il serait réduit à trois pages. Il contient tant de répétitions, de confusion et de chevauchements qu'il ne serait pas très utile de le rendre public.

Ce genre de texte est inutile pour une autre raison plus fondamentale: ils n'ont pas encore atteint l'étape des négociations. Le texte des discussions n'est donc pas un texte de négociation mais plutôt un aide-mémoire à partir duquel les fonctionnaires peuvent organiser leurs réflexions. À mon avis, il ne serait pas très utile de rendre un tel texte public car il susciterait de la confusion. Toutes sortes de rumeurs seraient lancées, et limiter ces rumeurs nécessiterait énormément de travail.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples tirés de ma propre expérience au sujet des textes et de leur fonction dans ce genre de processus. Tout d'abord, ces textes sont devenus plus complexes au fil des ans. Si vous voulez un texte d'accord de libre-échange vraiment simple, lisez le traité Elgin-Marcy de 1854 entre le Canada et les États-Unis. Ce traité contient six articles, dont un seul porte sur le commerce. Cet article compte trois lignes et, en annexe, une liste de 28 produits visés par l'accord. C'est tout. C'est tout ce qu'on trouve dans l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis de 1854.

Puis il y a cet accord-ci, l'Accord de libre-échange nord-américain qui a été négocié au début des années 90. Il est impossible d'en apprécier la longueur à cause du nombre d'annexes, etc. M. MacKay, qui était l'un des rédacteurs du texte, m'a dit que l'accord compte 1 700 pages, plus 10 000 autres pages environ d'annexes dans lesquelles sont énoncées les concessions tarifaires. C'est donc un texte très long. Pourquoi est-il si long? C'est à cause de l'imagination fertile des parlementaires qui ont adopté des lois et des règlements au fil des ans, obligeant les négociateurs à faire très attention au sens à donner aux termes pour arriver aux résultats voulus. On tombe donc dans des extrêmes.

La même chose s'applique au texte des résultats des négociations d'Uruguay, les accords de l'OMC, qui comptent maintenant 550 pages et plus de 20 000 pages d'annexes produites par les divers pays membres, en plus des protocoles d'accession et d'autres documents sur les 141 membres de l'OMC. C'est donc un très long texte et un texte difficile à comprendre. Il contient toutes sortes de complications et il faut comprendre une partie pour en comprendre une autre. Autrement dit, il faut des compétences.

Mais ce sont là des textes qui résultent d'une négociation. Ce ne sont pas les premiers textes qui représentent une réflexion préliminaire. Les textes préliminaires ne sont pas très utiles. Je vais vous donner quelques exemples. Lorsque nous nous sommes préparés aux négociations Canada-États-Unis, je faisais partie du groupe de travail qui s'occupait des éléments de base. À un moment, j'ai préparé un texte sur ce qui pourrait faire partie d'une entente de libre-échange Canada-États-Unis. Le but de ce texte était d'informer les cadres supérieurs de mon ministère et d'autres ministères du genre de questions auxquelles nous devions nous préparer. Il s'agissait d'un exemple. Ce texte n'a jamais été rendu public et ne le sera jamais, car il a été préparé sur mon ordinateur personnel et n'a jamais été versé à un dossier. Il a rempli sa fonction puis je l'ai détruit.

Ensuite, lorsque nous avons négocié l'ALE, en janvier 1986, nous avons été autorisés à entreprendre la négociation d'un texte interne, au sein de l'équipe de négociation canadienne. Si je me rappelle bien, il y a eu neuf ébauches de ce texte. Son but était d'aider les négociateurs canadiens à réfléchir à leur position en leur montrant comment les sujets qu'ils étaient chargés de négocier pourraient être intégrés dans un texte complet. Il aidait à voir le lien entre le chapitre sur les services et le chapitre sur les investissements, entre le chapitre sur les règles d'origine et le chapitre sur les tarifs douaniers, etc. C'est pour cette raison que le texte avait été préparé.

Ce texte ne ressemble en rien au texte final. Le texte qui a été négocié a commencé à être vraiment négocié après la fin de semaine d'octobre où le Canada et les États-Unis se sont entendus sur ce qui pourrait être compris dans un accord de libre-échange. On a ensuite rédigé un texte d'une trentaine de pages, et l'équipe d'avocats a ensuite passé les 10 semaines suivantes à négocier le texte. Les 30 pages d'engagement politique ont donné naissance à un texte de 192 pages. Et ces 192 pages, si je me rappelle bien, ont fait l'objet de 12 ébauches avant d'en arriver au texte final, avant que les parties s'entendent.

• 0935

Aurait-il été utile que le grand public puisse commenter ces textes? Je ne le crois pas. À mon avis, c'est dans le texte du 4 octobre que le gouvernement a rendu publics les enjeux politiques fondamentaux. Les ébauches étaient des outils de réflexion pour l'équipe d'avocats, tout comme au Parlement, c'est dans les caucus qu'on réfléchit aux diverses façons d'interpréter les questions de l'heure, avant qu'elles soient présentées au public.

Je trouve donc que cette préoccupation au sujet du texte et du secret est en fait un excellent moyen de détourner l'attention. La vraie question est de savoir ce que le gouvernement du Canada tente de faire. Qu'essaient de faire les 33 autres gouvernements de l'hémisphère? Et que signifie tout cela?

Ce qu'ils essaient de faire, je puis vous le dire dès maintenant. Ce n'est pas bien difficile. Ils essaient de voir s'il est possible ou non de négocier un accord de libre-échange auquel participeraient la plupart des pays de l'hémisphère, un accord qui va au-delà de leurs engagements actuels dans le cadre de l'OMC. Pour bien comprendre ce qui se passe, on peut commencer par lire ce texte, intitulé «Accord sur l'Organisation mondiale du commerce», car s'il doit y avoir un accord entre ces 34 pays, il devra contenir tout ce texte et davantage. Cet accord devra aller au-delà de celui de l'OMC. Et aucun de ces pays—pas même le Canada, pas même les États-Unis—n'a encore énoncé clairement ce qu'il était prêt à faire au-delà de ses obligations actuelles dans le cadre de l'OMC. C'est pourquoi je suis convaincu qu'il faudra encore au moins cinq ans avant que l'on négocie sérieusement un accord sur la ZLEA.

Merci beaucoup.

Le président: Cinq ans avant d'entreprendre des négociations sérieuses, et non pas avant de les conclure.

M. Michael Hart: Avant d'entreprendre des négociations sérieuses.

Le président: Et je dirais que les Brésiliens seraient entièrement d'accord avec vous.

M. Michael Hart: Oui.

Le président: C'est aussi notre impression. Merci, cela nous as été très utile.

Permettez-moi d'interrompre un instant la séance—une interruption de la présidence. Je vous signale que Jim Lee vient d'arriver dans la salle. Jim est en retard. Il est habituellement ici. Jim est notre principal attaché de recherche. Il est devenu père hier et nous voulons l'en féliciter—c'est un garçon. Il a une raison légitime d'être en retard aujourd'hui. Il produit généralement nos rapports. Il devra maintenant consacrer son temps à quelque chose de plus productif. Nos meilleurs voeux l'accompagnent.

[Français]

Sa femme est devenue mère et lui est devenu père.

Mme Francine Lalonde: Et il est très heureux.

[Traduction]

Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Est-ce un garçon ou une fille?

Le président: C'est un garçon.

Excusez-moi, madame Robinson. Je ne voulais pas vous interrompre en présentant... bienvenue aux représentants de FOCAL.

Mme Nobina Robinson (directrice exécutive, FOCAL): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, permettez-moi de faire quelques brèves remarques générales au sujet de FOCAL et de vous expliquer notre intérêt et nos préoccupations au sujet du sommet. Je partagerai le temps que vous m'accordez avec mon collègue, Don MacKay, qui est notre conseiller spécial en matière de commerce. Merci de nous avoir invités à exprimer nos idées et nos préoccupations.

La Fondation canadienne pour les Amériques, connue sous l'acronyme FOCAL, est un centre délibératif indépendant—un laboratoire d'idées, si l'on veut—dont le but est d'accroître la compréhension des engagements pris par le Canada envers les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Notre mission consiste à promouvoir la collaboration et l'intégration au sein de l'hémisphère ainsi qu'à contribuer à l'amélioration des politiques canadiennes relatives aux Amériques, qu'il s'agisse des politiques étrangères, des politiques de développement ou des politiques commerciales.

Nos analystes, dont plusieurs nous accompagnent aujourd'hui, collaborent avec notre réseau vaste et croissant d'experts de tous les secteurs. Ces experts, qui viennent des milieux universitaires, du secteur privé, d'organismes non gouvernementaux, des médias et du gouvernement, du Canada et de tout l'hémisphère, surveillent les progrès politiques et économiques et examinent les nouvelles tendances dans la région.

Nous avons distribué nos documents à tous les membres du comité la semaine dernière et nous avons amené aujourd'hui nos nouvelles publications à votre intention. Elles se trouvent sur la table, à l'entrée de la salle. Nous avons publié ces documents en marge du sommet. Les ministres de l'Environnement de l'hémisphère se réuniront demain à Montréal, et nous avons préparé un document d'étude sur les questions environnementales des Amériques qui pourrait vous intéresser. Nous avons également amené notre dernier bulletin sur le sommet, dont vous avez vu des exemplaires, sur ce qui se fera à Québec dans trois semaines.

• 0940

Depuis que le gouvernement du Canada a commencé à intensifier ses activités à l'échelle de l'hémisphère en 1999, avec un nombre croissant de réunions ministérielles au Canada et la préparation du sommet, nous consacrons aussi énormément d'énergie et d'efforts à comprendre et à alimenter les idées véhiculées dans le programme interaméricain.

Nous avons profité de toutes les ouvertures légitimes à la société civile pour nous prononcer sur des questions concernant l'Organisation des États américains, la zone de libre-échange des Amériques et le sommet.

Alors que les intervenants qui m'ont précédée sont passés directement à la ZLEA, je vais me concentrer sur le Sommet des Amériques d'une manière générale, et je laisserai un peu de temps à M. MacKay pour vous parler de nos positions sur la ZLEA.

À notre avis, ce sommet va beaucoup plus loin que les simples négociations sur un accord de libre-échange des Amériques. J'ajouterai que je suis bien d'accord avec le professeur Hart pour dire que le sommet de Québec ne débouchera certainement pas sur la conclusion d'un accord de libre-échange des Amériques, et c'est très important.

Je pense qu'il est important que votre comité prenne le temps de réfléchir au contexte politique d'ensemble, par exemple aux troubles qui menacent d'éclater en Argentine, au Paraguay et à Haïti, et de se concentrer sur les tendances positives de notre hémisphère, que ce soit au Mexique ou au Chili, et aussi d'examiner le programme non économique, ce qui est urgent pour les pays d'Amérique latine et des Caraïbes.

FOCAL estime aussi qu'à moins de trois semaines du sommet, il faut essayer de clarifier les multiples malentendus qui circulent—délibérément ou non—au Canada. C'est pour cela que nous avons publié notre bulletin du sommet.

Pour nous, ce sommet n'est pas une fin en soi, mais plutôt une étape de plus dans le développement d'une communauté des Amériques. Cette communauté n'existait absolument pas de cette manière il y a six ans seulement à l'époque du premier sommet à Miami. Ce que certains ont qualifié de pure séance photoprotocolaire à l'époque a été la première réunion des dirigeants de l'hémisphère depuis l'époque du président Kennedy, et il est vraiment stupéfiant qu'en si peu de temps depuis Miami nous en soyons déjà arrivé à une troisième occasion de dialoguer et de manifester notre volonté politique collective.

Le processus du sommet a fourni à la région un cadre d'étude collective d'une vaste gamme d'initiatives de coopération, qu'il s'agisse de lutte contre le trafic de drogue, de convention anticorruption, de suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire ou de questions d'extrême importance dans le domaine social, par exemple, la coopération en matière de santé, l'éducation ou l'égalité des droits des sexes.

Les sommets donnent aussi aux dirigeants l'occasion d'établir des liens personnels et de se pencher sur des problèmes critiques, qu'il s'agisse de crises financières ou des défis constants que présentent les questions de prospérité et d'équité dans l'hémisphère.

L'intensification des dialogues sectoriels qu'entretiennent les ministres des divers gouvernements—de la justice, de l'environnement, des finances, du commerce et du travail, pour n'en nommer que quelques-uns—montre qu'il est possible de réaliser une communauté des Amériques et permet d'établir les fondements d'un consensus et d'un ensemble de normes pour l'hémisphère.

Les engagements pris lors du sommet permettent aussi d'envoyer un signal fort aux bureaucraties nationales pour les inciter à surmonter leur inertie et à améliorer le bon gouvernement au niveau national.

Évidemment, il y a des limites à ce que peuvent accomplir des sommets, et on ne l'a peut-être pas bien expliqué au grand public. Ce sont toujours les gouvernements nationaux qui sont responsables en première ligne d'améliorer l'existence de leurs citoyens, et c'est au niveau national que plusieurs engagements pris lors des sommets précédents n'ont pas été réalisés. Je pense surtout aux engagements dans le domaine de l'enseignement qui avaient été pris au sommet de Santiago.

C'est à cause de cela qu'on voit aussi progresser le cynisme du public, qui a tendance à déchirer la trame parfois fragile de la démocratie dans certains pays de l'hémisphère.

Sachant qu'il ne nous reste plus que trois semaines avant le sommet de Québec, FOCAL a des inquiétudes concernant les points qui suivent. Je vais vous en énumérer trois avant de conclure.

La façon dont le gouvernement du Canada a piloté ce processus du sommet n'a pas été idéale: il y a eu le conflit de compétence avec le premier ministre du Québec, la maladresse de l'interdiction du boeuf brésilien, l'accent mis sur le libre-échange au lieu des multiples sujets non commerciaux au programme du sommet, la façon lamentable dont les consultations ont été menées au Canada—franchement, même les présentes audiences arrivent trop tard pour être de quelque utilité en vue du sommet.

• 0945

Tout cela a contribué à détourner l'attention des véritables défis, tels que l'inégalité, la pauvreté, l'absence de reddition de comptes et l'insécurité publique, auxquels sont confrontés les citoyens de l'hémisphère, des domaines dans lesquels le Canada aurait pu mieux se démarquer.

Étant donné le niveau de notre prospérité et la qualité de gouvernance que nous avons au Canada, il ne s'agissait pas tellement d'améliorer la gouvernance ou la performance économique du Canada, mais plutôt d'aborder de façon constructive ces défis pour le profit de nos partenaires de l'hémisphère, que ce soit le Guyana, le Bélize ou le Paraguay. Nous craignons que le Canada perde l'occasion de marquer ce sommet de son empreinte.

Le Canada a sûrement mieux à offrir aux pays de la région qu'un simple programme de «connectivité». Nous sommes d'accord avec les nombreux groupes qui ont affirmé qu'on aurait pu en faire plus en matière de transparence et d'accès. Je veux dire par là qu'à FOCAL, nous avons beaucoup de mal à formuler des commentaires positifs sur une action quelconque envisagée au sommet, et je ne parle pas simplement de la ZLEA, puisque les documents du sommet n'ont même pas été publiés.

Deuxièmement, nous persistons à espérer que le sommet canadien débouchera sur une affirmation énergique de soutien à une défense collective de la démocratie représentative dans les Amériques; qu'il encouragera les stratégies d'inclusion de tous les secteurs de la société dans l'élaboration des politiques publiques; et qu'il énoncera de nouvelles normes plus élevées de mesure des progrès dans des domaines tels que les stratégies de lutte contre le trafic de drogue, la corruption et la gestion environnementale.

Le Canada pourrait apporter une contribution importante à ce sommet en obtenant un engagement ferme des institutions financières internationales à financer les actions mandatées par le sommet, et nous espérons que ce sera la première priorité de la réunion des ministres des Finances de la semaine prochaine.

En outre, le Canada devrait trouver un ou deux créneaux dans lesquels il pourra poursuivre après le sommet son engagement à la réalisation du programme interaméricain. Il pourrait s'agir par exemple d'élaborer une stratégie régionale d'aide à l'établissement de la paix en Colombie, ou de promouvoir de bonnes stratégies de gestion environnementale dans toute la région, ou encore d'encourager la participation du public dans tous les domaines abordés par le sommet, ou encore de renforcer l'OEA pour en faire un véritable secrétariat du sommet.

Nous nous souvenons tous du fiasco de l'APEC—le poivre de Cayenne, Suharto, la crise financière en Asie du Sud—qui a entraîné un sérieux relâchement de l'attention, de l'énergie et des ressources que le Canada consacrait à la région Asie-Pacifique. Nous espérons sincèrement que ce n'est pas ce qui se passera après Québec, et nous espérons que votre comité continuera à se concentrer sur les Amériques après avril 2001.

Dans cette optique, FOCAL continuera de travailler bien après qu'on aura fini de nettoyer les rues de Québec, sur des priorités régionales dans des domaines tels que la nécessaire mise en place d'une réforme du cadre juridique et de la réglementation dans les Amériques, ou l'affirmation de l'importance d'une participation publique à l'élaboration des politiques, que l'on appelle aussi la participation de la société civile, ou encore l'élaboration d'une stratégie commerciale réaliste pour le Canada et les Amériques. En tant qu'organisation de la société civile, FOCAL peut contribuer à promouvoir un programme pour l'ensemble de l'hémisphère en assurant un contrôle, un suivi et une évaluation des initiatives du sommet.

Je vais maintenant laisser Don MacKay faire quelques remarques plus précises sur le sujet dont tout le monde veut parler, la ZLEA.

Le président: Merci beaucoup.

Je précise pour les membres du comité qu'il s'agit peut-être d'une grande première historique: nous avons une équipe constituée du père et de la fille. M. Pal est venu nous rencontrer la semaine dernière, et c'est sa fille qui s'adresse à nous aujourd'hui. L'un a parlé de la transparence, l'autre du manque de consultation. J'y vois une certaine connectivité, si je puis utiliser ce terme épouvantable.

Merci beaucoup.

Monsieur MacKay, allez-y.

M. Donald MacKay (conseiller spécial, FOCAL): Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je suis très heureux de m'adresser à votre comité.

J'aimerais brièvement compléter les remarques formulées par Michael Hart il y a quelques minutes, et replacer dans leur contexte les négociations en vue d'une zone de libre-échange des Amériques. Je commencerai par un petit retour en arrière sur le système multilatérale qui, comme l'a dit Michael, constitue le fondement sur lequel s'appuient les 34 pays pour élaborer ce nouvel accord, mener cette nouvelle négociation. Il s'appuie sur les accords de l'Organisation mondiale du commerce élaborés dans le cadre du cycle d'Uruguay.

• 0950

Depuis 1995, environ 90 arrangements commerciaux régionaux ont été notifiés à l'OMC, et sont venus s'ajouter aux quelque 110 précédemment notifiés dans le cadre du GATT. Cela porte à plus de 200 le nombre d'arrangements commerciaux régionaux notifiés au système multilatéral. Dans notre hémisphère, nous en avons aussi un certain nombre. Ces arrangements servent évidemment à aller plus loin dans la libéralisation des échanges commerciaux que cela ne serait possible au niveau multilatéral.

Si l'on examine l'hémisphère et ces 34 pays, on peut se demander à quoi servirait un accord de libre-échange des Amériques qui libéraliserait les échanges dans tous ces pays. Chacun d'entre eux a un éventail possible de relations avec 33 autres pays. Autrement dit, le Canada pourrait libéraliser ses échanges commerciaux avec 33 autres pays de l'hémisphère.

On peut aborder sous divers angles la construction de la ZLEA. On pourrait recourir à un arrangement complètement nouveau englobant les 34 pays. L'autre possibilité, ou réalité, consisterait à reconnaître qu'il existe déjà certains arrangements de libéralisation du commerce au niveau de l'hémisphère.

L'Accord de libre-échange nord-américain, par exemple, a déjà permis à trois de ces 34 pays d'atteindre cet objectif. L'accord MERCOSUR réalise quelque chose d'analogue pour quatre de ces pays. La communauté Andean fait la même chose pour cinq de ces membres, etc., etc.

Quand on a lancé les négociations sur la ZLEA à Miami en décembre 1994, on n'a pas mis fin pour autant à tous ces échanges entre responsables du commerce et gouvernements au niveau sous-régional. Par exemple, le Canada en est au dernier stade de ses négociations avec le Costa Rica. Si ces négociations aboutissent—et je ne vois pas pourquoi elles n'aboutiraient pas—, elles permettront de libéraliser encore plus les échanges commerciaux dans l'hémisphère. À plus grande échelle, cet accord nous permettra de cocher en quelque sorte l'une des cases du programme de l'Accord de libre-échange des Amériques.

Si l'on considère l'ensemble des échanges de biens et services dans cet hémisphère à la lumière des accords déjà existants, il faut bien conclure empiriquement que 90 p. 100 et plus de nos échanges à l'échelle de l'hémisphère sont déjà couverts. Autrement dit, la ZLEA est déjà réalisée à environ 90 p. 100. Ce sont les 10 p. 100 restants qui sont au programme des négociations sur la ZLEA et des négociations permanentes des pays de la région.

Par exemple, le groupe Andean négocie actuellement avec le MERCOSUR. Si ces négociations aboutissent, il n'y a absolument aucune raison de les répéter dans le cadre de la ZLEA. On réduirait donc encore le programme de cet accord en tenant compte de la libéralisation des échanges réalisée à un niveau bilatéral, plurilatéral ou sous-régional.

Je tenais à préciser ce contexte pour permettre aux membres du comité de comprendre, quand ils discuteront de la ZLEA, que l'accord correspondant est déjà en grande partie réalisé et que c'est un travail qui se poursuit constamment.

Michael dit que la ZLEA ne se concrétisera pas vraiment avant cinq ans. Savoir si je suis d'accord avec lui ou non, c'est une autre question, mais dans le contexte des négociations actuellement en cours ou envisagées, par exemple entre le Canada et la CARICOM ou le Canada et les quatre républiques d'Amérique centrale, on constate que des progrès sont réalisés presque constamment sur divers aspects de cette libéralisation d'ensemble des échanges commerciaux.

• 0955

Il n'est pas un seul pays de cet hémisphère qui n'appartienne pas à une organisation commerciale régionale quelconque. C'est un principe qui a envahi la région, et cela constitue une évolution remarquable par rapport à la vision politique d'il y a 20 ou 30 ans.

Sur ce, je remercie les membres du comité. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur MacKay.

Nous passons à M. MacInnis qui parlera au nom de l'Association canadienne des producteurs pétroliers.

M. David MacInnis (vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des producteurs pétroliers): Merci, monsieur le président.

Avant de commencer, je voudrais faire une remarque à propos de ce qu'a dit M. Hart sur la façon dont le processus se déroule et l'impression des médias que tout se passe dans le secret. C'est tout à fait judicieux.

Le secret est bien sûr un excellent sujet pour les journalistes. Je pense donc que c'est pour cela que nous entendons beaucoup parler de ces discussions secrètes. À la lumière de mon expérience lors du Congrès mondial du pétrole au début de l'été, je dirais que lorsque les détracteurs les plus bruyants de processus tels que le Sommet des Amériques seront prêts à laisser assister à leurs réunions de planification tous ceux qui le souhaiteront, ils pourront se permettre de formuler des critiques.

M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Le 1er avril sur la colline du Parlement, vous êtes le bienvenu.

M. David MacInnis: Je parle de réunions de planification, monsieur le député. Croyez-moi, à Calgary cet été, il n'était pas question d'y assister. La sécurité était rigoureuse, plus rigoureuse que ce que j'ai vu lors des sommets commerciaux.

Voici le message que j'espère vous laisser aujourd'hui: les politiques fondées sur le marché fonctionnent bien; les accords de libre-échange sont une bonne chose; et les tribunes multilatérales telles que le Sommet des Amériques sont un bon endroit non seulement pour faire progresser les politiques commerciales, mais aussi pour promouvoir des politiques adaptées aux problèmes sociaux et environnementaux.

Je vais vous expliquer un peu pourquoi le secteur que je représente, le secteur du pétrole et du gaz naturel au Canada, estime qu'il est important de disposer de la clarté et des certitudes que vise à établir ce Sommet des Amériques.

Les politiques reposant sur les mécanismes du marché, surtout quand elles sont énoncées dans le cadre d'un accord commercial officiel, permettent aux entreprises de fonctionner dans une plus grande clarté et avec plus de certitude. En conséquence, nous pouvons créer des emplois et accroître la prospérité des Canadiens et de l'ensemble de la population du monde. De par leur nature, ces politiques stimulent aussi la concurrence entre ceux qui souhaitent fournir un bien ou un service quelconque, et les politiques qui contribuent à assurer la stabilité économique, sociale et environnementale d'une région sont hautement profitables aux populations de cette région. C'est pourquoi l'Association canadienne des producteurs pétroliers est favorable aux accords de libre-échange.

En ce qui concerne le Sommet des Amériques, nous considérons que cette tribune multilatérale est idéale, comme je l'ai dit. Cela ne nous empêche pas d'être en accord avec ce que le ministre Manley a dit il y a une quinzaine de jours à votre comité, à savoir que l'intégration économique et les mesures d'amélioration de la protection environnementale et des droits des travailleurs peuvent et devraient d'ailleurs se renforcer mutuellement.

Cela dit, nous estimons que pour permettre aux entreprises canadiennes d'accroître la prospérité des Canadiens comme c'est leur rôle, il faut absolument que les gouvernements cherchent des moyens de renforcer les liens commerciaux existants et d'en créer de nouveaux. En travaillant ensemble, nous sommes convaincus que le secteur public et le secteur privé peuvent créer des ouvertures pour tous les Canadiens.

Les entreprises en amont du secteur du pétrole et du gaz—c'est-à-dire les 160 membres de l'Association canadienne des producteurs pétroliers qui prospectent, exploitent et mettent en valeur 95 p. 100 des réserves de pétrole et de gaz naturel du Canada—génèrent près de la moitié de l'excédent commercial du Canada. De plus, au cours de la dernière décennie, les exportations nettes de ces entreprises en amont du secteur, sont passées de neuf milliards de dollars à 41 milliards de dollars.

Outre notre contribution positive à l'excédent commercial, nous avons aussi un effet positif sur les budgets des gouvernements. En l'an 2000, par exemple, nous avons versé 15 milliards de dollars à tous les gouvernements.

Notre industrie a aussi des retombées positives sur l'économie canadienne grâce à nos programmes d'investissement de capitaux. En 2000, nous avons investi 21 milliards de dollars dans l'économie canadienne. À notre avis, ce chiffre...

Le président: Excusez-moi de vous interrompre, mais pourriez-vous ralentir un peu pour les interprètes? Vous parlez de plus en plus vite.

M. David MacInnis: Désolé.

• 1000

D'après nos calculs, nous investirons cette année environ 25 milliards de dollars dans l'économie canadienne. Grâce à cela, nous employons environ 600 000 Canadiens dans l'ensemble du pays.

Maintenant que j'ai clairement montré que le secteur en amont de l'industrie du pétrole et du gaz naturel appuie fermement les politiques reposant sur les mécanismes du marché pour encourager le libre-échange, et que nous constituons un élément clé de l'économie canadienne, j'aimerais vous expliquer pourquoi il faut que le gouvernement du Canada adopte un régime qui permettra aux producteurs de pétrole et de gaz naturel d'accroître l'offre. Outre que cela nous aiderait à réduire le coût de notre énergie, cela nous permettrait aussi de profiter des occasions qui se présenteront à notre avis lorsque la ZLEA se concrétisera. À ce moment-là, l'Amérique grouillera d'activités commerciales, et il faut que le Canada se place bien pour pouvoir fournir à ce marché en pleine expansion l'énergie dont il aura besoin.

Il y a un léger ralentissement, mais la croissance de la demande est encore largement supérieure à la croissance de l'offre. Cela signifie que la seule façon de continuer à réduire le prix du pétrole et du gaz naturel est de continuer d'accroître l'offre. Par le passé, l'industrie a toujours adapté ses prix au marché, mais lorsque les prix augmentent, les activités d'exploration et de mise en valeur en font autant. En 2000, l'industrie a foré davantage de puits en un an que dans toutes les années précédentes. Les 15 850 puits représentaient une augmentation de 30 p. 100 par rapport à 1999, et on s'attend à ce que ce record soit battu de nouveau cette année.

Nous avons également des réserves importantes. Lors d'une récente réunion avec le président Bush, le premier ministre Chrétien a parlé des sables bitumineux. Il y a là 300 milliards de barils de pétrole que nous pouvons produire. Nous avons également des réserves importantes de gaz naturel et de pétrole classique dans l'est et le nord du Canada. Nous estimons qu'il est important de mettre ces réserves en valeur pour répondre à l'augmentation prévue du commerce dans les Amériques en raison de la ZLEA.

Pour conclure, permettez-moi de signaler quelques mesures que notre pays devrait prendre pour tirer avantage d'accords comme celui de la ZLEA. Nous devons nous assurer de favoriser davantage la R-D technologique au Canada afin de réduire les frais des entreprises, d'atténuer les effets environnementaux de notre industrie et d'accroître l'offre. Nous devons également élaborer un cadre d'action pour mettre en place des conditions favorables à l'environnement, des régimes fiscaux concurrentiels, pour promouvoir les économies d'énergie et pour doter les ministères et les organismes chargés de gérer les activités accrues de l'industrie, des ressources dont ils ont besoin.

Nous croyons également que dans des accords comme la ZLEA, il est important que l'intégrité des contrats soit respectée, que les acheteurs et les vendeurs puissent avoir librement accès les uns aux autres et qu'il y ait une certaine coordination des dossiers environnementaux, si nous voulons que soient adoptées des normes élevées de protection environnementale et de bonnes méthodes d'application de ces normes.

Il n'est pas étonnant que le secteur du pétrole et du gaz naturel voie l'Amérique latine et les Caraïbes comme des marchés offrant un potentiel intéressant, puisque nous croyons que le Sommet des Amériques débouchera sur une ZLEA. Notre désir de jouer un rôle clé dans l'approvisionnement en énergie de cette nouvelle région, est la raison pour laquelle nous montrons autant de zèle dans la promotion de mesures axées sur le marché qui permettront au Canada, aux entreprises canadiennes et à tous les Canadiens de réaliser tout leur potentiel.

Merci de m'avoir écouté.

Le président: Merci beaucoup, monsieur MacInnis.

Passons maintenant aux questions, à commencer par M. Lunn.

M. Gary Lunn: Merci, monsieur le président.

Nous avons entendu ce matin des témoignages fort rafraîchissants. J'ai de nombreuses questions à poser, mais je n'en poserai qu'une. Je la poserai à M. Hart et à M. MacKay, puis si vous le permettez, monsieur le président, je laisserai le reste de mon temps à M. Martin.

J'accepte en grande partie ce que vous avez dit tous les deux au sujet du texte. Je ne sais pas dans quelle mesure des négociations sérieuses ont été déjà entreprises, mais je suis d'accord avec M. MacKay lorsqu'il dit que de nombreux accords de libre-échange, autant bilatéraux que multilatéraux, sont signés constamment. Il continuera d'y en avoir et nous nous en réjouissons.

• 1005

Avant d'être élu, j'ai participé à des négociations, et j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée qu'il ne faut pas mettre toutes nos cartes sur la table, en dépit du souci de transparence qui peut nous animer. C'est ce qu'on nous dit constamment, et nous voulons bien sûr davantage de renseignements. Nous serions probablement d'accord pour procéder de cette façon, même si nous voulons davantage d'informations. Évidemment, le gouvernement ne peut pas mettre toutes ses cartes sur table. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez.

On dit également que tous les accords doivent être adoptés par le Parlement parce que les gouvernements sont démocratiquement élus. Mais à bien y penser, ces accords ont fait l'objet d'années de négociation, les négociateurs arrivent enfin à s'entendre et il faut ensuite présenter ces accords au Parlement. Est-ce une bonne façon de participer à l'accord? Les parlementaires devraient-ils discuter de toutes ces propositions à l'avance et faire ensuite leurs propositions au négociateur du gouvernement de façon à ce que celui-ci sache ce que souhaitent les comités ou les différents partis et intègrent tout cela à l'avance aux négociations, plutôt que de présenter le résultat au Parlement?

J'aimerais savoir ce que vous en pensez mais je ne veux pas que vous interprétiez mal mes propos. Je suis un chaud partisan des accords de libre-échange, mais il existe un conflit entre la transparence et l'ouverture pour une population qui appuie en grande partie les accords et le besoin de cacher son jeu jusqu'au moment approprié. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Michael Hart: C'est une question très intéressante. Je ne suis pas convaincu qu'il faille garder secret tous ces renseignements à des fins de tactique ou de stratégie dans les négociations. Si vous traitez avec des opposants chevronnés et que vous avez vous-même beaucoup d'expérience, vous avez une bonne idée de leur position. Si vous avez fait votre travail et que vous avez analysé les lois et les règlements qui existent chez eux, les accords qu'ils ont déjà signés, etc., vous avez déjà une bonne idée de la position du pays, des enjeux, de leur marge de manoeuvre, etc. Et vous savez que la marge de manoeuvre est relativement mince.

L'un des grands problèmes que nous avons eu dans les négociations de l'ALE était de convaincre les Américains de notre sérieux. Les Américains lisaient trop le Toronto Star et n'écoutaient pas suffisamment ce que nous avions à dire. À plusieurs reprises, ils étaient convaincus que ce que nous disions n'était pas réel alors que ce l'était. Ce n'était donc pas une question de secret et de tactique. Il s'agissait de convaincre l'autre partie que nous étions prêts à faire de telles concessions, à appliquer les règles qu'ils élaboraient.

Parallèlement, toutefois, il faut faire preuve de souplesse, bien que ce ne soit pas tant une question de stratégie. Je vois que M. Clark n'est pas là, et je veux vous donner un exemple de déclaration qu'il a faite durant les négociations de l'ALE, une déclaration qu'il aurait dû éviter. Nous étions en train de négocier et il a annoncé publiquement à la Chambre, trop tôt, que la gestion de l'offre ne faisait pas partie des sujets négociés parce que cela faisait partie intégrante du tissu canadien. Je ne sais pas comment il a fait ce lien, mais en tout cas; les parlementaires, on le sait, exagèrent souvent en Chambre. Il nous aurait été utile d'avoir un peu plus de souplesse à ce sujet, du moins un peu plus longtemps, avant qu'un des principaux ministres du gouvernement, à cette époque, fasse une déclaration aussi catégorique. C'est à peu près toute l'utilité que cela a eue.

Une voix: La culture fait également partie du tissu canadien.

M. Michael Hart: Non, il a parlé de la gestion de l'offre.

Le président: Monsieur MacKay, allez-y.

M. Donald MacKay: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'abonde dans le sens de Michael. Pour ce qui est du texte lui-même, on pourrait toujours théoriquement présenter à votre comité, ainsi qu'à tous les autres comités de ce genre dans l'hémisphère, un texte comportant 34 articles sur le traitement national, simplement parce qu'en mettant à point sa position de négociation, chacun des 34 pays a rédigé une disposition sur le traitement national et a présenté cet article dans leur document de négociation. Les 34 articles différents sur le traitement national ne s'écarteront pas beaucoup de l'article 3 de l'accord initial du GATT de 1947—dont Michael a le texte avec lui. L'article sur le traitement national que l'on trouve dans l'accord du GATT diffère très peu de celui que l'on trouve dans l'ALENA et dans d'autres accords.

• 1010

Mais 34 pays ont bien fait leur travail et ont présenté leurs souhaits et leurs aspirations pour ces négociations. On pourrait effectivement les publier. À mon avis, comme l'a dit Michael, cela ne ferait qu'obscurcir les choses au lieu de les clarifier. On peut faire la même chose dans les négociations sur la propriété intellectuelle, les marchés publics, toutes les questions qu'examinent les neuf groupes de négociation de l'accord sur la ZLEA. Ce n'est pas difficile à faire, mais ce n'est probablement pas utile.

Pour ce qui est de l'approbation parlementaire, c'est évidemment une condition sine qua non. Les 34 participants doivent respecter leurs engagements constitutionnels lorsqu'ils approuvent des accords ou des traités internationaux. Ils doivent tenir compte des dispositions de leur constitution particulière. Dans la plupart des pays d'Amérique latine, ces accords ont valeur de traité, on les considère comme des traités possédant force obligatoire directe dans l'ordre interne, et à ce titre, à ma connaissance, ils exigent dans tous les cas l'approbation du législatif. Dans certains cas, il s'agit de la Chambre inférieure et de la Chambre supérieure, dans d'autres, c'est seulement la Chambre supérieure. Cela varie.

L'une de mes affectations au ministère des Affaires étrangères durant la période qui a suivi la signature de l'ALENA a été de piloter en quelque sorte le projet de loi C-115 de l'époque, la loi de mise en application de l'Accord de libre-échange nord-américain. À cette époque, c'était le plus gros projet de loi jamais soumis à la Chambre des communes et au Sénat. Les deux Chambres ont tenu des audiences, il y a eu la première lecture, puis la deuxième, etc. Les Canadiens ont pu intervenir conformément à ce que prévoyait la Constitution canadienne. On donne certaines responsabilités à l'exécutif et d'autres au législatif. Je ne me prononcerai certainement pas sur cette répartition des pouvoirs, mais c'est quelque chose que l'on constate dans tout l'hémisphère, et vous aurez donc cette possibilité comme vos collègues des autres pays.

J'ajouterais une chose, c'est qu'à chaque fois que des parlementaires demandaient des renseignements ou des séances d'information aux ministres, j'ai toujours constaté qu'on les prenait très au sérieux et qu'on y répondait très rapidement. Et si c'est quelque chose qui préoccupe un député, je peux lui dire que rien ne va plus vite qu'une simple demande formulée par un député. On va l'écouter et on vous répondra.

Le président: Merci beaucoup.

Nous sommes censés en être aux périodes de cinq minutes, mais nous en sommes à neuf minutes. Nous reviendrons à M. Martin car nous avons encore le temps d'avoir plusieurs échanges.

[Français]

Madame Lalonde, la parole est à vous.

Mme Francine Lalonde: Je m'adresse à M. Hart et à M. Brunelle.

Monsieur Hart, vous êtes parvenu à me faire grimper dans les rideaux avec votre façon tranquille d'exprimer l'arrogance des experts.

Comme parlementaire ayant, moi aussi, négocié longtemps, j'ai entendu tout ce que vous avez dit. Quand une négociation a l'importance de celle de la ZLEA, comme l'avaient d'ailleurs aussi l'ALENA et l'ALE, les enjeux sont des enjeux politiques, économiques et socioculturels qui touchent la population.

Il est essentiel que cette population et les parlementaires, qui sont élus pour hausser la pédagogie, aient l'information qui leur permet de savoir quels sont les enjeux. Dire qu'il y a 900 pages avec des crochets et que tout ça pourrait se réduire à trois pages, ça va. Si on est capable de réduire ça à trois pages et que les enjeux y soient, c'est parfait parce que ce sont les enjeux qui sont importants. Ils sont importants, tout comme ils l'ont été quand on a fait le chapitre 11, alors que les experts, semble-t-il, n'avaient pas du tout vu l'utilisation qui pourrait en être faite par les entreprises.

• 1015

Je vais donc continuer à plaider très fort pour que les textes qui vont servir de base à la négociation soient connus afin qu'on puisse débattre des enjeux. C'est ça qui est important. Tant qu'on n'a pas les textes, on ne peut pas savoir quels sont les enjeux. Les enjeux, bien sûr, ça veut dire que, d'un côté, il y a tel pays qui veut telle chose alors que, de l'autre côté, il y a tel autre pays qui veut telle autre chose. Mais on va tout au moins savoir que c'est de ça que l'on va débattre. Il me semble que, sur le plan politique, on a absolument besoin de savoir ça.

Je reprends le chapitre 11 pour dire qu'il ne devait pas y avoir un tel chapitre sur les investissements, mais qu'il est arrivé. Finalement, une fois qu'il a été préparé par des experts, qui ne pensaient pas offrir une porte grande ouverte comme celle-là aux entreprises, on s'est retrouvé avec un texte. Je pense que certains de ces experts ne seraient pas maintenant prêts à le récrire comme ça. On a besoin de savoir où l'on se situe là-dessus, surtout maintenant que les Européens ont fait échouer ce qui était à peu près le pendant du chapitre 11, que l'on a appelé l'AMI.

Ma question est longue, mais je voulais décrire ce que je considère être les enjeux.

Quant à M. Brunelle, j'aimerais qu'il me parle de la nécessité de cette transparence pour que la mobilisation se fasse, parce que ça en prend. Pierre Marc Johnson est venu nous le rappeler pour ce qui est de l'environnement, pour que, justement, on puisse faire les débats et les pressions qui s'imposent. Les gouvernements ont aussi besoin d'avoir ce rapport de force par rapport à la force que représentent les entreprises. Il ne faut pas nier le fait que la négociation ne se fait pas seulement entre les pays, mais aussi à l'intérieur de chaque pays.

Je finis en disant que Vincente Fox lui-même rappelait que, si l'ALENA a été bon sur le plan, entre guillemets, de l'économie, ça n'a pas du tout, bien au contraire, aidé à la redistribution au Mexique.

Le président: Vous avez pris quatre minutes de votre période de questions de cinq minutes.

Mme Francine Lalonde: Soyez un peu généreux, monsieur le président.

Le président: Mais non. C'est simplement pour dire que les réponses ne doivent pas être trop longues.

[Traduction]

M. Michael Hart: Madame, je ne disconviens pas du fait que, pour pouvoir contribuer utilement au débat public, les députés doivent avoir accès aux documents qui ont trait au fond de la négociation. Ce que je disais, c'est que si l'on publiait ce texte intégralement, si on publiait les 900 pages, cela ne vous servirait à rien car c'est un texte extrêmement touffu avec une foule de choses qui vous feraient partir sur toutes sortes de fausses pistes.

Je pense que ce qui est plus utile, c'est la documentation que l'on peut trouver sur le site de l'OEA, où il y a énormément d'information de fond très utile sur les divers sujets actuels. Il serait aussi très utile de consulter certains des sites Web nationaux, dont certains sont meilleurs que d'autres, pour avoir une idée de la position de ces pays. Mais je crois que ce texte-ci serait totalement inutile en l'occurrence.

Pour ce qui est du deuxième point, il y a tout un historique du chapitre 11. Ce n'est pas quelque chose qui est apparu comme par enchantement au milieu des négociations de l'ALENA. C'est quelque chose qui remonte aux accords négociés au cours des années 60, aux accords sur la protection des investissements étrangers ou, comme on les appelait aux États-Unis, les traités bilatéraux sur l'investissement, qui comportaient ce genre de dispositions. Bien souvent, ces dispositions remontent à la Banque mondiale ou au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, et la plupart du temps elles sont fondées sur le droit de New York—en effet, assez curieusement, beaucoup de ces traités sur l'investissement stipulent que les différends doivent être tranchés sur la base du droit de New York. Mais il s'agissait surtout d'accords entre pays industrialisés et pays en développement.

La nouveauté avec l'ALENA a consisté à inclure cette notion dans un accord de libre-échange entre deux pays industrialisés et un pays en développement. Je crois que les négociateurs ont constaté que le défi était plus important qu'ils ne l'avait pensé, car ils ont dû y faire pas mal d'ajustements pour pouvoir appliquer certaines de ces dispositions aux deux pays.

• 1020

À ce sujet, je crois qu'il y a un domaine dans lequel il faudrait approfondir la réflexion. Je crois que le ministre l'a bien souligné dans un article intéressant publié dans la page en regard de l'éditorial des journaux la semaine dernière quand il a écrit qu'il fallait sans doute réfléchir encore au texte sur la notion d'expropriation et d'activité équivalant à une expropriation. Cet approfondissement de la réflexion résulte des diverses interventions qui ont eu lieu. Je crois que la plupart des experts juridiques sont un peu étonnés par les décisions des groupes spéciaux d'arbitrage. Je pense qu'on s'imaginait que ces groupes spéciaux arbitraux régleraient ces problèmes en prenant des décisions raisonnables, mais ce n'était vraiment pas le cas. Je pense qu'il y a donc là matière à plus de négociation.

Ce n'est pas la première fois qu'on s'aperçoit au bout d'un certain temps qu'il faut renégocier un texte, que ce soit une loi nationale ou un accord international, parce qu'on s'aperçoit qu'il y a une meilleure façon de faire les choses. Je le constate aussi bien dans notre droit national que dans le droit international. Je pense que c'est une évolution assez naturelle que nous observerons probablement au cours des quatre ou cinq prochaines années.

[Français]

Le président: Professeur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: À propos de la transparence, je pense qu'il y a une chose importante à souligner. C'est que la réclamation du texte est relativement secondaire par rapport au problème de la transparence, parce que le texte...

Et j'ai entendu des choses un peu étonnantes ce matin. Mme Stephenson, de l'OEA, a fait un rapport sur l'état de la négociation au mois de mars. On avait une bonne idée de ce qui serait dans l'accord de la ZLEA. Je pense que cela a été dit. Maintenant, que le texte fasse des milliers de pages, j'en doute.

La substance de ce qu'il y a dans cet accord de libre-échange, dans l'ALENA, on pourrait le sortir essentiellement dans le chapitre 11 et le chapitre 10, soit le chapitre sur les investissements et le chapitre sur les marchés publics.

Je voudrais peut-être attirer votre attention, monsieur le président, sur un problème de fond. Lorsqu'on parle du rôle des parlementaires ex post la négociation, on semble croire que c'est ça, la démocratie, que les parlementaires puissent recevoir un texte négocié par les experts dans le plus parfait secret, en merveilleuse connivence avec les gens d'affaires, donc selon des critères d'objectivité rarement atteints, bien sûr.

Quand on fait ça, ce qu'on oublie, ce qu'on omet de dire, c'est que l'ALENA, en particulier, poursuit la désappropriation des pouvoirs des parlements dans son institutionnalisation. Maintenant, je vais dire cela clairement.

Savez-vous ce qui se passe avec la Commission de l'ALENA? Savez-vous quel est le pouvoir de la Commission de l'ALENA? Savez-vous quel est l'effet utile du travail de la Commission de l'ALENA? C'est qu'il y a un article important dans l'accord de l'ALENA, l'article 1024, qui stipule que les exceptions contenues dans l'article sur les marchés publics, en particulier, ne valent que jusqu'au 31 décembre 1998. Depuis lors, cette commission a été mise en piste.

M. Hart a parlé tout à l'heure de ses étudiants, qui étaient tous des experts dans l'accès à l'information. J'aimerais que l'un ou l'autre des étudiants de M. Hart ou M. Hart lui-même donne toute l'information pertinente à vous, parlementaires, sur le travail que fait cette commission. Est-ce que cette commission chapeaute le travail de 30 comités et groupes de négociation qui ne font rien, ou bien si elle fait un travail utile?

C'est là que le problème de l'approbation par les parlementaires devient très litigieux. Que les parlementaires acceptent le texte, c'est une chose. Mais que les parlementaires, en sanctionnant le texte, la stratégie de l'ALENA en tout cas, sanctionnent la démarche négative inscrite dans l'ALENA et poursuivent cette désappropriation de leurs propres prérogatives, c'en est une autre. Vous ne savez pas ce qui se passe en autant que la négociation de l'ALENA est concernée, monsieur le président. C'est là qu'est la difficulté. Le problème n'est pas de savoir si la ZLEA va faciliter la circulation du vin Tarapacá depuis le Chili vers le Canada. Le problème est de savoir si ça va sanctionner encore une fois la démarche négative.

L'autre problème litigieux qui a été souligné par mon honorable collègue Hart, c'est évidement celui du chapitre 11, en vertu duquel, pour le Canada, s'accumulent à l'heure actuelle 13 poursuites pour un total de 10 milliards de dollars. C'est ça qui est litigieux.

Ne nous cachons pas le reste. Ne noyons pas le poisson derrière tout un ensemble de difficultés d'une puissante trivialité, monsieur le président. C'est de ça qu'il est question. Et le ministre Pettigrew lui-même a mentionné que ce chapitre 11 commençait à être assez lourd à porter.

Est-ce que c'est ça qu'on veut étendre à la grandeur des Amériques? La réponse à une question comme celle-là est oui ou non. Et si vous aviez quelques renseignements là-dessus, il y aurait sans doute beaucoup moins d'inquiétude dans la société civile à l'heure actuelle, surtout sur l'autre aspect dont on n'a pas parlé.

C'est là que l'originalité de ces accords, à mon avis, ressort avec force. C'est cette originalité de la Commission de l'ALENA, qui a un ensemble de mandats qui échappent à toute forme d'imputabilité dans les Amériques.

• 1025

Le président: Merci, monsieur le professeur. Monsieur Paradis.

M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Merci, monsieur le président. Je félicite tous les intervenants.

Il s'agit, bien sûr, du Sommet des chefs d'État et on voit l'intérêt qui est suscité par ce sommet. Un des intervenants a parlé de la société civile et de faire le pont avec les parlementaires. Je pense que les audiences que nous tenons aujourd'hui sont un excellent moyen de faire ce pont entre la société civile, les ONG et les parlementaires élus. On se demande quelle est la place des ONG dans tout ça. Nous sommes des parlementaires élus aussi. Chacun de nous représente une population d'environ 100 000 personnes, et il est important qu'on ait cette connexion avec les ONG mais aussi avec nos gens dans nos comtés.

M. Brunelle nous livrait plus tôt un message: rapprocher les pays riches et les pays pauvres. Je pense qu'il est bien important qu'au sommet on puisse à tous les niveaux, aux niveaux du commerce, des droits de la personne, de l'environnement et de la démocratie, réussir d'une certaine façon à rapprocher les pays riches des pays pauvres.

Là où je me distance de M. Brunelle, c'est certainement sur le FIPA et la COPA. J'en profite pour féliciter notre président Bill Graham ainsi que la sénatrice Céline Hervieux-Payette qui ont mis l'épaule à la roue pour créer le FIPA, le Forum interparlementaire des Amériques. À tort ou à raison, et cela a déjà été mentionné autour de la table ici, M. Charbonneau s'est servi à Québec de la COPA à des fins politiques, en ce qui concerne la séparation. Je pense que le FIPA a une place importante et doit jouer un rôle dans le dossier des parlementaires en Amérique.

En ce qui a trait au Sommet des peuples des Amériques, vous avez dit plus tôt qu'il était scandaleux qu'on n'ait pas donné assez d'argent pour le Sommet des peuples. Eh bien, je pense que les contributions de 300 000 $ du gouvernement canadien et de 200 000 $ du gouvernement du Québec sont tout à l'honneur du Canada et du Québec.

Je termine par une question que je voudrais adresser à Mme Robinson. Dans le contexte actuel, le Canada est proche du marché américain, mais a aussi une double culture, une culture latine et une culture anglo-saxonne. Les pays d'Amérique du Sud partagent davantage cette culture latine avec nous. Ils partagent aussi un système de droit. On a un double système de droit au pays: le droit civil et le common law. L'ensemble des pays d'Amérique du Sud ont un système de droit civil qui ressemble au système de droit civil que nous avons au Québec, entre autres.

Il y a au total 800 millions de personnes dans les Amériques. Il y a environ 300 millions d'Américains, mais il en reste quand même 500 millions. Qu'est-ce le Canada peut faire de plus pour mettre de l'avant les valeurs que vous avez mentionnées: des valeurs de démocratie, d'environnement, qui sont les sujets à l'ordre du jour? Qu'est-ce qu'on peut faire de plus, selon vous, pour mettre davantage de l'avant ces valeurs, compte tenu de ce que je viens de décrire?

[Traduction]

Mme Nobina Robinson: Merci beaucoup pour cette question. Elle est vraiment importante. C'est une préoccupation quotidienne pour nous.

Tout à l'heure, je crois que c'est le professeur Brunelle qui a dit qu'il ne fallait pas laisser le commerce devenir le seul moteur de nos relations avec les Amériques, et je suis bien d'accord. Notre politique étrangère repose sur les trois piliers des intérêts économiques, des valeurs et des questions de sécurité. Quand on essaie d'appliquer cela aux Amériques, les cyniques peuvent dire qu'il n'y a pas grand-chose là-dedans. Si l'on prend les statistiques du commerce, on voit que 87 p. 100 de nos échanges se font avec les États-Unis. Nous nous battons pour 13 p. 100 du gâteau que nous partageons avec l'Europe et l'Asie. Jusqu'où pouvons-nous aller avec l'Amérique latine?

Je pense qu'en revanche nous avons plus de possibilités d'action au chapitre des valeurs. C'est sur le plan de la société et du développement que nous ne progressons pas encore concrètement. Il faut notamment s'interroger sur la petitesse du budget de l'ACDI consacré à l'aide au développement de cette région. Au plan bilatéral, c'est, je crois—et Mme Marleau le saura mieux que moi—190 millions de dollars par an et un peu plus dans le système multilatéral.

• 1030

Essayons de voir ce que les pays de la région ont en commun, ce que vous cherchez à faire. Outre que nous avons des régimes juridiques analogues, une tradition occidentale et une démocratie qui se développe dans la région, nous avons aussi des problèmes qui débordent les frontières. Prenez l'insécurité publique. Prenez l'aggravation du taux de violence, l'insécurité urbaine, la criminalité urbaine.

La question de la gestion environnementale... et je ne parle pas de la façon lamentable dont on en a parlé ce matin sur Radio-Canada. Les ministres de l'Environnement vont discuter du changement climatique. Je parle ici de choses comme la pureté de l'air et la propreté des villes.

Le Canada peut prendre des initiatives pour amener la région à s'attaquer au problème. Les multiples inégalités qu'on constate tiennent souvent au pouvoir de redistribution des gouvernements. Je crois que votre comité a discuté des pays qui ont une petite économie et qui vont devoir réduire leurs barrières tarifaires s'ils veulent pouvoir signer un accord de libre-échange. Ils vont devoir chercher d'autres formes d'imposition pour augmenter leurs revenus. À cet égard, le Canada peut leur proposer un modèle de gouvernement. Nous avons beaucoup de choses en commun avec les pays anglophones des Caraïbes, mais j'ai l'impression que l'on a tendance à les oublier.

Voilà rapidement quelques idées qui nous viennent à l'esprit, mais je reconnais qu'il ne s'agit pas uniquement d'accueillir des réunions. Il s'agit aussi de ne pas refiler nos problèmes au reste de l'hémisphère, et d'être beaucoup plus à l'écoute des besoins des autres pays, qui peuvent se résumer à la résolution des problèmes d'insécurité publique et d'inégalité des revenus.

[Français]

M. Denis Paradis: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, madame Robinson.

Monsieur Robinson, allez-y.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

J'ai des questions sur divers sujets, mais je voudrais reprendre les propos de Mme Lalonde sur le témoignage de M. Hart. Je dois dire qu'en l'écoutant, j'ai eu la même impression. J'ai trouvé incroyable, arrogante et paternaliste l'idée voulant que ces documents soient volumineux et complexes—oh mon Dieu, 900 pages—et qu'il fallait laisser les experts s'en occuper. Ensuite, on nous dit qu'il nous reste toujours la possibilité de consulter ces merveilleux sites Web, celui de l'OEA et celui du Gouvernement du Canada.

Si M. Hart a consulté le site du Gouvernement du Canada, il sait sans doute que sur certains sujets fondamentaux comme l'investissement, les services, la propriété intellectuelle et le règlement des différends, le gouvernement ne dit pas un mot—absolument rien. Alors, quand on nous dit de consulter le site Web... Je ne sais pas s'il y est allé voir, mais on n'y trouve rien. Absolument rien.

Tout ce processus est donc profondément antidémocratique. Je ne sais pas si ce parrainage obscène du sommet par les grandes sociétés commerciales... Le professeur Brunelle a parlé du forum des affaires. On nous montre le spectacle des grosses sociétés qui peuvent acheter leur place à côté de leur chef d'État favori. Si elles allongent l'argent, eh bien elles peuvent même y aller d'un petit discours à la réception inaugurale.

C'est un véritable détournement de la démocratie, monsieur le président. Tout cela est très préoccupant. Ensuite, M. Hart nous dit que nous n'avons pas à nous faire de soucis, nous finirons bien par avoir les documents, qui du reste, sont très complexes. Honnêtement, je trouve tout cela très choquant, et quand j'entends le ministre dire que toutes les ententes commerciales se ressemblent de toute façon... Voilà ce qui nous préoccupe, monsieur le président.

On veut ajouter un chapitre 11 ou l'équivalent du chapitre 11 à l'accord sur la ZLEA, ce qui préoccupe gravement certains d'entre nous; qu'en résultera-t-il pour les Canadiens? Le professeur Brunelle en a parlé très éloquemment.

Je crois que c'est M. MacKay qui a dit que l'on parle ici de l'OMC-plus. Certains d'entre nous s'inquiètent déjà de l'OMC telle qu'elle existe actuellement. Quand on voit ce que fait l'OMC au Brésil, qui s'efforce de mettre des médicaments à prix abordables à la disposition des personnes séropositives et sidéennes, c'est tout à fait consternant. Quand on voit ce que fait l'OMC au Canada à propos de la Loi sur les brevets, ce n'est pas très encourageant. Je ne veux donc pas entendre parler d'une OMC-plus.

Voilà ce qui m'amène à ma question, que je voudrais poser à M. Brunelle ou à tous ceux qui voudront bien y répondre, peut-être comme M. Hart. En fait, j'ai deux questions. Tout d'abord, certaines personnes—certains partis représentés autour de cette table—ont proposé d'ajouter certaines dispositions à l'accord sur la ZLEA pour l'améliorer. Il faudrait, par exemple, faire référence aux droits des travailleurs dans le corps même de l'accord. Il faudrait y ajouter une disposition sociale pour le renforcer. Les droits de la personne devraient avoir la primauté sur le droit commercial.

• 1035

J'aimerais entendre le point de vue des témoins sur ces propositions et sur la façon dont de telles clauses pourraient s'appliquer. Peut-être pensent-ils qu'au lieu d'essayer de modifier des accords existants, ce qui, pour certains d'entre nous, équivaut simplement à une tentative d'étoffement d'accords qui, au départ, sont antidémocratiques, il vaudrait mieux essayer de renégocier les accords déjà en vigueur.

Ma deuxième question concerne Cuba. L'un des pays de l'hémisphère s'est fait dire qu'il ne ferait pas partie de la grande familia. À mon sens, c'est là un recul regrettable par rapport à la position antérieure du premier ministre, qui a dit qu'en fait, le Canada était prêt à accueillir Cuba dans la grande familia. Depuis lors, il n'y a pas eu de changement quant à la démocratie.

Certains se sont dits préoccupés des droits de la personne en matière de liberté d'expression, mais je voudrais dire que ceux qui se préoccupent des droits de la personne devraient tourner leurs regards vers la Colombie. Regardez ce qui se passe dans ce pays si vous voulez parler de droits de la personne. Si vous voulez parler de droits de la personne au Guatemala, et dans toutes les Amériques pour ce qui est particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels... Qu'est-ce que les témoins ont à nous dire de Cuba qui se trouve exclue de la grande familia?

Le président: Qui veut commencer?

[Français]

Professeur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: Je peux commencer par la question des clauses sociales et environnementales.

On a l'exemple et le précédent de l'ALENA où on a eu deux accords parallèles: l'Accord parallèle de coopération dans le domaine du travail et l'Accord parallèle de coopération dans le domaine de l'environnement. Les experts nous disent que ces accords ont très peu de mordant, mais ils ont eu leur utilité.

Le gouvernement s'est engagé à essayer de voir à ce qu'on ait des accords semblables dans l'Accord de libre-échange des Amériques, dans la ZLEA. Ce serait une chose intéressante. En revanche, le nouveau président élu des États-Unis, élu à la minorité d'ailleurs—c'est donc un pays très démocratique—, est tout à fait contre cette stratégie. J'ai donc l'impression que l'avenir des clauses sociales n'est pas très rose.

Par contre, au niveau fondamental, je suis un peu mal à l'aise de répondre à la question parce que, si je porte le chapeau du Réseau québécois sur l'intégration continentale, il y a plusieurs des organisations membres du réseau—je pense en particulier aux organisations syndicales, qu'il s'agisse de la CSN, de la CSQ, de la FTQ, des infirmières ou des fonctionnaires—qui qui sont engagées, même au niveau de la CISL, dans ce processus de défense des clauses sociales, qu'on appelle parfois les droits humains. Je suis très mal à l'aise surtout à cause de ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est-à-dire essentiellement à cause de la démarche qu'on trouve dans l'ALENA en particulier. Si la ZLEA devait reprendre cette démarche, la validité d'une clause sociale tomberait d'elle-même puisque tout est sur la table.

C'est assez intéressant. Il faudrait peut-être poser la question à un ministre, par exemple au ministre Pettigrew. Quand il nous assure que la santé n'est pas en négociation, est-ce effectivement le mandat qui a été donné à la Commission de l'ALENA ou ne sait-il pas ce que la Commission de l'ALENA fait? Mon hypothèse est qu'il doit probablement ignorer ce que la Commission de l'ALENA fait.

J'arrive à la question de Cuba, qui est aussi une question litigieuse. Il y a un problème d'exclusion de Cuba des Amériques depuis le début des années 1960, bien sûr. C'est un vestige de la Guerre froide. Il faudrait peut-être au moins que le Canada ne change pas d'idée à ce sujet et essaye d'obtenir l'insertion de Cuba dans le processus. Ce serait très intéressant parce que ça changerait beaucoup la dynamique. Les plus petites économies ne seraient pas prises dans une situation aussi difficile que celle dans laquelle elles se retrouvent à l'heure actuelle. Je pense donc que ce serait une bonne idée, mais le problème serait de voir dans quelle mesure le Canada peut avoir une position cohérente avec sa position historique de reconnaissance de Cuba, quelles que soient par ailleurs les difficultés du côté américain, où on maintient l'exclusion de Cuba, difficultés qu'il ne faut pas minimiser.

Monsieur le président, je voudrais abuser de temps pour revenir...

Le président: Vous pourrez répondre à une autre question.

M. Dorval Brunelle: On n'a pas le droit de faire ça? Celle de M. Paradis m'a un peu piqué.

Le président: Ce sont mes questions.

M. Dorval Brunelle: Eh bien, posez-moi celle-là et je vais répondre à M. Paradis.

C'est quand même incroyable, ce qu'il a sorti. Je viens de faire un calcul, monsieur le président, et je vais répondre quand même. Ça fait 12 $ par personne pour ceux qui sont membres du Sommet des peuples; pour les chefs d'État, c'est 2 millions de dollars. Donc, on a ce calcul, et l'éclat de rire est assez éloquent.

Le président: On ne va pas s'engager dans ce débat de chiffres.

[Traduction]

Monsieur Hart, nous pouvons peut-être écouter votre réponse aux questions de M. Robinson, puis...

• 1040

M. Svend Robinson: Je crois que Mme Robinson a un bref commentaire à faire sur Cuba.

Le président: Oui, vous pouvez répondre sur Cuba, puis nous passerons à la suite, car nous sommes très en retard, comme d'habitude.

M. Michael Hart: Il y a bien des choses à dire en réponse à M. Robinson. J'aimerais relever certaines des questions qu'il a soulevées.

Il a parlé de l'arrogance des experts. Je trouve curieux d'être invité ici en tant que témoin expert et de me faire dire que mon expertise n'est pas la bienvenue.

Des voix: Oh, oh!

M. Michael Hart: Voilà quelque chose de curieux et d'intéressant.

Lorsque j'ai dit qu'il ne vous servirait pas à grand-chose de consulter le texte, je vous donnais le point de vue d'un expert, à savoir que ce texte ne vous donnerait pas une information utilisable dans le genre d'analyse politique que vous souhaitez faire, et que les sites Web vous donneront sans doute une information plus utile. Vous dites que, comme le site du gouvernement du Canada ne contient rien sur des questions comme l'investissement, le règlement des différends, etc...

M. Svend Robinson: Il n'indique pas le point de vue canadien qui sera défendu lors des négociations.

M. Michael Hart: Mon interprétation diffère de la vôtre. Par exemple, je considère que l'absence de texte sur le règlement...

M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Est-ce qu'on pourrait, monsieur le président, entendre le témoin sans interruption? Un peu de courtoisie, s'il vous plaît.

Le président: Ne vous inquiétez pas pour le professeur Hart. Il est assez grand pour se défendre lui-même. C'est un expert de réputation mondiale. Ne vous faites pas de souci.

M. Michael Hart: Pour moi, l'absence de texte sur le règlement des différends signifie que le gouvernement du Canada est satisfait du texte de l'OMC, qui peut lui servir de modèle. Il ne voit pas l'intérêt d'y ajouter une dimension nouvelle et plus complexe, puisqu'il est satisfait du texte actuel. Je me trompe peut-être, mais c'est ainsi que j'interprète l'absence de référence au règlement des différends.

M. Svend Robinson: Et l'absence de point de vue sur l'investissement?

M. Michael Hart: Il en va de même du point de vue canadien sur l'investissement, car le gouvernement du Canada a annoncé publiquement à plusieurs reprises qu'il se préoccupait de certains aspects de l'actuel chapitre 11 de l'ALENA, en particulier la disposition sur les différends entre un investisseur et un État, et la définition qu'on en donne. Le gouvernement du Canada n'est pas prêt à proposer un texte à ce sujet parce qu'il n'est pas prêt à négocier, mais il a fait publiquement état de son point de vue. S'il y a un texte sur l'investissement dans cet accord, il sera en retrait par rapport au texte de l'ALENA, qui ne plaît guère au gouvernement. Encore une fois, tout cela n'est pas bien difficile à interpréter.

Pour ce qui est du caractère démocratique du processus, je vous dirais ceci. Nous avons ici des parlementaires qui tiennent des audiences, qui vont avoir le texte intégral et qui font partie d'un parlement d'où est issu le gouvernement élu qui va négocier ces accords. Je trouve curieux d'entendre dire que les négociations sont antidémocratiques parce qu'un certain nombre de groupes non élus ont adopté un point de vue différent de celui du gouvernement du Canada. Je n'y vois rien d'antidémocratique. Je considère que les divergences d'opinions font partie du débat démocratique canadien.

Moi aussi, j'ai un point de vue différent de celui du gouvernement du Canada sur certaines questions. Je reconnais avec vous que le parrainage des grandes sociétés privées à ce sommet est obscène et traduit une erreur de jugement de la part du gouvernement. Mais l'ensemble du processus ne s'en trouve pas remis en question pour autant.

Je suis bien d'accord avec Mme Robinson pour dire que la rencontre de Québec ne porte pas vraiment sur l'ALEA. C'est une démarche beaucoup plus vaste de mise en confiance, de réseautage d'un ensemble de l'hémisphère, à partir du processus amorcé en 1994 et qui préconise une meilleure utilisation des organismes interaméricains, qui comprennent l'Organisation des États américains, la Banque interaméricaine de développement et la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes.

Si les gens du ministère des Affaires extérieures s'étaient fait dire en 1990 que l'OEA allait faire un travail utile à la fin des années 90, ils auraient ri, car l'OEA était considérée à l'époque comme une plaisanterie. Ce n'est plus le cas actuellement parce qu'elle fait un travail très utile. Son actuel secrétaire général, M. Gaviria, a fait un excellent travail en nous donnant une base de négociation.

Pourquoi est-ce que Cuba ne fait pas partie du tableau? Ce n'est pas une décision canadienne. C'est une décision de l'OEA, de l'ensemble de ses membres. Ils sont très fiers d'avoir amorcé en 1994 un processus qui reconnaît l'importance de la coopération entre gouvernements démocratiquement élus. Tous les États membres de l'OEA considèrent que Cuba n'a pas un gouvernement démocratiquement élu. On peut avoir un point de vue différent, mais je reconnais que le gouvernement cubain actuel n'a pas été élu démocratiquement et c'est pour cela que les États membres de l'OEA l'ont exclu.

Je vous remercie.

Le président: Nous reviendrons dans un instant sur la situation de Cuba, car nous avons largement dépassé nos délais.

Mme Nobina Robinson: En ce qui concerne les accords auxiliaires—les questions annexes de la main-d'oeuvre et de l'environnement—, pourquoi attendre 2005 ou 2008 pour les intégrer à l'accord commercial? Il faut en saisir le sommet immédiatement. Voilà comment il faut voir les choses. Il faut que le sommet adopte immédiatement une clause sur la démocratie ou une formule quelconque sur la démocratie, qui devra figurer dans l'ALEA. Pourquoi attendre en laissant cette question traîner tout au long de négociations qui ne déboucheront pas sur une mise en oeuvre avant quatre ou cinq, sinon huit ans—M. Hart, qui s'y connaît mieux que moi, pourrait peut-être nous le dire.

• 1045

Quant à Cuba, je vous en ai déjà parlé, monsieur Robinson. Je ne suis pas d'accord pour dire qu'il s'agit d'un revirement dans le point de vue canadien. Je ne suis pas non plus d'accord pour dire que Cuba est exclue du sommet à cause des droits de la personne. Il faut s'attacher avant tout aux systèmes politiques. Pour ceux qui ne me connaissent pas, j'ai consacré trois ans de ma carrière diplomatique à représenter le Canada à la Havane, dont j'ai pu observer le régime dans ses moindres détails. L'absence d'économie de marché, l'absence de partis politiques, c'est-à-dire de démocratie représentative, ce manque de respect de Cuba envers les échanges multilatéraux—c'est l'un des gouvernements les plus enclins à l'obstruction aux Nations Unies—, tout cela fait en sorte que Cuba n'est pas prête à participer au sommet.

Et ce point de vue n'est pas canadien. C'est aussi celui de l'Argentine. Contrairement aux fonctionnaires, je peux nommer des pays. Ce point de vue est partagé par l'Argentine, le Costa Rica et d'autres pays de l'hémisphère. Peut-être est-ce aussi celui du Mexique. Il y a des questions inscrites à l'ordre du jour du sommet—que ce soit la lutte contre la corruption, les relations entre civils et militaires, la gestion environnementale, la gestion des systèmes financiers, le monde du travail—qui ne font pas partie du vocabulaire cubain. Et je le regrette.

Un dernier point concernant Cuba: les Cubains ne veulent pas participer à ce sommet. Regardez les déclarations faites à l'époque du sommet de Santiago en 1998. Cuba n'a pas voulu participer au sommet. Pourquoi? Parce que les Américains y participent. Au lieu de ne considérer que les aléas de la politique étrangère canadienne, il faut voir dans cette situation un défi pour l'ensemble de l'hémisphère.

Le président: Merci beaucoup. Voilà un point de vue très utile.

Monsieur Casey, je suis désolé de vous avoir fait attendre.

M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci beaucoup.

Cet exercice fait intervenir 34 pays dont chacun a sa propre forme de gouvernement et sa propre constitution. Que se passera-t-il si les règles de l'accord entrent en conflit avec la constitution d'un pays? Quelles seront les règles prioritaires, monsieur Hart? Les règles de l'accord ou la constitution du pays? Comment résoudre ce conflit?

M. Michael Hart: Tout dépendra de l'accord et de la constitution en question. Il y a différentes façons de résoudre un tel conflit.

Lorsque le GATT a été négocié en 1947, il a été mis en oeuvre en fonction de ce qu'on appelle le protocole d'application provisoire, c'est-à-dire que les gouvernements ont convenu dans cet accord qu'ils allaient le mettre en oeuvre dans la mesure où il n'était pas incompatible avec le droit applicable et qu'à l'avenir, lorsqu'ils modifieraient leur législation, ils veilleraient à ce qu'elle soit conforme au GATT. En ce sens, la priorité était accordée aux constitutions.

Dans le cas de l'OMC, on trouve un article, l'article XVI.4, qui précise que les gouvernements signataires ont l'obligation d'intégrer la totalité de l'accord à leur législation. En cas de différend entre deux pays, dont l'un accuse l'autre de ne pas avoir appliqué intégralement l'accord, le gouvernement fautif, qui n'a pas intégralement honoré ses obligations, se trouve confronté à un choix intéressant. Il peut modifier sa législation et la rendre conforme à l'accord, ou bien il peut considérer que l'accord va trop loin. Il doit soit se retirer de l'accord, soit accepter l'opprobre du non-respect d'un accord qu'il avait pourtant signé.

M. Robinson a fait allusion au pauvre Brésil, parce que les Brésiliens sont justement dans une telle situation, étant donné qu'un groupe spécial de l'OMC a établi à cinq reprises que le programme brésilien de subvention des exportations contrevient aux obligations de ce pays aux termes de l'OMC. Le Brésil affirme que s'il rend sa législation conforme à ses obligations découlant de l'OMC, il ne pourra plus vendre d'avions, et il n'a donc pas l'intention de réaligner sa législation, ce qui oblige le Canada à décider s'il va exercer des pressions sur le Brésil pour le contraindre à tenir ses promesses.

• 1050

Si je me place du point de vue non pas d'un fonctionnaire, mais de quelqu'un qui respecte avant tout la primauté du droit, je trouve très triste qu'un grand pays en développement puisse ainsi conclure un accord, le signer, l'intégrer à sa législation, puis prétendre que cet accord est devenu encombrant et refuser de le mettre en oeuvre. Une telle attitude a de graves conséquences.

Le président: C'est un peu comme les États-Unis, n'est-ce pas, monsieur Hart?

M. Michael Hart: Non, ce n'est pas exact, monsieur le président. C'est être injuste envers les États-Unis. Il est trop facile de dire que le point de vue d'un sénateur américain ou d'un membre du Congrès est le point de vue des États-Unis. Il se dit toutes sortes de choses aux États-Unis, mais ce pays fait preuve de sérieux dans la mise en oeuvre et le respect des accords internationaux.

M. Bill Casey: Je voudrais que vous en reveniez à cet exemple, non pas à cause de l'exemple, mais parce qu'il pourrait nous donner une idée de ce qui se passera à l'avenir.

Le Brésil a admis qu'il ne respectait pas l'accord et qu'il n'avait pas l'intention de le respecter. A-t-il reconnu qu'il ne le respectait pas?

M. Michael Hart: Les Brésiliens ont dit qu'il leur serait difficile de le respecter.

M. Bill Casey: Ils ont dit qu'ils ne vont pas le respecter. Quelles sont les mesures que peuvent prendre les autres pays signataires de l'OMC?

M. Michael Hart: C'est précisément la question qui se pose au gouvernement du Canada: comment faire pression sur le Brésil pour qu'il se conforme a l'accord?

L'une des mesures prévues à l'OMC, au chapitre du règlement des différends, consiste à riposter en supprimant les concessions que le Canada a accordées au Brésil de façon unilatérale, mais l'expérience montre que quand on procède ainsi, on risque davantage de se pénaliser soi-même que de pénaliser l'autre pays, en l'occurrence le Brésil. Il serait difficile de faire accepter aux Canadiens qui consomment du jus d'orange qu'ils vont devoir le payer plus cher afin que Bombardier puisse vendre ses avions.

La formule des représailles est importante, mais elle a ses limites. C'est le problème qui se pose actuellement. On envisage aussi des représailles dans deux autres dossiers bien connus, où l'Union européenne ne respecte pas les accords: ce sont les dossiers du boeuf aux hormones et des bananes; les Européens ont accepté les représailles, mais tout le monde reconnaît que ce n'est pas la solution. Il faudra donc régler le problème par la négociation.

M. Bill Casey: Comme cet accord concerne 34 pays, si un petit pays ne le respecte pas, comment est-ce que les pays plus importants vont pouvoir faire pression sur lui sans donner l'impression que l'éléphant essaie d'écraser la souris?

M. Michael Hart: Il s'agit de déterminer si on est en présence d'un refus délibéré de respect de l'accord ou si c'est une question de capacité. Je pense que dans de nombreux pays du continent, il ne serait pas difficile de démontrer que les obligations découlant de l'OMC ne sont pas intégralement respectées, non pas parce que le pays les néglige délibérément, mais parce que ces obligations peuvent être très onéreuses et nécessiter des mesures considérables. Depuis un certain nombre d'années, le gouvernement du Canada a amorcé un exercice de renforcement des capacités pour aider ces gouvernements à se doter des ressources humaines nécessaires à la mise en oeuvre de leurs obligations actuelles au titre de l'OMC.

Le cas du Brésil est un peu différent. Ce n'est pas un problème de capacité. Le Brésil a clairement indiqué qu'il trouve cette règle difficile à mettre en oeuvre. Il l'a trouve injuste. C'est une question de négociation, et non de droit. La première chose à faire est d'appliquer l'accord, quitte à dire ensuite que telle ou telle règle est déplaisante et qu'on veut la renégocier, comme le Canada a indiqué qu'il n'est pas satisfait de la définition du chapitre 11 et qu'il veut la renégocier. C'est un point de vue tout à fait normal.

Mais je pense qu'il est difficile de prendre un pays au sérieux lorsqu'il déclare qu'il n'entend plus s'accommoder de règles qu'il a solennellement acceptées.

M. Bill Casey: Je voudrais poser une question à Mme Robinson. Il semble, d'après votre document, que vous préférez des accords bilatéraux à un grand accord unique. Est-ce que j'ai bien compris? Est-ce que FOCAL s'oppose à l'Accord de libre-échange des Amériques? Est-ce que vous préféreriez des accords bilatéraux? C'est l'impression que j'ai eue d'après l'information que vous donnez.

Mme Nobina Robinson: Je vais demander à Don MacKay de répondre, mais je peux vous dire que tout dépend de la durée de la négociation de ces accords commerciaux. Si l'on ne permet pas la procédure accélérée à l'administration américaine ou à ce qu'on appelle maintenant l'autorité de promotion du commerce, ce qui constituera un obstacle considérable sur la voie de l'accord hémisphérique, nous aimerions que le Canada aille de l'avant et conclue des accords bilatéraux avec le Costa Rica ou avec le CARICOM et avec les autres entités. Mais si les Américains sont prêts à traiter d'accès aux marchés et d'antidumping, nous préférons la formule d'un accord unique concernant l'ensemble de l'hémisphère.

Don, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Donald MacKay: Si j'ai donné cette impression, monsieur Casey, je m'en excuse. Ce n'était certainement pas mon intention.

• 1055

J'ai simplement indiqué que l'objectif de cette démarche est la libéralisation du commerce en matière de tarifs, par exemple, car c'est le problème le plus facile à régler.

Prenons le cas d'un tarif à 15 p. 100. La libéralisation intégrale du commerce donnera un taux de 0 p. 100, la libéralisation à un tiers donnera 10 p. 100 et à deux tiers, 15 p. 100. Si la formule multilatérale, qui comporte actuellement une réduction des tarifs en vue de leur élimination ultime, ramène ce tarif de 15 p. 100 à 10 p. 100, tout le monde s'en trouve avantagé. C'est un progrès vers la libéralisation du commerce.

Si une formule régionale permet de passer de 10 p. 100 à 0 p. 100, c'est merveilleux. Si la formule régionale n'est pas possible alors qu'une formule bilatérale l'est, à cause des circonstances particulières entre les deux pays, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas recourir à la formule bilatérale s'il est impossible d'intervenir à un niveau plus général.

Il y a une chose sur laquelle presque tous les négociateurs commerciaux que j'ai connus sont d'accord. Si l'on peut parvenir à une libéralisation intégrale du commerce sur le plan multilatéral, la raison d'être de tous ces accords commerciaux régionaux disparaîtra du jour au lendemain.

Michael est intervenu dans la négociation canado-américaine du libre-échange. Je suis intervenu moi-même dans la négociation de l'Accord de libre-échange nord-américain. Nous sommes fiers d'avoir participé à la conception de ces accords. Mais je peux vous dire que je n'hésiterais pas à renoncer à l'ALENA si le but atteint par l'ALENA pouvait être atteint au niveau mondial dans le cadre de l'OMC. C'est ce vers quoi nous tendons tous.

Nous parviendrons un jour au libre-échange mondial. Mais je ne sais pas si nous y parviendrons de mon vivant. Je pense qu'une formule bilatérale ou plurilatérale entre trois ou quatre pays peut être envisagée lorsqu'il n'est pas possible d'agir à un niveau supérieur.

M. Bill Casey: Merci.

Le président: Monsieur O'Brien.

M. Pat O'Brien: Merci, monsieur le président.

Nous avons eu quelques témoignages très intéressants présentant des perspectives différentes, c'est le moins qu'on puisse dire. J'accepte tous les points de vue, quitte à ne pas être d'accord sur tout. Nous vous avons invités, et vous pouvez donc vous exprimer en toute confiance.

Quelques témoins ont formulé l'idée selon laquelle nous n'aurions que des relations commerciales avec les États-Unis. Je crois avoir entendu l'expression «notre seule force motrice». Je trouve cela assez incroyable, alors même que la question non commerciale qui domine les discussions actuellement concerne notre éventuelle participation à la défense antimissile de la NASA avec les États-Unis. Nous avons évidemment une relation commerciale bilatérale avec les États-Unis, mais je pense qu'il y a toute une pléthore de domaines, à l'exclusion du commerce, où nous avons des relations très étroites avec les Américains. C'est plutôt une observation de ma part, monsieur le président. J'ai trouvé ce commentaire très curieux.

J'ai entendu une autre chose curieuse: nous aurions perdu notre temps à nous disputer avec le Québec. Il me semble que le premier ministre du Québec veut être autorisé à intervenir sur un pied d'égalité avec le premier ministre du Canada et les autres chefs d'État qui seront présents au Sommet. À ma connaissance, il n'y a aucun précédent de ce genre. Les témoins rectifieront si je me trompe. Est-il déjà arrivé qu'une conférence de ce genre se tienne dans une province dont le premier ministre aurait été invité à prendre la parole au même titre que les chefs d'État des pays participants? À ma connaissance, il n'y en pas eu, mais dans le cas contraire, j'aimerais le savoir.

Monsieur le président, en ce qui concerne le chapitre 11 et les préoccupations du gouvernement et des Canadiens, y compris des parlementaires, le ministre a dit à maintes reprises, aussi bien à la Chambre qu'à l'extérieur, qu'il était très préoccupé par le chapitre 11 et par la portée qu'on donne à ce texte. Il aurait de sérieuses réserves concernant la signature d'un accord de libre-échange des Amériques qui comprendrait des dispositions semblables à celle du chapitre 11 de l'ALENA. Je crois qu'on a tenté d'insinuer quelque chose de différent. Je tenais à le répéter publiquement, car c'est ce que le ministre a dit à maintes reprises.

• 1100

Tout cela, monsieur le président, m'amène à ma seule et unique question précédée du commentaire suivant. Je sais que le ministre à plusieurs reprises a énuméré les moyens utilisés par le gouvernement pour essayer d'être aussi transparent que possible sur le texte de négociation, moyen dont plusieurs des témoins ont parlé. D'ailleurs, le premier ministre a dit à la Chambre qu'il publierait volontiers ces textes mais qu'il ne peut et ne veut pas le faire unilatéralement car ce serait tout simplement contraire à l'entente avec les autres parties prenantes.

Ce point a d'ailleurs également été évoqué lors de la conférence fort utile sur la protection et la promotion des investissements étrangers que vous avez coprésidée avec tant de compétence, monsieur le président. J'ai trouvé tout à fait injuste de justifier cet exercice d'inutile. C'est le moins qu'on puisse dire.

Ma question sur la transparence est la suivante. Étant donné que notre objectif est le plus de transparence possible, et ayant de tels experts à notre disposition, un des témoins peut-il me citer une négociation commerciale à laquelle ait participé le Canada qui ait offert plus de transparence que celle-ci? Dans l'affirmative, pourriez-vous m'expliquer exactement pourquoi?

[Français]

Le président: Professeur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: La première réflexion que je me suis faite en écoutant le député O'Brien portait sur les relations Canada—États-Unis et les non-trade issues. Je vous suggère, si vous en avez le temps, d'aller voir, à propos de ce bouclier antimissile, une chose très intéressante sur le site web du Département de la Défense des États-Unis, étant donné qu'on parle beaucoup de sites web ce matin. Allez voir pourquoi les Américains veulent mettre en place un bouclier comme celui-là dans un contexte d'après-guerre froide. Un des arguments qu'on trouve sur le site web du Département de la Défense, c'est que c'est pour protéger les investissements américains à l'étranger. Ceci m'apparaît une façon un peu agressive de les protéger, mais je dis cela seulement pour reprendre l'argument du député O'Brien.

Pour ce qui est de la question du précédent à propos de Québec, monsieur le président, je ne sais pas si on a oublié le sens du mot «courtoisie» tout simplement. Le maire de Québec pourrait être invité, de même que le premier ministre de la province de Québec. Si ça se passait dans une autre province, c'est cette courtoisie qui prévaudrait, bien sûr. Là on met de côté la courtoisie pour des raisons de politique partisane, mais il ne faudrait peut-être pas oublier que la courtoisie existe dans certains milieux, même à l'intérieur de certains pays, monsieur le président. On peut bien essayer de voir quels sont les précédents, mais il n'y en a pas. C'est le premier événement de ce type-là au Canada. Donc, il serait peut-être intéressant qu'il y ait, là aussi, une innovation et une certaine courtoisie. Bien sûr, dans les circonstances actuelles, la politique partisane l'emporte.

Sur la question de la transparence, tout d'abord, je vous ferai remarquer que le système de négociation des Amériques est le moins transparent de tous les systèmes. Quand il y a eu ce fameux Seattle, selon le calcul qu'on avait fait, il y avait 732 organisations non gouvernementales qui avaient accès à tout le processus à Seattle. Il n'y a strictement rien de semblable dans les Amériques. D'ailleurs, dans un texte célèbre, Mme Stephenson admet elle-même qu'une des raisons du succès de la négociation, c'est précisément le fait qu'elle soit menée en mode mineur, c'est-à-dire dans la clandestinité. Dans la mesure où la clandestinité favorise la négociation, on est encore une fois enfermé dans une logique passablement infernale.

Parmi les accords qui ont circulé, il y a l'AMI, de triste mémoire, l'Accord multilatéral sur l'investissement. Au moment où il était négocié, il était facilement disponible sur un site web, celui de l'OCDE. Vous seriez d'ailleurs très mal pris pour trouver quelque trace que ce soit de cet AMI sur le site de l'OCDE au moment où l'on se parle, parce qu'après l'échec de la négociation, ils ont tout retiré. Il y avait deux organisations qui étaient consultées dans la négociation de l'AMI: le BIAC d'un côté et le TUAC de l'autre. Vous avez déjà entendu ces sigles et je n'ai pas besoin de les donner. Il y avait donc une certaine transparence. M. Svend Robinson avait d'ailleurs demandé qu'un débat se tienne autour de ça. Donc, il y a des choses qui se sont produites autour de l'AMI. D'autre part, je cite souvent l'Accord du Tribunal pénal international qui, lui, circulait sans difficulté.

Je pense qu'il faudrait réfléchir davantage à la question de la transparence. Je ne suggère pas, bien sûr, qu'on demande la publication de 900 pages de texte, car je pense qu'il faut laisser ça aux négociateurs, mais il y a des questions centrales qui, sous prétexte de transparence, doivent pouvoir être posées. Sinon, on se gausse avec cette expression de démocratie. Ça ne veut pas dire grand-chose, une démocratie sans transparence. Donc, je pense qu'il y a des questions. La question à propos du chapitre 11 de l'investissement se pose. La question à propos de la démarche négative ou positive se pose. Je pense que ce sont là les questions les plus litigieuses dans l'accord.

• 1105

[Traduction]

M. Pat O'Brien: Monsieur le président, le professeur Brunelle ne me semble pas avoir répondu à cette question, mais j'aimerais demander aux autres témoins de répondre eux aussi aux questions que j'ai posées.

Monsieur Hart, j'aimerais vous entendre.

M. Michael Hart: Depuis les 50 dernières années, les négociations de ce genre ont beaucoup gagné en transparence.

Est-ce que vous me permettez un petit coup de publicité, monsieur le président? J'ai un livre qui va bientôt...

Le président: Du moment que ce n'est pas pour vanter vos mérites, allez-y.

M. Michael Hart: Non, mais je le recommande vivement à ceux qui trouvent que j'exagère.

Je suis en train de terminer un livre sur l'histoire de la politique commerciale du Canada dont j'espère qu'il sera publié par UBC Press au début de l'année prochaine. Je suis tout juste en train d'en finir la rédaction.

Le thème qui s'en dégage est le caractère de plus en plus transparent des négociations commerciales. La grosse différence entre les négociations d'avant-guerre et celles d'après-guerre est qu'après-guerre le gouvernement a donné de plus en plus d'importance à la consultation ou à la participation des autres secteurs de la société.

Je crois que le grand changement a eu lieu lors des négociations de la ronde de Tokyo du GATT pendant les années 70 lorsque le gouvernement a déterminé qu'il lui fallait faire participer d'une manière très directe les provinces, le monde des affaires, les syndicats, etc., et les inviter à participer au processus d'élaboration de la politique. Cela s'est reproduit pendant les négociations de l'ALE et de l'ALENA, et cela continue aujourd'hui.

Les ressources consacrées par le gouvernement à cette transparence, à cette accessibilité accrue, etc., sont assez onéreuses. Je crois que l'Internet a rendu l'exercice beaucoup plus facile, mais il a également rendu plus facile la dissémination de choses qui ne sont pas utiles. C'est tout l'art de la gestion de la transparence.

À ceux que le degré de transparence ne satisfait pas, je leur recommande de s'abonner pour 800 $ à Inside U.S. Trade qui apparemment, grâce à ses oreilles qui traînent partout, semble en savoir plus que les autres gouvernements en savent jamais. En fait, ces derniers lisent Inside U.S. Trade pour vraiment connaître la position des États-Unis. C'est une excellente source de renseignements et laissez-moi vous assurer qu'elle est beaucoup plus exacte que Peter Morton.

M. Pat O'Brien: J'en déduis donc, monsieur le président, qu'il n'y a jamais eu de négociation plus transparente que les négociations actuelles.

Pour ce qui est de la préséance, la francophonie s'est réunie au Canada et il y a eu donc d'autres réunions internationales majeures au Canada. Sauf tout le respect que je dois au professeur Brunelle, ces réunions n'ont peut-être pas été exactement l'équivalent de celle-ci, mais il y a eu des réunions internationales majeures au Canada. Soyons honnêtes: les premiers ministres des provinces où ont eu lieu ces réunions, à ma connaissance, n'ont jamais pris la parole dans les conférences réunissant les chefs d'État, y compris le premier ministre du Canada.

Je me trompe, monsieur Hart? Est-ce que vous savez?

M. Michael Hart: Dans ce contexte, il faut en réalité se poser deux questions. Premièrement, il faut savoir lorsque la réunion a lieu dans une ville particulière, d'une province particulière, si le maire ou si le premier ministre se voit offrir la possibilité de prononcer un discours d'accueil reflétant la fierté que sa ville ou sa province ait été choisie. Je l'ai très souvent vu faire lors d'assemblées internationales, mais qu'un représentant d'un palier de gouvernement inférieur s'adresse comme participant aux membres de cette assemblée, pour cela, mon expérience est très limitée.

M. Pat O'Brien: Très bien, merci. Monsieur MacKay...

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: Cela n'a rien à voir.

Le président: Nous allons passer à M.... Je pourrais peut-être poser très vite une petite question puisque maintenant nous alternons. Tout le monde en est déjà à son deuxième tour de questions et je voudrais moi-même poser une ou deux questions à caractère relativement technique.

La première n'est peut-être pas si technique que cela, monsieur Hart, mais vous avez dit—et je crois que vous avez eu tout à fait raison de le dire—que cela va être l'OMC plus quelque chose. S'il s'agit d'une bête négociation de type OMC, cet exercice est vain. Nous avons déjà l'OMC et ce qui nous intéresse, c'est le quelque chose en plus.

Quelle est l'incidence sur les négociations de l'OMC? Vous avez indiqué un calendrier en vertu duquel les négociations sérieuses commenceront d'ici cinq ans et celles-ci prendront vraisemblablement trois ou quatre ans. Il s'écoulera donc neuf ans avant que cet exercice ne soit conclu. Quel est le programme? Les négociations de l'OMC vont se poursuivre et il est possible qu'elles chevauchent les négociations de la ZLEA. Quelle est la concordance ou la convergence entre les deux systèmes et que devons-nous faire?

Et notre comité, que devrait-il faire? Chers collègues, il me semble qu'il faudrait peut-être y réfléchir. Si nous devons faire ces deux choses en même temps, quelle est la convergence et pourquoi consacrer notre énergie aux deux alors que nous pourrions peut-être la consacrer à une seule, etc.? Que recommanderiez-vous?

M. Michael Hart: C'est une très grande question que vous avez également, sauf erreur, posée à mon collègue Bill Dyment la semaine dernière.

• 1110

Le président: Ce n'est pas de savoir si vous vous contredisez qui nous intéresse. Le problème c'est que nous ne nous souvenons plus des questions que nous avons posées.

M. Michael Hart: M. Dyment et moi-même sommes totalement relevés de nos devoirs de réserve d'anciens fonctionnaires, nous pouvons donc pratiquement dire tout ce qui nous plaît. Nous sommes libres même à propos de choses que nous avons écrites et publiées ensemble.

Il y a programmes parallèles. Il y a l'ancien, celui de la libéralisation. Comme Don MacKay l'a indiqué, il y a beaucoup d'activités au sein des Amériques sur une base bilatérale, sur une base subrégionale, etc., tendant à mener à son terme ce programme traditionnel de libéralisation des tarifs douaniers, de mise en place du genre de choses que les gouvernements de l'OCDE ont déjà mis en place depuis un certain temps par le biais du GATT et aujourd'hui de l'OMC. On peut parler d'achèvement du programme du jour de la libéralisation.

Le programme beaucoup plus difficile qui est actuellement en jeu est celui que nous qualifions de positif. Il s'agit des questions de réglementation nationale dont le règlement est beaucoup plus compliqué. Je crois qu'il faudra encore un certain temps avant que les gouvernements ne se mettent véritablement d'accord sur cette question.

Je crois que cet exercice d'accords bilatéraux et sous-régionaux nous permettra de continuer à faire progresser le programme traditionnel, celui de la libéralisation. S'il arrive à un moment donné qu'il nous soit possible de dire que nous avons réalisé des progrès, que nous avons maintenant mené à son terme le processus de libéralisation dans les Amériques, et que désormais nous pouvons parler de la zone de libre-échange des Amériques, ce sera une très bonne chose. Cela s'inscrira parfaitement dans le contexte de l'OMC.

La question plus difficile qui selon moi ne pourra pas être réglée efficacement au niveau de la ZLEA mais qu'il faudra aborder au niveau mondial, est le deuxième programme. Ce deuxième programme a de très larges implications non seulement pour les membres de la ZLEA, des Amériques, mais aussi pour les Européens, pour les Japonais, etc. Je crois qu'il faut aborder ce programme au niveau mondial, et tout travail préparatoire réalisé au niveau de la ZLEA, au niveau des Amériques, est utile pour réfléchir à toutes ces choses, à des textes possibles, à ce qu'il faut faire.

Je crois que si le lancement des négociations a échoué à Seattle en 1999 c'est parce que les divergences sur le programme et ce qu'il implique étaient très profondes. Les Européens veulent des négociations très larges mais superficielles alors que les Américains veulent des négociations beaucoup plus limitées, beaucoup plus focalisées et beaucoup plus profondes sur ces genres de questions. Les camps sont très divisés et, à mon avis, les travaux de déblaiement tant politiques qu'intellectuels n'ont pas encore été faits.

À mon avis, ces questions ne feront pas encore l'objet de négociations avant au moins quatre ou cinq ans. Les discussions sous-régionales et régionales actuelles font partie de ces travaux préparatoires et je crois qu'au bout du compte elles ne seront pas intégrées à l'accord de la ZLEA.

Le président: Merci beaucoup. Fort utile.

Monsieur MacKay, aviez-vous quelque chose à dire sur ce sujet?

M. Donald MacKay: Un simple élément supplémentaire, monsieur le président.

Il ne faut pas oublier qu'au sein des gouvernements, qu'au sein de l'exécutif des gouvernements, ce sont les mêmes qui sont chargés de ces questions tant au niveau mondial qu'au niveau sous-régional ou bilatéral. Dans les grands gouvernements, les équipes sont plus nombreuses, le degré de compétence est plus élevé, plus universel et par conséquent...

Au Lester B. Pearson sur la promenade Sussex, vous avez peut-être 300 personnes qui s'occupent de la politique commerciale mais elles s'en occupent à une multitude de niveaux. Pour beaucoup de ces pays, cependant, le nombre de fonctionnaires à la disposition des gouvernements pour s'occuper de ces questions est beaucoup plus limité. Les équipes de négociation du Costa Rica, par exemple, sont beaucoup plus petites, beaucoup plus resserrées et ont la responsabilité des activités bilatérales, sous-régionales ou multilatérales. Elles acquièrent du savoir-faire, de nouveaux négociateurs sont formés et ils finissent par trouver des solutions aux problèmes.

Je le répète, dans beaucoup de ces pays, dans des pays comme la Jamaïque, la Dominique ou le Salvador, même si leurs négociateurs sont extrêmement compétents, n'ont rien à envier à personne, il reste qu'ils n'en ont pas beaucoup. Dans une certaine mesure, ce sont les négociations qui les forment.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Professeur Brunelle, avez-vous une réponse à cette question?

M. Dorval Brunelle: Oui. J'ai deux ou trois réflexions là-dessus. Je ne suis peut-être pas aussi optimiste que mes deux collègues; je ne crois pas qu'on s'en va vers l'établissement d'une norme universelle au niveau multilatéral. Je pense, au contraire, qu'on assiste à une prolifération des accords et je ne vois pas encore la recomposition. Il y a une prolifération d'accords bilatéraux.

• 1115

Quand on avait travaillé à l'AMI, on avait sorti le chiffre, exagéré mais quand même, de 1 600 accords bilatéraux en matière d'investissements. Le collègue Hart a parlé d'une prolifération d'accords régionaux. Il y en a de plus en plus. En même temps, il y a des volontés de la part de certains partenaires de se déplacer à ce niveau intermédiaire, par exemple le niveau des Amériques. Je crois qu'on va assister à une complexification du tableau et non pas du tout à sa simplification. Il n'y a qu'à rappeler, à cet égard, une chose qui est peu connue: c'est qu'il y a encore des normes de l'ALE, de l'accord bilatéral, dans l'ALENA. Donc, l'ALENA n'a pas remplacé complètement l'Accord de libre-échange canado-américain.

Donc, je crois que le projet de convergence ou le projet d'homogénéité n'est pas un projet qui semble se vérifier dans la pratique, pour le moment, et qu'on assiste bel et bien à une prolifération d'accords à tous les niveaux.

L'autre chose qui va sans doute ajouter encore de la force à cet argument, c'est qu'il faut voir que quand on est sorti du premier cycle du GATT, il était essentiellement question de négocier l'abaissement des barrières tarifaires autour de la circulation des marchandises. Par la suite, on a levé le couvercle sur cette boîte de Pandore qu'était la négociation des barrières non tarifaires. Ensuite sont venus s'ajouter les services. Bien sûr, la notion de services s'étend de jour en jour. On a maintenant les notions de propriété intellectuelle et d'extension également. C'est la même chose au niveau de l'investissement. Donc, je crois qu'au fur et à mesure qu'on prépare des accords, il y a des enjeux qui surgissent et que l'idée de la convergence et de la simplification doit être totalement exclue.

Le problème de fond, c'est de savoir si cet ordre universel va être—je reviens à ce que je disais tout à l'heure—essentiellement et uniquement un ordre commercial, ou s'il y a encore d'autres valeurs, en dehors des valeurs de commerce, qui vont prévaloir. C'est là qu'est la question de fond.

[Traduction]

Le président: C'est justement la question à laquelle nous essayons de trouver une réponse, c'est certain.

[Français]

Merci beaucoup.

[Traduction]

Monsieur Obhrai, et ensuite M. Patry.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, AC): Je tiens à souhaiter la bienvenue à David de Calgary. Comme vous le savez, je suis de Calgary, soyez donc le bienvenu. Nous ne vous ignorons pas. Nous avons pris note de votre exposé et nous vous en remercions.

Michael, j'aimerais vous dire que vous êtes le bienvenu ici. Nous vous savons vraiment gré de votre déposition. Nous ne partageons vraiment pas le point de vue des autres membres. Il y a des membres de ce comité que votre expérience dans le domaine commercial fascine ainsi que celle de M. MacKay. C'est un point très intéressant. Je crois que c'est le coeur de la question, car j'étais à Seattle pour l'OMC et c'est ce que vous avez qualifié de programme démocratique positif...

M. Michael Hart: Ce sont vos mots?

M. Deepak Obhrai: Démocratique positif...

M. Michael Hart: Il ne s'agit pas d'un mécanisme démocratique mais bien d'un mécanisme positif d'établissement des règles, par opposition à une entente sur le statu quo. Dans ce nouveau programme, les gouvernements s'entendent pour faire des choses d'une manière particulière, ce qui est beaucoup plus difficile.

M. Deepak Obhrai: Même si l'on soulève des questions et que des manifestations ont lieu, et ce sont là d'autres problèmes qui n'ont rien à voir avec le commerce international, le travail, les droits de la personne et l'environnement, j'ai un peu de mal à lier tout cela au commerce international... Il y a là matière à débat. Si une question peut faire l'objet d'un débat, où ce débat doit-il avoir lieu?

Je veux vous poser une question à laquelle je réfléchis. Pourquoi les Nations Unies ne jouent-elles pas un rôle dominant dans ces dossiers que sont le travail, l'environnement et les droits de la personne? Il me semble que nous, notre gouvernement, avons autorisé les Nations Unies à se décharger de leur responsabilité, et elles laissent désormais à une bureaucratie gigantesque le soin de gérer ces dossiers.

Vous pouvez peut-être dire que le GATT était une organisation consensuelle, qui en fait n'allait nulle part jusqu'au jour où on l'a enrichi d'un mécanisme d'exécution. L'OIT et le PNUE sont dans le même cas, c'est-à-dire qu'il y a consensus mais qu'il n'y a pas de mécanisme d'exécution. On se retrouve donc devant un organisme impuissant, et ceux qui veulent faire avancer leur dossier se servent de l'instance du commerce international uniquement parce qu'elle dispose d'un mécanisme d'exécution. Pourquoi ne pas donner le même mécanisme d'exécution à ces organisations, et au bout du compte, on pourrait enrichir ces organismes de règles quelconque, comme dans un organigramme?

Nous avons les ministres du Travail, les ministres de l'Environnement, et nous avons tous ces ministères et toutes ces bureaucraties—alors pourquoi piétinent-ils tous? Pourquoi est-ce qu'on les retrouve là? Quel est votre avis à ce sujet?

• 1120

M. Michael Hart: Permettez-moi de faire quelques observations en réponse à ce que vous dites.

À mon avis, l'un des plus grands défis avec lesquels les gouvernements sont aux prises, c'est la maîtrise d'une intégration mondiale qui prend de plus en plus d'ampleur, et il faut donc se demander comment on va gérer cette intégration mondiale amplifiée.

Dans le cas du commerce international, je ne dirais pas que le GATT était un accord qui n'a vraiment pris effet qu'en 1995 lorsqu'on l'a assorti d'un mécanisme d'exécution. À mon avis, de 1947 à 1994, on a vu les gouvernements acquérir une confiance plus grande dans la règle de droit, dans la mesure où ils se sont montrés plus disposés à se conformer aux règles du GATT et autres. Cette confiance s'est finalement matérialisée avec plus de profondeur dans l'OMC, avec ses mécanismes d'exécution, avec son mémorandum d'accord sur le règlement des différends. Cet accord profite donc d'une confiance accrue et graduelle.

Il s'agit maintenant de savoir dans quelle mesure cela doit servir de modèle à une foule d'autres mécanismes de gouvernance internationale, de mécanismes d'établissement des règles. Il existe déjà au sein du système international un grand nombre de mécanismes d'établissement des règles au niveau des droits de la personne, des droits des travailleurs et des règles environnementales. D'ailleurs, prenez le cas de l'OIT. On y trouve près de 172 conventions différentes qui traitent d'un vaste éventail de normes en matière de travail, et près de 70 000 normes discrétionnaires que les pays membres de l'OIT ont convenu de mettre en oeuvre.

Le problème, c'est que les gouvernements ne sont pas disposés à mettre en oeuvre ces obligations sociales comme c'est le cas pour la mise en oeuvre des obligations commerciales. Il s'agit donc vraiment de savoir si les gouvernements sont disposés à mettre en application les règles d'exécution qui font maintenant partie intégrante de l'accord commercial, et d'utiliser cet accord pour mettre en oeuvre leurs autres obligations dans le domaine de la coopération internationale, qu'il s'agisse des droits de la personne ou du travail, ou de l'environnement ou du reste. C'est une question très profonde, à laquelle les gouvernements ne sont pas encore disposés à donner une réponse étant donné qu'il y a des arguments pour et contre dans ce dossier.

À mon avis, c'est une question très épineuse, très difficile, et tant et aussi longtemps que les gouvernements ne seront pas prêts à répondre à cette question, le débat sera houleux et vous allez entendre des tas d'arguments pour et contre et ainsi de suite, étant donné que le problème est vaste. Il en est ainsi parce qu'on entre en fait dans une nouvelle ère de gouvernance internationale, une ère de gouvernance internationale où les personnes qui veulent justement ce genre de chose disent qu'elles n'aiment pas ce qu'elles voient dans d'autres domaines parce qu'à leur avis, les gouvernements sont allés beaucoup trop loin dans l'abdication de leur souveraineté. Au même moment, dans le même souffle, elles vous disent que les gouvernements devraient céder une plus grande part de leur souveraineté dans ces domaines particuliers, ce qui révèle, à mon avis, la complexité du problème et la confusion dans laquelle se trouve le débat international.

M. Donald MacKay: J'aimerais ajouter quelques mots à ce que Michael a dit.

Je suis rentré hier soir d'un voyage outre-mer, en tout cas j'étais à l'étranger, et je me suis rendu sur le site Web de l'OIT et j'en ai retiré la liste des dernières ratifications de ce que l'on juge être les sept conventions essentielles de l'OIT. C'est une liste de deux pages où l'on retrouve tous les pays de l'hémisphère occidental. Lisez cette liste, vous allez voir que le Canada, par exemple, a ratifié quatre de ces sept conventions. Il lui en manque encore trois, dont la convention sur l'âge minimal de 1973. Les États-Unis n'ont ratifié qu'une seule convention sur sept.

Les raisons pour lesquelles un pays décide de ratifier ou de ne pas ratifier, de mettre en oeuvre ou de ne pas mettre en oeuvre une convention, sont sûrement variées et complexes. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais je sais que l'on peut obtenir ce genre d'information.

Dans le même ordre d'idées, pour ce qui est des accords internationaux ou multilatéraux en matière d'environnement, il existe environ 200 AME, comme on les appelle, les accords multilatéraux en matière d'environnement, dont 20 comportent des dispositions commerciales. Prenez par exemple la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination.

Lorsque les gouvernements nationaux s'entendent pour dire qu'il faut respecter et mettre en oeuvre ces dispositions commerciales ou ces accords qui comportent des dispositions commerciales, on trouve tout de suite des renvois. Le texte de l'ALENA, qui se trouve devant Michael, mentionne par exemple la Convention de Montréal, la Convention de Bâle, etc. Ce sont les gouvernements qui prennent ces décisions.

La question de savoir si les accords commerciaux constituent le lieu voulu pour mettre en oeuvre les accords auxquels sont parvenus les gouvernements dans d'autres domaines est intéressante. C'est en effet un débat intéressant. Le fait que le débat lui-même n'a pas évolué me laisse moi-même un peu perplexe. On a admis sans mal qu'il fallait avoir des dispositions sur les droits des travailleurs dans les accords commerciaux. Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi de telles dispositions doivent se retrouver automatiquement dans un accord commercial, mais chose certaine, c'est une idée intéressante. C'est peut-être une bonne idée, c'est peut-être une mauvaise idée. Nous ne le saurons pas tant que nous n'aurons pas étudié la question à fond.

• 1125

Comme l'a dit Michael, si les préoccupations tiennent en partie au fait que ce sont ceux qu'on appelle ces bureaucrates anonymes et invisibles de Genève qui prennent les décisions, c'est en fait parce que ces groupes se demandent si ces accords doivent englober les normes du travail ou l'environnement. C'est peut-être l'approche à suivre. Je ne le sais pas. Chose certaine, la question mérite réflexion.

M. Deepak Obhrai: Quel est votre avis à ce sujet? Toute la question est là.

M. Donald MacKay: Non, je ne crois pas que c'est là une bien bonne idée.

M. Deepak Obhrai: La question est là.

M. Donald MacKay: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président. Ma question s'adresse à M. Brunelle.

Monsieur Brunelle, vous représentez le Réseau québécois sur l'intégration continentale. C'est à ce titre que vous êtes ici ce matin. Votre groupe est un des coorganisateurs du sommet parallèle.

Après avoir entendu ce matin Mme Robinson et les autres panélistes, on voit que le Sommet de Québec, dans le fond, n'est qu'un arrêt dans le long processus de la ZLEA, mais que ce sommet est très important car il semble qu'il y aura sûrement là des déclarations finales de la part des premiers ministres concernant la démocratie et la connectivité. Mme Robinson nous a dit ce matin en conclusion que le Canada n'était pas prêt pour ce sommet qui se voulait un non-trade summit et elle nous a apporté quelques suggestions. À ce deuxième sommet parallèle seront abordés tous les sujets très importants, entre autres les droits de la personne et la protection de l'environnement.

Ma question est la suivante. De quelle façon ce sommet fonctionnera-t-il, et qui en seront les participants? Tout à l'heure, vous nous avez dit qu'il y avait les syndicats, et c'est très bien. Est-ce que tous les pays de la ZLEA y seront représentés ou s'il y aura simplement les gros participants comme le Brésil, le Mexique, le Canada et les États-Unis? Est-ce qu'il y a actuellement des négociations entre les différents partenaires pour arriver à un certain consensus afin que des déclarations finales émanent aussi de ce deuxième sommet? Et s'il y a des négociations, sur quels sujets portent-elles actuellement?

Voilà ma question.

M. Dorval Brunelle: Est-ce que j'ai quelques heures pour répondre à la question de M. Patry ou si je dois faire ça vite?

M. Bernard Patry: On a deux minutes pour les poser; on n'a pas beaucoup de temps.

M. Dorval Brunelle: Je vais mettre les choses au point, monsieur le président. Le Réseau Québécois sur l'intégration continentale, avec une organisation soeur canadienne, Common Frontiers, a reçu le mandat d'organiser le Deuxième Sommet des peuples des Amériques. J'y reviendrai dans un instant, mais je veux seulement mettre les choses au clair. Ce n'est pas le seul événement parallèle à Québec. Il y en a une foule. J'ai mentionné plus tôt un chiffre. On joue entre 25 000 et 40 000 personnes. Il n'y aura pas autant d'événements, bien sûr, mais il y aura certainement plusieurs activités parallèles.

Celle que nous organisons est très précise. C'est le Deuxième Sommet des peuples des Amériques, le premier ayant été tenu à San Diego immédiatement avant le Deuxième Sommet des Amériques. C'était essentiellement la même structure. Il y a dans les Amériques, au moment où l'on se parle, des réseaux. Il y en a quatre en Amérique du Nord. Il y en a un aux États-Unis, ART, ou Alliance for Responsible Trade. Il y en a quand on descend vers le Mexique. Vous avez raison, il y a des réseaux dans les grands pays. Il y en a un au Brésil et il y en a un qui est en train de se mettre au monde en Argentine. Il y en a un au Pérou. Il y a des participants des 35 pays des Amériques, et il est important de le mentionner. Et comment se retrouvent-ils à 35? Essentiellement parce qu'il y a aussi des organisations sectorielles, par exemple l'ORIT et une organisation de paysans des Amériques. Il y a un groupe de l'Amérique centrale au complet, etc.

On attend 2 300 participants au Sommet des peuples. Ce Sommet des peuples fait le plein du processus des Amériques, qui fonctionne essentiellement comme celui de San Diego, sur la base d'un ensemble de forums. Il y a un forum des femmes. Cette fois-ci, les femmes ont décidé de tenir leur forum une journée complète, le 16, avant les autres, de telle sorte qu'elles s'intégreront aux autres forums par la suite. Il y a un forum parlementaire. Il y a un forum sur les droits humains et un autre sur les autochtones, je crois. La question est de savoir s'il va se lier avec celui qui existe déjà. On a vu dans les journaux hier qu'ils auraient peut-être un événement parallèle autonome. En tout cas, il y avait un forum autochtone à San Diego. Il y a un forum sur l'environnement, un forum sur la question du travail, un forum sur le rôle de l'État, etc. Il y en a neuf à l'heure actuelle, et c'est un sommet assez studieux en ce sens que la stratégie, depuis le début, a été de travailler sur des alternatives à ce qui est sur la table.

• 1130

Pour le moment, ce qu'on est capable d'analyser de la négociation, ce sont des alternatives qui ont été proposées ou avancées par ces organisations, à travers le cheminement des membres des organisations aux niveaux domestique et interne et par cette convergence à l'intérieur de ce que les Brésiliens nous ont proposé de créer, qui était cette Alliance sociale continentale. C'est tout ce processus qui atterrit à Québec du 16 au 20 avril et qui se termine par la Marche des peuples des Amériques le 21, marche tout à fait pacifique. Il n'est même pas question de s'approcher du périmètre de sécurité.

Telle est essentiellement la stratégie. L'élément essentiel de cela est vraiment un travail sur des alternatives au processus d'intégration actuel dans les Amériques. C'est peut-être ce qui est notre grande différence par rapport à des opposants purs et simples ou par rapport à ceux qui ne disent rien.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Pour compléter l'information de M. Brunelle, je dirai que je fais partie de ceux qui organisent le forum des parlementaires. Jeudi dernier, on a envoyé l'invitation à près de 10 000 parlementaires des Amériques. Normalement, vous avez dû la recevoir. C'est une invitation que je fais à l'ensemble des députés de la Chambre de participer à ce forum des parlementaires, qui va porter essentiellement sur le rôle des parlementaires et le rôle de la société civile qui, sans être les mêmes, sont complémentaires—il y a peut-être des débats à mener là-dessus—, et sur la façon de travailler conjointement plutôt qu'en opposition ou séparément. Donc, le forum va porter là-dessus.

Le président: Est-ce que je peux vous demander la date?

M. Pierre Paquette: Le 17 avril. Ce sera à Québec à l'ENAP, à l'École nationale d'administration publique, et le programme sera connu dans les prochaines heures.

Ma question porte justement sur ça. On peut plaider, comme M. O'Brien, le fait que c'est la démarche la plus transparente, mais même les déclarations de M. Pettigrew laissent entendre que ça pourrait être plus transparent, parce qu'il nous dit lui-même qu'il serait prêt à rendre publics les textes mais que les autres ne le veulent pas. Il a fait un certain nombre de propositions, il y a deux semaines, en vue d'améliorer la participation de la société civile. Donc, il y a quand même des choses qui pourraient être faites pour améliorer l'ensemble de la démarche, en particulier pour impliquer les parlementaires.

À votre avis, quel devrait être le rôle des parlementaires dans l'ensemble du processus de négociation? Quel devrait être aussi le rôle de ce qu'on appelle la société civile, particulièrement dans le contexte où on reconnaît un forum des hommes d'affaires mais où on ne reconnaît pas un équivalent pour ce qui est de la thématique plus sociale? J'ai posé la question à M. Lortie: pourquoi est-ce qu'on ne reconnaît pas, par exemple, l'Alliance sociale continentale? Il m'a dit que c'était parce que l'Alliance sociale continentale n'incluait pas l'ensemble des groupes de la société civile. Il y a des gens qui en sont exclus et on ne peut donc pas reconnaître ce groupe, a-t-il dit, mais par contre, on a trouvé que le Forum des hommes d'affaires était suffisamment représentatif pour qu'on le reconnaisse dans la démarche de négociation.

Également, il me semble y avoir encore énormément de faiblesse à un troisième niveau, celui de l'implication des provinces dans le processus de négociation. Les provinces ont demandé un mécanisme formel pour être partie prenante du processus, parce qu'il y aura sûrement des sujets qui vont toucher leurs compétences et qu'au bout du compte, elles auront à mettre ou à ne pas mettre en oeuvre certains éléments de l'accord.

J'aimerais vous entendre sur ces trois niveaux. Je m'excuse d'avoir manqué vos présentations. On a ce soir un débat exploratoire sur la Zone de libre-échange des Amériques et je suis chargé d'organiser la présence du Bloc québécois à ce débat.

[Traduction]

M. Michael Hart: Je vais voir ce que je peux faire parce que votre question sur les divers niveaux de participation dans ce processus est très vaste.

Tout d'abord, pour ce qui est de la participation des gouvernements membres dans ce processus—et je pense qu'une partie de la question de M. Patry concerne les pays les plus petits—c'est un grand défi. Il n'est pas difficile pour des pays comme le Canada et les États-Unis, qui comptent plusieurs négociateurs chevronnés, et qui ont d'autres ressources, de participer à ce processus. Mais c'est extrêmement difficile pour des pays comme Saint-Vincent-et-Grenadine et le Honduras, des pays qui sont très peu peuplés et qui ont par conséquent un tout petit gouvernement, de participer à ces négociations.

• 1135

Depuis les quatre dernières années, les services du commerce international de l'OEA à Washington gèrent un processus de formation très intense, de création de capacités, et autres choses, pour ces négociateurs. M. MacKay a joué un très grand rôle dans la mise en place de cette formation, et j'ai eu moi-même le privilège de compter parmi les professeurs.

Chose intéressante, au cours des trois étés où cette formation a été dispensée, où l'on donne un cours en anglais et en espagnol, chacun durant deux ou trois semaines, je dirais que nous avons atteint le point où environ 200 fonctionnaires de ces pays plus petits ont désormais été formés et maîtrisent mieux ce genre de problème, à savoir les règles essentielles qui doivent être mises de l'avant, les problèmes que posera la mise en oeuvre, et ainsi de suite, et tout cela les aidera à participer plus efficacement à ces négociations.

Ce faisant, on s'est également assuré de reconnaître le fait que les pays les plus petits vont probablement mieux faire avancer leurs intérêts s'ils apprennent à bâtir des coalitions. Dans toute négociation multilatérale, l'édification de coalitions est une chose importante, et l'on voit plusieurs coalitions naître dans les Antilles qui portent sur des problèmes propres aux petits pays, et de ce côté, ils ont beaucoup en commun avec certains pays d'Amérique centrale. Mais en dernière analyse, ces pays n'auront jamais de toute évidence les ressources dont le Canada et les États-Unis disposent. Donc, pour eux, une partie du défi—et cette perspective s'inscrivait justement dans les séminaires donnés par l'OEA—consiste à être extrêmement bien préparés dans les premières phases des négociations s'ils veulent en influencer le cours.

À mon avis, ces pays font de plus en plus de progrès. J'ai vu dans ces négociations des participants de ces pays qui étaient très bien informés. Prenez par exemple le cas du Costa Rica qui, dans les dix dernières années, a augmenté son noyau d'experts en commerce international passé d'un seul en 1988 à une quinzaine aujourd'hui, et il s'agit d'un groupe de personnes de très grand calibre. Donc, une partie de tout ce processus a été en quelque sorte un voyage de découverte pour ces gens, et ils ont reçu une formation qui a été extrêmement utile.

À un autre niveau, la participation des parlementaires à la société civile et aux niveaux sous-nationaux de gouvernance, et tout le reste, on entre dans un ordre différent. À mon avis, la difficulté se pose davantage dans les grands pays que dans les petits. Dans les pays les plus petits, étant donné justement qu'ils sont plus petits, ils ont un noyau de personnes beaucoup plus serré qui se parlent tout le temps, qui se connaissent bien, et alors là, le genre de consultations qui font partie du processus ne sont probablement pas nécessaires dans leur cas. C'est donc une difficulté qui se pose beaucoup plus pour les grands pays.

Au Canada, au cours des 25 dernières années ou à peu près, nous avons réussi à faire participer les provinces au processus d'établissement des politiques, d'établissement du consensus, dans la phase de mise en oeuvre, à tel point que les rencontres du Comité permanent sur les négociations commerciales, qui se réunit à tous les mois, sont devenues un assez bon forum pour la participation des provinces. On échange des tas d'informations, et chacun admet désormais que cela fait partie des négociations commerciales aujourd'hui.

La participation de la société civile est un défi relativement nouveau qui, à mon avis, n'a pas encore été complètement relevé. En partie, tout dépend de votre définition de la société civile. Il y a des gens qui en ont une vision étroite. J'en ai pour ma part une vision assez large—c'est-à-dire que l'ensemble des intérêts agissant au sein d'une société veulent participer à ce processus, et j'inclurais, par exemple, la vision de la société civile de M. MacInnis, où l'on retrouve un groupe de personnes qui ont des intérêts très visibles.

Ce genre de consultations, toutefois, posent un problème fondamental d'emblée qui, à mon avis, n'a pas encore été totalement maîtrisé. Ce problème a été très bien défini dans un texte rédigé par Dennis Stairs, professeur à l'université Dalhousie, pour le compte de l'Institut de recherches en politiques publiques. Il a étudié entre autres choses—et je pense qu'il a peut-être longuement parlé avec votre président lorsqu'il a préparé son document—l'excellent rapport que votre comité a rédigé à l'été de 1999 sur les préparatifs en vue des négociations relatives à l'Organisation mondiale du commerce. Votre comité s'est donné beaucoup de mal pour faire entendre les diverses voix de la société dans les délibérations, et il a intégré extrêmement bien ces voix dans son rapport final. Je pense que c'est un modèle de rapport de comité, où l'on a fait participer ces personnes bien différentes.

Le professeur Stairs a fait remarquer—et c'est à mon avis une observation essentielle que les gouvernements ont du mal à saisir—que c'est une chose que de consulter un groupe de personnes qui participent pleinement à l'intérieur des paramètres de la position de négociation du gouvernement et de parler avec elles de détails et d'intérêts, mais c'en est une tout autre que de consulter des personnes qui s'opposent fondamentalement à la position de négociation du gouvernement.

• 1140

À mon avis, les fonctionnaires sont parfaitement capables de procéder au premier type de consultations. Une fois que le gouvernement a pris une décision et que le Cabinet a donné un mandat à ses fonctionnaires, ceux-ci ont toute compétence pour consulter les divers intérêts de la société pour enrichir la position de négociation. Mais les fonctionnaires ne sont pas bien placés pour tenir des consultations avec des personnes qui s'opposent fondamentalement à la position du gouvernement, étant donné que les fonctionnaires ne doivent pas se prêter à ce genre de discussion politique. C'est le genre de rôle que joue votre comité, et les ministres doivent s'y prêter étant donné que c'est un genre de consultation très différent.

Dans notre pays, la consultation se fait au moment des élections à peu près à tous les quatre ans, lorsque l'ensemble de la population fait savoir démocratiquement si elle est heureuse ou non du rôle que joue le gouvernement et de la position du gouvernement dans divers dossiers. Entre deux élections, les gens sont libres de critiquer le gouvernement. D'ailleurs les médias sont sans cesse à la recherche de personnes qui sont prêtes à critiquer le gouvernement. Ces personnes ne manquent donc pas d'occasions de faire connaître leurs vues. Mais c'est un genre de consultation différent.

À mon avis, on a vu apparaître au cours des 10 dernières années des groupes de la société civile qui ont des intérêts très particuliers et qui insistent de plus en plus pour faire entendre leur voix dans les négociations, mais il n'y a pas eu, à mon sens, de définition claire de la nature de telles consultations. Je pense qu'il est temps de mieux définir cela.

Le président: Merci.

[Français]

Professeur Brunelle.

M. Dorval Brunelle: Je pense qu'il faut quand même regarder la mondialisation de plusieurs façons. Je crois qu'il faut applaudir à l'accroissement de l'implication citoyenne. C'est de ça qu'on parle ici. Or, on s'en va vers un Sommet des Amériques, à Québec, où on va accroître la répression vis-à-vis des citoyens. Il faudrait faire un choix. On peut applaudir à la mondialisation et être d'accord sur l'idée que, les gens étant mieux informés, plus soucieux et plus critiques, ils dépassent les frontières des préoccupations nationales domestiques et débouchent sur les préoccupations mondiales et, en ce sens-là, je pense qu'il faut applaudir à ce qui arrive. Bien sûr, il y a des critiques qui sortent en même temps et il y a peut-être des irréductibles contre cette mondialisation, mais il ne faut pas tout mélanger. Il ne faut pas penser que dès qu'un citoyen s'exprime sur la mondialisation, il va voter contre le Parti libéral. Loin de moi l'idée de faire un raisonnement comme celui-là.

Ici il y a quelque chose. Il y a une préoccupation citoyenne, un accroissement des préoccupations des citoyens vis-à-vis d'un enjeu qui est de plus en plus important. Il faut trouver un moyen de recevoir ça l'intérieur des institutions et des instances qu'on a, et ne pas fonctionner avec la répression. Là on s'engage, à Québec, avec la répression, et même si le gouvernement est tout à fait légitime et tout à fait démocratiquement élu, je ne pense pas que ce soit suffisant.

Vous avez devant vous une population qui n'est pas composée que de consommateurs. On parle de plus en plus de la globalisation et de la mondialisation. Il faut donc applaudir au fait que ces citoyens sont préoccupés par ces questions-là. Il y a donc un problème avec la société civile. Il y a un problème avec la société civile, non seulement dans son dénombrement, mais aussi dans la question de savoir pourquoi cette société civile s'exprime à l'heure actuelle.

Je vais vous donner deux ou trois explications, rapidement. Il y a des organisations, dans cette société civile, qui ont commencé à faire ce qu'on appelle la transnationalisation de leurs pratiques. C'est vrai des entreprises depuis des siècles, mais c'est vrai aussi de certaines organisations, notamment des organisations syndicales, pour ne pas les nommer. Il s'est ajouté à cela une prolifération d'organisations qui ont ce souci-là, qui est tout à fait respectable, par ailleurs. Mais il faut voir aussi qu'il y a une dimension réactive à la société civile, et c'est de celle-là que la responsabilité vous incombe. Je pense que la société civile prend d'autant plus de place et devient d'autant plus exigeante que le débat sur ces questions nous échappe, que le débat ne se fait plus, qu'on passe derrière cette exigence de transparence.

Je ne sais pas comment l'opérationnaliser. J'essaie seulement d'attirer votre attention sur l'importance de cet enjeu. Dans la mesure où les députés et les parlementaires eux-mêmes sont exclus de l'information, vous alimentez dans la société civile—je suis tout à fait d'accord sur ce qui a été dit—tout un ensemble de craintes et de méconceptions, souvent un peu hystériques, sur ce qui est en train de se produire. Mais est-ce que, dans ce sens-là, il n'y a pas quelqu'un qui est responsable de cette conséquence? Est-ce qu'on ne peut pas faire face à cette conséquence?

Peut-être y a-t-il une nouvelle relation à envisager avec parlementaires et sociétés civiles. C'est peut-être vers ça qu'on s'en va. On voit de plus en plus des organisations de la société civile être accréditées auprès d'ECOSOC, auprès de l'OMC. On n'a pas du tout ça dans les Amériques. Est-ce une bonne chose? On pourrait peut-être se pencher sur ce genre de question.

On a mentionné tout à l'heure les conséquences de ça. J'ai écouté avec attention M. MacKay, tout à l'heure, qui se posait des questions à propos de cette faiblesse de tout un ensemble de normes en matières environnementale, syndicale et sociale dans le monde. Peut-être est-ce à cause de la faiblesse du mécanisme. Pourquoi les normes commerciales sont-elles si facilement intégrées et sanctionnées—il y a des punitions assez fortes dans ce domaine—, alors que de l'autre côté il n'y en a pas? Je pense qu'il faut se poser ces questions. On n'a pas de solutions. Il faut se les poser.

• 1145

Je veux en arriver, finalement, à la participation des provinces. Là encore, ça renvoie au même genre de réflexion que j'ai commise tout à l'heure à propos de la participation des parlementaires. Est-ce que l'implication des parlementaires doit venir toujours ex post? Est-ce seulement au moment du dépôt du texte que vous avez à vous prononcer? Est-ce qu'il n'y a pas moyen de penser, d'innover, de penser quelque chose ex ante, avant qu'il ne soit trop tard?

On fait face ici à des défis nouveaux. Je pense que le retour à des formules antiques et solennelles ne suffit plus. C'est dommage que la société civile, pour certains, prenne de plus en plus d'importance et que les parlementaires ou les débats passent maintenant dans la rue et dans la société, mais je ne pense pas qu'il faille déplorer cet événement. C'est quand même un succès assez étonnant quand on le regarde d'une façon plus large.

Est-ce qu'il ne faut pas aménager cette parole différente et penser que les forums sur la discussion doivent être ouverts, que la délibération doit se faire sur ces questions? Dans un monde où on veut que les gens soient de plus en plus éduqués, c'est quand même assez injustifié de leur demander, par la suite, de se taire et d'attendre les bénéfices matériels d'une négociation qui va chercher à d'autres niveaux.

Donc, je pense qu'il y a ici un questionnement à faire, un questionnement assez sérieux, assez profond pour essayer de sortir des visions un peu courtes qu'on a à l'heure actuelle, où on appelle démocratique un gouvernement qui est élu et où on attend quatre ans pour le changer, alors qu'entre-temps, il n'arrive rien et tout le monde doit s'y faire. Il me semble que ce sont des réflexions un peu trop courtes face à la complexité des enjeux et face à des préoccupations tout à fait défendables qu'on voit exprimer par des citoyens qui sont dans l'opacité. C'est quand même étonnant.

Je voudrais rappeler à mon collègue Hart, à propos de cette idée de transparence, qu'un livre assez intéressant—que vous pourrez peut-être lire aussi si vous en avez le temps—a été publié par le sénateur Moynihan, il y a quelques années, un livre qui s'appelait joliment Secrecy: The American Experience.

Merci.

Le président: Merci. Je crois que tout le monde a terminé ses questions.

J'aimerais vous faire part d'une petite réflexion, monsieur Brunelle. Il y a même des députés libéraux qui ont des problèmes avec la mondialisation.

M. Dorval Brunelle: Je suis heureux de l'apprendre.

Le président: Vous n'êtes pas le seul.

Deuxièmement, je crois que votre observation en ce qui concerne le rôle des parlementaires est très juste. Mais, comme le disait M. le professeur Hart, depuis que je suis député, on a fait beaucoup d'études avant le fait. On a fait ça pour l'AMI, par exemple. On a fait l'étude de l'AMI en comité, même pendant les négociations. On s'était prononcés avant que le gouvernement canadien ne retourne en négociation. Le gouvernement a accepté nos observations. Pour l'OMC, c'est la même chose. Avant Seattle, nous avons déposé notre rapport. Pour la ZLEA, c'est la même chose. On a fait un rapport sur la ZLEA. Mais je suis d'accord avec vous que ce n'est pas terminé. C'est une question dont on doit poursuivre l'étude. C'est un peu l'objet de notre réunion d'aujourd'hui.

J'espère qu'après la réunion du Sommet des Amériques, nous aurons une réflexion à faire et que nous la mettrons dans un rapport. J'espère que nous pourrons profiter de notre expertise et de celle de M. Paquette et de ses collègues au sommet des parlementaires, etc.

J'ose dire que ce n'est pas seulement dans la bureaucratie que l'expertise se forme. Il y a une certaine expertise parlementaire qui se forme dans les comités comme le nôtre et dans d'autres comités avec lesquels je travaille, et dans d'autres pays aussi. Tout ce qui a trait à l'intégration est très important et il nous incombe d'être au courant des problèmes. Donc, nous sommes très sensibles à vos observations et à vos réflexions.

[Traduction]

Monsieur MacInnis, merci d'être venu de Calgary. Nous n'avons pas parlé aujourd'hui de politique énergétique intercontinentale. C'est peut-être aussi bien ainsi. Nous en reparlerons peut-être un autre jour.

Monsieur MacKay, monsieur Brunelle, monsieur Hart, merci à tous d'être venus. Nous avons pris bonne note de vos observations, et j'ai la certitude qu'elles nous seront très utiles dans la rédaction de notre rapport. Merci.

Nous allons ajourner, chers collègues, jusqu'à 15 h 30 cet après-midi. Je vous rappelle que nous avons également cet après-midi une longue liste de témoins, il faudra donc leur poser des questions concises. Merci beaucoup.

La séance est levée.

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