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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 27 novembre 2001

• 0908

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, comme nous avons le quorum pour entendre les témoins, je propose que nous accueillions le groupe de ce matin qui va nous aider dans notre étude de l'intégration nord-américaine en regard des nouveaux défis qui se posent sur le plan de la sécurité.

Merci beaucoup de vous être déplacés. Nous allons suivre le même ordre que la liste où apparaissent vos noms et commencer par M. Christopher Sands du Center for Strategic and International Studies, qui sera suivi de M. Denis Stairs, de Mme Maureen Molot et de M. Andrew Cooper.

J'espère que vous limiterez vos remarques liminaires à 10 ou 15 minutes pour que nous ayons assez de temps afin de vous poser des questions. Merci beaucoup.

Monsieur Sands.

M. Christopher M. Sands (directeur et fellow, Projet Canada, Center for Strategic and International Studies): Merci beaucoup, monsieur le président et merci à tout le monde.

Je suis particulièrement honoré, moi qui viens de l'extérieur du Canada, qui suis un Américain, d'avoir été invité à prendre la parole devant vous ce matin. Si vous me le permettez, je commencerai par me montrer quelque peu présomptueux. Il est déjà présomptueux de ma part de prétendre vous donner quelque conseil que ce soit, mais je vais être encore plus outrancier et présumer que je m'exprime au nom de 280 millions d'Américains en vous disant merci, mais cela me semble être la meilleure façon d'ouvrir le débat.

Je ne pense pas qu'on en a assez parlé aux États-Unis mais, depuis le 11 septembre, je crois que tout le monde chez nous a été touché à un degré ou à un autre par ce qu'ont fait nos amis canadiens, parfois de façon très personnelle, pour nous réconforter. Il n'est pas simplement ici question des mesures politiques que vous avez prises, mais beaucoup plus des gestes personnels que vous avez eus à notre égard. Cela étant, j'espère ne pas encourir les foudres de mes compatriotes en disant que je m'exprime en leur nom. Je ne représente personne en particulier et personne ne m'a élu, mais je tiens à vous remercier, ne serait-ce qu'en mon nom propre. Par votre intermédiaire, je tiens aussi à remercier tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui ont fait énormément pour les Américains, et nous leur en sommes reconnaissants.

• 0910

Le président: Merci, monsieur Sands, pour ces paroles très aimables. Nous les apprécions beaucoup, car nous savons qu'il est parfois très difficile aux gens de s'exprimer dans l'univers médiatique extraordinairement complexe qui règne aux États-Unis. Toutefois, comme vous l'avez dit, un grand nombre d'habitants de Halifax, à Terre-Neuve, et d'autres villes au Canada, ont ouvert les portes de leur résidence et ont fait des choses merveilleuses. Nous avons entendu des témoignages fantastiques de ceux qui ont reçu l'aide de nos compatriotes, même si l'on n'en entend pas souvent parler dans les médias. Nous apprécions donc ce que des gens comme vous ont à en dire.

M. Christopher Sands: J'aimerais ajouter, pour le procès-verbal, que si tel est le cas, c'est que nous avons déjà réalisé quelque chose et que ce quelque chose sera peut-être ma seule contribution utile aujourd'hui.

Le président: Nous ne pensons pas que vous soyez venu d'aussi loin uniquement pour cela.

M. Christopher Sands: Au lendemain du 11 septembre, j'estime que le gouvernement canadien pourrait effectuer une sorte de révolution dans sa politique étrangère. Voilà pourquoi je crois que vos audiences sur les relations canado-américaines et sur l'état du monde, au lendemain de ces attaques, tombent à point nommé.

Quand je parle de «révolution», je n'ignore pas que le Canada est réputé pour être un pays d'évolution et non de révolution, mais il se trouve que vous avez entrepris d'importantes révolutions dans les récentes années, pour des raisons semblables. Vous avez été confrontés aux changements survenus dans le monde entier, changements qui ne vous ont pas donné d'autres choix que de modifier vos politiques. Vous vous rappellerez la révolution financière, quand des gens rétrogrades maintenaient que les Canadiens n'accepteraient jamais des politiques prévoyant des budgets équilibrés, des réductions d'impôt ou des coupures dans les programmes sociaux. Tout aussi pénibles que furent ces changements, le Canada les a mis en vigueur parce qu'il se trouvait dans un monde en pleine mutation, un monde où il aurait été difficile de maintenir des déficits et où certains changements étaient inévitables.

Ces dernières années, nous avons assisté à un autre changement survenu cette fois dans le débat sur l'unité nationale, puisque les Canadiens ont modifié leur approche globale du sujet après de nombreuses années de discussions et de référendums. Désormais, les relations entre le Canada et le Québec sont beaucoup plus claires. Cela est en partie dû au fait qu'après le référendum de 1995 des changements se sont imposés parce que le monde avait évolué.

Au lendemain du 11 septembre, je crois que le Canada a maintenant la possibilité de modifier profondément sa politique étrangère et de l'aligner sur la politique américaine en matière d'approche globale et internationale, de sorte que les deux politiques se complètent. Le meilleur moyen d'y parvenir consiste à s'inspirer de ce qui s'est passé le 11 septembre et d'en dériver une stratégie pour accélérer le changement sur le plan de la politique étrangère canadienne. Pour cela, vous devrez vous concentrer sur les cinq changements qui définissent peut-être la situation du Canada aujourd'hui par rapport à ce qu'elle était le 10 septembre dernier.

Intervient d'abord le changement sur le plan de la dynamique mondiale. Selon un paradigme très répandu qu'on entend assez souvent à Washington de nos jours, le monde au lendemain du 11 septembre est un monde à cinq niveaux. Il était en gestation avant cette date, mais il a été transfiguré par les événements de ce jour-là, si bien qu'on voit très clairement aujourd'hui où se situent les différentes nations du monde. L'appartenance à l'un de ces cinq niveaux est déterminée par la capacité de chaque pays de projeter son pouvoir hors de ses frontières. Je vais vous dessiner à grand trait ce à quoi ressemble cette structure ou ce paradigme.

Au niveau supérieur, on retrouve les États-Unis—comme c'est un modèle américain, nous sommes toujours en haut de la pyramide. Plus sérieusement, c'est parce que les États-Unis sont les seuls capables de projeter leurs pouvoirs dans le monde entier, du moins pour l'instant. Au deuxième niveau, vous trouvez les grandes puissances comme la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine, qui sont en mesure d'influencer le système international ne serait-ce que par leur taille, mais aussi pour leurs capacités économiques, militaires et autres. Au niveau suivant, on trouve les puissances moyennes, comme le Canada dont je vous parlerai un peu plus dans un instant. Le quatrième niveau est celui des pays qui ont des problèmes internes, qui projettent surtout leurs pouvoirs à l'intérieur de leurs frontières. On y retrouve des pays comme l'Ukraine et le Mexique, c'est-à-dire des pays qui ne sont pas vraiment en mesure de jouer un rôle important sur la scène internationale, parce qu'ils ont d'abord des problèmes à régler chez eux. Le cinquième niveau est celui des pays en panne sèche, mais qui ont revêtu une nouvelle importance après le 11 septembre à cause des dangers qu'ils font courir au reste de la planète.

Aujourd'hui, le défi des puissances moyennes diffère sur deux plans de ce qu'il était durant la guerre froide. D'abord, ils sont désormais plus loin des grandes puissances qu'auparavant, à cause des coûts très élevés que représente le maintien d'une force militaire appropriée. Ces coûts sont tellement importants que seuls les pays les plus déterminés ou les plus désespérés sont prêts à se doter de telles armées.

• 0915

Deuxièmement, l'économie a changé. Au cours des 20 dernières années, la plupart des puissances moyennes ont conclu des accords commerciaux régionaux qui ont, certes, porté sur des échanges régionaux mais qui ont aussi amené leur secteur des affaires à se spécialiser sur le plan régional. C'est le cas du Canada en Amérique du Nord, de la Suède en Europe et de l'Australie dans la région Asie-Pacifique.

Ce paradigme n'est pas sans conséquence importante, parce qu'il veut dire que les politiques régionales seront particulièrement importantes pour le Canada dans l'avenir. Cet aspect est lié à autre chose, une chose dont que j'ai entendu mentionnée par beaucoup de Canadiens qui se demandent si les réactions de leur pays au lendemain du 11 septembre ont été à la hauteur des attentes des Américains. Il convient de remarquer, dans le cadre de ce paradigme, qu'à Washington, les Américains ont commencé à parler d'un monde à cinq niveaux. Pour le Canada, qui se préoccupe de ce qui se passe à sa frontière et qui essaie de collaborer avec nous afin de contrôler et de retracer les éventuels responsables des attaques contre le World Trade Center, il est tout à fait normal de travailler à l'échelle régionale. On ne peut que se réjouir du fait que le Canada assure un soutien à la mission en Afghanistan, mais ce n'est pas quelque chose à quoi les États-Unis s'attendaient. Il arrive d'ailleurs très souvent que le Canada dépasse les espérances de son voisin.

Nous ne sommes pas particulièrement déçus que le Canada ne puisse pas envoyer de porte-avions. Estimons-nous que le Canada devrait dépenser davantage dans le domaine de la défense? Bien sûr. Nous vous le répétons périodiquement. Mais le moment n'est pas venu d'entamer ce débat. Il est temps de passer à l'étape suivante et, comme je le disais, non seulement le Canada a été à la hauteur de nos attentes, mais il les a dépassées. Les États-Unis ne sont pas déçus par leur voisin.

Si les affaires régionales sont importantes pour ce qui est de l'avenir de la politique étrangère canadienne, il convient de reconnaître que notre région a changé. Avant le 11 septembre—et puisqu'il faut choisir une date, je parlerai du 10—les États-Unis envisageaient la dynamique nord-américaine sous l'angle du trilatéralisme. Nous devions avancer à la vitesse à laquelle le Mexique était prêt à avancer, qu'il soit question d'immigration—nous avons parlé de l'article 110, comme vous vous en souviendrez tous—de coordination des politiques macro-économiques ou d'union monétaire. Tout devait être trilatéral. Le Mexique était le traînard, mais c'est lui qui donnait le rythme.

Après le 11 septembre, à l'analyse du programme de la communauté nord-américaine, vous constaterez que certains éléments sont trop urgents à nos yeux pour que nous nous permettions d'attendre que le Mexique nous rattrape. Je pense que l'Amérique du Nord au lendemain du 11 septembre n'est pas sans nous rappeler ce qui s'est passé en Europe avec l'intégration continentale. Autrement dit, nous allons maintenant progresser à deux vitesses. Les États-Unis sont prêts à avancer avec le Canada—l'autre pays développé de la région—sur tout un ensemble de questions touchant à l'intégration et nous allons inviter le Mexique à participer au dialogue, nous allons lui demander d'appliquer un échéancier qui lui conviendra. Le Canada et les États-Unis, ensemble, devront alors appuyer le Mexique et faire pression sur lui, afin qu'il respecte cet échéancier.

Cependant, l'avenir de l'Amérique du Nord ne passera plus par le dialogue trilatéral qui progresserait au pas du plus lent. Désormais, il faut que les choses accélèrent. Je vous dirais que c'est là une occasion rêvée pour les dirigeants canadiens parce que les États-Unis, distraits par la guerre à l'étranger et par d'autres sujets, ne vont plus remplir un rôle de premier plan. Tout comme nous l'avons fait à l'époque de la négociation de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, tout comme nous l'avons fait avec l'ALENA, nous allons nous tourner vers les Canadiens pour leur demander de prendre les rênes en main, pour profiter de leur créativité, de leur ingéniosité et de leur capacité de recommander des manières positives et constructives d'instaurer le genre d'institutions et de programmes qui nous aideront à progresser.

À l'heure où nous nous demandons comment ces progrès régionaux vont prendre place, il convient de déterminer en quoi les États-Unis ont changé. Je ne peux que résumer la façon très profonde dont la vision américaine du monde a changé. Vous aurez lu certains éditoriaux. Ainsi, dans le New York Times, Tom Freidman a écrit que les États-Unis se retrouvent seuls, si l'on fait exception de la Grande-Bretagne. Les Américains sont profondément convaincus—eux qui ont été frappés par cette tragédie et qui vivent toute cette peine—d'être entourés de pays plutôt indifférents qui ne sont pas aussi énergiques qu'eux. Nous sommes en état de choc et, quand nous en sortirons, nous allons nous rendre compte que l'unilatéralisme caractéristique des États-Unis et de cette administration à Washington—sans vouloir citer personne—n'est plus acceptable. La seule façon pour nous de poursuivre la campagne contre le terrorisme mondial et de la remporter consistera, en fin de compte, à collaborer avec nos principaux alliés et à instaurer des relations plus étroites avec eux.

Pour en revenir à l'Amérique du Nord, c'est l'économie qui est le facteur clé. Si l'économie est faible, nous ne pourrons pas mener une guerre trop longue. Nous devons absolument veiller à ce que l'économie ne subisse pas de repli au moment où nous conduisons cette guerre, ce qui veut dire que nous ne devons pas transformer la frontière en une ligne fortifiée.

• 0920

L'une des choses formidables que je trouve au Center for Strategic and International Studies, c'est-à-dire la cellule de réflexion à laquelle j'appartiens, c'est que je suis entouré de gens très intelligents. Je ne me classe pas forcément dans cette catégorie, mais je dois vous dire qu'il est très intéressant de se trouver au milieu de collègues intelligents, comme vous le savez très bien à ce comité. Vous avez été assez gentils pour m'asseoir ici auprès de gens que je respecte et que j'admire, si bien que je profite un peu de leur rayonnement, ce qui est très agréable.

Je ne vais pas m'avancer en vous disant comment les États-Unis vont conduire cette guerre contre le terrorisme, parce que je suis un simple spécialiste du Canada. Toutefois, j'ai un avantage, celui de pouvoir me pencher au-dessus de l'épaule des géants, avec mes collègues. Ainsi, dans les semaines qui ont suivi le 11 septembre, nous nous sommes réunis et avons mis sur pied un groupe de travail qui a examiné les défis auxquels les États-Unis étaient confrontés, pour parler de ce qui se passait à l'étranger et analyser ce que les États-Unis allaient devoir faire pour renforcer la guerre contre le terrorisme. En l'espace de six semaines, le groupe de travail a produit un rapport qui comporte une analyse de la situation en regard du fondamentalisme islamique, de la situation en Afghanistan, du processus de paix israëlo-palestinien, de la situation dans les principales régions—notamment dans les Amériques, dans l'hémisphère occidental—de l'importance de l'économie et des défis d'ordre militaire.

Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre que, ce matin même à Washington, mes collègues sont en train de déposer ce rapport au Congrès. Ils le présentent pour la première fois. Comme je me suis dit qu'Ottawa était tout aussi importante que Washington, je vous le présente aussi. Ce faisant, je triche un peu, parce que je ne fais que prétendre vous présenter toutes ces idées merveilleuses, alors qu'on les doit à d'autres, si bien que vous ne devrez pas trop m'en accorder le crédit. Vous savez, on ne peut pas apporter grand chose à bord d'un avion par les temps qui courent, mais je vous ai tout de même ramené un exemplaire de ce rapport—400 très belles pages où vous trouverez tout ce que vous voulez—que je vais vous soumettre. N'hésitez pas à en demander d'autres exemplaires, mais comme je sais que vous êtes tous très occupés, encore plus que je ne le suis...

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): C'est vrai pour certains d'entre nous.

M. Christopher Sands: Oui.

Quoi qu'il en soit, je vous ai apporté le sommaire que je vais vous distribuer et que je vous invite à lire. Tout à l'heure, je serai très heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser après avoir parcouru ce document, à moins que vous ne préfériez me faire revenir à ce sujet et que je réponde aux questions que je connais. D'un autre côté, si vous voulez venir à Washington, je serais heureux de vous y accueillir pour que vous puissiez vous entretenir avec les autres auteurs et nous cuisiner sur ce que nous aurons fait de travers. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'assume l'entière responsabilité des erreurs concernant la partie sur le Canada et que vous pourrez toujours m'en faire le reproche.

Le président: Voyons si le...nous obéissons tellement à votre suggestion, que nous faisons même circuler votre document pour vous. Toutefois, je vais demander à mes collègues du Bloc s'ils veulent qu'on leur communique ces documents puisqu'ils ne sont pas... Nous allons demandé s'ils sont en français, mais je ne le pense puisqu'ils viennent de...

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Ça va.

[Traduction]

M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Est-ce que vous avez la version espagnole?

Des voix: Ah, ah!

Le président: Bien vu, monsieur Paquette. Vous avez fait mouche!

Merci beaucoup, monsieur Sands. Je suis sûr que nous allons vous poser d'intéressantes questions tout à l'heure.

Nous allons maintenant entendre M. Stairs.

M. Denis W. Stairs (professeur de la chaire McCulloch en sciences politiques, département des sciences politiques, faculté des arts et des sciences sociales, université Dalhousie): Merci, monsieur le président.

Mes commentaires vont porter sur la façon dont le Canada doit gérer ses rapports avec les États-Unis, du point de vue canadien. Je vais faire descendre d'un cran ce que d'aucuns considèrent comme un domaine plutôt prosaïque. Certes, les relations entre le Canada et les États-Unis sont caractérisées par une énorme disparité sur le plan des pouvoirs, ce qui a engendré, au fil des ans, des problèmes tactiques et stratégiques dans la politique étrangère canadienne. Je vais vous en parler très brièvement, après quoi je vous ferai une ou deux suggestions.

J'ai l'impression que le Canada a toujours fait appel à une combinaison de macro-stratégies et de micro-stratégies pour essayer d'uniformiser les règles du jeu avec les États-Unis, du moins dans une certaine mesure. Les macro-stratégies comprenaient, d'abord, des tentatives visant à diversifier nos relations à l'étranger, surtout au plan économique et, deuxièmement, des tentatives visant à obtenir le plus possible des négociations et des politiques dans les arènes multilatérales dont certaines sont institutionnalisées de façon permanente et d'autres non.

La stratégie de diversification n'a jamais bien fonctionné, d'une part, parce que nous sommes incapables, dans un monde libéral, de faire ce qu'il faudrait pour cela et, d'autre part, parce que nous éprouvons de la difficulté à obtenir la collaboration d'autres intervenants. En raison des négociations de l'ALE et de l'ALENA, puis de l'avènement de l'OMC, il est devenu pratiquement impossible de faire de telles choses, comme le démontrent les chiffres du commerce et de l'investissement.

La stratégie en faveur des accords multilatéraux est encore pertinente dans certains secteurs, mais elle est beaucoup moins utile dans un contexte où: premièrement, les États-Unis sont devenus une puissance hégémonique planétaire; deuxièmement, la position relative du Canada dans l'ensemble du monde a reculé; troisièmement, un grand nombre des questions les plus importantes sont à la fois bilatérales et très évidentes pour certains intérêts du Congrès. De façon générale, je crois qu'on peut sans se tromper affirmer que les Américains ne sont pas intéressés par des arènes multilatérales, à moins qu'ils puissent les dominer. Ce faisant, ils parlent d'établir des coalitions, et les environnements qui leur imposent un certain partage du pouvoir ne les intéressent pas.

• 0925

Les micro-stratégies ont surtout visé à arrêter l'escalade politique dans l'ensemble des relations. Ces micro-stratégies englobent plusieurs techniques éprouvées. D'abord, il y a l'évitement des liens, soit le traitement des questions indépendamment les unes des autres et une à la fois, de manière qu'il soit possible, autant que faire se peut, de les résoudre en se fondant sur leur mérite respectif et en réponse au jeu des intérêts particuliers plutôt qu'en guise de manifestations d'un intérêt national global.

Deuxièmement, nous avons toujours préféré recourir à la diplomatie discrète, qui consiste à gérer le plus possible les questions à l'échelon bureaucratique, en coulisse, afin de ne pas susciter les réactions émotives malencontreuses de la population, des deux côtés de la frontière.

Troisièmement, vient l'établissement occasionnel d'institutions bilatérales régies par des règles pour traiter les aspects particuliers des relations. Certains précédents remontent au début des années 1900, l'ALE, qui a débordé sur l'ALENA, en étant l'exemple le plus probant.

Quatrièmement, nous avons à l'occasion convenu d'être en désaccord pour éviter des discussions inutiles. L'exemple le plus parlant à cet égard est celui des eaux de l'Arctique, dossier sur lequel aucune des deux parties n'a vraiment insisté parce qu'elles savaient qu'il n'y avait pas de base pour un accord. Nous avons convenu de laisser cette question en suspens.

La dernière stratégie est celle qui consiste, comme je le dis, à «travailler le Congrès au corps» et, occasionnellement, à agir sur le plan de la politique publique, c'est-à-dire à faire du lobbying et à conclure des alliances politiques avec le Congrès.

J'ai personnellement l'impression que les micro-stratégies sont encore importantes. En fait, cela vous a été illustré dans le témoignage des fonctionnaires lors de votre première réunion consacrée aux travaux de fond, la semaine dernière. Il faut tout de même reconnaître qu'elles ne seront pas efficaces dans tous les cas où les Américains auront l'impression que leurs intérêts fondamentaux en matière de sécurité sont en jeu.

Me fondant sur ces aperçus généraux, je vais maintenant vous faire quelques suggestions. D'abord, j'ai l'impression que vous devriez ralentir un peu la cadence. Le 11 septembre a été marqué par un événement dramatique et il est évident que les États-Unis, en particulier, sont sous le choc, choc dont ils essaient de se remettre. En revanche, contrairement à la croyance populaire, le monde n'a pas changé et je pense que le Canada devrait se garder d'adopter des réponses mélodramatiques. Nous devons nous ressaisir et maîtriser la situation. L'établissement de politiques à long terme dans des circonstances très dramatiques à court terme entraînera des erreurs. Demandez en privé à la ministre de la Justice ce qu'elle en pense. L'excitation va finir par tomber.

Nous pourrons satisfaire la branche exécutive américaine par l'application d'une collaboration quotidienne suivie, telle que vous l'ont décrite en détail les fonctionnaires que vous avez accueillis la semaine dernière. Cependant, les tentatives visant à satisfaire le Congrès par des mesures législatives spectaculaires auront peu de chances d'aboutir. C'est là une stratégie coûteuse qui ne rapportera que très peu.

Deuxièmement, dans nos transactions avec les Américains, nous devrons choisir les batailles que nous sommes susceptibles de remporter ou celles qui peuvent au moins rapporter un certain avantage au Canada. Il est non seulement inutile mais tout à fait improductif pour le Canada de se battre contre des moulins à vent, surtout s'il doit être le seul pays à s'opposer aux préférences des Américains. Cela est particulièrement vrai quand les États-Unis sont provoqués par un sujet qu'ils estiment lié à leur sécurité fondamentale.

Troisièmement, nous ne devrions pas gaspiller notre pouvoir réel de négociation. M. Sands vous a tout de même dit que nous disposons d'un certain pouvoir sur ce plan. À mes yeux, les Américains sont des spéculateurs Yankees. Ils savent ce que compromis veut dire et ne se froissent pas quand on leur demande d'augmenter la mise. Nous disposons peut-être effectivement d'un certain levier valable dans l'immédiat—et peut-être même à long terme—vis-à-vis, par exemple, le désir des Américains d'instaurer une politique énergétique continentale. Dans ce cas en particulier, nous avons peut-être déjà abandonné un grand nombre de nos atouts de négociation en vertu de l'ALE, mais il nous reste encore une certaine marge de manoeuvre que nous devrions utiliser au moment opportun.

Cela m'amène à la partie la plus difficile de toutes: vous devez savoir ce que vous voulez. J'ai l'impression que cela est ardu, parce que les Canadiens en général ne savent pas très précisément ce qu'ils veulent dans leurs relations avec les Américains, si ce n'est bien sûr un fonctionnement interrompu de l'économie continentale. Plus précisément, ils ne savent pas ce qu'ils veulent et que les Américains les empêchent actuellement d'obtenir.

• 0930

Il convient, en un certain sens, de redéfinir ce que nous devons entendre par intérêts nationaux canadiens par rapport aux États-Unis. Nous devons y accorder beaucoup d'attention à l'échelon national. Peut-être avons-nous besoin de ce que les Américains étaient heureux de nous soumettre, il y a quelques années, c'est-à-dire une liste des éléments qui nous irritent nous et pas eux. Nous n'avons pas forcément besoin de le faire maintenant, mais plus tard, dans une période plus calme.

Enfin, j'ai l'impression qu'il nous faudrait mener une importante campagne de publicités et de relations publiques aux États-Unis afin de lutter contre les idées fausses que les Américains, pensons-nous, entretiennent à notre égard. Pour cela, nous devrons recourir à une aide professionnelle de premier ordre. Pour le moment, je ne vous recommanderai pas de façon de s'y prendre, pas plus que les termes à choisir ou les cibles à retenir. Cependant, je pense que nous allons devoir y consacrer d'importantes sommes, pour obtenir le genre d'assistance qu'il nous faut afin de conduire une telle campagne. Cependant, si le travail est bien fait, le jeu en vaudra la chandelle. Il ne faudra absolument pas arguer sur les priorités. Quant à moi, le maintien d'une relation efficace avec les États-Unis est le seul impératif réel de la politique étrangère canadienne.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Stairs.

Nous allons maintenant passer à Maureen Molot.

Madame Molot, je constate que vous devez partir à 11 h 15, c'est exact?

Mme Maureen A. Molot (directrice du Norman Paterson School of International Affairs, université Carleton): Oui.

Le président: Fort bien. Après l'exposé de M. Cooper, nous demanderons aux membres du comité de vous poser les premières questions.

Mme Maureen Molot: Si c'est le cas, monsieur le président, je vais peut-être regretter d'avoir annoncé mon départ, parce que j'espérais pouvoir m'éclipser discrètement.

Des voix: Ah, ah!

Mme Maureen Molot: Certains d'entre vous s'éclipseront peut-être avant moi.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité, en compagnie d'éminents collègues. Votre comité s'attaque à un sujet qui revêt une énorme importance, celui des relations canado-américaines en regard des nouveaux problèmes de sécurité. À bien des égards, le débat qui se déroule au Canada, sur l'avenir de nos relations avec les États-Unis, nous rappelle celui que nous avons tenu au début des années 80, quand nous nous interrogions sur les pour et les contre du libre-échange.

La question de la gestion de nos relations avec les États-Unis n'est évidemment pas nouvelle. Elle préoccupe un grand nombre d'entre nous et bien sûr ceux qui comparaissent devant vous aujourd'hui. Cependant, le 11 septembre a conféré une nouvelle urgence à des questions comme la gestion de la frontière. Le 11 septembre a, outre, souligné le lien qui existe entre le commerce et la sécurité, d'une façon qui ne risque pas de s'estomper avec le temps.

J'ai fondé mon approche aux relations canado-américaines et à l'intégration nord-américaine sur la documentation qui traite de l'intégration et sur une certaine compréhension que je possède du comportement des sociétés multinationales. Je me propose d'aborder un certain nombre d'aspects très spécifiques à partir de ce double point de vue.

Tout d'abord, dans les négociations d'accord de libre-échange comme l'ALE ou l'ALENA, les parties veulent avant tout parvenir à un «oui». Autrement dit, elles veulent réaliser l'accord négocié. Nous nous souviendrons tous qu'étant donné la nature des négociations, ce n'est pas là une chose facile. Très peu, pour ne pas dire aucun des trois signataires de l'ALENA ne voulaient envisager autre chose que la conclusion d'un accord même si, selon moi—et je pense ne pas être la seule de cet avis—les accords de libre-échange sont instables par nature. Ils évoluent vers quelque chose d'autre, ils risquent de tomber en désuétude ou ils s'effondrent purement et simplement. Loin de moi l'idée de suggérer qu'il existe un déterminisme économique, mais c'est l'observation que j'ai faite à l'examen de tout un ensemble d'accords de libre-échange en Europe et ailleurs dans le monde qui remontent au début des années 60. Il ne faut pas se dire, non plus, que l'intégration correspond à une marche inexorable en avant, qu'on ne dévie jamais de la trajectoire et qu'on ne recule jamais. Les expériences d'intégration en Europe et ailleurs nous ont enseigné le contraire.

Il se trouve que des analystes, dont le patron de mon ami Chris Sands, Sidney Weintraub, ont commencé à poser des questions sur les aspects demeurés en suspens après la conclusion de l'ALENA en se demandant, par exemple, s'il ne fallait pas élargir l'ALENA pour inclure d'autres membres ou pour l'approfondir. Autrement dit, l'ALENA devrait-il porter sur des aspects qui ne faisaient pas partie du programme originel de négociations ou sur les questions que les négociateurs ont convenu de laisser de côté parce qu'il était trop difficile de les régler, comme les mesures anti-dumping et les droits compensateurs, la facilitation de la gestion de la frontière, l'élargissement des dispositions relatives à la mobilité de la main-d'oeuvre, les marchés publics et ainsi de suite.

• 0935

Deuxièmement, d'après les écrits de nature économique traitant de l'intégration, quand les barrières aux mouvements de marchandises entre les pays s'effondrent, les échanges commerciaux entre les parties augmentent. Une grande partie de cette augmentation est associée à des échanges intra-industries et intra-entreprises. Les sociétés organisent de plus en plus leur production autour de zones de libre-échange élargies et fondent leurs décisions d'investissement sur des critères d'efficacité plutôt que sur des considérations nationales. On voit apparaître davantage de pressions en faveur d'une meilleure collaboration sur les questions liées à la facilitation du commerce, comme les procédures douanières et de gestion à la frontière, l'adoption et l'instauration de règlements et de normes concernant les produits et ainsi de suite.

Troisièmement, ce à quoi les économistes s'attendaient s'est produit après la mise en oeuvre de l'ALE entre le Canada et les États-Unis et de l'ALENA. Les échanges commerciaux entre le Canada et notre voisin du sud ont augmenté de façon marquée. D'autres témoins vous ont fourni des chiffres sur le pourcentage des exportations canadiennes à destination des États-Unis, sur l'importance des États-Unis pour le marché canadien et ainsi de suite. De plus, le commerce entre les États-Unis et le Mexique a considérablement augmenté depuis la mise en oeuvre de l'ALENA en janvier 1994. Les décisions des sociétés, dans plusieurs industries, ont joué un rôle déterminant dans l'instauration d'un lien entre les économies canadiennes et américaines—et ce sujet a fait l'objet de nombreux écrits, tant en ce qui concerne le commerce canado-américain que des aspects plus généraux.

Quatrièmement, nous nous trouvons maintenant face à des défis pour lesquels il n'existe aucun modèle ni aucune réponse facile. Nous tirons l'essentiel de notre compréhension de la dynamique de l'intégration de l'expérience européenne. Toutefois, cette expérience n'est quasiment pas appropriée à l'Amérique du Nord. Les différences entre notre réalité et la réalité européenne sont multiples: nombre de participants à l'intégration; taille relative des économies; rayonnement mondial des signataires—la plupart des membres appartiennent à la catégorie que mon collègue Chris Sands a qualifié de deuxième niveau et certains au troisième niveau; reste à espérer qu'aucun n'appartient au cinquième niveau—extraordinaire dépendance de deux parties de l'ALENA envers la troisième, et objectif ultime de l'exercice. L'Union européenne est volontairement passé d'un accord de libre-échange à une union douanière, puis à un marché commun et enfin à une union économique—je pourrai vous en fournir les définitions si vous le désirez.

Cinquièmement, comment les relations au sein de l'Amérique du Nord vont-elles évoluer? Sur ce plan, nous nous engageons en terrain inconnu. Les prochaines étapes de la relation entre le Canada et les États-Unis consisteront à améliorer l'ALE ou l'ALENA, mais pas dans le sens de ce qui a toujours été l'étape suivante dans un accord d'intégration, autrement dit l'union douanière—et nous pourrons y revenir si vous avez des questions.

Permettez-moi de passer maintenant à quelques aspects secondaires. D'abord, nous devons nous demander si tous les changements doivent absolument être trilatéraux—autrement dit s'ils doivent inclure tous les signataires de l'ALENA—ou si le niveau d'intégration peut différer en fonction des divers appariements possibles. Chris Sands vous en a parlé en mentionnant un ALENA à plusieurs strates. En d'autres mots, pouvons-nous élaborer un mécanisme d'intégration à plusieurs strates? Bien qu'il existe des similitudes entre les questions entourant la frontière entre le Canada et le Mexique et celles concernant le 49e parallèle, il est certain que les différences sont également très grandes.

Comme Jon Allen du MAECI l'a laissé entendre la semaine dernière, la priorité du Canada, pour des raisons économiques et de sécurité, porte sur la gestion de notre frontière avec les États-Unis, car nous voulons être sûrs que les mouvements de marchandises sont les plus efficaces possible. À un moment donné, dans l'avenir, il sera peut-être possible d'inclure le Mexique dans les mécanismes entre le Canada et les États-Unis. Si c'est ce à quoi les uns et les autres s'attendent, cette situation va-t-elle avoir une incidence sur le genre d'arrangement que nous pourrions conclure avec les États-Unis? Autrement dit, est-ce que l'espoir d'une participation future du Mexique ne va pas influencer nos discussions avec les Américains relativement à la gestion de notre frontière commune?

La deuxième question découle de l'engagement du Canada et des États-Unis d'assurer l'écoulement le plus fluide possible de marchandises et de personnes au niveau du 49e parallèle, dans l'intérêt mutuel des deux économies. Encore une fois, pour reprendre ce que M. Allen a dit, nous sommes conscients de la nécessité d'instaurer une frontière «transparente mais souveraine».

Pour faciliter le dédouanement des marchandises, il faut aussi permettre aux gens de franchir plus aisément la frontière—d'abord ceux qui transportent les marchandises, mais aussi ceux qui voyagent pour raison d'affaires. Dès qu'on aborde cette question, on soulève celle de l'immigration. Sans entrer dans les complexités de l'Accord Schengen en Europe, je vous rappelle que celui-ci a été négocié afin de faciliter les mouvements au sein de l'union économique. Il a bien donné lieu à un écoulement fluide aux frontières, mais moyennant—on s'y attendait—une perte relative des souverainetés nationales.

• 0940

Troisièmement, il faut savoir si les questions de frontière et d'immigration sont une base suffisante pour faire avancer une relation. Quelles sont les répercussions d'un accord relatif à la gestion de la frontière et de l'immigration sur les relations bilatérales? Devrait-on prévoir d'autres sujets dans les discussions? Dans l'affirmative, lesquels? Quel est l'assortiment d'intérêts et d'enjeux qui va permettre de mobiliser les États-Unis? Le Canada devrait-il assumer un rôle de premier plan et proposer une nouvelle initiative? En fait, que va-t-on négocier? Comment va-t-on gérer tout cela? Mettra-t-on en place de nouvelles institutions? Quelles dispositions va-t-on prendre pour revoir et modifier l'Accord? Avec l'ALENA, par exemple, on se rend compte qu'il est difficile de modifier un accord même quand les signataires admettent que des changements sont nécessaires. Enfin, nous aurons le temps pour faire quoi au juste? D'un côté, mon collègue Denis Stairs a peut-être raison. Nous ne devons pas trop nous précipiter, sur aucun front. D'un autre côté, et dans une large mesure, nous pourrions soutenir qu'il y a péril en la demeure, étant donné que les États-Unis sont préoccupés par des questions de sécurité.

Une nouvelle fois, le Congrès est en passe d'adopter une loi qui pourrait entraver les mouvements de marchandises et avoir des répercussions négatives sur nos deux économies. Les entreprises ont intérêt à veiller à ce que les relations économiques se poursuivent sans heurt. Certains se demandent s'il ne faudrait pas mettre en oeuvre l'article 110 du Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act de 1996 et il y a lieu de craindre qu'une telle disposition se retrouve sur la table.

Nombre d'entreprises au Canada poussent actuellement le gouvernement canadien pour qu'il agisse sur les questions touchant à la frontière. S'il devenait plus difficile de faire facilement passer des pièces et des produits ouvrés du Canada aux États-Unis, les multinationales estimeraient qu'il est moins intéressant d'investir au Canada, ce qui aurait des répercussions sur l'investissement, sur l'emploi et sur la croissance économique.

En conclusion, et pour tout un ensemble de raisons, nous nous trouvons aujourd'hui dans un dilemme excessivement difficile à résoudre. Ces problèmes ne sont pas nouveaux. Les préoccupations entourant la gestion de la frontière ne sont pas nouvelles. La différence tient au fait qu'elles sont maintenant beaucoup plus urgentes qu'auparavant. Les États-Unis envisagent d'adopter des modifications qu'ils jugent nécessaires pour maintenir leur propre sécurité. Au Canada, nous devons penser non seulement à l'avenir de nos relations avec les États-Unis, mais à la façon dont toute cette question pourra être réglée sur un plan politique aux États-Unis et au Canada.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, madame Molot.

Nous allons passer à notre dernier témoin de ce matin M. Cooper.

M. Andrew F. Cooper (professeur, département des sciences politiques, faculté des arts, Université de Waterloo): Je vais me faire l'écho de mes voisins en vous disant à quel point je me réjouis de votre invitation. Cela ne fait pas très longtemps que je m'intéresse aux relations canado-américaines. Je suis ce qu'on pourrait appeler un spécialiste du multilatéralisme, mais j'ai écrit un article qui m'oblige à faire un peu de publicité pour la Canada-U.S. Fulbright Foundation, qui m'a donné la possibilité de m'essayer à la question des relations canado-américaines. L'article portait un titre qui, en un certain sens, était annonciateur des événements qui ont suivi.

On peut mentionner d'autres recoupements. Ainsi, c'est Maureen Molot qui avait commandé cet article. Chris Sands, de son côté, a rédigé un article parallèle dans un volume qui, si je ne m'abuse, s'appelle Vanishing Borders: Canada Among Nations, 2000. Denis Stairs, à qui est revenue la première citation, m'a téléphoné pour me dire que les relations canado-américaines allaient constituer le grand match de l'avenir.

Force est de constater que le grand match actuel est celui des relations entre le Canada et les États-Unis et, à ce sujet, nous devons repenser une grande partie des éléments de cette relation. Sans vouloir tomber dans la banalité, je pense que nous pourrions y parvenir en jouant sur les mots. Dans le passé, il nous est déjà arrivé de modifier les termes employés. Avant, nous disions que le 49e parallèle était «la plus longue frontière non défendue du monde». Tout cela a changé le 11 septembre.

D'un autre côté, si nous voulons appeler les choses différemment, il faudra nous garder de parler de périmètre de sécurité. Certes, cette réalité pourrait être porteuse d'opportunités, mais elle serait associée à une série de problèmes et de risques. Pour commencer, une telle appellation serait risquée à cause des origines de la notion de périmètre aux États-Unis. Cela va de pair avec la préférence marquée que les Américains accordent à la sécurité, préférence qui remonte bien avant le NORAD et qui nous ramène à des aspects comme la sécurité intérieure. En ce sens, nous pourrions avoir des problèmes. Comme Chris Sands l'a dit, nous pourrions toujours trouver un modèle davantage pertinent aux relations entre les États-Unis et le Mexique qu'entre le Canada et les États-Unis.

• 0945

Le deuxième problème est celui des intentions américaines. Si nous pouvions tenir un débat sain sur le modèle Schengen ou sur l'Union européenne, nous trouverions beaucoup de résonnance au Canada. Cependant, je n'ai pas l'impression que les États-Unis soient en train d'avoir un tel débat sain, ni sur le modèle de Schengen ni sur l'Union européenne. Il se dégage plutôt des discussions actuelles une orientation très étroite qui va dans le sens de l'article 110 de l'ITAR, et qui nous ramène à toutes sortes d'autres questions davantage axées sur l'autonomie que sur une interdépendance complexe. Ainsi, j'estime que les États-Unis vont envisager la question du périmètre non pas de façon globale, mais plutôt comme une forme de défense avancée. Le Canada pourrait en tirer certains avantages, très certainement dans ses aéroports et ses ports, mais nous n'insisterons jamais assez sur les avantages que présente la liberté d'accès à la frontière.

Le troisième risque—et encore une fois il s'agit d'un thème qui a été abordé par Denis Stairs—est celui de la restriction imposée à la politique étrangère canadienne. John Manley a eu raison en déclarant que le Canada n'a jamais été un pays neutre. L'un des aspects de la politique étrangère canadienne consiste bien évidemment à appuyer les États-Unis et il faut se garder de minimiser cette orientation.

D'un autre côté, comme vous le savez, il existe d'autres éléments de la politique étrangère canadienne. Celle-ci est très certainement un hybride, une créature bicéphale à bien des égards. Il est évident que si les coalitions des pays bien intentionnés se concentrent effectivement sur l'accès américano-britannique par le biais de modalités entre grandes puissances, ces mêmes coalitions s'intéressent beaucoup plus aux petites puissances moyennes, aux créneaux spécifiques, aux aspects qui revêtent un caractère davantage temporel. Le danger, ici, est celui de l'effet restrictif.

Quand la situation est compliquée par des restrictions associées à la géographie—et Chris Sands l'a très bien compris tout à l'heure—il existe des possibilités sur le plan du régionalisme. Mais, comme vous le savez, une forme étroite de régionalisme nord-américain comporterait des dangers et des risques associés à la formation d'un bloc Nord-Amérique associé à une forteresse. Il est évident que la notion de périmètre n'englobe qu'«eux et nous» et que le fait de s'intéresser aux menaces venant d'ailleurs que du Canada plutôt qu'à des questions comme la coopération comporte certains dangers.

Si nous devons changer les choses, mieux vaut nous éloigner de la notion de périmètre. Il peut être séduisant de parler de frontière imperméable et autre, mais il y aurait sans doute lieu de faire davantage porter l'accent sur des notions comme celles de «frontières intelligentes». Le concept de frontière intelligente permet non seulement d'obéir aux exigences de sécurité et aux exigences économiques, mais aussi de se concentrer sur des aspects techniques aspects où le Canada est parfois en avance sur les États-Unis comme sur le plan des programmes informatiques et autres. En outre, ce concept correspond tout à fait au type de changement d'expression afin de mieux décrire un pays «intelligent», de reproduire un peu pour le Canada ce qui s'est fait en Grande-Bretagne quand on a parlé de «Cool Britannia» ou pour l'Irlande qui s'était baptisée «Celtic Tiger».

Il est évident que la question des périmètres est problématique ici. Quand on intègre le Mexique dans l'équation, les choses deviennent encore plus compliquées. Je suis d'accord avec Chris Sands quand il dit qu'il faut s'intéresser au Mexique d'un point de vue dualiste. Si le débat qui se déroule au Canada s'est intensifié au lendemain du 11 septembre, celui qui a lieu au Mexique est encore plus intense, avec un retour à une politique étrangère davantage axée sur la souveraineté nationale et sur le rejet de l'interventionnisme.

À partir de là, et même s'il peut être utile de fonctionner à deux vitesses, il pourrait valoir la peine d'envisager les choses suivant deux axes. Une telle façon de procéder serait d'ailleurs tout à fait conforme à la politique étrangère canadienne à laquelle nous nous étions intéressés auparavant. D'un autre côté, cette politique permettrait, une fois encore, de jouer sur la carte de la dualité, de rassurer les Mexicains et de leur montrer que nous sommes à leurs côtés, car ils sont nombreux à avoir reproché au Canada de s'être soucié de simples questions de statut à propos de l'approche adoptée par le gouvernement Fox. En outre, il faudrait améliorer les normes et injecter ainsi un peu d'intelligence dans tout cela.

• 0950

Mon troisième et dernier point recoupe ce qu'a dit Denis Stairs: le 11 septembre a certainement changé beaucoup de choses, mais nous ne savons pas s'il a tout changé. Pour ce qui est des relations canado-américaines, la majorité des ingrédients de la diplomatie canadienne continue de s'appliquer parfaitement, comme je le disais, à une déconnexion de la diplomatie publique. Nous avons constaté que certains domaines font l'objet d'une insistance accrue, sans doute dans la foulée du 11 septembre. Ainsi, pour ce qui est de la frontière, nous constatons que l'insistance porte davantage sur les coalitions commerciales.

En revanche, Chris ne vous a pas dit qu'il a fait la promotion du principe d'un tsar de la frontière, dans les premiers jours qui ont suivi le 11 septembre. Je pense qu'il y a lieu de réfléchir à ce genre de chose. D'un autre côté, dans le contexte canadien et très certainement en ma qualité de multilatéraliste, je préfère raisonner avec sagesse sur toutes ces questions, pour faire preuve de plus d'intelligence et ne pas m'exciter sur tout ce qui a changé au lendemain du 11 septembre.

En conclusion, et pour rejoindre un peu Denis, je dirai qu'il y a lieu d'infléchir quelque peu la politique étrangère canadienne. À bien des égards, la frontière est beaucoup plus importante que ce que bien d'universitaires le concèdent. Un grand nombre de professeurs des écoles de gestion ont certainement assisté à l'éradication des anciennes frontières. Bien sûr, un grand nombre de ceux qui ont un point de vue davantage transnational et critique ont vu apparaître un monde hyperglobaliste. Dans le contexte canado-américain du 11 septembre, nous ne voyons rien de tout cela. La frontière continue d'avoir son importance.

D'autres choses sont tout aussi importantes. Les identités multiples sur le plan de la politique étrangère canadienne sont aussi importantes. La lutte pour le bon ordre—si ce n'est pour la justice—sur la scène internationale est aussi importante. Par-delà la conception étroite du périmètre, les relations entre voisins demeurent importantes. Si comme je le suggère, la frontière conserve toute sa valeur, nous ne devrions certainement pas adopter au Canada de politique étrangère restrictive et bornée.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cooper.

Nous allons maintenant passer aux questions à commencer par M. Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.

Merci beaucoup à tous de nous honorer de votre présence. Je dois vous avouer que j'ai souvent sollicité le Center for Strategic and International Studies. Pour l'avoir visité, je dois vous dire que vous faites un travail vraiment exceptionnel. Nombre d'entre nous vous mettent à contribution, vous-même et vos collègues, tout comme nous mettons à contribution vos homologues canadiens.

M. Christopher Sands: Je transmettrai cela à mes collègues plus intelligents que moi.

M. Keith Martin: Je vous dis cela en toute honnêteté. Nous sollicitons vos avis tout comme nous sollicitons l'avis de vos homologues canadiens et des organisations représentées ici aujourd'hui.

Pour ce qui est des problèmes qu'éprouvent actuellement nos deux pays, et des possibilités qui s'offrent à nous, il est évident que nous devons instaurer de nouvelles relations. Les législateurs canadiens, surtout eux, doivent pouvoir compter sur une structure grâce à laquelle il nous sera possible de collaborer avec nos homologues américains. Ma première question sera la suivante. Quel jugement nos homologues américains portent-ils sur l'efficacité des législateurs canadiens? Après le 11 septembre, nous avons eu l'occasion d'instaurer les nouvelles relations dont je parle. Étant donné toute l'expérience dont bénéficie votre groupe de témoins, je me suis dit que vous pourriez peut-être nous faire des recommandations sur la façon d'améliorer les relations de travail que nous entretenons avec nos homologues américains.

J'ai une deuxième question à poser. Monsieur Sands, vous avez dit qu'il fallait aligner la politique étrangère américaine sur les tendances internationalistes canadiennes. Je n'ai pas besoin de vous dire que, pour les Canadiens, la politique étrangère américaine nous semble plus bornée que la nôtre. Au lendemain du 11 septembre, monsieur Sands, avez-vous constaté un plus grand désir de la part des Américains de conduire une politique étrangère davantage multilatéraliste, surtout vis-à-vis des pays des quatrième et cinquième niveaux?

Personnellement, je m'intéresse particulièrement aux pays dits en faillite. À première vue, on peut penser qu'ils n'ont pas lieu de retenir l'intérêt des États-Unis mais, s'agissant des flots de réfugiés et des coûts que représente la reconstruction d'un pays au lendemain d'un conflit, il arrive que nous ayons tous à payer la note. Dans ce contexte, j'ai toujours eu l'impression que les Américains sont en mesure de déployer un formidable potentiel dormant et de travailler avec d'autres partenaires comme le Canada afin de régler des problèmes du genre. Vous-même et les autres panelistes pourrez sans doute nous dire si les États-Unis ont l'intention de continuer à travailler en fonction de l'«effet Mogadiscio» ou si nous devons plutôt nous attendre à devoir collaborer avec les Américains pour faire face à tous ces problèmes.

• 0955

Merci.

M. Christopher Sands: Excellente question. Merci beaucoup.

Je vous répondrai de deux façons et, dans un certain sens, je répondrai par la même occasion à mes homologues.

Je suis d'accord avec presque tout ce qui s'est dit jusqu'à présent. Denis a raison: une partie du défi tient à la nécessité de savoir ce que le Canada attend des États-Unis et des autres acteurs. C'est un aspect important. Personnellement, je vous recommanderais de jouer sur les leviers dont vous disposez, parce que vous en avez beaucoup plus que vous ne le pensez, à moins que vous n'estimiez, par modestie, que vous n'avez pas droit à la parole. Pourtant, je pense que le Canada a acquis beaucoup plus de poids auprès des États-Unis par le simple fait qu'il nous a été très utile. Le président Bush se plaît à dire qu'il ne donne pas que dans la rhétorique, qu'il est intéressé par les résultats, surtout dans le cas de ses alliés. Comme le Canada est en mesure de produire des résultats, il bénéficie d'un certain effet de levier auprès des États-Unis.

La réponse à la question de Denis est précisément ce que vous voulez obtenir en retour. Je dirais qu'il s'agit d'une structure qui vous permettra de dialoguer avec nous sur la question du développement régional en Amérique du Nord, sur l'Amérique du Nord à deux vitesses. Au sein de cette structure, vous pourrez suivre plusieurs objectifs qui apparaîtront au fur et à mesure.

Maureen Molot a en fait décrit le programme à suivre pour aller plus loin dans le sens de l'ALENA, en parlant non seulement de frontières mais aussi de plusieurs autres questions très importantes pour faire en sorte que les mouvements économiques soient encore plus efficaces.

Cependant, comme l'a indiqué Andrew Cooper, il existe certains risques associés au concept d'Amérique du Nord, le principal étant l'impression que l'Amérique du Nord va vous être «imposée», plutôt qu'être le résultat d'un processus d'élaboration auquel vous pourrez participer et, plus important encore, que vous pourrez piloter.

La structure qui, selon moi, doit retenir votre attention est une structure favorisant un dialogue régulier avec les Américains sur la construction d'une communauté régionale nord-américaine, dialogue où le Canada jouerait un rôle de premier plan pour participer à la formation des événements, par le biais d'un programme, et pourrait assurer un suivi. Vous pourriez contribuer à replacer vos relations canado-américaines dans un contexte régional. En ayant une influence marquée sur cette région et sur son développement—région qui constitue l'un des marchés les plus importants du monde—vous pourriez décupler votre influence internationale dans vos tractations avec d'autres conglomérats d'importance, comme l'Europe, dans le cas des nations en faillite ou de l'Asie.

Vous obtiendriez des résultats positifs. Vous commenceriez par repenser vos relations avec les États-Unis, par les placer dans le contexte nord-américain, pour conférer au Canada une position privilégiée dans le dialogue nord-américain, ce qui vous donnerait davantage voie au chapitre à l'étranger. Vous n'auriez pas à abandonner votre multiculturalisme car, en fait—et c'est le genre de révolution dont je parle précisément—vous intégreriez le multiculturalisme dans vos relations avec les États-Unis.

Je suis tout à fait d'accord avec vous: les États-Unis se sont souvent montrés comme une superpuissance bornée aux tendances hégémoniques mesquines, mais force est de reconnaître que la politique étrangère du Canada envers les États-Unis est tombée dans le piège de cette étroitesse d'esprit à bien des égards. Dans ses relations avec les États-Unis, le Canada applique une sorte d'exception par rapport à toutes ses autres règles internationales. Que pourrait-il faire d'autre, puisqu'il traite avec des Américains? Comme vous n'avez d'autres choix que de composer avec nous, vous tenez tous ces débats au sujet de la frontière canado-américaine. Même chose à propos du programme Partnership Forum et d'autres. Tous sont très utiles, mais ils n'ont rien à voir avec le reste de la politique étrangère canadienne qui semble n'être souvent qu'un reflet de votre situation par rapport aux États-Unis. Votre politique étrangère sert à montrer à quel point vous êtes différent des États-Unis ou que vous pouvez agir indépendamment des Américains.

Une façon plus solide, peut-être plus intégrée également, consisterait à jouer sur tous les plans et à vous appuyer davantage sur de meilleures relations avec les États-Unis afin d'accroître votre impact à l'étranger. Voilà pourquoi vous devez utiliser les leviers dont vous disposez afin de réclamer la mise en place d'une structure qui deviendra une seconde nature.

Vous savez que nous sommes épouvantables aux États-Unis. Vous le savez parce que vous avez déjà eu à traiter avec le législateur américain. Nous sommes avides de grandes idées. Quand il est venu à Washington, Vincente Fox a eu une excellente couverture de presse pour sa vision de l'Amérique du Nord. Cette vision ne se réalisera pas, ce qui n'empêche qu'il a eu d'excellents articles. De nombreux Canadiens se sont alors dit: «Ah non, ce n'est pas possible! Voilà que Fox est le nouveau grand copain des Américains». Eh bien, sachez qu'il s'est contenté de reprendre à son compte le credo de Mulroney. Quand Fox est venu nous voir, il nous a parlé de grandes idées et, comme cela nous plaît, les médias l'ont trouvé intéressant.

Pour moi, l'idée du bloc Nord-Amérique est excellente mais, depuis le 11 septembre, ce n'est plus le Mexique qui va la piloter. Le fait que le Canada puisse mener le bal est tout à fait intéressant et attirant. Voilà une façon pour vous d'obtenir des résultats. En effet, si vous parvenez à créer ce genre de structure, le Congrès se tournera vers le Canada—ce qu'il ne fait pas aujourd'hui—et dira qu'il faut faire quelque chose au niveau de la frontière, qu'il faut rendre nos normes compatibles et amener nos organismes gouvernementaux à mieux collaborer avec ceux de nos voisins, parce que nous comprendrons mieux ce qu'intégration veut dire. Ils se tourneront donc vers le Canada, ce qui ne se limitera pas au MAECI. Ils se tourneront vers les législateurs que vous êtes, qui possèdent non seulement une certaine compétence mais qui sont disposés à jouer un grand rôle.

• 1000

Il n'est pas bien venu que je vous invite à sauver les États-Unis des Américains, à dire que si le Canada ne se porte pas à notre secours nous n'aurons pas d'avenir. C'est sur ce plan qu'Andrew a tout à fait raison. Les États-Unis s'ouvrent à partir de leur position implicite. Au bout du compte, ils sont autosuffisants. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils possèdent le secret de la débrouillardise—parce que cela nous rappellerait trop les titres d'ouvrages qu'on peut se procurer dans les aéroports—mais j'estime que nous sommes un pays...

Le président: De toute façon, qui va encore dans les aéroports de nos jours?

M. Christopher Sands: Vous avez raison.

Nous sommes un pays d'individualistes déterminés, convaincus qu'absolument personne ne pourra jamais nous protéger, que nous devons nous protéger contre tous les autres. Cette vision des choses a aussi subi un coup mortel le 11 septembre. Beaucoup, au sein de l'administration Bush, estimaient que nous étions une superpuissance, que nous pouvions nous occuper de nous-mêmes et que les autres accepteraient sans broncher de se conformer à nos ordres. Eh bien, les choses ne fonctionnent pas ainsi. Nous ne parviendrons pas à mener seuls cette guerre contre le terrorisme et il est évident que le Canada nous a déjà beaucoup aidé sur ce plan. Et puis, l'autre grande découverte au lendemain du 11 septembre, c'est que la mondialisation peut nous affecter, nous aussi.

À Washington, nous étions convaincus que la mondialisation était le produit de l'hégémonie américaine, qu'elle avait bien fonctionné pour nous. La mondialisation signifiait qu'on trouvait des McDonald sur la Place rouge et à Paris, et qu'il y avait des Disneyland partout dans le monde. Ça, c'est le bon côté de la mondialisation. De quoi les autres se plaignent-ils donc? Nous sommes maintenant conscients que les États sont plus faibles, que des forces transnationales posent de nouveaux dangers et dont nous avons besoin de l'aide des autres. Au cours des deux dernières semaines, j'ai entendu plusieurs commentateurs déclarer—ce qui a beaucoup étonné à Washington—que nous ne pouvions pas protéger le peuple américain sans l'aide du Canada. Qui l'aurait pensé? Le voilà votre levier. Comme le disait Denis, si le Canada parvient à définir ce qu'il veut, peut-être en suivant le conseil de Maureen sur ce dont il a vraiment besoin, et s'il contribue à restaurer le multiculturalisme dans la politique étrangère américaine, comme Andrew l'a indiqué, vous en tirerez un gros avantage.

Le président: Merci.

[Français]

Madame Lalonde.

Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup de vos interventions. Les trois éminents professeurs d'université du Canada comprendront que le représentant des États-Unis constitue une denrée que l'on peut rarement se mettre sous la dent.

M. Pierre Paquette: À table.

Mme Francine Lalonde: Monsieur Sands, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt vos propos. J'ai parcouru le chapitre 16, qui s'intitule To Prevail: Key Findings and Recommendations. Je n'ai rien à dire sur les recommandations. Ma question serait la suivante. Quelles sont les chances que ce que vous appelez des découvertes clés deviennent la base sur laquelle reposerait la politique étrangère américaine?

Ce serait plus qu'une évolution, pour reprendre vos premiers mots, ce serait une sorte de révolution et aussi une façon d'aider à changer le monde. C'est très très intéressant. Je suis absolument ravie de ça.

Ma deuxième question, je peux la relier à une des phrases que vous dites quand vous dites qu'il faut améliorer la sécurité sans faire fi de nos libertés. Or, on sait que les libertés sont importantes aux États-Unis, et tout le monde parle de la frontière. J'ai assisté à des témoignages du sous-comité et, en même temps, je suis abonnée à Business Week, que j'essaie de lire. Il y a un numéro sur Privacy in an Age of Terror qui est proprement très inquiétant.

Ce que je lis là-dedans, c'est qu'aux États-Unis aussi le fait de développer une technologie qui serait très invasive transformerait ce qu'est profondément l'être «homoaméricanus», parce que l'«homoaméricanus» décide lui-même de la quantité d'information qu'il va donner au gouvernement.

Alors, comment pouvons-nous rendre nos frontières fluides tout en respectant aussi le droit à la protection des renseignements personnels? Quel est cet équilibre pour atteindre une meilleure sécurité sans tomber dans un état policier? Ce sont mes deux petites questions.

• 1005

[Traduction]

M. Christopher Sands: Voilà deux très bonnes questions, madame—et je vais essayer de vous fournir une réponse la plus brève possible, parce que je ne veux pas mobiliser tout votre temps.

Tout d'abord, je reprendrai la réponse faite par Tchou En-Laï quand on lui a demandé ce qu'il pensait de la révolution française. Il a dit qu'il était trop tôt pour se prononcer. Il est également trop tôt pour dire si les États-Unis vont ou non réagir dans le sens que je souhaite. Au lendemain du 11 septembre, nous nous retrouvons en pleine bataille d'orientation politique, comme c'est toujours le cas. Le Canada peut jouer un rôle sur ce plan, même à Washington. En insistant sur ce que vous voulez, vous contribuerez à forger les points de vue des uns et des autres relativement aux différentes options. Espérons qu'il s'en dégagera le point de vue voulu car, même si je n'ai pas perdu tout espoir à propos de mes compadres américains, je dois dire que j'ai toujours eu beaucoup plus de confiance dans le Canada et dans sa capacité de nous glisser parfois un bon mot à l'oreille.

Pour ce qui est de l'équilibre entre la sécurité et les libertés personnelles, la question est délicate. Certaines technologies auxquelles vous avez fait allusion existaient déjà avant le 11 septembre. Nous les connaissions déjà. Nous étions déjà préoccupés par la protection des renseignements personnels sur Internet, par ce qui se passait sur les groupes de discussion, par les renseignements sur les cartes de crédit et ainsi de suite. Toutes les questions viennent d'être réactualisées. Il faut veiller à ne pas, au nom de la sécurité, faire aujourd'hui certaines choses que nous n'aurions jamais envisagées auparavant en allant contre la nature de notre pays et de votre pays, une nature fondée sur les libertés civiles.

Pour empiéter un peu sur ce que pourraient être vos recommandations, je dirais que nous posons ici la question du défi auquel les États-Unis et ses alliés sont confrontés non pas sous la forme d'une opposition Islam-Occident, mais plutôt sous la forme d'une opposition entre gouvernements autocratiques et gouvernements démocratiques. L'histoire nous a enseigné que le monde a presque toujours fonctionné sur le modèle de l'autoritarisme, et c'est vrai aujourd'hui comme ça l'était au moyen âge. La démocratie est relativement nouvelle. Rares sont les expériences de démocratie qui ont aussi bien fonctionné que celles du Canada, des États-Unis et de certains de nos alliés. Si vous regardez ce qui se passe dans le reste du monde, vous voyez bien que nous sommes en train de perdre du terrain. Rares sont les pays à être gouvernés par des régimes démocrates, ils sont plus nombreux à avoir des régimes autoritaires. Si l'on peut caractériser le XXe siècle comme une bataille opposant deux formes d'autoritarisme, à savoir le fascisme et le communisme, le XXIe siècle, lui, va nous opposer à deux types d'autoritarisme islamique—l'autoritarisme religieux et l'autoritarisme séculier—qui ne sont intéressants ni l'un ni l'autre.

Le plus important, dans la bataille que nous sommes en train de livrer, sera de ne pas nous-mêmes tomber dans l'autoritarisme. Il est, certes, important de disposer d'une législation antiterroriste—nos deux pays en ont maintenant une—mais il faut en parler en profondeur. Le débat doit être public et poussé, et nous devons lui consacrer tout le temps nécessaire de sorte que, si nous devions adopter des mesures draconiennes, nous en aurions parlé et nous aurions adopté les clauses d'extinction appropriées pour que nous ne devenions pas nous-mêmes des États policiers.

Je ne vous ai pas vraiment répondu, je me rends compte que tout cela n'est que beaux discours. Tout ce que je voulais vous dire, c'est que je comprends tout à fait vos préoccupations, mais je n'ai pas de réponse facile à vous fournir. Tout ce que je peux vous dire, c'est que vous vous intéressez effectivement aux sujets qui méritent votre attention et dont il faut s'inquiéter.

[Français]

M. Pierre Paquette: Je voudrais revenir globalement parce qu'il me semble que dans vos présentations, vous avez beaucoup insisté sur le fait que des relations... Effectivement, c'est le sujet de notre comité: l'intégration nord-américaine.

Mais j'aurais voulu revenir sur cette question du multilatéralisme. Mon impression est que le 11 septembre a démontré, contrairement à ce que certains pensent, que les États-Unis, comme l'ensemble des pays occidentaux, sont tellement interdépendants dans un monde qui se globalise, qui se mondialise, qu'il faut partir de cette prémisse de l'interdépendance, et si on veut être en mesure de faire face à cette interdépendance, il faut favoriser les forums multinationaux.

Je ne sais pas si, aux États-Unis, les gens sont conscients de cela, mais il me semble qu'il y a eu, par exemple dans le fait que le président Bush a accepté de débloquer des fonds pour payer le dû des États-Unis à l'Organisation des Nations Unies, une compréhension de cela, de l'utilisation qu'ont toujours faite les Américains des organisations internationales comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale. Or, il me semble que dans ce contexte-là, le Canada peut jouer un rôle particulier. Seuls face aux États-Unis, on n'est pas capables de créer un rapport de force adéquat. C'est dans ce contexte-là aussi que le Mexique, il me semble, devrait être un partenaire privilégié du Canada dans l'intégration nord-américaine d'abord, mais aussi dans l'intégration continentale. Je veux donner un exemple et ensuite, je voudrais vous entendre là-dessus.

Sur le plan de la culture, de la défense de la diversité culturelle, les Américains nous semblent totalement insensibles à cette préoccupation. On a de la difficulté à mobiliser ou à intéresser les Latino-américains à cette dimension-là parce qu'ils ont peut-être l'impression, actuellement, d'être une culture florissante aux États-Unis, avec tous les chanteurs latino-américains qui...

• 1010

Notre seul allié, pour le moment, c'est la France. Alors, si on n'avait pas des forums comme le Sommet de la francophonie, comme l'Organisation mondiale du commerce, comment serait-on capables de faire valoir notre point de vue sur la diversité culturelle dans de simples relations bilatérales avec les États-Unis?

Il me semble que pour le Canada, le multilatéralisme est une option incontournable pour être capable de prendre sa place face aux Américains. Monsieur Stairs, surtout, vous avez laissé entendre que le multilatéralisme était peut-être dépassé un peu dans le contexte actuel. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

M. Denis Stairs: Monsieur le président, je n'ai pas voulu dire que le multilatéralisme est entièrement dépassé. J'estime que c'est la diversification qui ne fonctionne plus dans notre cas. Je ne peux être que d'accord avec le multilatéralisme qui continue à dominer dans plusieurs domaines. Il se trouve que, quand les États-Unis estiment que leurs intérêts sont menacés sur le plan de la sécurité nationale, ils agissent seuls avec l'aide des pays qu'ils peuvent convaincre de se joindre à leur entreprise. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu du bien-fondé du multilatéralisme en tant que source de contraintes efficaces sur la politique américaine.

En revanche, il est un fait que le multilatéralisme est souvent efficace dans d'autres domaines. Encore une fois, en présence de questions bilatérales, de questions qui intéressent vraiment le Congrès et qui touchent aux relations canado-américaines, je crois qu'il est plus difficile de faire jouer le multilatéralisme. Même dans les domaines culturels, du moins en ce qui concerne le côté anglophone de la question au Canada, Jack Valenti dispose du pouvoir tout à fait extraordinaire de contrôler ce qui se passe au Canada. Il n'y a pas grand chose que nous puissions faire par le biais de l'assistance multilatérale pour alléger ce genre de pressions. C'est cela que je voulais dire.

D'un autre côté, j'estime que votre question est une réponse à la position de Chris Sands. L'une des raisons pour lesquelles j'aime beaucoup Chris, c'est qu'à la fin de chaque conversation avec lui, je repars sous le charme de sa satisfaction rayonnante. J'ai toujours l'impression que le Canada, en collaboration avec les États-Unis, pourrait beaucoup peser sur les décisions américaines dans le domaine de la politique étrangère et autres.

Je comprends le raisonnement au sujet de la structure, mais j'ai l'impression qu'il est très peu probable, du point de vue du Canada, que notre pays intègre une structure bilatérale avec les États-Unis, structure qui permettrait de déterminer la réaction nord-américaine aux problèmes du monde en général, c'est-à-dire aux genres de problèmes dont M. Martin a parlé plus tôt. Si nous nous rapprochions des Américains à ce point, nous nous ferions enterrer. Nous ne pouvons avoir qu'un effet marginal, ici et là, et en réalité ce genre d'association n'aurait que très peu d'influence. Dans le processus, nous ferions savoir très clairement au reste du monde que nous ne sommes en fait qu'un appendice de la politique étrangère américaine.

J'estime que ce dernier problème est déjà assez grave. Il a toujours été très sérieux pour le Canada vis-à-vis de la communauté internationale, mais il s'est aggravé dans le sillage de l'ALENA. Il est très difficile de parvenir à convaincre les Européens, par exemple, que les intérêts économiques canadiens sont différents de ceux des États-Unis et il nous est difficile d'être pris au sérieux quand ces mêmes Européens du secteur privé planifient leurs investissements ou autres.

Ainsi, même si ce concept me séduit, je ne suis pas convaincu de sa valeur. Cela m'amène à conclure que, pour avoir de l'influence dans la plupart de ces domaines, le Canada doit travailler en collaboration avec d'autres. Cela ne revient pas à dire qu'il doit toujours être en opposition avec les États-Unis. Il nous faut simplement trouver d'autres acteurs, au sein de la communauté des nations, qui partagent nos points de vue et nos préoccupations.

[Français]

M. Pierre Paquette: Et Monsieur Cooper....

[Traduction]

Le président: Je vais devoir vous interrompre, parce que nous avons très largement dépassé le temps qui vous était attribué. Nous aurons peut-être la chance d'y revenir, mais je cède tout de suite la parole à Mme Augustine.

Mme Jean Augustine: Merci, monsieur le président.

Moi aussi, je suis touchée par le chaleureux rayonnement qui se dégage de votre groupe. Je trouve tout cela fascinant. Merci beaucoup.

M. Stairs, dans quels domaines de la politique internationale pensez-vous que le Canada pourrait agir de façon indépendante par rapport aux États-Unis?

• 1015

D'autre part, Chris Sands, pour ce qui est de la structure du dialogue, quand j'analyse vos recommandations 13 et 14 contenues dans ce volume, j'ai l'impression que le Canada a beaucoup à offrir sur les plans du travail, de la mise en commun et de la participation, au côté des États-Unis, à la mise en oeuvre des recommandations. Une de ces recommandations précise que «le président et le Congrès doivent travailler ensemble pour réécrire une version entièrement nouvelle du Foreign Assistance Act des États-Unis», etc. Les différents domaines de la politique sont couverts dans un programme en dix points. J'ai l'impression qu'en regard du travail que nous sommes en train de faire—je veux parler des partenariats et des différentes solutions que propose l'Agence canadienne de développement international en Asie ou en Afrique, etc.—j'ai donc l'impression que nous pourrions, au sein de cette structure, trouver d'autres pistes de collaboration. Je vais revenir sur la question qu'a posée M. Martin. Comment les législateurs que nous sommes pourraient-ils collaborer avec leurs homologues américains afin d'appliquer des pratiques exemplaires ainsi que les leçons que nous avons apprises dans le domaine des relations internationales?

Par ailleurs, dans votre document, vous employez couramment une expression qui ne nous est pas très familière: «États en faillite». Qu'entendez-vous exactement par cela, car en ce qui me concerne, je suis plus habitué à l'expression «pays en développement».

M. Denis Stairs: Monsieur le président, dans quels domaines pouvons-nous, jusqu'à un certain point, évoluer de façon indépendante par rapport aux États-Unis? Nous avons davantage d'exemples où cela n'est pas possible que le contraire. Comme je l'ai dit à maintes reprises, je ne pense pas que nous puissions être indépendants des Américains dans les domaines qu'ils considèrent essentiels à leur sécurité. Rien ne prouve que nous ayons déjà essayé de l'être, mais je crois qu'il serait tout à fait inutile, pour le Canada, de contester les États-Unis sur des questions qu'ils considèrent comme fondamentales. Nous nous heurterions, dans ces domaines, à la position des unilatéralistes. Dans la majorité des cas, nous ne pourrions rien faire et mieux vaut donc aller dans le sens du courant que d'essayer de résister à notre voisin, du moins en public. En privé, nous pouvons toujours exprimer nos réserves.

Ce que j'ai trouvé d'un peu inquiétant dans la réaction du Canada au lendemain du 11 septembre, c'est qu'elle est allée à l'inverse, en quelque sorte, de nos réactions habituelles. Habituellement, quand les Américains s'inquiètent vraiment de sécurité, nous avons tendance à les appuyer publiquement sans réserve, quitte à exprimer de sérieuses réserves en coulisse, sur certains points—c'est-à-dire par la voie diplomatique ou militaire. Cette fois-ci, c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Publiquement, nous avons semblé hésiter.

Ma remarque n'est peut-être pas justifiée, mais j'ai tout de même l'impression que nous nous sommes fait un peu priés dans la première semaine ou dans les 10 premiers jours, tandis que nos fonctionnaires faisaient tout ce qu'ils pouvaient en coulisse pour rassurer tous les centres de pouvoir et de décision américains et leur affirmer que nous brûlions d'impatience de faire tout en notre pouvoir pour les aider. J'ai l'impression que nous avons effectivement réagit à l'inverse de nos habitudes, mais ce n'est qu'une impression.

Quant aux domaines dans lesquels nous pourrions agir de façon indépendante, je ne vais pas faire preuve d'une grande originalité dans ma réponse. Je crois qu'il s'agit des domaines dont traitent les organismes spécialisés des Nations Unies. Sur les questions de développement, de politique économique, de problèmes du Tiers Monde, de maintien de la paix et dans toutes les autres questions que la politique du pouvoir considère comme marginales, le Canada entretient un point de vue réaliste du monde, ce qui est très important pour la vie des autres. Cela dit, pour appliquer ce genre d'orientation, il faut y mettre les moyens. Or, je crains parfois que les beaux discours des Canadiens vont au-delà de leur capacité ou volonté de donner suite à leurs engagements. En revanche, il y a des domaines dans lesquels nous sommes susceptibles de laisser notre empreinte.

Le président Bush ne pouvait être plus clair quand il a déclaré, très tôt après les événements, que les États-Unis n'étaient pas là pour faire du développement, qu'ils allaient agir pour servir leurs intérêts et qu'ils se retireraient par la suite, laissant «la mêlée derrière eux», que ce problème ne leur appartenait pas. Si c'est là la position américaine, c'est automatiquement la position canadienne. Le reste de la communauté des nations devra faire quelque chose pour régler la situation. Moyennant des pressions diplomatiques appropriées, nous parviendrons peut-être à convaincre les États-Unis de nous aider à régler la facture et ainsi de suite, mais voilà ce qui, en un certain sens, définit les paramètres dans lesquels nous pouvons évoluer.

Mme Maureen Molot: Je vais ajouter un mot à ce que M. Stairs vient de dire. Les organisations dont le Canada fait partie, c'est-à-dire le Commonwealth et la Francophonie, peuvent conduire certaines activités et le Canada peut avoir une influence au sein de ces organisations. Cependant, nous avons toujours eu de la difficulté, au Canada, à décider de ce qu'il nous fallait faire. On dirait que c'est encore notre problème. Nous ne pouvons bien sûr pas nous permettre de tout faire. Certaines activités de notre précédent ministre des Affaires étrangères montrent que nous pouvons avoir un impact, si nous le voulons, mais qu'il nous faut choisir nos domaines d'intervention avec soin. Ces derniers temps, je n'ai pas l'impression que nous avons agit dans ce sens.

• 1020

S'agissant de nos relations avec les États-Unis, il y a autre chose qui nous ramène en partie sur ce qu'a déclaré M. Martin. Une partie du problème énorme auquel nous sommes confrontés avec les États-Unis tient aux préoccupations que ce pays entretient envers lui-même, pas uniquement sur le plan de son poids militaire et économique dans le monde—situation que nous connaissons tous très bien—mais vis-à-vis de la nature de son système politique. Nous n'en avons pas encore parlé mais, pour les États-Unis, tout devient politique locale. Autour de la table, vous donnez une certaine définition à ce genre de réalité, mais les Américains en donnent une autre, à cause de leur propre système. Pour revenir sur certaines des remarques de M. Stairs au sujet des irritants qui nous opposent régulièrement à nos voisins, êtes-vous en mesure d'associer ces irritants à certains noms de représentants ou de sénateurs américains?

J'estime que nous avons lamentablement échoué dans nos efforts d'information des Américains, surtout à Washington, efforts qui visaient à expliquer ce qu'est vraiment le Canada. J'ai remarqué que notre premier ministre est en train de diriger une mission d'Équipe Canada dans le sud-ouest des États-Unis, ou quelque part par-là. C'est très bien. Il ne fait aucun doute que les États-Unis occupent une place économique déterminante pour le Canada. Mais le Canada est tout aussi important pour 38 États américains, puisque nous sommes la principale destination de leurs exportations, si bien qu'il conviendrait d'expliquer un peu mieux à nos voisins ce qu'est le Canada plutôt que de toujours chercher à leur vendre plus. Cela ne revient pas à dire que l'économie n'est pas importante—tout à l'heure, j'ai soutenu qu'elle l'était—mais à affirmer que nous passons à côté de bien des choses parce que nous ne consacrons pas suffisamment de temps à parler aux membres du Congrès sur les valeurs du Canada, les questions qui le préoccupent, sur ses centres d'intérêt et autres, et que nous ne cherchons pas à bâtir des coalitions.

À ce dernier propos, il faut se dire qu'il est possible de conclure beaucoup plus de coalitions de part et d'autres de la frontière que ce que nous le faisons actuellement. Le domaine qui se prête le plus à des coalitions est celui de l'urbanisme, puisque de nombreuses villes frontalières, qui ont subi les conséquences du 11 septembre, parlent depuis longtemps de tout un ensemble de questions. Ces questions touchent à bien d'autres sujets que l'économie, puisqu'elles incluent notamment l'environnement. Ainsi, nous pourrions bâtir d'autres types de coalitions, raison pour laquelle nous devons faire preuve d'imagination pour être mieux entendus à Washington. Nombre des principes et des valeurs que nous défendons au Canada sont également importants aux États-Unis.

M. Andrew Cooper: Je vais intervenir très brièvement, parce que cela nous ramène aux doubles formes de coalition des pays bien intentionnés. D'une certaine façon, nous allons devoir créer des coalitions intérieures aux États-Unis. Par ailleurs, cela nous ramène quasiment à une période antérieure, parce qu'on constate actuellement l'existence d'un multilatéralisme authentique au département d'État, sous la houlette de Colin Powell, si bien qu'il existe là une véritable possibilité. Si nous pouvons exploiter ce filon, mettre de côté les autres forces en présence aux États-Unis et bâtir une coalition, du niveau local jusqu'à celui de l'élite, je crois que nous obtiendrons de bons résultats.

Je ne veux pas aller trop loin, mais je veux aussi parler de l'importance de la diplomatie qui donne lieu à différentes formes de coalitions des pays bien intentionnés. Le Canada continue d'exceller dans certains domaines de la diplomatie, ce qui m'amène à dire que nous devrions peut-être et avant tout veiller à ne pas laisser tomber certaines questions. Prenons le cas des Amériques. Nous passons beaucoup de temps sur ce sujet. Notre raisonnement ne concerne pas que les domaines contestés du libre-échange, puisqu'il touche aussi à la démocratie. Nous apportons un excellent appui à l'Unité pour la promotion de la démocratie de l'Organisation des États américains. Nous avons fait un excellent travail de construction ou de reconstruction de certaines formes de démocratie au Pérou en utilisant certaines caractéristiques que d'autres pays vont reprendre en Afghanistan—c'est-à-dire en rassemblant les divers éléments de la société civile, les différentes formes de gouvernement du passé et les leaders de l'opposition. Voilà le genre d'expérience, de mémoire collective dont nous pourrions nous inspirer sans oublier que, même si elle est relativement marginale, la diplomatie importe tout autant que les autres formes d'activité internationale.

M. Christopher Sands: Je vais répondre à la question que vous m'avez adressée au sujet des recommandations.

Mon père était quelqu'un de très têtu—c'était un brave type...soit dit en passant, je veux que cela soit mentionné au procès-verbal, au cas où il le lise—mais je ne pense pas qu'il ait jamais demandé...

Le président: Votre remarque va effectivement apparaître au procès-verbal, mais vous devrez la trouver pour lui.

M. Christopher Sands: C'est très bien.

Donc, mon père n'a jamais demandé qu'on l'aide. Il est très sûr de lui et il ne compte que sur lui. On dit souvent que les Américains sont arrogants. Comme nous sommes parfois à la hauteur de la situation, sommes convaincus de pouvoir tout faire nous-mêmes. Nous ne nous posons pas trop de questions, nous voulons simplement foncer dans le tas. Parfois, même quand nous ne semblons pas réclamer de l'aide, nous trouvons merveilleux que des gens se proposent de nous donner un coup de main. Le Canada peut se dire qu'il dispose d'une certaine compétence, qu'il peut travailler auprès d'États et de gouvernements qui essaient de se reconstruire, par exemple dans des domaines comme l'éducation et la santé. Tout cela est important pour permettre à ces pays de ne plus être en développement.

• 1025

Pour ce qui est de l'expression «pays en faillite» plutôt que «pays en développement», il faut savoir qu'on trouve des États en faillite à tous les niveaux, sauf aux États-Unis, au niveau supérieur, ce qui fait que la terminologie est en train de changer. Parmi les pays en développement, on trouve la Chine et la Russie, qui sont des puissances moyennes. Le Brésil est également un pays en développement, comme l'Argentine. Vous trouvez des pays en développement au quatrième niveau, comme le Mexique et l'Ukraine, et vous les trouvez aussi parmi les États en faillite.

Quand on parle d'États «en faillite» on désigne une réalité très particulière. Il s'agit des pays qui ne sont plus en mesure de se gouverner eux-mêmes. Ils ne sont pas nombreux, mais ils posent des problèmes particuliers parce qu'ils ne sont plus coiffés par aucune autorité souveraine en mesure de prendre des décisions pour accepter une éventuelle aide extérieure. Il faut donc commencer par étayer une certaine forme de pouvoir sur place pour que certaines choses puissent être réalisées à l'intérieur, et je pense ici à des pays comme Haïti ou l'Afghanistan où même le respect du droit national et de l'ordre posent problème. Ces pays sont confrontés à des problèmes beaucoup plus importants que le Mexique ou l'Ukraine, qui se gouvernent bien mais qui font face à des défis touchant au développement économique. Voilà le genre de distinction que je ferais.

Enfin, pour ce qui est de l'aide au développement des pays, je crois que vous avez tout à fait raison. Les États-Unis ne veulent pas participer à ce genre de projet. En revanche, au cours des dernières semaines, Powell et d'autres ont laissé entendre que nous pourrions recourir à l'Organisation des Nations unies pour fournir aide et assistance aux nations devant être reconstruites. L'ONU dirigerait la reconstruction de l'Afghanistan et d'autres pays en faillite où l'Organisation est présente. Évidemment, les États-Unis devront mobiliser énormément de ressources à ce titre, mais ils n'auront pas le choix. Vous avez raison sur ce plan également. Cependant, qui va mener le bal? Le Canada a non seulement les compétences voulues pour ce faire, mais il bénéficie d'une certaine crédibilité et d'une légitimité qui pourraient être très utiles. Pour en revenir aux pratiques exemplaires dans le cadre du multilatéralisme, il se pourrait bien que des pays comme le Canada, advenant qu'ils acceptent d'assumer volontairement ce rôle de premier plan, nous aident beaucoup plus que nous pouvons actuellement l'imaginer.

Le président: Monsieur Martin.

M. Keith Martin: Parmi les nombreuses qualités séduisantes de nos amis américains, il y a celle qui consiste à adhérer aux grandes idées et à afficher une attitude gagnante. Personnellement, j'aime beaucoup tout cela. Je vais être un peu effronté en dressant notre ami américain contre nos collègues canadiens et j'espère qu'ils m'en excuseront tous.

Madame Molot, vous nous avez fait une excellente description de certaines des choses que nous devrions faire. Vous devriez peut-être nous guider et nous faire savoir comment nous devrions nous y prendre, à notre niveau, pour instaurer la coalition avec nos homologues américains. L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés c'est que, quand nous allons à Washington, nous avons de la difficulté ne serait-ce qu'à rencontrer nos homologues américains. Peut-être pourriez-vous nous proposer une structure pour que nous puissions faire cela, pour parvenir à une meilleure compréhension mutuelle.

Monsieur Stairs, vous avez déclaré que si nous nous rapprochons trop des Américains nous allons nous «brûler». Nous ne voulons pas passer pour les vavasseurs des Américains en ce qui concerne leur politique étrangère. Comment donc entreprendre ce travail de construction d'une coalition sans nous brûler?

Monsieur Cooper, vous avez dit—et je suis entièrement d'accord avec vous—qu'avec le général Powell en poste, nous avons l'occasion d'établir des liens avec des gens qui nous ressemblent, comme le sénateur Patrick Leahy et d'autres. Comment pourrions-nous y arriver?

Monsieur Sands, selon vous, quels obstacles s'opposent à ce genre de coalition à l'échelon fédéral?

Merci.

Mme Maureen Molot: Comme vous m'avez adressé la première question, monsieur Martin, je vais commencer. Quand vous avez déclaré que vous alliez nous dresser les uns contre les autres, j'ai cru que vous alliez nous poser à tous la même question.

Vous venez de poser une bonne question à laquelle j'aurais dû m'attendre. Je n'ai pas de conseil particulier à vous donner, mais je peux vous proposer certaines stratégies. Vous venez de la Colombie-Britannique. Est-ce que vous parlez à notre consul général de Seattle pour lui poser des questions sur certains des dossiers à propos desquels il pourrait valoir la peine de rencontrer des représentants du Congrès et des sénateurs de ces États? Êtes-vous uniquement intéressé par les questions économiques concernant la Colombie-Britannique, comme le bois d'oeuvre ou par d'autres questions? Donc, les députés fédéraux pourraient communiquer avec les consuls généraux dans la région la plus proche de leur circonscription.

Deuxièmement, vous pourriez demander au personnel de notre ambassade à Washington de vous indiquer quels représentants au Congrès et quels sénateurs sont, selon eux, les plus intéressés par le Canada et vous pourriez vous faire informer sur les questions qui les intéressent. Voilà une deuxième stratégie.

• 1030

Troisièmement, vous pourriez demander une étude sur certaines des grandes questions de l'heure avant que vos homologues des commissions des affaires étrangères de la Chambre des représentants et du Sénat américain ne le fassent. Je ne suis, d'ailleurs, pas certaine que les commissions des affaires étrangères s'intéressent au commerce. Cependant, elles tiennent des audiences sur certains aspects à propos desquels vous pourriez avoir des discussions communes.

Les idées ne manquent pas. Le vrai problème, c'est le temps. Les exigences imposées sur votre calendrier constituent la plus grande difficulté à laquelle sont confrontés les députés fédéraux et les membres du Congrès. Il est toujours possible de faire des suggestions, mais tout se ramène à une question de jugement quant à l'importance relative des divers dossiers.

Cela dit, à l'heure où nous entamons des discussions sur l'avenir de l'Amérique du Nord—et comme cet avenir est très important pour nous tous, nous pourrions profiter de ces discussions pour établir des liens avec le Mexique—il nous faut trouver des façons de mettre les différents niveaux en rapport les uns avec les autres. Nous en parlons depuis longtemps, mais je ne suis pas sûr que nous ayons mis en oeuvre ne serait-ce qu'une fraction de ce dont nous avons parlé.

M. Denis Stairs: Je ne suis pas en mesure d'ajouter quoi que ce soit d'utile à ce que vous venez d'entendre, parce que la personne qui m'a précédé à tout à fait raison. Cependant, vous ne vous êtes pas simplement posé la question de l'instauration d'une coalition en général, mais vous vous êtes demandé ce que les législateurs du côté canadien et les parlementaires en général pourraient faire vis-à-vis de leurs homologues américains. Mme Molot n'a pas parlé de ce dernier aspect.

Vous êtes, bien sûr, beaucoup plus au courant des limitations auxquelles vous êtes confrontés, mais je sais que l'une d'elles est l'accès limité aux membres du Congrès américain. C'est un problème grave à cause de la gamme des responsabilités dont il est question et de la place relative que nous occupons sur l'échiquier mondial, place qui n'est pas très importante à leurs yeux. J'ai cependant l'impression que, si les parlementaires veulent avoir l'occasion de parler directement avec leurs homologues au Congrès américain, ils devraient le faire par le truchement du groupe interparlementaire, s'il fonctionne encore—même s'il ne se réunit que de façon officieuse, ce dont je ne suis pas certain. Quoi qu'il en soit, le rôle des représentants américains est très différent de celui des parlementaires au Canada—ils ont un personnel pour le prouver et ainsi de suite—si bien qu'il y a une sorte de déséquilibre pour ne pas dire une déconnexion entre les deux groupes.

J'aurais pensé que les parlementaires canadiens auraient eu pour principal objectif d'essayer d'intervenir auprès des membres du Congrès pour mettre un terme aux malentendus concernant le Canada et améliorer la communication officieuse dans toute la mesure du possible afin que tout membre du Congrès se posant des questions sur une politique canadienne puisse appeler un de ses homologues au Canada et lui demander ce que fait le Canada ou pour se faire expliquer certaines choses et ainsi de suite. Cela vous paraîtra certainement fort peu, mais je ne pense pas qu'on puisse attendre plus d'une relation directe entre les membres du Congrès et les parlementaires. D'un autre côté, une telle relation serait très intéressante et, si vous voulez promouvoir ce genre de contact, je ne peux que vous inviter à travailler dans ce sens, autant que faire se peut.

La seule autre remarque que j'aurais à faire—et elle concerne un aspect sur lequel Chris Sands n'a cessé d'insister, touche à la possibilité d'influencer les Américains à coup d'idées brillantes. Cela nous est effectivement possible parce que nous apportons un point de vue différent. Même si les Américains ne sont pas emballés mais qu'ils sont aux prises avec un problème et que nous pouvons leur proposer une idée brillante—cela de façon occasionnelle, bien sûr, et au même titre que n'importe quelle autre grande puissance—nous avons un certain atout. Il ne suffit pas d'aller voir les Américains pour leur dire que nous avons une idée brillante à propos de ce qu'il faudra faire en Afghanistan après le conflit. Nous devons leur rappeler que nous pouvons mettre certains actifs à leur disposition. Toutefois, si nous ne mettons rien sur la table, nous ne pourrons que leur faire part d'une bonne idée pour laquelle ils devront payer entièrement, pour laquelle ils devront risquer de perdre des vies américaines et de menacer leurs avoirs. Nous avons un peu tendance à faire cela trop souvent.

Tout ce que je recommande, c'est que nous joignions le geste à la parole, même si ce n'est pas pour grand chose, et que nous donnions effectivement aux Américains l'impression que c'est ce que nous voulons faire. Nous avons toujours eu tendance à soutenir des causes synonymes de sacrifice pour d'autres mais pas pour nous, ce qui a entamé notre crédibilité pas seulement aux États-Unis, mais auprès d'autres pays. Les autres acteurs sur la scène internationale ne passent pas à côté de cela, ce qui m'amène à penser que nous ne devons pas être trop calculateurs.

M. Andrew Cooper: J'aimerais ajouter deux choses...

Le président: Très brièvement.

M. Andrew Cooper: ...et vous dire que vous pouvez commencer par vous tourner vers des organisations comme celle à laquelle Chris appartient, le Center for Strategic and International Studies, ou comme le Woodrow Wilson International Center for Scholars, qui vous donnent accès à tout un éventail de gens. Par ailleurs, faites des tournées. Même Jesse Helms est allé à Mexico avec un comité. Pourquoi ne pas retenir l'attention de différentes façons en établissant certains liens? Cette stratégie présente des risques, mais elle est aussi porteuse de possibilités. Une vieille idée de la politique étrangère canadienne est celle des questions d'énergie ainsi que des relations nord-sud, une idée qui remonte au début des années 80 mais qui pourrait retrouver toute sa pertinence.

• 1035

[Français]

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup.

[Traduction]

Merci de votre visite. Je vais poser ma question à M. Sands.

Dans votre exposé, vous avez dit que les Américains, notamment à cause de ce qui se raconte dans les médias comme l'éditorial que vous avez cité, pensent que les États-Unis sont seuls avec le Royaume-Uni. Vous avez également dit qu'après le 11 septembre, le dialogue dans la région Nord-Amérique s'est modifié pour passer d'un dialogue trilatéral à un dialogue bilatéral et que la réaction du Canada à ces événements du 11 septembre ont été à la hauteur des attentes américaines.

Je vais vous poser deux questions au sujet de la sécurité en Amérique du Nord. À quoi les Américains s'attendent-ils? Sont-ils favorables à ce que nous resserrions notre politique sur l'immigration ou notre politique concernant les visas ou encore notre politique sur les réfugiés? À quoi les Américains s'attendent-ils étant donné qu'il est plus facile d'obtenir un visa américain qu'un visa canadien, que près de la moitié des réfugiés canadiens viennent des États-Unis et qu'il y a deux fois plus de douaniers du côté canadien qu'il n'y en a du côté américain?

Dans votre exposé vous nous avez donné un aperçu de la stratégie que les Américains entendent suivre dans leur campagne contre le terrorisme. Toutefois, les intérêts américains ont déjà été la cible d'attaques terroristes. Je pense, par exemple, aux deux ambassades et au USS Cole. Qu'est-ce que le gouvernement américain a fait après ces attaques? Dans la presse européenne, j'ai appris récemment—car c'est quelque chose qu'on n'apprend pas par les médias américains ni par les médias canadiens—que des agents du FBI qui avaient fait enquête sur l'origine de ces attaques s'étaient fait dire d'arrêter leurs démarches pour permettre l'amorce de négociations entre le gouvernement taliban et le gouvernement américain quant à la possibilité de construire un gazoduc qui devait traverser l'Afghanistan. Pour moi, les événements du 11 septembre ont confirmé ce que je pensais, à savoir que la seule priorité du gouvernement américain est d'ordre économique. Elle est maintenant devenue une priorité sur le plan de la sécurité, à court terme, mais j'espère qu'elle sera une priorité mondiale et humaine à long terme.

Je vous remercie.

M. Christopher Sands: Merci beaucoup. C'était une excellente question à laquelle je vais répondre d'une façon qui me permettra aussi de répondre à M. Martin.

S'agissant du conflit afghan, force est de constater que, pour la première fois, à cause d'Internet et d'autres éléments, le débat prend place dans un très vaste espace public. Cela a eu une importante répercussion sur la façon dont nous nous percevons les uns les autres. Les Canadiens veulent tenir un débat parfaitement légitime sur ce que le Canada pourrait faire, sur ce qu'il est prêt à faire et sur la possibilité ou non d'apporter un appui militaire aux Américains. C'est tout à fait normal. Vous avez eu ce même débat dans les autres guerres. Mais aujourd'hui, nous tendons l'oreille. Dans les conflits de jadis, c'est vous qui vous étiez mis à l'écoute de notre débat, qui avez cherché à savoir comment nous raisonnions et qui nous avez indiqué par l'intermédiaire de votre gouvernement, si vous étiez ou non avec les Américains, selon le cas. C'est ainsi que les choses se passaient. Mais aujourd'hui, c'est nous qui écoutons.

C-SPAN retransmet les premières réunions publiques animées par Peter Mansbridge...

M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.): Oh, non! Vous n'allez tout de même pas vous faire une idée là-dessus?

M. Christopher Sands: Les gens de C-SPAN m'ont dit qu'ils ont reçu 12 000 appels d'Américains qui se sont plaints que les Canadiens sont une bande de minus à cause de cette émission. Et puis, il y a les Américains qui lisent les journaux sur le Web. Mais je vais vous faire une révélation. Rares sont les Américains qui savent vraiment ce qu'est le Canada, si bien que nous avons de la difficulté à replacer votre débat en contexte.

Nous sommes différents de vous. Notre culture politique est tout en noir et blanc: il y a les bons et les méchants, les chapeaux blancs et les chapeaux noirs et nous nous rallions très vite derrière les bons gars. La culture politique canadienne me rappelle un grand chapiteau où s'expriment tous les points de vue, où l'on essaie d'être raisonnable, où l'on veut réfléchir à ce qu'il faut faire avant de s'engager collectivement. Nous ne sommes pas habitués à cela et nous portons toutes sortes de jugements expéditifs consistant à dire que les Canadiens sont pour ou contre nous, à partir d'impressions parcellaires.

Vous avez parlé des critiques exprimées à l'égard de la politique canadienne de l'immigration. Quelle surprise! Les Américains ne savent absolument rien de la politique canadienne sur l'immigration. Tout ce qu'ils entendent, ce sont les critiques faites dans les médias canadiens, à l'heure même où ils se demandent ce qui s'est passé, pourquoi c'est arrivé et ce qu'ils vont faire pour éviter que cela se reproduise. À l'occasion, ils se demandent ce que les Canadiens font de leur côté. Est-ce un problème? Que faites-vous? Il faut y voir moins une accusation que l'expression d'une préoccupation. Le mélange de réactions politiques qui en découle impose une pression énorme sur le Canada.

Comme je l'ai dit—et j'en suis convaincu—nous ne sommes pas intéressés par les opinions modérées. Nous ne voulons pas entendre quelqu'un nous dire «Je vous aime, mais...» ou «Les enfants vont bien, mais...» ou encore «La chirurgie s'est bien passée, mais...». Nous ne sommes intéressés que par les bonnes nouvelles, sans bémol à la clé. Le problème, dans nos communications mutuelles après le 11 septembre, c'est que nous voulons vous entendre dire que vous êtes avec nous, sans réserve, avant même de parler de la façon de nous nous y prendrons en coulisse. Denis vous en a parlé et je vais d'ailleurs reprendre une de ses suggestions.

• 1040

Je crois que vous n'obtiendriez pas de mauvais résultats si vous faisiez paraître aux États-Unis une annonce disant: «Amérique, les Canadiens sont avec vous. Nous partageons votre douleur»—pour ne pas reprendre l'argument de Clinton—«nous vous comprenons et nous vous appuyons». Annoncez ce genre de chose, comme vous l'aviez fait dans vos anciennes publicités sur le tourisme qui vous ont permis de projeter une bonne image du Canada aux États-Unis. Faites passer ce message et vous verrez que tout le reste est négociable. Cependant, vous devrez miser sur tout le capital politique que vous avez, pour miser avec nous, parce que nous reconnaissons que vous êtes à nos côtés—et c'est là-dessus que j'en arrive à la question de M. Martin.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Canada a créé de nouvelles attentes chez les Américains, notamment parce que des milliers d'Américains se sont retrouvés hors de leur pays pour la première fois de leur vie, pour combattre dans cette guerre. Là-bas, ils ont rencontré des Français, des Allemands, des Italiens et des Anglais, mais ceux dont ils se sont sentis les plus proches—des gens qui venaient de régions rurales, qui avaient grandi dans des exploitations agricoles, qui avaient connu la dépression—c'étaient les Canadiens. Ils se sont tourner vers les Canadiens et ils ont dit: vous êtes comme nous.

Aujourd'hui, au lendemain du 11 septembre, nous examinons ce qui se passe dans le monde et constatons qu'il n'y a que peu de sociétés multiculturelles, faites d'immigrants, qui soient aussi déterminées que le Canada à défendre les valeurs et les principes de la démocratie. Vous êtes comme nous. Peut-être l'avez-vous mieux compris que nous, mais nous sommes essentiellement dans le même bateau. Voilà qui augure fort bien pour amorcer le dialogue.

Ce qui a vraiment rendu possible le rapprochement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est que nous nous sommes dit: Vous êtes le genre de personnes qui nous intéressent, vous les Canadiens. Nous pouvons avoir confiance en vous. Quand vous avez proposé la création de l'ONU—pour régler la crise de Suez, pour mettre en place une force de casques bleus et pour entreprendre plusieurs autres de vos projets—nous vous avons écoutés parce que vous étiez nos alter ego, que nous pouvions vous faire confiance, que vous ne nous cachiez rien, que vous étiez de bonnes gens et qu'il valait la peine de vous écouter.

Ce genre de pouvoir discret est extrêmement important pour le Canada, dans ses transactions avec les États-Unis, et c'est ce pouvoir là que vous pouvez développer aujourd'hui parce que les gens bien informés, pas ceux qui sont désinformés, savent ce qu'ils peuvent attendre des Canadiens au lendemain du 11 septembre, parce qu'ils comprennent tout à fait que les Canadiens sont de notre côté. C'est là que vous pouvez obtenir le levier le plus important et il vous reste à savoir comment vous allez l'utiliser.

Le président: Bernard, vous vouliez faire une autre remarque.

M. Bernard Patry: C'est effectivement une remarque, pas une question.

Vous voulez que nous vous disions que nous sommes tous derrière vous, et c'est fort bien. Parfois, cependant, nous ne parlons pas, nous agissons. Regardez ce qui s'est passé le 11 septembre. D'abord, vous savez tout comme moi qu'il y a cinq responsables au NORAD et que celui qui était de service ce jour-là était un Canadien. Combien d'Américains savent qu'un Canadien était de service au NORAD ce jour-là? Sans doute pas beaucoup.

D'un autre côté, nous agissons. Le 11 septembre, combien d'Américains se sont retrouvés au Canada? Plus de 35 000...et nous avons agi. Combien d'Américains le savent? À Gander, à Terre-Neuve, la ville compte une population de 9 000 habitants, mais 12 000 voyageurs sont venus grossir cette population et les résidents de Gander ont donné tout ce qu'ils avaient pour répondre à leurs besoins. C'est comme ça. Nous avons parfois envie que les États-Unis reconnaissent ce que nous faisons pour eux, mais pas simplement dans les médias. C'est rare que les médias américains le fassent, mais c'est également rare que le gouvernement américain le fasse.

Voilà ce que j'avais à dire.

M. Christopher Sands: Vous avez raison. C'est un récit qu'il vaut la peine de raconter et il faut que plus de membres du Congrès, vos homologues, soient mis au courant de cela. Tout à fait.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: C'est ce que nous allons faire.

Je vais poser deux questions après quoi je céderai la parole à M. Paquette.

D'abord une très brève question qui s'adresse à M. Stairs. Vous avez parlé des questions de sécurité qui sont essentielles pour les États-Unis et pour lesquelles le Canada n'a pas son mot à dire. Est-ce que vous rangez le système de défense antimissile dans cette catégorie?

M. Denis Stairs: La réponse que je vais vous donner n'est pas populaire, mais elle est brève: oui! Autrement dit, si les Américains sont déterminés à faire telle plutôt que telle autre, je ne crois pas qu'il sera possible pour le Canada de les faire changer d'opinion.

Le président: Cela étant, estimez-vous que les Américains ont conclu que c'est ce qu'ils allaient faire?

M. Denis Stairs: Ma lecture des feuilles de thé me donne à penser que tel est le cas, mais les choses pourraient changer. Quoi qu'il en soit, je pense que c'est la direction qu'ils vont prendre.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Sands, j'ai une question très brève à vous poser. Est-ce que la Colombie est un État en faillite à cause de l'effondrement de la sécurité interne dans ce pays?

M. Christopher Sands: Je pense qu'il va l'être. D'après la liste des organisations terroristes dressée pour les Amériques, trois d'entre elles se trouvent en Colombie. Si ce pays n'est pas en faillite, il a certainement droit à un D moins et la véritable question qui se pose est de savoir s'il pourra ou non continuer à se gouverner de façon efficace pour traverser la crise. Toute une partie du pays n'est absolument pas gouvernée, si ce n'est par les FARC. Je suis donc porté à ajouter la Colombie sur la liste si ce n'est à titre de pays déjà en faillite, du moins en tant que pays sur le point de l'être.

• 1045

Le président: Merci. Je vous ai posé cette question parce que nous sommes en train d'étudier la Colombie et que nous sommes intéressés par ce pays.

M. Christopher Sands: Vous ne vouliez pas parler de la Colombie-Britannique, tout de même? Je pense que ce coin de pays s'en sort très bien.

Des voix: Ah, ah!

Le président: La Colombie-Britannique n'est en faillite que parce que nous ne parvenons pas à écouler notre bois d'oeuvre aux États-Unis. C'est là que nous avons échoué.

Ma troisième question va prendre un peu plus de temps, parce qu'elle s'adresse à la fois à M. Sands et à Maureen Molot.

Vous avez tous deux parlé de l'intégration entre le Canada et les États-Unis et avez suggéré que, bien que le modèle européen vaille la peine d'être examiné, il ne pouvait être entièrement transposé au contexte nord-américain. Nous sommes d'accord sur cela. D'un autre côté, je vous dirais que le modèle européen vous indique que, s'il doit y avoir intégration économique, vous devrez vous doter d'un cadre institutionnel pour le gérer—ce dont vous avez parlé je pense, monsieur Sands.

Quel cadre institutionnel devons-nous adopter ou plus exactement où devons-nous nous tourner pour trouver un cadre institutionnel que les États-Unis accepteront en tant que contrainte à son action unilatérale vis-à-vis du Canada, dans le contexte d'une intégration élargie? En d'autres mots, prenez simplement les mesures anti-dumping et les droits compensatoires. Dans le cadre du modèle européen appliqué à une intégration européenne, il ne peut y avoir d'anti-dumping. Cependant, les États-Unis n'ont absolument pas indiqué qu'ils étaient disposés à renoncer à l'anti-dumping dans le cas du Canada. S'ils ne veulent renoncer à aucune des mesures qui, selon les économistes, sont absolument inappropriées dans le cas d'une union économique, comme l'anti-dumping, quelles contraintes vont-ils donc accepter sur leur souveraineté dans le cadre de relations économiques? Qu'est-ce qui va vous permettre de contenir les décisions prises par les États-Unis ou d'avoir une influence sur les décisions qui ont une incidence sur la vie de nos citoyens, advenant que nous poursuivions dans le sens de l'intégration économique? Voilà les questions que nous devons nous poser et c'est pour cela que nous allons effectuer cette étude.

Il nous est facile, autour de cette table, de dire que nous voulons favoriser l'intégration économique avec les États-Unis, mais si les conséquences doivent être que nous allons nous retrouver sans rien pour décider de ce que nous voulons pour nous-mêmes, si ce n'est davantage de prospérité, il vaut mieux le savoir d'entrée de jeu. Ou alors, est-ce que le système américain est disposé à travailler avec nous, en partenariat? Êtes-vous disposé à devenir notre partenaire, nous diraient-ils, à instaurer un partenariat institutionnel qui vous permettra d'influencer les décisions qui auront un effet sur vos vies? Je vais vous donner mon avis pour ce qu'il vaut mais, d'après ce que je sais du Congrès, je ne pense pas que les Américains vont aller dans ce sens.

Je rentre juste de Doha. Le représentant au commerce pour les États-Unis, Robert Zoellick, a déclaré que son pays était prêt à entamer des discussions sur l'anti-dumping dans le contexte de l'OMC, mais 75 membres du Congrès ont envoyé une lettre au président lui annonçant qu'ils ne voulaient absolument pas en parler, même si le reste du monde était disposé à le faire.

Qu'est-ce qui peut vous faire penser que le Canada va retirer quoi que ce soit de tout cela?

Mme Maureen Molot: Je m'attendais à cette question.

Vous venez d'exprimer une préoccupation qui est celle de tous les Canadiens ayant examiné les relations économiques canado-américaines depuis—je ne sais pas au juste—disons la Seconde Guerre mondiale. Voilà pourquoi j'ai laissé entendre, premièrement, qu'il n'existe pas de modèle tout prêt que nous pourrions appliquer; voilà aussi pourquoi, deuxièmement, j'ai demandé ce que nous devions faire à la table des négociations.

L'analyse de chaque sujet ne va certainement pas nous conférer le genre de pouvoir de négociation auquel mes homologues ont fait allusion. Cela exigera également l'instauration de coalitions d'un genre différent avec les États-Unis.

L'une des leçons que nous avons apprises face à l'incapacité du président Clinton d'adopter la méthode rapide en deux occasions, c'est qu'il faut absolument faire participer le milieu américain des affaires à tout processus de négociation. Si l'on veut adopter une formule quelconque pour régler le problème des droits compensateurs et de l'anti-dumping—deux des principaux irritants entre le Canada et les États-Unis—, il faut d'abord obtenir l'adhésion du milieu des affaires américain. Ce milieu a-t-il changé d'attitude au lendemain du 11 septembre? Je crois que oui, dans une certaine mesure, mais je ne peux m'appuyer sur aucune étude pour l'affirmer. Nous verrons bien ce qui se passera quand le président Bush demandera au Congrès d'appliquer ce qui s'appelle maintenant la procédure de promotion commerciale et que nous continuons d'appeler la procédure accélérée.

• 1050

Il est de notoriété publique que les membres du Congrès sont sensibles aux intérêts de leurs électeurs et qu'il faudra lancer une énorme entreprise de sensibilisation. Ce ne sera pas facile. On en revient en fait à ce que M. Stairs disait quand il parlait de politique énergétique commune et de la façon dont nous administrons les atouts que nous possédons. Cela nous ramène aussi à toute la question... Vous rappelez-vous la discussion qui a d'abord eu lieu au début des années 80 quand nous nous demandions si nous allions ou non pratiquer le libre-échange sectoriel avec les États-Unis. À l'évidence, c'était voué à l'échec. Encore une fois, j'essaie d'être très ouverte au genre de dossiers que nous pourrions mettre sur la table, mais il faut ouvrir notre cadre de raisonnement et entreprendre un débat de fond pour voir comment nous allons gérer cette relation.

Vous avez posé une question sur les institutions. Je ne suis pas certaine. D'après l'histoire des États-Unis, toute la question des institutions est plutôt floue et, pour ce qui est de l'OMC, nous constatons que les Américains—de même que les Européens, soit dit en passant—ont une propension à faire fi des décisions de ce genre. Seuls les grands acteurs peuvent agir ainsi. Les petits ne le peuvent pas, comme nous l'avons constaté.

Ainsi, veut-on créer une grosse institution ou plutôt une série de petites institutions spécialisées? L'histoire va plutôt dans le sens de la dernière proposition. Ainsi, nous avons le NORAD, la Commission conjointe internationale, la Commission nord-américaine de coopération environnementale et ainsi de suite. En fait, nous pourrions faire preuve de créativité à cet égard parce que, chaque fois que l'on flirte avec une idée pouvant être associée au supra nationalisme, toutes les alarmes de tous les pays se déclenchent.

Le président: Monsieur Sands, pourriez-vous répondre brièvement. Les autres veulent aussi poser des questions.

M. Christopher Sands: Tout à fait. Je serai bref.

Vous venez de soulever une question importante. Avant le 11 septembre, le modèle de l'ALENA pour la tenue d'un dialogue sur les orientations à prendre—ce à quoi les Américains adhéraient—prévoyait que les divers homologues se parlent entre eux. Ils étaient censés parler de tout un ensemble de sujets allant de l'immigration à l'harmonisation des normes et ainsi de suite. Tout cela était très passif. Nous nous sommes rendu compte que les ministres se parlaient entre eux mais que très peu de fonctionnaires étaient disposés à prendre un risque. Maintenant que l'administration Bush est en place, l'ALENA est perçu comme une réalisation de la période Clinton et l'on ne veut plus beaucoup en parler. Les fonctionnaires ne sont pas prêts à assumer le fardeau. Si les États-Unis ne sont pas prêts, pourquoi les Canadiens devraient-ils s'en faire, pourquoi les Mexicains devraient-ils ouvrir leurs portes? Nous avons donc le modèle de l'ALENA, qui est embourbé et qui est une des raisons pour lesquelles je recommande d'adopter un nouveau paradigme, un paradigme qui permettrait au Canada et aux États-Unis d'aller là où les deux pays veulent effectivement aller.

Je viens de répondre en partie à votre question, parce que je viens d'énoncer le genre d'institution ou plutôt de non-institution que les Américains sont prêts à accepter. Il ne s'agirait en fait que d'une structure de dialogue à l'échelle nord-américaine, qui pourrait être beaucoup plus efficace que le modèle précédent.

La question se pose donc de savoir comment régler le problème des droits compensateurs et de l'anti-dumping. Selon moi, Doha n'était pas le lieu où il fallait aborder cette question. Si nous parvenons à instaurer la procédure de promotion commerciale—et vous pouvez me compter parmi les sceptiques à ce sujet, parce que je ne crois pas que l'administration va obtenir cette procédure, en partie à cause de Doha—je crois que ce sera au prix de l'emploi de M. Zoellick. Nous aurons besoin d'un nouveau représentant commercial pour progresser, mais peut-être que nous préférerons ne rien faire.

Si j'étais Canadien, si j'étais à votre place, je m'intéresserais davantage à un autre côté de la relation. Entre le Canada et les États-Unis, nous avons toujours entretenu une relation officielle entre gouvernements et une relation officieuse dans le milieu des affaires, notamment sur le plan commercial, sur celui des réseaux et autres. Comme vous le savez, la relation officieuse est désormais renforcée, grâce à la technologie. L'économie est plus forte que jamais.

Si j'avais été confronté au même genre de harcèlement que vous avez dû subir au fil des ans dans le domaine du bois d'oeuvre et dans d'autres secteurs, je pense que je serais disposé à coopter les parties au litige. Notre système est particulièrement vulnérable aux plaintes commerciales et prévoit que ces plaintes soient suivies jusqu'au bout. Nos politiciens se sont dit que tout relevait du judiciaire, qu'ils resteraient en recul et laisseraient faire les choses sans intervenir. Puis, quand des décisions ont été rendues en vertu de l'OMC ou de l'ALENA, les Américains se sont dit que les tribunaux devaient trancher et qu'ils appliqueraient ensuite ces décisions ou encore qu'ils ne se conformeraient à aucun jugement, le tout dépendant de la prédisposition des politiciens à faire face ou non aux conséquences de leurs décisions.

Dans le cas du bois d'oeuvre, je me demanderais...vous avez déjà réussi à écarter Georgia Pacific en qualité d'éventuelle partie prenante au litige et vous devriez faire la même chose dans le cas d'International Paper. Pour cela, vous devrez peut-être inviter cette société à participer plus qu'elle le fait actuellement au marché canadien et vous devrez vous montrer proactifs. Vous devrez peut-être acquérir une partie de ses actions. Pour cela, vous devrez peut-être inciter les sociétés canadiennes de bois d'oeuvre à acheter davantage de petites sociétés aux États-Unis pour que plus personne ne se plaigne. Vous pourriez vous fixer un objectif et travailler dans ce sens. Cela ne nécessite pas beaucoup de stratégies. Ce serait, cependant, une façon simple de mettre un terme au harcèlement dont vous êtes victime, parce que vous régleriez le cas des gens qui se plaignent en leur donnant accès à une partie de votre système ou encore en veillant à ce qu'ils n'aient rien en retour quand ils s'attaquent au Canada.

• 1055

Le président: Nous allons passer à M. Paquette, mais je dois dire avant cela que votre dernière réponse prouve tout à fait ce que je prétends, parce que vous dites non seulement que nous devons être présents aux États-Unis, mais que nous devons évoluer en fonction des règles américaines, règles sur lesquelles nous n'aurons aucune influence. En revanche, les gens qui sont autour de cette table peuvent aller jouer dans la cour des Américains, à Washington, parler avec leurs lobbyistes et leurs avocats, en appliquant les méthodes de ces gens-là. C'est précisément ce que nous faisons dans le cas du bois d'oeuvre, croyez-moi. Nous allons le faire encore plus...

M. Christopher Sands: Je ne peux vous encourager que jusqu'à un certain point. J'ai essayé.

Le président: ...mais je ne trouve pas de modèle satisfaisant que nous pourrions appliquer en qualité de nation souveraine. De toute façon, c'est là une autre discussion.

Des voix: Autour d'un grand verre d'eau fraîche.

[Français]

Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette: Je voudrais continuer sur ce que vous avez amorcé comme débat et sur ce que M. Patry a amorcé aussi, c'est-à-dire que du côté américain, on le sait, ce sont d'abord des intérêts économiques qui priment. M. Patry, avec raison, était critique, mais je dirais la même chose du Canada.

À mon avis, un des problèmes de la politique étrangère canadienne, c'est qu'elle est basée essentiellement sur une vision commerciale à court terme et, dans ce contexte-là, elle n'est pas intégrée, elle n'est pas cohérente avec d'autres aspects qui pourraient venir renforcer notre position sur le plan des relations avec les États-Unis.

Je continue sur la question du bois d'oeuvre, par exemple. Jamais le Canada n'a demandé, dans les négociations en cours, quelque contrepartie que ce soit aux Américains. Il s'est tout de suite mis dans une position de coupable en demandant aux provinces de proposer un certain nombre de modifications à leur gestion forestière. Jusqu'à présent—on a eu plusieurs semaines de rencontres à Washington et à Toronto—, le Canada n'a rien demandé aux Américains pour corriger leurs propres difficultés sur le plan de la production du bois d'oeuvre, parce qu'on sait qu'il y a un problème qui est beaucoup lié aux contraintes environnementales.

Alors, dans ce dossier comme dans d'autres, on voit, je dirais, un intérêt à court terme sur le plan commercial. Sur le plan des relations internationales, c'est la même chose.

Monsieur Stairs, vous disiez qu'il faudrait savoir ce que veut le Canada face aux États-Unis et qu'il faudrait demander des choses aux Américains. Il me semble que cela demanderait un repositionnement sur le plan de l'ensemble de la politique étrangère et d'abandonner cette préoccupation strictement commerciale.

[Traduction]

M. Christopher Sands: À court terme, cela pourrait se retourner contre vous. Vous-mêmes et M. Patry avez parlé d'une autre chose qui est intéressante relativement à la principale préoccupation des Américains: l'économie. Nous sommes un peuple très soucieux de sécurité et cela ne changera jamais, mais il demeure que l'économie est importante. Le Canada est peut-être un petit allié sur le plan de la sécurité, mais il est un allié de taille sur le plan économique, ce qui lui confère un certain levier. Je suis conscient qu'il est parfois difficile de traiter avec les Américains. Je ne vous conseille pas de les attaquer de front, mais vous pouvez toujours utiliser certains des réseaux à votre disposition.

Quelqu'un me disait que le Mexique allait être le meilleur ami des Américains à cause de la présence de tous les hispanophones aux États-Unis. La population hispanique est un gros lobby chez nous, mais le Canada est aussi un gros lobby aux États-Unis. C'est une entreprise de taille et vous avez vu que ce lobby s'est fait entendre sur la question transfrontalière, déclarant que certaines des choses que les responsables de la sécurité veulent faire afin de renforcer la frontière canado-américaine sont inacceptables parce que, pour assurer le commerce «juste à temps» la frontière doit être ouverte.

Cela me ramène à une réflexion que beaucoup ont formulée sur la question de trouver de nouveaux alliés, sur le fait que, plutôt que de fonctionner suivant une logique d'opposition Canada-États-Unis, le Canada devrait se trouver de nouveaux amis et conduire une guerre de guérilla...qu'il faudrait trouver d'autres alliés aux États-Unis pour instaurer de nouvelles coalitions. Je ne fais que répéter les commentaires de mes pairs. Le potentiel est énorme et il vaut certainement la peine qu'on essaie. Je n'espère pas beaucoup que les Américains changent dans l'avenir, mais puisque vous nous connaissez bien, vous pouvez sans doute profiter de nos faiblesses et de notre vanité.

M. Denis Stairs: J'aimerais réagir brièvement à ce sujet, parce que nous devons bien comprendre que nous allons devoir vivre avec une partie de ce problème des négociations. Ainsi, même si vous espérez l'adoption d'une politique énergétique continentale—les Américains sont en faveur d'une telle politique non seulement pour des raisons de sécurité, mais aussi pour des raisons économiques; la principale raison étant la sécurité, je veux parler de la sécurité d'approvisionnement—nous disposerons peut-être d'un petit créneau pour pouvoir mettre à profit nos leviers économiques. Nous sommes prêts à conclure la transaction mais, d'un autre côté, il y a un compromis à faire. Si les Américains prennent cela très au sérieux, nous pourrons sans doute trouver une réponse au problème de l'anti-dumping et au reste.

• 1100

Selon moi, il nous appartiendra autant à nous qu'à nos voisins de régler le problème. Autrement dit, les intérêts canadiens ne voudront pas que le gouvernement du Canada se serve de l'énergie en tant que levier de négociation au point de menacer d'éventuels programmes. Ce sera le cas pour ceux qui veulent que l'oléoduc passe dans leur jardin, et pour ceux qui disposent déjà des ressources.

Ma seule remarque à ce sujet est d'une évidence flagrante, mais c'est ce que le mot intégration veut dire. Au bout du compte, l'intégration de l'économie veut dire que l'on perd son pouvoir de négocier. C'est ça la réalité. Quand les Canadiens ont eu l'impression que la frontière avec les États-Unis était en train de se refermer, au lendemain du 11 septembre, ils ont été pris de panique, mais pas les Américains. Ce sont les Canadiens qui ont été paniqués parce qu'il en va de notre intérêt d'être étroitement intégrés avec les États-Unis sur le plan économique au point que nous ne pouvons pas nous permettre que la frontière soit fermée. La question était de savoir ce que les Américains voulaient obtenir de nous pour la rouvrir.

C'est une réalité, mais je ne suis pas sûr que nous puissions faire quoi que ce soit pour améliorer la situation. Il faut y voir le produit de notre géographie, le produit du développement à long terme de l'économie nord-américaine et de bien d'autres choses. Il demeure que nous nous sommes lancés là-dedans en toute connaissance de cause. Au milieu des années 80, nous avons avalisé ce processus. Nous en subissons maintenant les conséquences. C'est cela l'intégration. Sur le plan politique, elle limite vos options.

Nous envisageons maintenant d'adopter une politique continentale, selon laquelle nous jouerions nos cartes politiques plus ou moins à l'unisson, à la façon dont les Américains jouent leurs propres cartes politiques, c'est-à-dire en parfaite liaison avec eux. En d'autres mots, nous formerions des alliances transfrontières dans divers secteurs d'activité dans l'espoir de nous ménager une petite place au sein de la communauté américaine d'élaboration des politiques. C'est cela que nous faisons et c'est une conséquence de l'intégration. C'est là le prix à payer.

[Français]

M. Pierre Paquette: J'aurais un petit commentaire pour finir.

Ce qui m'a frappé jusqu'à présent dans les témoignages qu'on a entendus de la part des responsables des différents ministères canadiens, c'est le peu d'intérêt qu'ils ont pour le Mexique. Je me dis, justement, quand on se demande si on choisira l'intégration, qu'on a au moins un autre partenaire, le Mexique, qu'on pourrait faire jouer sur certains éléments face aux positions américaines. Or, il est complètement absent, et la raison pour laquelle il est absent, c'est qu'on n'a pas d'échanges commerciaux majeurs, actuellement, avec le Mexique, ce qui me semble être un manque de vision total.

Le président: C'est un commentaire.

[Traduction]

Chers collègues, il nous reste 15 minutes avant de devoir aller voter. Je suggère que nous continuions pendant six minutes environ et que nous prenions une pause ensuite. Après cela, il sera temps de nous rendre à la Chambre.

Je vais maintenant donner la parole à Mme Jennings.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, est-ce qu'on revient après le vote?

Le président: Je crois que ce sera impossible après le vote parce qu'il sera midi moins dix quand on reviendra. Donc, ce sera impossible.

Madame Jennings.

[Traduction]

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci beaucoup pour vos exposés qui nous ont éclairés.

Monsieur Stairs, j'ai particulièrement apprécié votre recommandation ou plutôt suggestion qui était d'inviter le Canada à aller doucement. Quand vous affirmez que certains ministres—qu'il s'agisse du ministre de la Justice ou du ministre de la Santé—ont peut-être commis certaines erreurs en allant trop vite dans certains dossiers à la suite du 11 septembre, je crois que vous soulignez la nécessité de prendre un peu de recul et de s'accorder un temps de réflexion.

J'ai également apprécié vos suggestions, madame Molot, sur la façon dont les législateurs pourraient influencer positivement les relations bilatérales avec nos homologues américains. L'un des problèmes auxquels nous nous heurtons, c'est qu'en vertu des règles et des procédures de la Chambre, les budgets de déplacement et autres ne peuvent s'appliquer que pour tout ce qui se fait à l'intérieur de nos frontières. Autrement dit, les législateurs canadiens désireux d'améliorer les relations avec les États-Unis doivent le faire par le biais de l'association officielle des parlementaires ou payer de leur poche. Cela complique les choses et crée une certaine inégalité entre les législateurs. Il y a, d'une part, ceux qui ont les revenus personnels ou la fortune nécessaires pour assumer ce genre de frais et il y a les autres qui ne le font pas parce qu'ils ont d'autres priorités. Nous devrions peut-être examiner cette question en comité et formuler des recommandations à la Chambre.

• 1105

Monsieur Stairs, j'ai aussi apprécié votre idée qui consiste à dire que le Canada devrait lancer une vaste campagne de publicité aux États-Unis pour redorer son image auprès de ce pays. Je siégeais au Comité de l'industrie jusqu'en septembre dernier. Le ministre de l'Industrie voulait que nous présentions le Canada sous l'angle d'un «pays intelligent» afin d'attirer des investissements étrangers dans le secteur privé et de promouvoir notre secteur de la haute technologie. Cette idée est excellente, mais je ne sais pas si nous obtiendrons l'argent nécessaire pour la mener à bien.

Monsieur Sands, je vais vous poser une question. Ayant fait mon droit, ayant lu tous les ouvrages qu'on m'a demandé de lire et j'ai appris à lire en diagonale. Ainsi, j'ai très rapidement parcouru votre sommaire et j'ai remarqué entre autre chose que je trouve relativement préoccupante: votre recommandation numéro un à la page 323, dans laquelle vous dite:

    Les États-Unis, en collaboration avec les Nations Unies ou d'autres pays et organisations d'aide internationale, devraient immédiatement lancer un programme d'urgence international afin d'éviter un désastre humanitaire en Afghanistan cet hiver.

Je trouve cela très préoccupant parce que les Nations Unies sont membre de l'ONU—du moins à ce que je crois. À la façon dont vous avez formulé cette recommandation, on a l'impression que les États-Unis sont à part de l'ONU, qu'ils ne se considèrent pas comme faisant partie de cette organisation et que votre pays prendrait la tête d'un mouvement d'aide humanitaire. Cela me ramène au fait que, sans égard aux déclarations que vous faites ici, il s'est effectivement produit un changement de paradigme aux États-Unis. Certes, cette nation est hégémonique à l'échelle mondiale, mais elle est parfaitement consciente qu'elle ne parviendra jamais, à elle seule, à résoudre les problèmes du monde et qu'elle ne peut pas, non plus, agir seule pour protéger ses frontières sur tous les fronts, qu'il s'agisse du front économique, de celui de la sécurité ou d'autres fronts.

Revenons-en à votre recommandation. À la façon dont vous l'avez formulée, j'en conclus que la position de base des Américains n'a pas beaucoup changé. Si elle avait changé, vote recommandation aurait pu dire: «Les États-Unis, en qualité de membre des Nations Unies...». Un membre de premier plan de l'ONU devrait prendre la tête du mouvement et promouvoir l'idée que cette organisation, en collaboration avec d'autres pays qui n'en sont pas membres ainsi que des organisations d'aide humanitaire, devraient appliquer une telle politique en Afghanistan.

Pourriez-vous réagir à mes propos, parce que je trouve cela relativement préoccupant, étant donné ce que vous avez déclaré plus tôt. Quand je vois cette déclaration, je me dis que le paradigme américain n'a pas changé.

M. Christopher Sands: Je vais vous dire tout d'abord que je n'ai jamais sous-estimé les députés fédéraux canadiens et que je suis tout à fait impressionné par votre technique de lecture rapide. Je vous en félicite. J'apprécie également que vous ayez lu ce sommaire, parce que je n'en ai pas remis d'exemplaire à mes voisins qui ne peuvent donc pas comprendre exactement là où vous voulez en venir.

Force est de constater qu'il existe, entre les États-Unis et l'ONU, une grande aliénation. Avec le temps, les deux en sont venus à s'opposer mutuellement. La situation n'a pas été améliorée par le passage des démocrates à la Maison Blanche ni par l'arrivée de l'administration républicaine. Cela n'est pas donc pas simplement dû à Jesse Helms. Je pense qu'au cours des dernières années, les Américains ont de plus en plus acquis l'impression que les Nations unies sont une organisation bien intentionnée qui consacre beaucoup trop de temps sur des choses idiotes qui sont exactement opposées à ce que les Américains aimeraient que l'ONU fasse. C'est cela qui explique le paradigme actuel. J'ai personnellement soutenu que ces choses-là devaient changer.

Tout d'abord, il faut admettre que nous avons besoin de nos alliés. Deuxièmement, nous devons reconnaître que nous avons besoin d'alliés au sein de certains regroupements ou certaines organisations. Je crois que nous avons beaucoup plus confiance en la Grande-Bretagne, le Canada et l'Allemagne qu'en l'Organisation des Nations Unies ou l'Union européenne.

Nous aurons peut-être un long chemin à parcourir. La formulation dont vous parliez traduit la façon dont nous voyons les choses. Du point de vue américain, tout cela est presque positif parce qu'au moins nous reconnaissons que nous devrions collaborer avec l'Organisation des Nations Unies pour que les choses avancent, mais nous traitons l'ONU comme un acteur indépendant, coiffé par un secrétaire général et composé de plusieurs organismes ayant différentes capacités. L'ONU n'est pas les États-Unis, mais elle s'intègre dans le cadre de l'effort collectif de plusieurs pays que nous voulons faire intervenir dans tout cela. Il est question, en fin de compte, de reconnaître que l'ONU a un rôle à jouer.

• 1110

Je respecte ce que vous avez dit, mais vous parlez de quelque chose qui est presque trop subtil pour mon cerveau d'Américain. En revanche, votre recommandation est très intéressante parce que vous dites qu'il vaut la peine de prendre l'ONU au sérieux.

Vous avez tout à fait raison, nous avons encore un long chemin à parcourir, peut-être beaucoup plus long que ce que je l'ai laissé entendre, mais je suis optimiste sur tous ces plans.

Mme Marlene Jennings: Je m'arrêterai là.

Le président: Nous allons devoir mettre un terme à ces échanges, parce que nous devons aller voter. Soit dit en passant, monsieur Sands, c'est quelque chose qui nous arrive régulièrement quand nous accueillons les membres du Congrès. À peine avons-nous entamé une discussion que nous devons courir pour aller voter. Nous allons finir par faire comme eux, par ne pas revenir.

Désolé de ne pas pouvoir vous retrouver à notre retour, mais à l'heure où nous reviendrons...

[Français]

Mme Francine Lalonde: Ça, c'est quand le gouvernement veut imposer un bâillon.

[Traduction]

Le président: Quand nous reviendrons, nous passerons au groupe sur la justice. Au nom des membres du comité, je remercie les panelistes de s'être déplacés. J'ai beaucoup apprécié vos témoignages. Je suis certain que nous aurons l'occasion de dialoguer de nouveau avec vous.

Chers collègues, nous reprendrons à 15 h 30.

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