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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 29 novembre 2001

• 0909

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, je déclare la séance ouverte.

Nous avons avec nous M. Charles Doran et M. Stephen Randall, de l'Université de Calgary. Je crois savoir que M. Doran a publié un nouveau livre sur le Canada, son 912e ou quelque chose du genre, et que, contrairement à d'autres universitaires, il ne cite jamais ses ouvrages précédents dans ses livres.

Je vous remercie énormément tous les deux d'être venus nous rencontrer. M. Doran nous arrive des États-Unis et M. Randall de Calgary.

• 0910

Cette séance-ci ne durera que jusqu'à 10 h 30, parce que nous en aurons une autre tout de suite après. Nous allons également—lorsque nous aurons le quorum—nous occuper du projet de loi C-41, la loi qui porte sur les corporations commerciales.

Je pourrais peut-être commencer par M. Doran, puis ce sera au tour de M. Randall. Nous passerons aux questions lorsque vous aurez terminé vos exposés.

M. Charles F. Doran (premier agrégé et directeur, Centre des études canadiennes, Center for Strategic and International Studies): Monsieur le président, distingués membres du comité, c'est pour moi un grand plaisir et un honneur d'avoir été invité à prendre la parole ici. Il n'arrive pas souvent que les gens manifestent de l'intérêt pour les universitaires; je félicite les membres du comité de leur courage.

Pour commencer, j'aimerais paraphraser librement votre ambassadeur à Washington. Il a récemment prononcé une allocution devant l'Association d'études canadiennes à San Antonio aux États-Unis. Il a dit qu'en fait, nous sommes tous préoccupés ces jours-ci et il a mentionné l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis, puis le Canada—par la sécurité; nous devons donc reconnaître cette réalité et y faire face. Je pense que cette reconnaissance constitue un premier pas très important.

La deuxième chose que je soulignerais, c'est qu'il me semble qu'on vise un certain idéal dans le contexte du cadre nord-américain et des frontières. L'idéal, ce serait d'arriver à faire face à nos problèmes de sécurité efficacement et équitablement sans entraver la libre circulation des marchandises et des services au nord et au sud et sans porter atteinte à nos droits et libertés dans un pays comme dans l'autre. C'est là l'idéal qu'on vise et c'est un ambitieux projet.

Il y a un tas de choses assez pratiques qu'on peut faire pour être plus efficaces. Il y a un tas de nouvelles technologies qui existent pour venir à bout des questions de sécurité, dont certaines sont utilisées. Un fait récent survenu aux États-Unis montre bien le problème que tout cela pose. Le Congrès américain a décrété que tous les bagages commenceraient à être inspectés dans les aéroports dans les 60 jours suivant la décision de le faire; or, le problème, comme l'a expliqué le lendemain le secrétaire du transport, c'est que les Américains n'ont pas la capacité technique voulue pour le faire dans les délais prévus. Nous sommes tous aux prises avec des contraintes de ce genre.

À vrai dire, le mot «harmonisation» revient sans cesse, et je ne suis pas certain de ce que ce mot veut dire. Le Canada et les États-Unis ont des routes différentes, des façons de faire différentes, des institutions différentes et il faut qu'il en soit ainsi. En fin de compte, la seule chose qui doit être uniforme, c'est l'efficacité des nouvelles techniques et procédures et des institutions qui sont mises en place. J'insiste là-dessus parce que je suis un ardent défenseur de la notion de la libre circulation. J'ai vécu au Minnesota quand j'étais enfant, et c'était normal pour nous.

Si cette question de normes et d'efficacité n'est pas réglée—bien que je pense qu'elle soit en train de se régler—les Américains qui ne chérissent pas la frontière pourraient en fait prendre des mesures qui risquent de nous nuire. C'est ce qui m'inquiète. Nous ne voulons pas nous retrouver dans cette situation. Ce n'est pas tout le monde aux États-Unis qui comprend ce que c'est que d'avoir des camions qui font la queue, par exemple. Le député au Congrès LaFalce de Buffalo comprend ce que c'est, mais pas tout le monde.

Il est important de bien faire passer le message. Nous devons avoir des normes et des résultats qui sont tout aussi efficaces afin que des pressions ne soient pas exercées pour que la frontière serve de dispositif de contrôle, ce en quoi elle ne peut pas consister complètement, je pense.

• 0915

Je vais terminer par cette observation. Il est temps de reconnaître que nous vivons à une époque où le terrorisme est un phénomène qui frappe maintenant chez nous, un phénomène tout à fait différent de tout ce que nous avons connu au XXe siècle. Mais il est temps aussi de reconnaître que nous devrions à certains égards essayer d'avoir des frontières plus ouvertes.

Je suis venu ici en avion et j'étais assis à côté d'un de vos dirigeants syndicaux. Il m'a parlé d'un problème en particulier: les travailleurs ont de la difficulté à franchir la frontière pour une semaine ou deux à la fois à cause de toute la paperasserie que ça nécessite. Quelqu'un devrait essayer de trouver un moyen de faire en sorte qu'il leur soit possible d'aller et venir au besoin. Et j'ai été forcé d'admettre qu'il avait tout à fait raison.

Nous devons examiner quels moyens nous pourrions prendre pour que la frontière soit encore plus ouverte. Cela a un tas de choses à voir, il me semble, avec la libre circulation. Je pense que nous pouvons arriver à assurer la libre circulation en mettant en place des mesures qui soient plus efficaces pour contrer le terrorisme et ses conséquences. C'est là-dessus que je mettrais l'accent.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Doran.

Monsieur Randall.

M. Stephen Randall (doyen de la Faculté des sciences sociales, Université de Calgary): Merci beaucoup, monsieur Graham. Je suis enchanté d'être ici avec vous aujourd'hui, tout comme je l'ai été par le passé.

Je vous remercie infiniment de chercher à connaître, comme M. Doran l'a indiqué, le point de vue des universitaires sur certaines de ces questions. Je ne sais plus en quoi consiste un point de vue universitaire, comment le distinguer d'un point de vue politique professionnel.

Si vous me le permettez, je prendrai un peu plus de temps que M. Doran. La thèse de base que j'aimerais avancer veut que les événements du 11 septembre, lorsque nous les replaçons dans un contexte politique et historique plus vaste, aient intensifié plutôt qu'atténué les pressions en faveur d'une harmonisation et d'une intégration nord-américaine. Autrement dit, ces pressions se sont intensifiées au lieu de se relâcher et ont comprimé en quelque sorte le processus sur le plan temporel. Je me propose de vous parler brièvement de questions de sécurité militaire, de questions économiques et, s'il me reste du temps, de questions culturelles.

Nous savons que depuis très longtemps, l'administration américaine—certainement sous Clinton et sous Bush père et, plus récemment, sous Bush fils—considère que la capacité militaire canadienne est inadéquate. Il y a bien des Canadiens qui soutiendraient la même chose.

Si vous examinez le document que le Centre d'études militaires et stratégiques de l'Université de Calgary a publié récemment et qui a été rédigé par David Bercuson et ses collègues, vous verrez que la capacité de l'armée canadienne de faire face à des menaces terroristes en sol canadien, ou encore de recueillir des renseignements secrets à l'échelle internationale, suscite une grande anxiété. Je recommanderais fortement au Parlement canadien de se pencher sur notre capacité de prendre des mesures concernant les questions militaires et terroristes.

Bien sûr, il y a aussi le fait que des pressions s'exercent depuis un certain nombre d'années déjà sur le Canada pour qu'il appuie le système national de défense antimissile. Les événements de septembre et la guerre contre les talibans ont fait ressortir la justesse des doléances américaines et du constat de nombreux Canadiens, à savoir non seulement que notre armée n'est pas adéquate, mais aussi que la notion d'État hors-la-loi revêt encore une fois un nouveau sens. C'est une chose que bien des Américains et des Canadiens ont refusé de croire pendant longtemps. Reste à savoir, bien sûr, si nous avons affaire à des États ou à des organisations hors-la-loi.

Je pense que des pressions continueront à s'exercer dans l'arène militaire pour que nous soyons mieux intégrés à la défense nord-américaine, que ce soit à l'intérieur d'un système national de défense antimissile ou au moyen de l'intégration la plus poussée possible dans un environnement nord-américain de nos forces militaires traditionnelles, y compris les forces navale et aérienne. Et, comme je l'ai signalé dans mon exposé écrit, l'envoi au Moyen-Orient d'un groupe naval qui s'est bien incorporé aux opérations américaines montre dans quelle mesure nous sommes déjà assez bien intégrés dans ce secteur.

• 0920

Comme M. Doran l'a indiqué, il est évident que les pressions se sont intensifiées en faveur d'une collaboration plus efficace entre le Canada et les États-Unis au sujet des contrôles frontaliers et de l'immigration. L'inquiétude des Américains n'est en rien nouvelle. Les préoccupations des États-Unis à propos de la frontière mexicaine ces 20 dernières années ont fini par se propager aux relations entre le Canada et les États-Unis pour ce qui est de la frontière canado-américaine. Les Américains ont l'impression également que le Canada a fait preuve d'un grand laxisme dans ses politiques en matière d'immigration et de réfugiés, et nous avons laissé entrer chez nous des individus dont on a appris par la suite qu'ils étaient des terroristes connus.

Il ne fait aucun doute selon moi qu'il devrait y avoir et qu'il y aura des pressions en vue d'une approche beaucoup plus intégrée et marquée au sceau de la collaboration de la politique de l'immigration et des réfugiés. Le Canada sera confronté au problème—et je pense que tous ici autour de cette table le savent—qui consistera à maintenir son indépendance et son autonomie dans sa politique d'immigration, dans l'ensemble.

Il n'y a aucune raison logique pour laquelle nous ne pouvons pas collaborer pour ce qui est des questions frontalières, mais le problème le plus délicat et le plus difficile consistera à protéger les politiques canadiennes en matière d'immigration et de réfugiés, pour qu'une distinction demeure.

M. Doran a souligné l'importance du commerce transfrontalier. Il est extrêmement important pour l'économie des deux pays de veiller à ce qu'il y ait une circulation relativement libre des marchandises, sans les barbelés et les longues filées qu'il y a longtemps eus à la frontière mexicaine. Si la situation avait été la même ici qu'à la frontière mexicaine au cours du dernier demi-siècle, le commerce des produits qui se fait actuellement n'aurait jamais été possible.

Mon dernier point—que je n'ai pas soulevé dans mon exposé écrit, mais sur lequel je veux insister—au sujet de la sécurité et de la défense concerne la vulnérabilité de l'infrastructure nord-américaine, et je dis bien nord-américaine. Si vous regardez les oléoducs et les gazoducs et les exportations d'électricité, surtout d'hydro-électricité vers les États-Unis, vous verrez que l'électricité vient normalement de régions éloignées du nord de la Colombie-Britannique, du nord de l'Ontario et du nord du Québec. Cette infrastructure est extrêmement vulnérable à des attaques terroristes.

Si vous superposiez les endroits où l'infrastructure est très vulnérable sur une carte de la présence militaire au Canada, vous verriez que nos bases militaires sont situées très loin—et que le temps de réponse serait donc très long—d'un grand nombre de ces importantes infrastructures, qu'il y aille de la production d'hydro-électricité, de pétrole ou de gaz. Il nous faudrait trois ou quatre heures, par exemple, pour réagir à un problème dans l'extrême arctique, qu'il s'agisse d'un impact environnemental ou d'un danger plus immédiat pour l'homme. Donc, notre infrastructure, qui fait partie intégrante de l'économie nord-américaine, est extrêmement vulnérable aux attaques terroristes.

Sur le plan strictement économique, en plus du commerce transfrontalier, notre dollar canadien extrêmement faible, comme chacun autour de cette table le sait bien, a également contribué à relancer l'appel en faveur d'une monnaie nord-américaine commune. Ce n'est pas une question nouvelle, mais les actes terroristes du 11 septembre et la guerre en Afghanistan ont fait faire un pas en avant au projet intégrationniste.

Les difficultés économiques des transporteurs aériens du Canada et d'ailleurs en Amérique du Nord ne datent pas du 11 septembre, mais elles se sont accrues sous l'effet des attentats. Il semble que de nouvelles pressions s'exercent en faveur d'une plus grande intégration ou d'une consolidation de l'industrie du transport aérien en Amérique du Nord. Il faudra qu'il y ait une approche bilatérale Canada-États-Unis des activités de l'industrie du transport aérien dans l'environnement nord-américain.

Il ne faut pas oublier non plus la politique énergétique. Avant le 11 septembre, l'administration Bush était déjà en faveur d'une politique énergétique nord-américaine. L'idée d'une politique énergétique nord-américaine n'a rien de nouveau, mais la vulnérabilité des approvisionnements au Moyen-Orient a une fois de plus, comme au début des années 70 et à nouveau durant la crise iranienne de 1979-1980, fait ressortir l'importance d'une plus grande indépendance à l'égard du pétrole du Moyen-Orient, et l'importance des approvisionnements énergétiques du Canada pour les États-Unis.

• 0925

J'ai bien sûr abordé dans mon exposé écrit la question des exportations de bois d'oeuvre. Je ne pense pas que les événements du 11 septembre aient eu une quelconque incidence, mais ils ont fait ressortir ce que je crois être un point extrêmement important, que M. Doran a mentionné lui aussi, à savoir jusqu'à quel point la politique commerciale et la politique étrangère américaines sont manoeuvrées par les intérêts protectionnistes défendus avec ferveur au Congrès américain. Je pense que nous devons être très sensibles à l'opinion publique et aux pressions politiques exercées aux États-Unis, qui ne sont pas toutes sensibles, comme M. Doran l'a indiqué, aux relations entre les États-Unis et le Canada.

En terminant, permettez-moi de dire quelques mots au sujet de la culture dans son sens le plus large. Nous avons eu ce débat à de nombreuses occasions par le passé, surtout dans le cadre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. L'intégration de la culture dans un environnement nord-américain demeure un sujet très délicat au Canada. Nous avons tous vu les annonces de l'industrie canadienne de l'édition au cours des deux dernières semaines dans lesquelles elle exposait ses préoccupations à propos de la protection des industries culturelles, surtout de l'édition du livre. Cela s'applique aussi bien sûr aux médias électroniques.

Les événements du 11 septembre ont montré à quel point les Canadiens se soucient de ce qui se passe aux États-Unis. Il n'y a à cet égard presque aucune frontière. Mais lorsqu'on se rend compte de la vulnérabilité de l'industrie canadienne de l'édition par rapport aux produits américains, de la vulnérabilité des magazines canadiens et de la vulnérabilité des médias électroniques, de la télévision et de CBC, il apparaît évident que l'intégration culturelle nord-américaine ne constitue une menace; c'est une réalité.

J'ai indiqué dans mon exposé écrit que, selon les cotes d'écoute Nielsen, les téléspectateurs canadiens passaient 36 p. 100 de leur temps d'écoute à regarder des émissions aussi intellectuellement stimulantes que Ally McBeal, ER et Who Wants To Be a Millionaire? contre 7,4 p. 100 seulement pour CBC.

Je vais m'arrêter ici. Merci.

Le président: Je crois savoir, monsieur Randall, que vous avez accepté de comparaître devant notre sous-comité qui étudie la Colombie cet après-midi de sorte que vous aurez fait d'une pierre deux coups en venant à Ottawa. Nous tenons à vous en remercier.

M. Stephen Randall: C'est là l'inconvénient qu'il y a à être un véritable américaniste, monsieur Graham, et à couvrir l'hémisphère au complet au lieu de deux pays seulement.

Le président: C'est très louable de votre part. Je tenais seulement à vous faire savoir que le comité du patrimoine entreprend un examen approfondi de CBC. Vous voudrez peut-être vous joindre au comité à un moment donné, tant qu'à y être. Autant tirer profit de votre billet d'avion.

M. Stephen Randall: Je préfère m'en abstenir.

Le président: D'accord.

Je vais maintenant prendre une brève pause, chers collègues. Nous avons le quorum et j'espère, avant que nous passions aux questions—il nous reste une heure pour les questions—que nous allons pouvoir nous occuper du projet de loi C-41 dont le sous-comité a discuté hier. Je vais demander à M. Harb de nous expliquer rapidement de quoi il s'agit.

Je crois savoir, madame Lalonde, que vous voulez faire un rappel au Règlement.

[Français]

Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Monsieur le président, je voudrais soulever en ce comité ce qui m'a été soulevé par M. Pierre Paquette, qui siège au sous-comité, à savoir qu'on a procédé à l'étude article par article alors que l'avis de convocation ne comportait pas cette précision. Il me semble que la façon de fonctionner au sous-comité devrait être la même qu'au comité.

Il faut que nous respections un minimum de règles. Bien sûr, il faut de la souplesse quand il s'agit de questions qui ne sont pas aussi importantes que celle de procéder à une étude article par article. C'est un point que je tiens à soulever, et j'espère que cette situation ne se reproduira pas. Cela nous met dans la situation inconfortable de proposer un amendement non écrit qu'on doit soumettre aux gens. Il y a d'autres partis qui n'étaient pas là parce qu'ils ne savaient pas qu'on procéderait à l'étude article par article de ce projet de loi.

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Harb.

M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Je serai très bref, monsieur le président.

• 0930

Je prends bonne note des commentaires de ma collègue. À partir d'aujourd'hui, nous allons nous assurer que nous avons ces détails.

Cela dit, le comité n'a pas fait erreur. Lorsque le greffier a envoyé l'avis de convocation, il s'en est tenu aux lignes directrices. L'avis était tout à fait conforme aux règles de fonctionnement du comité. Je propose qu'à la prochaine réunion, le greffier indique au comité si tout a été fait dans les règles ou non. Nous avons vérifié, et l'envoi de l'avis de convocation ne posait absolument aucun problème. Tout a été fait dans les règles. Selon les désirs de ma collègue, la prochaine fois que nous examinerons un projet de loi, nous nous assurerons de mentionner qu'il y aura étude article par article pour qu'il n'y ait aucune confusion.

[Français]

Le président: Si j'ai bien compris, madame Lalonde, vous ne voyez pas d'objection à ce qu'on procède à un vote ce matin, mais vous vouliez soulever ce problème. Je crois que tous nos collègues veulent être avertis à l'avance du fait qu'on se réunit pour étudier un projet de loi article par article. L'autre jour, on a adopté une règle prévoyant qu'il faut soumettre les amendements 24 heures à l'avance. Si les députés ne savent pas qu'on procédera à l'étude article par article d'un projet de loi lors d'une réunion, ils ne peuvent pas proposer d'amendements. Donc, je crois que votre rappel au Règlement est tout à fait à propos. Le greffier va s'assurer qu'on respecte cette procédure à l'avenir. Merci de votre compréhension.

[Traduction]

Chers collègues, je demanderais que le sixième rapport du Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux sur le projet de loi C-41, Loi visant à modifier le Code criminel... Non. Nous commençons à être habitués aux projets de loi omnibus. Il s'agit du projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur la Corporation commerciale canadienne. Je demanderais que le rapport du sous-comité soit adopté en tant que quatorzième rapport du comité et qu'il soit fait rapport du projet de loi C-41 à la Chambre sans amendement.

M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib.): J'en fais la proposition.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Harvard.

Quelqu'un a-t-il quelque chose à ajouter? Voulez-vous avoir un vote par appel nominal?

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Non, ça va.

(La motion est adoptée)

M. Mac Harb: Le rapport sera déposé demain.

Le président: Pouvons-nous autoriser M. Harb à le déposer?

M. John Harvard: Je ne serai pas ici demain.

Le président: J'ai dit M. Harb.

M. John Harvard: Oh, vous parliez de M. Harb, je suis désolé.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Harb. Nous l'apprécions énormément.

Merci, chers collègues.

Nous pouvons maintenant commencer à poser nos questions à M. Doran et à M. Randall. Monsieur Martin, s'il vous plaît.

M. Keith Martin: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je vous remercie tous les deux, monsieur Randall et monsieur Doran, d'avoir bien voulu comparaître devant le comité par une si belle journée à Ottawa.

Monsieur Randall, je tiens à vous remercier du document exceptionnel que votre établissement a publié. Il tombe juste à point et dénote une grande prescience. Je vous en remercie.

Monsieur Doran, pensez-vous que nous devrions simplement abolir la frontière? Pensez-vous que les obstacles à l'abolition de la frontière ont trait principalement à l'insécurité qui entoure l'identité canadienne par opposition à toute menace réelle pour la sécurité qui existerait à la frontière?

Monsieur Randall, vous avez indiqué dans votre document que nous avions besoin d'un Livre blanc sur la défense. Ne pensez-vous pas qu'il serait préférable d'avoir un Livre blanc combiné sur la défense et les affaires étrangères, la défense étant un élément des affaires étrangères? Si nous ne savons pas ce que nous voulons du point de vue des affaires étrangères, nous ne pouvons pas dire exactement comment nous pourrons répondre à nos besoins en matière de défense.

Vous avez également parlé de l'énergie hydro-électrique. Pensez-vous que nos installations nucléaires soient adéquatement protégées contre une attaque terroriste?

Merci.

M. Charles Doran: Je vous remercie de cette question. Malheureusement, je ne peux vous répondre ni par oui ni par non. Il me semble qu'à bien des égards, non seulement la frontière canado-américaine, mais probablement la plupart des frontières au monde perdent actuellement aujourd'hui de leur importance. Étant donné l'augmentation du commerce et des investissements, notamment l'effet de la révolution électronique dans tous les secteurs, y compris celui des médias, les frontières sont peut-être un peu moins importantes qu'elles l'étaient jadis.

• 0935

La frontière canado-américaine a toujours été unique. Je n'ai jamais vu un seul manuel sur les relations étrangères, par exemple, qui ne décrivait pas la frontière entre le Canada et les États-Unis comme étant cette frontière inhabituelle qui non seulement est sans défense mais aussi dénote une grande interdépendance.

Pourtant, une frontière—peut-être un peu plus pour le plus petit pays, mais probablement jusqu'à un certain point pour les deux pays—a tout un contenu symbolique et émotif.

Comme nous le savons maintenant, après le 11 septembre, notre propre situation en Amérique du Nord a changé sur le plan de la sécurité. C'est la perception qu'ont bien des gens qui font partie de groupes de réflexion aux États-Unis. Il y a eu au XXe siècle toutes sortes de confrontations, mais jamais un événement d'une telle importance n'a touché ni le Canada ni les États-Unis. Un tel événement s'est soudain produit. Il y a quelque chose de différent. Nous avons donc un problème de sécurité.

Cela nous amène à nous interroger sur la signification même de la frontière. La décision appartient selon moi à nos deux gouvernements et à la population des deux pays. Si nous pouvons faire face au problème de la sécurité en utilisant nos propres méthodes et nos propres institutions et si nous pouvons y faire face d'une manière telle que l'efficacité, peu importe comment on la mesure, sera essentiellement la même au Canada et aux États-Unis, je ne pense pas que la frontière sera beaucoup touchée. Mais si l'efficacité n'est pas telle qu'on la souhaiterait ou si on a l'impression qu'il y a une grande différence dans le niveau d'efficacité, alors la frontière deviendra en quelque sorte un dispositif de contrôle. Je ne pense pas qu'elle puisse vraiment jouer ce rôle, mais c'est ce qui pourrait arriver. C'est pourquoi je dis qu'il faut prendre au sérieux cette menace perçue pour la sécurité.

Soit dit en passant, les mesures qui pourraient être prises n'auraient pas nécessairement une grande incidence sur les questions d'immigration. Je respecte énormément, par exemple, le point de vue du Québec qui tient à s'assurer que l'immigration continuera à être traitée comme elle l'a toujours été. Je dois avouer que la plupart des Américains ne sont pas au courant de la situation, mais j'ai vérifié auprès de décisionnaires et cela ne pose aucun problème pour eux. Il s'agit d'une question interne. Ils comprennent que les immigrants francophones sont nécessaires pour le Québec. Tout est parfait. Il n'y a pas de problème.

Mais lorsqu'il est question de choses comme l'examen des demandeurs d'asile, nous devons faire preuve d'un très grand sérieux. Dans chaque cas, cet examen se fera indépendamment par chaque pays. Mais, ce que je tiens à souligner, c'est que chacun des deux pays surveille ce que l'autre fait et les mesures législatives qu'ils peuvent adopter l'un ou l'autre sont influencées par ce que l'autre fait ou ne fait pas. C'est l'essence même de l'interdépendance.

Donc, ce que j'essaie de dire, c'est que selon moi la frontière est de moins en moins importante, mais les événements en ce qui concerne la sécurité ont soudain rappelé à tous, surtout aux États-Unis, qu'il y a une frontière.

Le président: Monsieur Randall.

M. Stephen Randall: Permettez-moi d'ajouter un commentaire avant de répondre à vos deux très bonnes questions. Je pense que toute la notion de la défense du périmètre, par exemple, a des répercussions importantes non seulement pour la sécurité militaire, mais aussi pour l'immigration. Je suis jusqu'à un certain point d'accord avec M. Doran pour dire que nous devons maintenir une frontière non seulement symbolique, mais ouverte en grande partie. Je ne vois cependant pas comment nous pourrions arriver à harmoniser nos politiques en matière d'immigration et de réfugiés à l'échelle de l'Amérique du Nord. Franchement, je pense que l'approche canadienne est suffisamment distincte pour que nous ne cherchions pas à harmoniser notre politique en matière d'immigration avec celle des États-Unis. Nos politiques sont très différentes, non seulement à cause du Québec, mais aussi en raison de l'approche adoptée par le reste du pays à l'égard de l'immigration. Je pense que s'il y a harmonisation, elle se fera sur le modèle de la politique américaine plutôt que sur celui de la politique canadienne.

• 0940

Quant à savoir si nous devons aborder à la fois les affaires étrangères et la défense, oui, je pense que rien ne servirait d'examiner... La défense est simplement en grande partie un prolongement de la politique étrangère d'un pays et, oui, on ne peut pas étudier l'une sans étudier l'autre. Si vous rédigez un Livre blanc sur la défense, vous devrez de toute évidence le faire dans le contexte de l'examen de notre politique étrangère également. Je n'irai pas plus loin. Je pense que les deux font simplement partie intégrante de la même question.

Quant à savoir si nos installations nucléaires sont adéquatement protégées, on nous dit que oui. Je n'ai pas assez de renseignements pour vous répondre autre chose que ce qu'on nous dit.

Je me contenterai de revenir sur les points que j'ai fait valoir tout à l'heure: que notre capacité militaire, nationale et internationale, est manifestement inadéquate, en ce qui concerne non seulement la technologie, mais aussi la taille des forces militaires canadiennes et leur emplacement.

Si vous examinez notre politique relative à la Réserve, et je sais que mes collègues dans leur document sur la défense et dans d'autres travaux qu'ils préparent actuellement en vue d'une conférence le printemps prochain sur les réserves canadiennes en fait... Notre politique pour ce qui est des réserves est très différente de celle des États-Unis. Comme quelqu'un l'a fait observer en riant, ce qui est quand même malheureux, si un samedi soir tous les réservistes sont en train de jouer aux quilles et qu'on les rappelle pour ériger un mur de sable le long d'une rivière de l'endroit dont les eaux montent, mais qu'ils ont le goût de continuer à jouer aux quilles, il n'y a aucune loi qui les obligerait à faire acte de présence, et encore moins à défendre des installations nucléaires. Nous sommes assez laxistes à ce sujet.

Je m'empresse d'ajouter que je n'ai pas tendance à être très pro-militaire, mais si nous sommes sérieux lorsque nous disons vouloir nous défendre contre une attaque terroriste, ou en fait doter le Canada de la capacité de vraiment contribuer aux opérations militaires internationales, alors nous devons faire un meilleur travail. C'est une question de priorité. Je suis désolé, mais je ne peux pas être plus précis au sujet des installations nucléaires.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Carroll, vouliez-vous faire un rappel au Règlement?

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Non, mais je me demandais si mes honorables collègues pouvaient me laisser faire un bref commentaire, parce que je dois courir à la Chambre qui étudie le projet de loi C-35.

Merci. Je n'ai jamais le temps de poser de questions, parce que j'ai d'autres tâches.

Je tiens à vous remercier tous les deux. Je voulais que M. Randall sache que j'ai apporté pour l'occasion ma tasse à café de l'École de droit de l'Université de Calgary que ma fille m'a donnée.

Pour revenir à des choses plus sérieuses, s'il y a quelque chose de plus sérieux que le fort calibre de l'Université de Calgary, je tiens à vous remercier de vos commentaires au sujet notamment de l'intégration et de l'importance pour nous du maintien de notre indépendance ainsi que de la nécessité d'une coordination dans d'autres secteurs. J'espère que vous serez invités à comparaître devant de nombreux comités pour le proclamer, monsieur Randall.

M. Stephen Randall: Merci beaucoup.

Mme Aileen Carroll: Merci, et à vous également, M. Doran.

Je remercie aussi mes honorables collègues d'avoir bien voulu me laisser désobéir aux règles.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Je remercie M. Doran, avec qui j'aimerais discuter de questions autres que celles qui sont sur la table. Je remercie aussi M. Randall.

L'étude que nous faisons porte sur l'intégration nord-américaine et les conséquences du 11 septembre. Je remarque que vous n'incluez ni l'un ni l'autre le Mexique dans cette intégration. Pourquoi? L'ALENA, la première entente qui a mené à une intégration commerciale tout en étant une institution, comprend le Mexique. Le Mexique a aussi une frontière avec les États-Unis, qui comporte des problèmes différents, mais cela a aussi des conséquences pour le Canada. C'est ma première question.

Voici la deuxième. Ne trouvez-vous pas que le fait que les États-Unis ne sont pas signataires de l'Accord de Kyoto alors que le Canada l'est pose un grave problème? Bien sûr, on commence seulement à essayer d'en voir toutes les conséquences ici. Je viens d'une circonscription où il y a des entreprises de produits chimiques et de produits du pétrole qui sont très énervées parce que les États-Unis vont avoir un avantage concurrentiel en raison du fait qu'ils n'ont pas signé l'Accord de Kyoto. Quant à moi, cela devrait nous amener à nous poser des questions, et le Canada devrait trouver des solutions pour ne pas laisser aller vers les États-Unis tout un secteur industriel important.

• 0945

Troisièmement, il y a la question des frontières elles-mêmes. Monsieur Doran, vous proposez qu'on revoie complètement les programmes de visas et d'octroi d'asile. Vous qui êtes si bien informé, vous n'êtes pas sans savoir que de ce côté-ci de la frontière, le problème que nous avons et que j'ai, comme parlementaire, c'est que la politique de visas des États-Unis est plus large que celle du Canada. Dans ma circonscription, on me demande d'obtenir pour telle citoyenne dont la mère est aux États-Unis, en provenance d'un autre pays, un visa pour qu'elle puisse venir au Canada. Mais les fonctionnaires canadiens, en vertu des politiques canadiennes, refusent le visa dans de telles circonstances. On a évalué que cela était la cause d'à peu près 50 p. 100 de nos problèmes. Je suis certaine que ce n'est pas la vision qu'on a des politiques d'immigration aux États-Unis. On a le sentiment que c'est au Canada qu'est la passoire, mais ce n'est pas le cas.

Vous êtes-vous intéressé aux conditions d'arrivée à Schengen, en Europe? En Europe, on a aboli les frontières. Bien sûr, cela se situe dans le cadre d'une union qui est maintenant non seulement économique, mais aussi politique, mais il fallait quand même voir à l'application d'une politique commune de visas et aussi, je crois, de droit d'asile. Je m'arrête là.

[Traduction]

M. Stephen Randall: Laissez-moi tout d'abord répondre, si vous me le permettez, à votre question, à savoir pourquoi nous n'incluons pas le Mexique. Je pense que je l'ai fait, mais sans donner de détails, dans deux secteurs. Le premier est celui de la politique énergétique nord-américaine, par exemple, où l'intention de toute évidence est d'examiner les trois pays pour ce qui est de l'approvisionnement. Mais, encore une fois, cette politique a toujours témoigné d'une forte ouverture des États-Unis sur l'extérieur et d'une approche bilatérale États-Unis-Mexique et États-Unis-Canada.

La question de l'intégration nord-américaine dans le secteur énergétique est très ancienne. Elle ne date certainement pas de l'administration Bush actuelle. Et elle a été examinée de manière beaucoup plus systématique depuis le début des années 70 et depuis la première crise du pétrole, mais il en avait été question aussi à la fin des années 40. Si vous regardez un livre que j'ai écrit il y a plus longtemps que je le voudrais, sur la politique pétrolière étrangère des États-Unis, vous verrez que des hauts fonctionnaires américains ont dit à plusieurs reprises à la fin des années 40 que l'Amérique du Nord est une unité économique, surtout en ce qui concerne l'énergie. Et, bien sûr, c'était au moment où les champs Leduc en Alberta commençaient à être mis en valeur—à partir de 1947.

Il est donc évident que l'administration Bush, lorsqu'elle parle de la politique énergétique, inclut aussi bien le Mexique que le Canada, et je suis désolé si je n'ai pas été assez clair.

L'autre question est celle de la frontière. Dans une certaine mesure, l'attitude face à la frontière canadienne ces dernières années a été dictée par la réaction des États-Unis aux problèmes à la frontière mexicaine. Et quand pour la première fois, ces dernières années, nous nous sommes heurtés à de graves problèmes de mouvement transfrontière, pour nos retraités migrateurs qui allaient en Floride et ailleurs, c'était en partie attribuable bien sûr à ce qui se passait à la frontière mexicaine. L'administration Clinton, comme nous tous dans cette salle le savons je pense, a investi énormément d'argent dans le renforcement de la frontière avec le Mexique où ont été installés un nombre beaucoup plus grand de patrouilles, plus de barbelés, des barbelés à lames et ainsi de suite.

Si vous regardez la frontière canadienne, par contre, nous avons—mais mes données ne sont peut-être pas exactes—quelque 270 points d'entrée où travaillent environ seulement 600 agents de la patrouille frontalière. Il se peut que je me trompe légèrement, mais le ratio entre le nombre d'agents de la patrouille frontalière et le nombre de points d'entrée est tellement bas que nous ne pouvons de toute évidence pas maintenir un niveau de sécurité élevé dans les circonstances actuelles.

• 0950

Il y a un rapport clair sur les plans de la politique, de l'idéologie et de la sécurité entre la façon dont les États-Unis considèrent la frontière canadienne et la façon dont ils considèrent la situation à la frontière mexicaine.

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre dernière question au sujet de la politique relative aux visas. Avons-nous besoin d'un visa commun...?

[Français]

Mme Francine Lalonde: C'est la proposition de M. Doran.

M. Stephen Randall: Ah, oui. Merci.

[Traduction]

M. Charles Doran: Ce sont de bonnes questions et elles sont très claires. J'espère que je saurai me montrer à la hauteur en y répondant.

Pour ce qui est de la question au sujet du rôle du Mexique, je dirais qu'il joue un rôle essentiel, surtout dans la foulée de l'ALENA. Il est vrai que les États-Unis doivent tenir compte du fait qu'ils ont deux frontières, contrairement aux autres pays, mais vu que vous vous y connaissez en politique, vous comprendrez que la position des États-Unis sera légèrement différente s'ils doivent surveiller à la fois le nord et le sud.

Oui, je pense que le processus d'intégration nord-américaine st beaucoup plus compliqué, beaucoup plus complexe, que les questions frontalières pourraient le laisser croire. Nous avons commencé par un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. C'est en fait ce qui a ouvert la voie à tous les autres accords. Nous avons ensuite signé cet accord très novateur, l'ALENA. Mais nous parlons aussi d'avoir, comme vous le savez, une zone de libre-échange des Amériques d'ici 2005. Il y a donc tout un nombre d'autres questions compliquées qui mettent en jeu de nombreux autres acteurs de l'hémisphère occidental. Et, récemment, nous avons renouvelé nos efforts du côté de l'OMC. Je pense que le Canada et les États-Unis ont travaillé en collaboration très étroite à cette question de sorte qu'il y a des changements à ce niveau également.

Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que oui, nous devons, d'une part, examiner de près la question en tenant compte du Mexique et, d'autre part, comme M. Randall l'a signalé, reconnaître que les États-Unis vont subir en ce sens une influence qui va compliquer les choses. Mais nous devrions aussi reconnaître que les relations entre le Canada et les États-Unis uniquement offrent des possibilités. C'est ce que j'essayais de faire valoir dans mes remarques.

Lorsque vous demandez quelles pourraient être les prochaines étapes qui préoccupent l'Américain et le Canadien moyen et qui pourraient comporter des avantages et des améliorations, je pense qu'il faudrait chercher du côté de la sphère Canada-États-Unis. Il s'agira de prendre plus de mesures positives afin que les gens puissent circuler plus librement. En un sens, cela nous ramène à vos préoccupations à propos des visas également.

Comment le Mexique réagirait-il? Je ne peux pas parler au nom du Mexique. Je ne sais pas comment il réagirait. Mais j'ai l'impression que si Ottawa disait, comme le suggérait le dirigeant syndical dont je parlais, que nous avons des problèmes particuliers ici et que nous devons essayer de faciliter la circulation à la frontière... Si on disait qu'il s'agit d'une expérience, en fait, si les choses se faisaient graduellement et qu'on prévoyait même un examen au bout de trois ou cinq ans, de sorte que la décision pourrait être renversée... Si c'était présenté de cette façon au gouvernement américain et au gouvernement mexicain, ces derniers reconnaîtraient que c'est en quelque sorte une expérience pour voir si ça fonctionne, pour voir ce que les Américains et les Canadiens peuvent faire, et s'ils réussissent, la même chose pourrait se faire pour ce qui est des relations entre le Mexique et les États-Unis et entre le Mexique et le Canada. Il faudrait bien comprendre que ce serait au bout d'un certain temps. Si c'était présenté de cette manière, je pense que vous pourriez arriver à sortir de l'impasse dans laquelle vous vous trouvez.

• 0955

Pour ce qui est de votre deuxième question, à propos de l'Accord de Kyoto, je m'intéressais déjà à l'environnement avant que les environnementalistes—ça ne me rajeunit pas—se mettent à présenter toutes sortes d'arguments en ce sens. Je pense qu'il est très important de protéger l'environnement. Je dirais que les Américains en général pensent la même chose. Mais il est très clair que cette administration et un grand nombre de scientifiques et d'autres personnes qui ont examiné la situation de près ont trouvé que le processus de Kyoto était voué à l'échec, que l'accord ne sera jamais mis en oeuvre. Il peut être signé, mais il ne sera jamais complètement mis en oeuvre. Laissez-moi brièvement vous expliquer pourquoi.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Mais là il y a eu Marrakesh.

[Traduction]

M. Charles Doran: Oui.

Mme Francine Lalonde: On a décidé à Marrakesh, il y a deux semaines, qu'on irait de l'avant, à la conférence de Marrakesh.

M. Charles Doran: Oui, on continuera à en discuter et ainsi de suite, mais je veux parler de la mise en oeuvre comme telle. C'est le premier point. Le deuxième point, c'est que même si l'accord était mis en oeuvre, ce serait plus tard, pas maintenant. Nous parlons d'y aller progressivement sur une longue période de temps.

J'allais poser cette question: Pourquoi l'administration des États-Unis et d'autres gouvernements réagissent-ils ainsi à l'Accord de Kyoto? Je vais vous dire pourquoi, selon moi.

J'ai entendu une allocution qu'a prononcée le président d'une pétrolière indépendante au Texas, qui est né au Québec, soit dit en passant. En fait, son nom est associé à celui d'une grosse raffinerie de pétrole, à une raffinerie de pétrole du Québec. À mon avis, c'est un homme très intelligent. On lui a posé la même question récemment et il a répondu que le problème s'explique par le fait que nous devons nous pencher sur la question du réchauffement de la planète, montrer qu'il existe un lien entre la consommation d'énergie et le réchauffement de la planète comme tel. Je parle ici d'un ingénieur chimiste qui dit qu'il doit démontrer qu'il y a un lien scientifique quelconque, et que c'est difficile à faire, surtout lorsque les coûts sont aussi élevés qu'ils le sont. C'est pourquoi il y a tout un débat autour de cette question.

En ce qui concerne la compétitivité commerciale, s'il fallait que quelqu'un soit désavantagé sur le plan commercial à cause de cet accord, je pense qu'il aurait le droit de mettre d'autres gouvernements au défi, y compris le gouvernement américain, s'ils avaient une responsabilité quelconque, mais il peut y avoir toute une différence entre les craintes d'avantage commercial et la réalité. C'est ce qu'il faut examiner très soigneusement, je pense.

Je crois que votre dernière question avait trait aux visas et à la frontière elle-même. En fait, c'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Quelle au juste la politique américaine en matière d'immigration dans un sens un peu plus vaste? Franchement, je ne voudrais pas être obligé d'expliquer ou de justifier une politique d'immigration. Je pense que toute une série de questions très complexes entrent en jeu.

Laissez-moi plutôt réduire cette question à sa plus simple expression. Les États-Unis et le Canada, comme de nombreux autres pays, ont été bâtis par des immigrants. Nous sommes des pays qui ont été créés par des immigrants et nous avons besoin de l'immigration. Elle est excellente pour nous. Nous ne prendrons pas de mesures qui nuiront à l'immigration en ce sens qu'elles pourraient la réduire ou la stopper.

Cela dit, et je ne suis pas certain d'être capable d'arriver à bien me faire comprendre, non seulement les événements du 11 septembre, mais leurs conséquences ont une certaine pertinence ici. Personne n'a rien mentionné à propos de la maladie du charbon. Le cinglé qui a envoyé ces lettres a causé un tel émoi qu'il y a eu un changement d'attitude à Washington et un peu partout aux États-Unis qu'on ne peut pas ignorer.

Par conséquent, la nouvelle réalité du XXIe siècle est la suivante: Comment faire face à ces nouvelles préoccupations en matière de sécurité sans empiéter sur notre politique d'immigration? La réponse, c'est qu'il faut chercher les problèmes. Aux États-Unis, les problèmes peuvent être associés aux visas, jusqu'à un certain point. Pourquoi est-ce que je dis cela? Parce qu'un certain nombre des pirates de l'air avaient obtenu légalement un visa. Comme analyste, cela me porte à croire que quelqu'un leur a délivré des visas et qu'il se pourrait fort bien qu'un problème existe. Je ne dis pas qu'on peut être parfait, mais il semble y avoir là un problème.

• 1000

Je me fonde en vous disant cela non seulement sur mes propres recherches, mais aussi sur les recherches effectuées par d'autres, surtout des Européens. Quand ils examinent la situation au Canada, ils disent que les questions d'asile sont assez différentes par comparaison à la France, par exemple, et à d'autres pays et qu'il pourrait y avoir un problème. Il faudrait examiner la situation de près.

La raison pour laquelle je dis cela également, c'est que le Canada et les États-Unis sont comme des livres ouverts. Les Américains savent exactement ce que vous faites. Vous savez exactement ce que nous faisons. Il n'y a rien d'opaque.

Cela dit, nous devons examiner soigneusement tout problème potentiel. Je pense que nous pouvons le faire sans entraver la libre circulation des gens qui veulent être réunis avec leurs familles et ainsi de suite. Je pense qu'il y a un tas de techniques qui peuvent être mises en place. Ce qui est arrivé, c'est que nous avons tout simplement été négligents.

M. Stephen Randall: Permettez-moi de revenir sur un point ou deux.

Madame Lalonde, je suis désolé de ne pas avoir répondu à votre question au sujet de l'Accord de Kyoto. Je pense que si on avait sérieusement l'intention de mettre l'accord en application, et les États-Unis n'en sont pas signataires, alors oui, les États-Unis jouiraient d'un avantage économique concurrentiel, ce qui pourrait aller à l'encontre de l'Accord de libre-échange nord-américain et peut-être même des règles de l'Organisation mondiale du commerce.

Le vrai problème pour ce qui est de l'intégration nord-américaine en ce qui concerne l'Accord de Kyoto serait le Mexique, qui n'applique pas sa propre législation environnementale, comme vous le savez bien. Le Canada et les États-Unis respectent de beaucoup plus près l'Accord de Kyoto que le Mexique et certains des pays situés encore plus au sud.

Les politiques du Canada et des États-Unis en matière d'immigration semblent très ouvertes par comparaison à celle du Mexique. Il est extrêmement difficile pour un étranger qui arrive au Mexique d'obtenir sa citoyenneté. Il y a des années où il n'y a qu'une ou deux personnes qui obtiennent la citoyenneté mexicaine. Je me souviens que cela a été le cas du photographe officiel du président. Ce fut aussi le cas à un moment donné d'un investisseur important au Mexique. Je pense que nous avons affaire au Mexique pour ce qui est de la politique de l'immigration et de la citoyenneté à une situation complètement différente de celle qui règne au Canada et aux États-Unis.

Permettez-moi d'aborder un point, qui nous ramène à la question des visas de même qu'aux commentaires de M. Doran, et il s'agit de la politique relative aux réfugiés. Certains ont donné à entendre qu'il peut se poser un grave problème de sécurité lorsque des gens arrivent à un point d'entrée au Canada et demandent le statut de réfugié. Pendant que leur cas est en instance, ils sont libres de s'intégrer à la société canadienne. Nous le savons. Cela a toujours été la pratique au Canada. Autant que je sache, la seule exception récente a été celle du bateau qui est arrivé en Colombie-Britannique qui a été saisi et dont les passagers ont été incarcérés en attendant que leur cas soit réglé.

Normalement, lorsqu'une personne demande le statut de réfugié, son cas est en suspens et elle s'intègre à la société canadienne. Nous n'avons aucun moyen de la retracer si elle décide de disparaître. Je ne dis pas que c'est mauvais, mais si nous sommes préoccupés par la sécurité pendant que le cas fait l'objet d'un examen... Chuck a tout à fait raison—ceux qui ont perpétré les attaques du 11 septembre étaient pour la plupart titulaires de visas authentiques. Nous sommes donc laxistes quelque part. Ce n'étaient pas des réfugiés. Ce n'est pas seulement la politique relative aux réfugiés qui est en jeu ici.

M. Charles Doran: Madame la présidente, puis-je répondre en faisant un autre commentaire? Comme analyste, voici ce qui m'inquiète. S'il y avait un autre événement... Vous connaissez assez bien la politique pour savoir que les gens ont tendance à se précipiter au lieu d'adopter des lois systématiquement et efficacement. Il y a bien des gens qui disent que, malheureusement, les événements dont nous avons été témoins pourraient se reproduire, peut-être pas à la même échelle, peut-être pas au même endroit, de la même manière, mais des événements se produiront. Le terrorisme n'est malheureusement pas une chose que nous avons laissée derrière nous.

• 1005

Ce qui m'inquiète, c'est qu'il y a eu des progrès et qu'il semble y en avoir eu de sorte qu'on pourrait dire que nous avons fait ce que nous pouvions, nous avons fait des efforts honnêtes et sérieux pour nous occuper de ces questions, nous ne sommes pas parfaits, mais nous avons fait ces efforts de part et d'autre en espérant que tout irait pour le mieux. Mais si nous n'étions pas en mesure de dire cela, si la presse ne pouvait pas s'exprimer en ces termes et qu'un autre événement se produise, alors je pense que le gouvernement aurait de la difficulté à contrôler la situation.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, madame Lalonde. Je suis sûre que vous conviendrez que vous avez déjà assez...

Mme Francine Lalonde: Oui, j'ai obtenu bien des réponses très intéressantes.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Mais très intéressantes pour nous tous. Merci beaucoup.

Monsieur Doran, je vois d'après votre biographie que vous êtes directeur des études canadiennes. Nous avons entendu le témoignage de plusieurs personnes qui étaient très stratégiques en ce qui concerne les études canadiennes, les relations du Canada, etc. Pourtant, nous avons entendu à maintes reprises parler d'idées erronées à propos du Canada, des Canadiens et des politiques canadiennes. Qu'est-ce que vous enseignez donc?

Des voix: Ah, ah!

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Et pourquoi nous connaissons-nous si mal malgré tout ce qui a pu être dit, par exemple, que nous sommes de bons voisins, que nous travaillons en collaboration très étroite, que nous savons exactement ce que l'autre fait, etc.? Les Américains ne semblent pas nous connaître. Comme législateurs, que pouvons-nous faire pour arriver à mieux expliquer et à mieux faire comprendre les politiques du Canada?

M. Charles Doran: C'est une question très intéressante et j'allais dire dans mes remarques préliminaires que c'est moi qui suis responsable de la première tempête de neige au Canada.

Des voix: Ah, ah!

M. Charles Doran: Je répondrais à peu près la même chose. Vous savez, nous, des études canadiennes, avons une tâche décourageante et c'est d'essayer de faire du mieux que nous pouvons pour fournir de l'information, surtout aux étudiants, mais aussi sur d'autres tribunes. M. Randall m'a dit tout à l'heure qu'il venait de prendre la parole devant un groupe d'hommes d'affaires, de dirigeants syndicaux et d'autres personnes dans l'Ouest. Nous essayons de faire ce genre de choses le plus efficacement possible, mais nous avons encore du chemin à faire. Il y a encore de nombreuses idées erronées à propos du Canada et des États-Unis.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Comment faire pour que les choses changent?

M. Charles Doran: Lorsque j'ai dit que les Canadiens nous connaissaient et que nous connaissions les Canadiens, je voulais parler des groupes de réflexion. Je parlais d'un petit groupe de gens qui passent leur vie en fait à s'étudier réciproquement et à interagir de cette façon. Il n'y a presque rien qui se passe dans chaque pays sans que ces groupes ne le sachent. Comme vous le savez, cela alimente le processus politique. Mais c'est en quelque sorte un groupe spécialisé et, dans une démocratie, il est important d'avoir une connaissance et une compréhension générales, que nos universités sont censées transmettre, et nous faisons de notre mieux en ce sens.

Il y a une association d'études canadiennes aux États-Unis. Elle n'est pas unique aux États-Unis, parce que de nombreux autres pays ont maintenant une telle association. Bien sûr, le Canada en a lui-même une très importante. Elle regroupe 1 100 professeurs d'université de toutes les régions des États-Unis. Nous venons juste d'avoir nos réunions à San Antonio, au Texas. Nous aimerions beaucoup vous inviter à participer aux prochaines réunions. Il serait intéressant pour vous de voir de quelle manière on discute de tous les aspects du Canada à ces réunions. Mais il reste que c'est quand même un groupe assez petit de gens par comparaison à une population de 275 millions d'habitants.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Pensez-vous que nous devrions une journée par année réunir tous les professeurs, comme M. Randall, qui échangeraient entre eux...?

M. Stephen Randall: Puis-je faire un très bref commentaire?

• 1010

C'est une question intéressante, bien sûr. J'ai indiqué dans mon exposé que l'important, c'est ce qui se passe au Congrès. Au bout du compte, les députés au Congrès, peu importe d'où ils viennent, à quelques exceptions près, se font du souci pour leurs électeurs; ils ne se font pas de souci pour le Canada et les États-Unis. Ils sont préoccupés par les questions économiques, sociales et politiques qui intéressent leurs électeurs, pas par les questions transfrontalières—à moins qu'ils vivent dans une région où les questions transfrontalières sont importantes pour eux. Peu importe, en un sens, s'ils connaissent bien le Canada ou non. Il y a des intérêts réels en jeu en dernière analyse également.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Il me reste à peine une minute. J'ai été intriguée par la dernière phrase de votre mémoire, monsieur. Vous avez dit que «nous pouvons assister... à une bifurcation dans une nouvelle direction». Je me demandais ce que vous entendiez par bifurcation et par nouvelle direction dans le contexte des relations bilatérales ou trilatérales.

M. Stephen Randall: Je ne voulais pas parler d'une bifurcation complète; je disais que nous allions avoir une continuité. Mon dernier commentaire était que: «L'histoire nous enseigne que nous pouvons assister aussi bien à une continuité dans tous les domaines qu'à une bifurcation dans une nouvelle direction...» En fait, je disais le contraire. Nous pouvons nous attendre à une certaine continuité et à une intensification des pressions qui se font déjà sentir, plutôt qu'à une bifurcation.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Je tiens à vous remercier tous les deux.

J'ai une seule question, monsieur Doran. Vous dites dans votre mémoire que «chaque gouvernement devrait approuver un système de visa de sortie qui fonctionne et communiquer cette information à l'autre gouvernement». J'aimerais que vous me donniez un peu plus de précisions à ce sujet. Voulez-vous parler d'un visa de sortie, disons pour les gens qui viendraient au Canada pour en repartir ou voulez-vous parler d'un visa entre les deux pays? J'aimerais avoir un peu plus de détails.

J'ai une deuxième question à laquelle vous pourriez répondre tous les deux. Vous avez dit aussi que chaque gouvernement doit étudier les méthodes employées par la France face au terrorisme quand il s'agit du terrorisme lié au fondamentalisme islamique. Ma question est la suivante. Nous parlons de sécurité—de toutes sortes d'autres questions du genre—mais que se passera-t-il après l'Afghanistan? C'est le problème qui se pose actuellement et la citation s'applique assez bien dans ce cas, mais qu'arrivera-t-il du terrorisme?

Ce sont les causes du terrorisme qui me préoccupent. Nous, catholiques, avons le Pape tandis que certaines autres religions ont un chef religieux, mais ils n'en ont pas. Et si vous regardez ce qui se passe actuellement en Arabie saoudite, le chômage y est de près de 30 p. 100. Il y a des problèmes graves dans toutes ces régions du monde. Est-ce que les États-Unis font quoi que ce soit à ce sujet?

C'est là que le problème a sa source. Nous pouvons essayer de trouver une solution entre nous, mais si nous n'essayons pas de trouver la vraie solution dès le départ... Y a-t-il quelque chose qui se fait en ce sens aux États-Unis, et au Canada aussi?

Ce sont là mes deux questions.

M. Stephen Randall: C'est une question très importante et je ne suis pas certain d'avoir l'expérience qu'il faut pour vous dire ce qui pourrait arriver après l'Afghanistan. La résolution du problème que posent Al-Qaïda et les talibans en Afghanistan ne mettra dans aucun cas fin au terrorisme. Je pense que nous le savons tous.

Vous avez fait allusion à l'Arabie saoudite. Oui, le taux de chômage qui y est de 15 à 25 p. 100 pose un très grave problème. Il ne fait aucun doute que si nous sommes sérieux lorsque nous disons vouloir changer la dynamique du monde musulman, il doit y avoir un développement économique important. C'est essentiel. L'Afghanistan n'a pas d'économie. Il lui faudra se tourner vers la production et l'exportation d'opium. C'est la seule ressource dont ce pays dispose pour le moment, à moins qu'il ne se mette à faire le commerce d'armes comme dans le passé. Le Pakistan est extrêmement vulnérable, en plus de l'Arabie saoudite.

La relation entre les deux puissances nucléaires du continent—entre l'Inde et le Pakistan—demeure très instable. Cela va bien plus loin que le seul problème du terrorisme. Je crois que nous sommes aux prises avec un problème de sécurité internationale très grave dans cette région du globe.

Nous savons à quel point l'Arabie saoudite est vulnérable. Tant que l'Arabie saoudite financera—et elle le fait, je pense que nous le savons tous—les éventuels terroristes de diverses factions, ce sera relativement sûr. La famille royale saoudienne est extrêmement corrompue. Je vous recommande un excellent article publié il y a quelques semaines par le magazine The New Yorker à ce sujet—et d'autres lectures, bien sûr. Il ne fait aucun doute que ce régime est instable.

• 1015

Les champs de pétrole de l'Arabie saoudite, dont nous parlions juste avant que la séance ne débute aujourd'hui, sont extrêmement vulnérables à une attaque terroriste de faible technologie. Il ne faudrait pas grand-chose pour que les champs saoudiens soient mis hors service pendant une longue période de temps. D'après les chiffres que nous avons tous vus, si cela arrivait, les prix du pétrole grimperaient immédiatement à 100 $ le baril. Les Albertains en seraient ravis et l'Université de Calgary serait très heureuse d'obtenir des fonds provinciaux supplémentaires à ce moment-ci, puisque les prix ont chuté à 16 $ le baril, comme nous le savons.

Oui, d'après moi, «l'après Afghanistan» posera un grave problème auquel nous les pays développés seront confrontés.

M. Bernard Patry: Et ce que vous disiez dans votre mémoire au sujet des visas de sortie.

M. Charles Doran: Je vais tout d'abord prendre la question de la sortie. Cette idée ne reflète pas la politique américaine actuelle, ni non plus la politique canadienne, elle est le résultat de mes propres réflexions.

Premièrement, je pense qu'il serait très difficile pour un gouvernement ou pour l'autre d'appliquer une politique s'ils ne savent pas si les gens qui ont des visas ou qui sont entrés dans le pays y sont toujours ou non.

Deuxièmement, j'ai remarqué que dans les pays européens, malgré l'accord de Schengen et les efforts pour faciliter la circulation des gens et ainsi de suite, il arrive souvent, disons, de se faire demander son passeport dans un hôtel de Paris. Ces gens savent qui vous êtes et où vous êtes. Est-ce que ça se fait ici? Ça ne s'est jamais fait ici parce que le besoin ne s'en est jamais fait sentir, et j'espère que ce n'est pas la solution que nous retiendrons. Presque tous ces gouvernements ont une politique de sortie: vous devez montrer votre passeport; ils savent qui vous êtes quand vous partez.

Nous ne faisons pas cela. Je pense qu'il y a de nombreux Américains qui s'y opposeraient. Mais je pense qu'ils ont tort, parce qu'il n'est pas très fastidieux, quand on franchit une barrière, de montrer son passeport et de dire qu'on part. Et l'information que les organismes d'exécution recueillent ainsi—pas au sujet de ceux qui n'ont rien à se reprocher, mais au sujet des autres qu'ils essaieront de trouver—est inestimable. Elle est très facile à recueillir, très facile à partager et très pertinente.

C'est à mon avis le genre de mesure qui ne dérangera personne. Il n'y aura pas pour autant de longues queues ou autre chose du genre. Ce serait très utile; c'est pourquoi je l'ai suggéré.

Mais la deuxième question, bien sûr, est celle qui concerne l'avenir. Je vais essayer de vous donner des exemples. Ça ne vous satisfera peut-être pas, mais c'est la façon dont j'aborderais la question.

Oussama ben Laden et son groupe ont pour cible non pas les États-Unis, le Canada, la France ou la Grande-Bretagne, mais bien le Moyen-Orient. Leur véritable objectif, ce sont des régimes comme celui de l'Arabie saoudite, de l'Égypte—ils aimeraient bien s'en prendre au régime jordanien—tous les prétendus régimes modérés de la région. Ces pays ne sont pas sans éprouver leurs propres problèmes; ils ont tous des problèmes—pensons au chômage, aux efforts pour faire protéger les droits et toutes sortes de problèmes graves et difficiles. Mais ils se débrouillent tant bien que mal et ils sont situés aussi dans une région où se trouve la plus grande partie du pétrole exportable du monde.

Oussama ben Laden aimerait bien faire de nous sa cible, parce que nous sommes plus vulnérables. Nous sommes une cible plus facile. La plupart de ces gens ont été évincés de ces pays. Ils aimeraient nous forcer à prendre des mesures pour miner ces gouvernements. Il a parlé précisément du rapatriement des troupes qui sont en Arabie saoudite. Pourquoi? Parce qu'il sait que ce petit pays d'environ huit millions d'habitants, avec ses quantités gargantuesques de pétrole, ne peut se défendre contre les pressions de l'Iraq et d'ailleurs au Moyen-Orient. S'il peut arriver à convaincre qui que ce soit que ces forces ne devraient pas être là, pour quelque raison que ce soit, il sera presque arrivé à miner ces gouvernements.

• 1020

Nous comprenons parfaitement sa stratégie, mais il est incroyable de voir à quel point il a réussi, surtout dans le monde islamique, à faire passer son message sans révéler sa véritable stratégie et sans révéler quelles pourraient en être les conséquences.

C'est donc une longue bataille. Lorsqu'elle sera terminée, bien d'autres problèmes vont se poser. Je sais que les gens ici commencent à s'en apercevoir. Ils commencent à s'en apercevoir même en Californie, bien loin de ce qui s'est passé sur la côte est. Mais ce sera une longue lutte, même en ce qui concerne l'islamisme. Ce ne sont pas des vues islamiques, ce n'est pas une religion légitime; c'est l'exploitation et la manipulation d'une religion comme idéologie pour miner les gouvernements de la région.

M. Bernard Patry: Je vous remercie tout d'abord de la réponse. Je pense qu'il veut en sorte recréer une espèce d'empire ottoman sous l'Islam.

M. Stephen Randall: Si vous regardez les systèmes d'éducation d'Arabie saoudite, vous verrez que le nombre d'enseignants qui sont des islamistes intégristes d'autres pays de la région, d'Égypte et d'ailleurs, est très élevé. Vous vous trouvez donc en face d'une culture politique et d'un environnement éducatif où les vues de l'Islam intégriste, qui ne sont pas très éloignées de celles d'Oussama ben Laden et d'Al-Qaïda, se répandent dans une société très fragile dont les éléments sont retenus ensemble au sommet avec l'aide des États-Unis, comme vous l'avez indiqué.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Martin. Pas plus de cinq minutes s'il vous plaît, et des réponses brèves.

M. Keith Martin: Merci.

Nous voilà dans un sujet tout à fait fascinant, tout à fait pertinent pour notre sécurité et celle des États-Unis. Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur Randall, sur les aspects que vous avez soulevés au sujet des défis auxquels nous sommes tous confrontés en matière de sécurité, que ce soit au Cachemire ou en Arabie saoudite, qui pourraient connaître les mêmes bouleversements cataclysmiques qu'a connus l'Iran. Ce sera de graves sources d'inquiétude pour beaucoup d'entre nous, pour les raisons que vous avez mentionnées.

Ma question s'adresse à vous deux, puisque vous avez donné de si bonnes réponses. Pensez-vous que nous pourrions utiliser la coalition que nous avons formée jusqu'à présent, avec des partenaires que nous n'aurions pas pu imaginer ne serait-ce qu'il y a un an—le Pakistan et autres—pour aborder les questions plus vastes de sécurité au Cachemire, en Arabie saoudite, ainsi que le fossé entre le monde arabe et l'Occident? Comment pouvons-nous nous servir des États arabes modérés comme rempart contre le fondamentalisme islamique? Comment pouvons-nous nous servir de cette coalition pour établir des liens de sécurité à long terme pour la communauté internationale?

Vous avez soulevé cet aspect qui me paraît essentiel pour assainir ce marécage. Comment les États islamiques peuvent-ils nous servir de rempart pour contrer la propagande négative qui est servie aux enfants dès le plus jeune âge? Ils sont soumis à cette propagande négative, ignoble, vénale et haineuse. Comment pouvons-nous désamorcer ce mécanisme d'endoctrinement, de manière à ce qu'il y ait moins de gens à accepter de perdre leur vie comme ce fut le cas le 11 septembre? Je sais que c'est une vaste question.

M. Stephen Randall: Oui, en effet, la question est vaste. Je vais tenter de répondre brièvement à cette question troublante et très complexe, bien entendu.

Voyons d'abord le côté négatif. La première chose que nous devons éviter, c'est d'encourager les États-Unis à attaquer d'autres pays. D'après moi, vouloir déloger Saddam Hussein, c'est sous-estimer totalement l'attrait, l'appui dont il bénéficie dans le monde islamique. Le raisonnement que tient l'administration Bush depuis quelques mois est non seulement irresponsable, il est extrêmement dangereux. Ce serait absolument la dernière chose à faire et il est tout à fait exclus d'attaquer actuellement n'importe quel autre État islamique. Cela contribuerait à fragmenter immédiatement la coalition et à miner gravement ce qu'on pourrait qualifier de mouvement islamique modéré, de point de vue islamique modéré et d'États islamiques modérés.

• 1025

Voyons maintenant les côtés positifs. Nous devrions éviter de nous engager dans des actions militaires irréfléchies. Une mesure positive que nous pouvons prendre consiste à encourager d'une certaine façon l'islam modéré.

Je n'ai aucune solution à proposer pour la façon de s'y prendre, mais je ne pense pas que cela pourra se faire en proposant des programmes d'études canadiennes et américaines au Moyen-Orient. Je pense qu'il faut faire en sorte que ces mouvements émanent de ces sociétés elles-mêmes, qu'ils paraissent intrinsèques et non pas imposés par des puissances étrangères. Les États du Moyen-Orient sont extrêmement sensibles à l'impérialisme et aux interventions extérieures depuis au moins les croisades. Ainsi, George Bush a heurté cette sensibilité en utilisant le terme «croisade» au début de la riposte aux attentats du 11 septembre.

Je ne suis pas un spécialiste du Moyen-Orient et je ne prétends pas connaître les solutions au problème, mais je pense qu'en faisant d'abord la liste des choses à faire et à ne pas faire, on a déjà un début d'initiative.

M. Charles Doran: Merci pour cette excellente question.

Voyons d'abord les points positifs. Pour la première fois depuis 1945, tous les grands États dignes de ce nom, ceux qui s'affirment comme tels, sont dans le même camp. La Russie et la Chine sont de notre côté. C'est un facteur important qu'il ne faut pas sous-estimer dans notre capacité à mener les opérations que nous jugeons nécessaires en Afghanistan. Imaginez l'inverse. Supposons que la Russie se soit opposée. Supposons que la Russie ait refusé de nous accorder l'utilisation des bases aériennes là-bas. Supposons que la Chine se soit impliquée de manière différente. Vous pouvez imaginer combien la situation aurait été désastreuse et compliquée.

L'aspect positif, c'est que tous les gouvernements responsables reconnaissent que ce type de terrorisme—multilatéral, organisé à la manière d'une entreprise, disposant de fonds bien supérieurs à ce qu'on aurait pu imaginer auparavant, à deux doigts d'utiliser des armes de destruction de masse... C'est quelque chose qui donne à réfléchir.

Comme je l'ai dit, il me semble que les gouvernements de la région—les gouvernements islamiques et pas seulement les gouvernements arabes... Y compris l'Iran. L'Iran appuie l'Alliance du Nord. Ne l'oublions pas. C'est dans le propre intérêt de l'Iran, car il savait que les combattants d'al-Qaïda étaient tout aussi menaçants pour son régime que pour les autres.

Tout d'abord, ces gouvernements comprennent beaucoup mieux que nous que ces politiques les visent directement. Cependant, ils sont très limités dans la façon dont ils peuvent l'exprimer, pour les raisons que vous avez mentionnées. Pour les gens de la rue, les démunis qui n'ont pas la possibilité d'exprimer leur sentiment et leur point de vue autrement que par la voie idéologique islamique, il est très facile de considérer ces groupes comme des Robin des bois. De fait, même s'ils savent que c'est de la propagande, ils peuvent y adhérer, ne serait-ce que par désespoir.

Que pouvons-nous faire? À mon avis, il faut maintenir nos contacts avec ces gouvernements. Il faut éviter les problèmes de visa et ne pas empêcher les échanges d'étudiants. Dans l'ensemble, ce sont les meilleurs ambassadeurs que le Canada et les États-Unis et les autres pays occidentaux peuvent avoir dans la région. Continuons à maintenir des contacts. Évitons de mettre ces gouvernements dans l'embarras. Il nous suffit simplement d'être patients, parce qu'il y a une limite à ce que nous pouvons faire sur le plan des ressources et de notre capacité à induire le changement.

• 1030

Un des problèmes pour les États-Unis, c'est qu'on les accuse d'une part d'en «faire trop et de se conduire comme une superpuissance arrogante». D'un autre côté, on leur reproche de ne «pas en faire assez et de laisser de telles abominations se produire». Washington est habitué à subir de telles pressions contradictoires.

Je dirais que nous devons rester modestes et réalistes quant au contrôle que nous pouvons exercer dans ce domaine tout en demeurant ouverts et prêts à communiquer, en particulier avec les jeunes et avec la presse dans ces pays.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci, monsieur.

Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, je vous prie de m'excuser d'avoir manqué la présentation de vos exposés. Les intempéries m'ont retardée. Cependant, j'ai lu vos deux mémoires et j'ai une question à vous poser.

Vous avez tous deux souligné l'importance de continuer à appuyer les États arabes modérés et de tenter de définir et d'élaborer une sorte de politique de développement international qui appuierait les Arabes modérés de ces États afin de leur permettre d'exprimer leurs points de vue.

Je pense que c'est bien, mais j'ai bien peur que le défi soit encore plus difficile que vous l'imaginez. D'une part parce que dans ces États qualifiés de modérés, c'est vraiment la classe moyenne qui est la plus mécontente, dans une certaine mesure à cause de la tyrannie des gouvernements et parce qu'elle ne se sent pas représentée par eux.

Quand on regarde les membres du réseau al-Qaïda et tous ceux qui ont joué un rôle important, quand on examine l'origine des 19 kamikazes, on s'aperçoit qu'ils ne venaient pas de classes sociales non éduquées, mais qu'ils provenaient plutôt de la classe moyenne. C'était des gens qui avaient une assez bonne éducation. Par conséquent, que peut faire une superpuissance comme les États-Unis ou un État moyen comme le Canada, comme l'a dit un de vos collègues, monsieur Doran, pour vraiment aider la classe moyenne et les modérés des États arabes et des États et gouvernements principalement islamiques à faire entendre leurs voix de manière efficace, à prendre conscience qu'ils peuvent s'exprimer dans leur propre pays et à faire en sorte que leur point de vue soit pris en compte dans ces sociétés?

M. Stephen Randall: C'est une très bonne question pour laquelle il n'y a pas de réponse simple ou peut-être même pas de réponse du tout.

Vous avez tout à fait raison. La classe moyenne, là où elle existe—ce n'est pas le cas en Arabie saoudite, mais dans de nombreux contextes—est mécontente. Ma réponse peut paraître naïve, mais je pense que le développement économique est le seul moyen pour nous d'intervenir de manière significative.

En matière de changement politique, la dernière chose qu'on devrait faire, c'est de tenter d'imposer une sorte de démocratie à l'occidentale. Ce qui s'est passé en Iran, comme on l'a vu plus tôt, est un excellent modèle. L'abandon progressif de l'approche plus radicale et fondamentaliste qui régnait il y a une décennie ou plus, au profit d'un régime qui apparaît tout au moins comme un gouvernement démocratique et modéré de style iranien, est ce que nous voulons voir arriver dans la région.

Je crois, à tort ou à raison, que les taux élevés de chômage, l'incapacité totale d'un grand nombre de personnes diplômées des universités du Moyen-Orient à trouver un travail qui corresponde à leur formation, sont des facteurs qui contribuent énormément à la désaffection de l'ensemble de la population. C'est sur ce point précis que nous devrions concentrer nos politiques de développement et d'aide afin de tenter d'améliorer la situation de l'emploi et d'offrir des débouchés plus nombreux aux personnes qui ont fait des études, pour qu'elles manifestent un véritable engagement et qu'elles participent vraiment au sein de leur société.

Si ma mémoire est bonne, je crois que l'Égypte produit chaque année environ 20 000 nouveaux avocats qui vont rejoindre les rangs des travailleurs à temps partiel. C'est une situation inacceptable si l'on veut obtenir un véritable engagement dans la société et décourager la désaffection.

• 1035

Un dernier commentaire. Je crois qu'il est absolument essentiel d'appuyer les États islamiques modérés. La dernière chose à faire serait d'accroître l'activité militaire dans la région quand on sait ce que la Ligue arabe propose comme différentes possibilités de réaction dans une telle situation. Comme je l'ai déjà dit, je pense que la coalition est extrêmement fragile.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Très brièvement, monsieur Doran.

M. Charles Doran: J'aimerais tout d'abord souligner que l'expression «choc des civilisations» que l'on entend parfois aux États-Unis, expression popularisée par un ouvrage d'un de nos collègues des États-Unis—que l'on n'utilise heureusement jamais chez nous—a fait énormément de tort. En fait, il n'y a pas de choc de civilisations. Il y a plus de différences d'opinion à l'intérieur de chacun de ces pays, groupes ou coalitions qu'il n'y a de différences fondamentales entre les cultures. C'est important de le dire et de le redire encore et encore et de le croire.

Deuxièmement, le développement économique et le terrorisme sont désormais liés. Je peux le voir à Washington. Ce point de vue est en train de se constituer. Il est sur les lèvres de tous: en réalité, la corrélation entre les actes terroristes et le développement n'est pas très bonne du tout.

Pourtant, comme le dit M. Randall, le développement est en toile de fond et, à mesure que les États se développeront... Le processus de développement lui-même est instable, mais une fois qu'ils seront développés et devenus plus démocratiques, ils seront moins enclins à adopter ce type d'attitude et cette violence. Et les individus qui sont tentés par de tels comportements seront probablement beaucoup moins nombreux.

La réalité est que le terrorisme est l'oeuvre d'une très petite minorité qui est extrêmement bien organisée, qui dispose de beaucoup d'argent, dans un contexte entièrement nouveau. Par ailleurs, il est important de s'attaquer directement à cette menace, ne serait-ce que parce que le potentiel d'impact sur les gouvernements de ces pays-là, et les nôtres, est totalement différent. Et je dois dire que pour faire face à cette menace, nous devrons utiliser la force et nous devrons le faire en collaboration avec nos alliés et nos amis de l'Occident et dans la région, parce que ce n'est plus comme avant, nous sommes tous concernés par cette situation.

J'ai bien peur que nous devions adopter une approche en deux volets. Nous devons en particulier encourager l'ouverture, les contacts avec les jeunes et la presse dans ces pays et nous devons le faire en continuant d'appliquer les merveilleuses techniques de l'ACDI, cette excellente organisation. Mais, d'un autre côté, nous devons savoir qu'en raison de la nature intense et ciblée de cette nouvelle menace, nous devons la confronter aussi directement.

La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, monsieur Doran.

Je dois vous dire que vos deux exposés ont été très intéressants et riches en information et que nous avons été très heureux de vous entendre ce matin.

Je vous invite à rester parmi nous afin d'écouter les exposés de l'Université de Toronto, de l'Université Carleton, de l'Institut canadien d'études stratégiques, et de participer au besoin. Les témoins vont nous parler du renseignement et de la collaboration en matière de lutte contre le terrorisme. Leurs exposés vous paraîtront sans doute instructifs, et vous voudrez peut-être participer avec nous à la discussion. Aussi, je vous invite, si c'est possible pour vous, à demeurer avec nous. Vous allez être installés à un bout de la table et nos témoins à l'autre.

Merci beaucoup.

Je m'adresse maintenant à nos témoins. Je sais que nous avons quelques minutes de retard, mais je vous invite maintenant à vous approcher de la table, M. Rudd, M. Rudner et M. Wark.

• 1040




• 1047

Le président: Nous allons maintenant écouter notre deuxième groupe de témoins ce matin.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Rudd, de l'Institut canadien d'études stratégiques; à M. Rudner, de l'Université Carleton; et à M. Wark, de l'Université de Toronto.

Nos témoins précédents ont la gentillesse de demeurer avec nous. Nous les ferons éventuellement participer à la discussion.

Merci, messieurs d'être venus. Je crois comprendre que nous allons parler de la collaboration entre les États-Unis et le Canada en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme et de renseignement.

Je vais vous demander de commencer, monsieur Rudd. Si chaque témoin peut s'en tenir à dix minutes environ, il nous restera une quarantaine de minutes pour les questions. Merci.

[Français]

M. David Rudd (directeur général, Institut canadien d'études stratégiques; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, bonjour.

[Traduction]

Je vous remercie de nous avoir invités à venir témoigner devant le comité.

Avant de commencer, je dois préciser, comme c'est la coutume, que mes commentaires n'engagent que moi-même et ne représentent pas les vues de l'Institut canadien d'études stratégiques.

Ah oui, je vous remercie également pour la neige. Merci.

Le président: C'est le mécanisme de protection contre les envahisseurs que nous déployons à Ottawa. Nous l'utilisons environ pendant quatre mois chaque année.

M. David Rudd: Dites-moi, monsieur le président, est-ce que la neige était prévue dans le budget fédéral?

Le président: Non, mais je peux vous dire que les responsables des budgets municipaux ne l'aiment pas beaucoup.

M. David Rudd: Étant donné que le comité examine les relations continentales et a entendu des témoignages sur la façon dont le Canada et les États-Unis peuvent ou devraient collaborer de manière à contrer le terrorisme en Amérique du Nord, il est tout à fait pertinent de se demander ce que font ou peuvent faire à ce titre les divers organismes de sécurité de notre pays.

Permettez-moi tout d'abord de faire une observation. La lutte contre le terrorisme est avant tout la responsabilité exclusive des autorités civiles. Dans un contexte international, les organismes de renseignement sur l'étranger détectent et désamorcent les efforts des terroristes. Dans un contexte intérieur ou nord-américain, l'antiterrorisme est essentiellement le domaine d'organismes de contre-espionnage ainsi que celui des organismes d'application de la loi que nous connaissons—j'ai nommé la GRC, le SCRS et leurs homologues américains. C'est également la responsabilité d'organismes comme Citoyenneté et Immigration Canada, ainsi que celle des personnes qui manipulent les détecteurs de métal à l'aéroport d'Ottawa.

Je pense que mes collègues vont parler du rôle de ces organismes et de la façon dont ils peuvent mieux collaborer avec leurs homologues américains. Pour ma part, j'aimerais ce matin, mesdames et messieurs, vous parler des dispositifs de défense continentale du Canada, mais uniquement de ceux qui concernent l'antiterrorisme. Je ne parlerai pas, par exemple, des dispositifs ou accords qui se rapportent aux opérations militaires outre-mer. Je réserve cela pour un autre jour ou peut-être pour un autre comité.

• 1050

Brièvement, les accords canado-américains les plus importants dans le contexte politique actuel sont, dans le désordre, l'Accord sur la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, ainsi que le Permanent Joint Board on Defence.

Nous savons maintenant que le NORAD se charge de la surveillance et de la défense aérospatiales nord-américaines, surveillant absolument tout, des aéronefs pilotés aux déchets spatiaux en orbite. Avant le 11 septembre, cette surveillance portait sur l'extérieur. Désormais, elle doit malheureusement aussi s'intéresser aux menaces émanant de l'intérieur. Comme nous le savons, le NORAD peut demander l'interception d'un aéronef civil. J'ai du mal à croire qu'il ne faut pas exclure la possibilité qu'un jour il ordonne la destruction d'un aéronef civil, mais depuis le 11 septembre, rien ne me surprend plus.

Les membres du comité aimeraient peut-être savoir quels sont les dispositifs de commandement qui permettent de transmettre de tels ordres. Aux États-Unis, le président a déjà délégué aux commandants en chef des forces armées le pouvoir d'intercepter et de décider du sort des aéronefs détournés.

Je ne sais pas exactement, monsieur le président, si les officiers de l'armée de l'air canadienne disposent des mêmes pouvoirs ou s'ils doivent au préalable contacter le premier ministre. Le Canada et les États-Unis doivent établir un certain consensus sur la conduite à tenir lorsqu'il est pratiquement certain qu'un avion se déplaçant entre nos deux pays a été détourné.

Qui décroche le téléphone lorsqu'il s'agit d'un avion canadien dans l'espace aérien américain? La communication pourra-t-elle se faire à temps? Comme vous le savez, le président des États-Unis est en communication directe avec le commandement de la défense aérienne. Est-ce que le premier ministre du Canada a lui aussi une ligne directe? Je l'ignore. Il est nécessaire de préciser les dispositifs de commandement aux échelons politiques les plus élevés. Il faut également les rationaliser de sorte que la réponse de nos deux pays à une menace aussi horrible—et toujours quelque peu improbable—ne se fasse pas attendre.

Deuxièmement, étant donné que notre espace aérien est partagé, le comité devrait s'intéresser à l'emplacement de nos installations de défense aérienne. Comme vous le savez probablement, nos CF-18 sont basés à Trenton, en Ontario. Pour quelle raison? Tout simplement parce que cette base se trouve à proximité d'un des couloirs aériens les plus fréquentés d'Amérique du Nord. Devons-nous maintenir cette situation de manière permanente ou pouvons-nous compter sur nos cousins américains pour offrir ce type de défense? Voilà une question qui mérite d'être examinée.

Passons maintenant au Permanent Joint Board on Defence qui est la tribune la plus haute pour l'examen des questions de défense continentale. J'aimerais présenter deux recommandations au comité à ce sujet. Premièrement, à la suite des événements du 11 septembre, nous devons encourager la participation ministérielle à ces rencontres semestrielles. Je crois que, pour le moment, les ministres n'y participent pas et que seul un haut fonctionnaire canadien et un haut fonctionnaire américain prennent part à la réunion. À mon avis, cela doit changer.

La présence du ministre de la Défense nationale donnerait un signal rassurant aux États-Unis et signifierait que nous prenons notre sécurité continentale au sérieux. Elle permettrait également de créer un lien de confiance avec le secrétaire à la Défense, lien qui pourrait être utile si nous avons besoin de l'assistance des Américains.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a quelques années, lors de la tempête de verglas qui a sévi dans l'Est ontarien et l'Ouest du Québec, c'est en partie grâce aux liens personnels entre le chef d'état-major de l'armée de l'air américaine et son homologue canadien que nous avons pu bénéficier des ressources américaines dans cet effort quasi humanitaire. Il a suffit d'un coup de téléphone à Washington pour déclencher les opérations. Il ne faut pas sous-estimer l'utilité des relations personnelles.

Ma deuxième recommandation est que les hauts représentants canadiens et américains à la Permanent Joint Board on Defence devraient se présenter régulièrement devant votre comité pour tenir le Parlement au courant des mesures concrètes qui sont prises pour encourager la sécurité de nos deux nations. Ces deux représentants devraient pareillement faire ce qu'il faut pour se faire inviter également devant les comités pertinents de la Chambre des représentants et du Sénat.

• 1055

Mesdames et messieurs, je pourrais poursuivre en vous parlant de la protection des infrastructures essentielles. Je pourrais même vous parler de la défense antimissile et du programme théorique de construction d'un bouclier antimissile dont l'objectif est de protéger le Canada ainsi que les États-Unis. Mais je sais que le temps passe très vite et je vous invite à me poser des questions sur ces différents points pendant la période des questions.

En guise de conclusion, permettez-moi de vous rappeler encore que la lutte contre le terrorisme demeure essentiellement, mais pas exclusivement, une activité non militaire. Les événements du 11 septembre n'y ont rien changé. On peut faire appel aux militaires après coup, mais ils ne constituent pas notre première ligne de défense.

Je crois que le Canada est doté de dispositifs de défense continentale suffisants; cependant, il faudrait peut-être les modifier un peu à la manière de ce que j'ai proposé au sujet du NORAD, de ses dispositifs de commandement et également au sujet de la Permanent Joint Board on Defence.

Je m'arrête ici et je cède le micro à mes collègues. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rudd.

Nous allons maintenant passer à M. Wark.

M. Wesley Wark (professeur de relations internationales, Université de Toronto): Merci, monsieur Graham, pour cette invitation et merci mesdames et messieurs les membres du comité.

J'espère que le comité n'a pas pris la poudre d'escampette à la mention du mot «renseignement».

Des voix: Ah, ah!

M. Wesley Wark: Je dois dire que, d'après mon expérience, le Parlement s'est montré par le passé lamentablement sourd aux questions de renseignement et de sécurité. Je suis donc ravi d'avoir la possibilité de parler de ces questions à la lumière de la crise actuelle.

Le président: Sachez que vous avez devant vous les membres les plus renseignés du comité. Aussi, c'est peut-être...

M. Wesley Wark: Mais pour moi, monsieur Graham, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.

En préparant mon exposé, j'ai pensé à un essai célèbre de Isaiah Berlin, un philosophe et universitaire britannique qui, comme tous les universitaires britanniques, est devenu, un moment donné, un agent de renseignement. Il est l'auteur d'un essai intitulé «The Hedgehog and the Fox», dans lequel il définit deux types de connaissances. Le renard sait beaucoup de choses et le hérisson sait une seule chose importante. Cette métaphore s'applique au monde du renseignement et de la sécurité puisque le Canada doit à la fois être le renard, en particulier pour le renseignement sur l'étranger, et le hérisson, en particulier en ce qui a trait aux renseignements de sécurité.

À mon avis, la capacité du Canada d'être à la fois le hérisson et le renard repose essentiellement sur la nature de sa collaboration avec les États-Unis en matière de renseignement. Bien entendu, les États-Unis ne sont pas nos seuls alliés dans le secteur du renseignement, mais au fil des ans, ils sont devenus nos principaux alliés. Nos liens avec les États-Unis en matière de renseignement sont très anciens et remontent en fait à la Deuxième Guerre mondiale.

L'utilité de ce type d'alliance en matière de renseignement est facile à démontrer. Grâce à cette alliance du renseignement, le Canada a accès à un vaste réservoir de renseignements, de rapports et de systèmes technologiques. Elle donne au Canada la possibilité de mieux comprendre la dynamique de la politique américaine et même, à l'occasion, grâce à certains échanges prudents de comptes rendus de renseignements, de tenter d'influencer la pensée américaine.

Les brèves remarques que je vous présente maintenant ont pour but de souligner certaines tendances qui m'apparaissent inquiétantes dans les liens entre le Canada et les États-Unis. Il y a essentiellement deux points que je voudrais souligner. Le premier concerne notre utilité en tant qu'allié et le deuxième porte sur les aspects techniques de la liaison en matière de renseignement.

Dans le cas de notre utilité en tant qu'allié, je pense que le Canada est gravement menacé de perdre sa place dans les cercles du renseignement des alliés. Si nous perdions notre place après 60 ans de participation, nous ne pourrions jamais la retrouver. La perte serait énorme. Nous perdrions notamment l'accès aux renseignements produits par les États-Unis, ce qui se traduirait par une diminution de la sécurité au pays et une méconnaissance de la situation à l'étranger. Le Canada perdrait également de son influence et serait exposé aux manoeuvres plus agressives et plus radicales de collecte de renseignements dans notre pays de la part de nos alliés et de nos ennemis.

Et pourquoi notre utilité en tant qu'allié serait alors remise en question? Je crois qu'il y a plusieurs raisons à cela. La première est due au nombre limité d'installations canadiennes de renseignement à l'heure actuelle, la deuxième tient au fait que le Canada est perçu à l'étranger et aux États-Unis comme un pays peu sûr et un refuge pour les terroristes.

• 1100

La troisième raison se rapporte à un changement d'orientation de la part des grandes puissances qui sont nos alliées en matière de renseignement, en particulier les États-Unis, qui vont s'intéresser à la tâche difficile de bâtir des alliances dans le secteur du renseignement avec des «partenaires régionaux», notamment au Moyen-Orient et en Asie centrale. Je pense que cet effort dans le contexte de la lutte actuelle contre le terrorisme absorbera une grande partie des ressources et de l'attention des États-Unis.

Que devons-nous faire pour continuer à être utiles à nos alliés dans le secteur du renseignement? À mon avis, le Canada doit réinvestir dans le renseignement sur l'étranger et le renseignement de sécurité afin d'améliorer les capacités du Canada pour qu'il dispose de renseignements à échanger avec ses alliés et dans le but de lutter contre l'image d'un Canada perçu comme un pays peu sûr sur le plan intérieur. Le Canada aurait peut-être également besoin, en plus d'un nouvel investissement, de nouvelles formes d'investissement dans la collecte du renseignement, notamment de certaines méthodes de renseignement que nous avons toujours rejetées. Je pense en particulier à l'utilité pour le Canada de créer un service secret à l'étranger.

Avant d'investir ou de réinvestir dans le domaine de la sécurité et du renseignement, il faut, d'après moi, se livrer à un examen systématique des services de sécurité dont dispose le Canada actuellement. Je pense qu'une telle analyse est plus que nécessaire puisque rien n'a été fait en ce sens au Canada depuis la fin de la guerre froide.

Permettez-moi de passer au deuxième point qui, de prime abord, se rapporte plus au côté technique des services de renseignement. C'est néanmoins un aspect essentiel qui se rapporte aux systèmes de liaison. Les mécanismes de liaison en matière de renseignement sont au coeur même d'une alliance fonctionnant rondement. Je crois qu'au Canada nous avons laissé ces mécanismes se détériorer gravement. Ils sont sous-utilisés et les mécanismes de liaison reproduisent la structure essentiellement désorganisée et incohérente des services canadiens du renseignement.

Les échanges entre le Canada et les États-Unis—et c'est vrai également des liens entre le Canada et le Royaume-Uni—ne reposent pas sur une fonction centrale du gouvernement, mais sur des rapports d'organisme à organisme non assujettis à une obligation de rendre compte ou à un contrôle global. C'est ainsi que nous avons à Washington, à notre ambassade et dans des bureaux connexes, des agents de liaison représentant la GRC, le SCRS, le Centre de sécurité des télécommunications, la Branche des services du renseignement du ministère de la Défense nationale, le J2 et le Comité d'évaluation du renseignement.

Selon la tradition, l'agent de liaison du Comité d'évaluation du renseignement devait être un représentant supérieur du milieu du renseignement aux États-Unis, mais tel n'est plus le cas actuellement. En fait, les agents de liaison du Comité d'évaluation du renseignement à Washington et à Londres ne sont pas nommés par le Bureau du Conseil privé où se trouve le siège du comité, mais par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Depuis quelques années, ces postes ont rarement été occupés par des agents spécialistes du renseignement—sans doute en raison de l'attrait qu'ils représentent, puisqu'ils sont situés à Washington et à Londres. Pour moi, c'est un véritable scandale.

Il est absolument urgent de remettre en état le système de liaison afin de faire connaître rapidement et aisément notre engagement à réinvestir dans nos services de renseignement. Pour moi, cette «remise en état» suppose trois choses. Nous devons mettre sur pied une représentation plus intégrée du système de liaison, avec un officier supérieur chargé de cette fonction à Washington qui relèverait du coordonnateur de la sécurité et du renseignement du Bureau du Conseil privé. Deuxièmement, je crois que nous devons confier les fonctions de liaison à Washington à un personnel plus nombreux et qualifié. Troisièmement, je pense que nous devons mettre au point une stratégie applicable à l'échelle de l'ensemble du gouvernement, en vue de définir la nature précise des données et comptes rendus de sécurité que nous devons partager avec les organismes américains et acquérir auprès d'eux. Il me semble qu'aucune stratégie de ce type n'est en place à l'heure actuelle.

Pour conclure, je dirais que si le Canada souhaite continuer à être à la fois un hérisson et un renard dans le secteur du renseignement, il doit maintenir ses liens vitaux avec les États-Unis. Pourtant, à la suite des événements du 11 septembre, notre utilité pour nos alliés est et sera gravement remise en question et repose sur des fondations extrêmement fragiles.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Wark.

Monsieur Rudner.

• 1105

M. Martin Rudner (président, Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement, Université Carleton): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aimerais, si le comité m'y autorise, faire porter mes remarques sur une discipline particulière du renseignement, à savoir le renseignement d'origine électromagnétique, la capacité à intercepter des communications et d'autres signaux électroniques et de les traiter de manière à ce qu'ils soient utiles aux décideurs.

Nous savons que les renseignements d'origine électromagnétique ont joué un rôle important dans la campagne antiterrorisme. Nous savons que le renseignement d'origine électromagnétique a joué un rôle crucial dans la détection et sans doute la mise en accusation de M. Rassam pour son projet d'attaquer l'aéroport de Los Angeles. Nous savons que le renseignement d'origine électromagnétique joue un rôle important dans nos efforts de lutte contre al-Qaïda et d'autres réseaux mondiaux. Un article publié l'autre jour par le journal britannique Financial Times révélait que les services britanniques de renseignement d'origine électromagnétique, le siège central des communications du gouvernement, jouait un rôle de premier plan dans la guerre en Afghanistan.

Au Canada, le Centre de sécurité des télécommunications est notre organisme de collecte de renseignements d'origine électromagnétique. Il se consacre aux renseignements extérieurs et joue un rôle important dans l'interception des communications et des autres signaux électroniques et dans la protection des communications canadiennes. Cet organisme est sans doute le plus coûteux des services de renseignement du Canada et aussi le plus opaque. Il prend part à une alliance qui joue un rôle crucial et essentiel dans la fourniture de renseignements sur l'étranger au gouvernement du Canada et dans la contribution du Canada aux efforts de collecte et de traitement des renseignements d'origine électronique des États-Unis et de nos autres alliés.

Le mandat du CST, le Centre de sécurité des télécommunications, consiste actuellement à collecter à l'étranger des renseignements sur les communications et ne comportait pas—jusqu'à présent—la collecte de renseignements sur les communications émanant de Canadiens et Canadiennes, ainsi que d'entreprises et d'organisations canadiennes. Le rapport du commissaire du CST nous apprend cette année que le centre produit, dans le cadre de ses fonctions de collecte de renseignements extérieurs, plus de 100 000 éléments traités chaque année à l'intention des décideurs et du gouvernement du Canada.

Le commissaire du CST, un juge, veille à ce que le centre se conforme à la loi et aux directives qui le régissent. Le projet de loi C-36 qui est actuellement débattu à la Chambre des communes, prévoit d'apporter deux changements importants au mandat du CST.

Premièrement, le projet de loi prévoit modifier le mandat du CST afin de lui demander de recueillir des renseignements sur les communications à destination ou en provenance du Canada. Deuxièmement, il prévoit, avec l'autorisation spéciale du ministre de la Défense nationale, l'interception des communications concernant des Canadiens soupçonnés de terrorisme.

Le CST qui représente l'effort du Canada en matière de renseignement d'origine électromagnétique fait partie d'une alliance plus large, une alliance hautement secrète qui existe depuis plus d'un demi-siècle. Dans cette alliance, le Canada a hérité d'un secteur géographique particulier tirant parti de l'emplacement géographique du Canada, tant au nord qu'au sud. Dans le cadre de cette alliance multilatérale, le Canada fournit des services de renseignement à nos alliés et bénéficie pleinement de tous les renseignements d'origine électromagnétique recueillis par nos alliés et rendus disponibles pour le Canada.

Ainsi, le Canada a accès aux efforts des États-Unis en matière de renseignement d'origine électromagnétique, ainsi qu'aux technologies américaines pour l'interception et l'analyse cryptographique des données. Le Canada a également accès aux installations de formation des États-Unis dans les domaines de l'interception et de la cryptanalyse.

• 1110

Par ailleurs, le Canada a accès aux renseignements par imagerie que recueillent les satellites américains. Ce sont des services très spécialisés disponibles uniquement aux États-Unis, qui consistent à recueillir des données par imagerie, radar et capteur, littéralement à partir de l'espace. Le Canada a le grand privilège de pouvoir bénéficier de cette surveillance sophistiquée et de ces technologies fondées sur la surveillance par satellite. Même dans le cadre des missions de soutien de la paix de l'OTAN, les États-Unis se réservent l'accès à ces technologies privilégiées, en font partiellement bénéficier d'autres alliés de l'OTAN, mais ne les partagent absolument pas avec les pays qui ne sont pas membres de l'OTAN. Cependant, le Canada bénéficie d'un traitement préférentiel, étant donné qu'il est un partenaire privilégié et obtient, nous dit-on, un accès privilégié, comme l'armée américaine, à ces technologies de l'imagerie.

Nous sommes les principaux bénéficiaires de cette alliance avec les États-Unis. Le Canada est en effet grandement favorisé par les termes de l'échange de ses produits du renseignement. D'après les informations dont nous disposons, les États-Unis fournissent de 90 à 95 p. 100 des produits du renseignement sur les communications; la part du Canada varie de 5 à 10 p. 100. Nous sommes des importateurs nets de produits très utiles du renseignement et, en fait, le Canada est extrêmement tributaire des États-Unis pour les produits et la technologie du renseignement.

Toutefois, certains indices tendent à montrer que les données auxquelles notre alliance nous donne accès portent essentiellement sur le renseignement politique et stratégique, alors que les renseignements sur les finances et les affaires criminelles ont été jusqu'à présent assez restreints, même si, depuis les événements du 11 septembre, nous pouvons nous attendre à une croissance de ce type de renseignements.

Les États-Unis ont été très généreux envers le Canada dans les termes de l'échange de ces renseignements, mais on note également un certain malaise aux États-Unis au sujet de l'asymétrie de cette relation. Déjà dans les années 40, les Américains ne voulaient pas partager totalement leurs données avec le Canada sous prétexte que nous n'étions pas un important fournisseur et certains indices révèlent que ce point de vue est demeuré présent, peut-être de manière latente, jusque très récemment aux États-Unis.

Les responsables britanniques des échelons les plus élevés du Cabinet ont exprimé certaines inquiétudes de voir diminuer les produits du renseignement d'origine électromagnétique en provenance des services britanniques, craignant en effet de ne plus être considérés comme un membre utile au sein de l'alliance avec les États-Unis, perdant ainsi une partie de l'accès britannique à des ressources extrêmement utiles.

Le renseignement d'origine électromagnétique est confronté à plusieurs défis que j'aimerais évoquer brièvement afin de susciter peut-être certaines questions et un débat avec les membres du comité.

Il y a des défis techniques. De nos jours, les communications empruntent de plus en plus les fibres optiques et on se demande si les technologies disponibles pour l'interception donneront d'aussi bons résultats dans le cas des communications par fibres optiques.

Le deuxième défi concerne les ressources humaines, tout d'abord en raison de la masse de renseignements sur les communications qui doit être analysés et présentés de manière pertinente aux clients et, deuxièmement, à cause de la nécessité de traduire les communications interceptées à partir de langues obscures. Il faut disposer d'énormes compétences linguistiques et autres pour aider les analystes à absorber l'afflux, la vague de renseignements provenant de diverses sources électromagnétiques.

Il y a ensuite un dilemme de relations internationales. La Grande-Bretagne est sollicitée par l'Europe pour conjuguer ses efforts à une initiative européenne en matière de sécurité et de défense. Si la Grande-Bretagne décide de s'associer à l'Europe, la viabilité de la connexion SIGINT transatlantique sera peut-être remise en question et si elle n'est pas jugée viable, le Canada perdrait son accès au partenariat américain.

Comme l'a mentionné mon collègue Wesley Wark, une initiative actuellement en cours vise à constituer une alliance ou une coalition réunissant des pays avec lesquels nous n'avons jamais collaboré en matière de renseignement—des pays du Moyen-Orient, des pays au régime autoritaire, des pays où les violations des droits humains pour des raisons de sécurité font partie intégrante des méthodes de collecte du renseignement. Ce serait très difficile pour le Canada de partager des renseignements avec des pays avec lesquels nous avons peu en commun sur le plan des droits de la personne. Pourtant, si le Canada n'apporte pas une valeur ajoutée aux échanges de renseignements, en particulier le renseignement sur les communications, notre partenariat avec les membres de l'alliance risque d'être compromis.

• 1115

Il est absolument impératif pour le Canada de maintenir et de renforcer ses relations avec les États-Unis en matière de renseignement d'origine électromagnétique. Cela exigera des efforts importants de la part du Canada—sur le plan technique, financier, organisationnel et sur le plan des ressources humaines dans le secteur du renseignement d'origine électromagnétique—afin de produire des données à valeur ajoutée de manière à équilibrer notre dépendance massive à l'égard de produits importés et de la technologie des États-Unis. Nous devrions donner la preuve de notre utilité comme partenaire de l'alliance.

Deuxièmement, nous avons un problème de soutien public. La collecte de renseignements d'origine électromagnétique est une activité très secrète. De nombreux mythes tournent autour de cette activité que certains même se plaisent à diaboliser. Il est important que le public ait connaissance de nos activités de renseignement d'origine électromagnétique et de notre importante alliance avec les États-Unis et d'autres alliés, et qu'il nous accorde sa confiance.

Pour que la population nous accorde sa confiance, il faudra que ces activités soient transparentes et connues du public. En particulier, il faudra renforcer la supervision parlementaire afin de faire connaître nos efforts dans le secteur du renseignement d'origine électromagnétique et d'offrir une plus grande transparence, pour que la population se sente justifiée de nous accorder sa confiance.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rudner.

M. Doran et M. Randall sont restés écouter. Je ne sais pas s'ils veulent ajouter quelque chose, mais nous allons leur demander de rester pour éventuellement répondre aux questions des membres du comité.

Nous allons commencer par Mme Lalonde.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Merci d'être là. Vous comprendrez que nous venons de changer subitement de sujet. Personnellement, je me suis intéressée dans le passé au renseignement, mais cela fait un certain temps.

Ma première question, courte, est la suivante. Comment se fait-il qu'avec toute la sophistication de la technique américaine du renseignement, on n'ait rien vu venir avant le 11 septembre?

[Traduction]

M. Wesley Wark: Je serais très heureux de tenter de répondre à cette intéressante question que vient de poser Mme Lalonde.

Je crois qu'il y a deux éléments à noter. Tout d'abord, les opérations terroristes sont intrinsèquement des mouvements que les services de renseignement ont de la difficulté à pénétrer et à repérer à l'avance. Il ne faudrait jamais oublier la complexité de l'objectif du renseignement.

Le deuxième élément dont nous devons tenir compte dans le contexte actuel, c'est l'échec des services de renseignement à prévenir les événements du 11 septembre. Nous ne savons pas exactement où se trouve la faille et nous ne le saurons peut-être pas exactement avant longtemps.

Ce que je veux dire par là, très brièvement, c'est que les déficiences des services de renseignement se situent en général à trois niveaux différents. Il y a les déficiences au niveau de la collecte qui consistent à ne pas disposer de renseignements suffisamment précis à l'avance au sujet d'un événement. Il y a très souvent des déficiences sur le plan de l'analyse, c'est-à-dire que l'information est disponible, mais qu'elle n'est pas adéquatement interprétée ou qu'elle est mal comprise. Le troisième type de déficience est un échec au niveau de ce que nous appelons dans notre jargon «la diffusion». Dans ce cas, le renseignement existe, il est bien analysé, a fait l'objet d'un ou plusieurs rapports consacrés à ce type de menace, mais les décideurs ne l'ont pas obtenu à temps ou n'y ont tout simplement pas cru.

Dans le cas des événements du 11 septembre, nous ne savons pas exactement à quel est le type de déficience nous avons eu affaire, s'il y en avait une seule ou une combinaison des trois. Quelle que soit la nature de la déficience qui n'a pas permis de prévoir les événements du 11 septembre, c'est un véritable détonateur sur le plan politique. Le Congrès américain a déjà décidé de repousser d'au moins un an toute enquête sur la déficience des services de renseignement dans le contexte du 11 septembre—à juste titre, me semble-t-il, compte tenu du contexte politique.

La collecte de renseignements contre le terrorisme est difficile. Les États-Unis s'y sont cassés le nez. La véritable question qui se pose maintenant, c'est de savoir si la communauté américaine du renseignement pourra se remettre suffisamment bien et rapidement de son échec du 11 septembre pour faire en sorte que le renseignement soit bien utilisé dans la lutte permanente contre le terrorisme.

[Français]

Mme Francine Lalonde: Vous comprendrez que cette première question en suppose et en supporte d'autres.

• 1120

M. Rudner a terminé en disant qu'il fallait donner confiance à la population dans l'efficacité de cette mesure. Je pense que le 11 septembre a montré l'inefficacité de cette mesure. Les nombreuses lectures que j'ai faites semblaient plutôt laisser entendre qu'on avait privilégié le signals intelligence au lieu de faire du renseignement de terrain, d'envoyer sur le terrain des espions qui auraient accepté de vivre la vie menée par ceux qu'on identifie comme des terroristes et qui auraient pu donner des renseignements de première main.

Je pense qu'il y a un gros problème de confiance. Vous avez dit qu'on pouvait colliger beaucoup de données et ne pas les transmettre, ou alors ne pas les analyser correctement, et qu'il se pouvait aussi que les décisions ne soient pas prises correctement. Vous faisiez ainsi allusion à la ligne de commandement qui prend les décisions et qui a les informations. Il y a plusieurs services différents qui ne se transmettent pas les informations.

Je sais que c'est vrai aux États-Unis. Je comprends que cela puisse être encore plus difficile au Canada, où on n'a pas de ressources importantes. J'avais déjà entendu un éminent professeur dire que la caractéristique principale au Canada, à l'époque, était qu'on pouvait colliger des données, mais que l'analyse était déficiente. On peut colliger n'importe quoi, mais si l'analyse est déficiente, qu'est-ce que ça donne? C'est vrai aussi pour le signals intelligence. Je ne sais pas comment on traduit cela en français. Ne m'en voulez pas, je n'ai pas écouté la traduction.

Je vous dis tout ça en bloc. À mon avis, il y a beaucoup de chemin à faire pour me convaincre qu'il faut investir beaucoup d'argent là-dedans. Vous n'êtes quand même pas les premiers à nous avoir dit ça. À la table ronde de l'autre jour, il y avait M. Albert Legault et M. Daudelin. Même M. Daudelin, qui ne fait pourtant pas ce travail-là et qui est à l'Institut Nord-Sud, disait qu'il était important que le Canada... En fait, M. Legault disait qu'il était plus important d'investir dans le renseignement que d'investir dans l'armée de terre, parce que si on investit dans l'armée de terre, il pourra se produire trois choses: on sera ou bien des amis consentants pour les États-Unis, ou bien des pions, ou bien des mercenaires. Il préférait qu'on investisse dans le renseignement, là où on pourrait jouer un rôle utile.

Je vous lance ça en vrac. Éclairez-moi.

[Traduction]

M. Martin Rudner: J'aimerais répondre à certaines parties de cette question extrêmement importante et stimulante. Je pense qu'il faut en isoler les différents éléments.

Il faut moins tenir compte des déficiences du renseignement que faire en sorte d'éviter que les lacunes signalées par mon collègue ne nuisent au rapport entre la collecte des informations et leur utilisation à des fins de sécurité publique et de sécurité nationale. Nous avons affaire ici à des problèmes législatifs, des problèmes organisationnels et à ce qu'on pourrait qualifier de problèmes de collecte de renseignements. Permettez-moi de les définir brièvement pour répondre à la question.

Sur le plan législatif, une des difficultés qui se présentait aux États-Unis et au Canada, jusqu'à la présentation du projet de loi qui est actuellement examiné au Canada et qui a déjà adopté aux États-Unis, tenait au fait que les services de renseignement n'étaient pas autorisés à collecter des SIGINT, soit des renseignements d'origine électromagnétique sur des Canadiens ou des Américains, ni sur des communications à destination et en provenance de nos pays. Par exemple, un terroriste de nationalité américaine ou qui aurait le statut d'immigrant reçu au Canada est considéré comme un Canadien ou un Américain et, par conséquent, ne peut faire l'objet d'une collecte de renseignements sur les communications.

Le deuxième problème peut arriver même lorsque nous pratiquons des interceptions. Il y a deux ou trois jours, il y a eu des fuites à Washington, mais la National Security Agency des États-Unis avait intercepté des volumes impressionnants de communications en arabe, qu'elle était incapable de déchiffrer en raison de l'absence de locuteurs arabes pouvant satisfaire aux exigences des services du renseignement en matière d'autorisation de sécurité.

• 1125

Je suis professeur spécialiste des affaires internationales et je peux vous dire que nous offrons aux étudiants canadiens une formation très médiocre dans les diverses langues dont nous avons besoin, pas seulement pour nos services de renseignement, mais également pour nos affaires étrangères, le commerce international et la sécurité internationale. Par conséquent, nous sommes incapables, nous aussi de traduire les communications que nous sommes susceptibles de recueillir en ourdou, en arabe, en persan, en tadjik ou dans d'autres langues.

Vous avez demandé comment nous pouvons obtenir des renseignements sur les réseaux terroristes. D'après ce que nous savons de al-Qaïda, du djihâd et d'autres groupes analogues, ce sont des organisations extrêmement fermées que l'on ne peut pas pénétrer à moins d'appartenir à une cellule de base. C'est extrêmement difficile pour les étrangers de s'immiscer dans de telles structures.

Toutefois, les services de renseignement que nous appelons HUMINT, chercheront à mettre un agent en place ou à introduire une taupe dans de telles organisations. C'est une oeuvre de longue haleine, une collecte de renseignements de source humaine à long terme, car il faut mettre en place un agent qui soit en mesure d'avoir accès à des informations sur les intentions en matière de planification et d'opération. C'est impossible à réaliser du jour au lendemain et simplement. Cette infiltration doit se faire progressivement et selon un plan stratégique.

On dit par exemple que les services secrets britanniques sont parvenus à obtenir d'excellents résultats à ce chapitre, tout au moins dans certains pays ciblés. Au Canada, faute de disposer d'un service de renseignement extérieur, nous serions probablement incapables de mettre sur pied ce type de collecte de renseignements de source humaine.

Troisièmement, mon collègue a évoqué le cas des rapports qui ne sont pas utilisés. On dit de nos jours qu'il ne faut pas faire de distinction entre SIGINT, HUMINT ou l'imagerie. Un degré élevé de fusion ou de coordination entre les différents types de techniques de renseignement est indispensable. Ainsi, le renseignement de source humaine alimente le renseignement d'origine électromagnétique qui lui-même recueille des données à l'appui du renseignement de source humaine. Dans un sens, il est impossible de séparer et d'exploiter séparément ces deux activités de renseignement. Il est indispensable d'avoir un degré élevé de coordination ou de fusion dans les activités de collecte de renseignements pour qu'elles soient efficaces sur le plan de la sécurité publique et de la sécurité nationale.

Le président: Très bien.

Je vous demande d'être très brefs, car nous avons pris beaucoup plus de temps que prévu et d'autres personnes attendent de poser des questions. Nous allons passer à autre chose et peut-être que ce sujet sera repris plus tard.

Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings: Merci.

Merci beaucoup pour les exposés que vous avez présentés.

Parmi les questions qui ont été soulevées, j'ai été interpellée par la nécessité de superviser les services canadiens de renseignement. Vous demandez que le Parlement surveille le CST, la GRC ou le SCRS.

Le Sous-comité sur la sécurité nationale créé au début des années 90 comme une entité relevant du comité de la justice et qui avait été supprimé à la suite de la révision des programmes qui avait indirectement touché le Parlement lui-même, vient tout juste d'être rétabli. Pensez-vous que ce sous-comité va contribuer un peu à répondre aux besoins que vous avez signalés d'une supervision ou d'une régie par le Parlement des établissements chargés de collecter des renseignements au Canada? Voilà pour ma première question.

Deuxièmement, le projet de loi C-36 étend le mandat et les pouvoirs du CST qui peut désormais recueillir des données SIGINT au Canada et dans les communications entre des personnes réputées canadiennes et d'autres, élargissant ainsi l'éventail des renseignements que l'on peut collecter. Pensez-vous que cela permettra de calmer quelque peu les appréhensions des Américains qui sont convaincus que nous avons tous les avantages et que nous ne faisons pas notre part et par conséquent, que nous ne sommes pas forcément des alliés aussi utiles que par le passé?

• 1130

Quant aux défis qui se présentent dans le secteur des ressources humaines, c'était intéressant de vous entendre parler, monsieur Rudner, du manque de personnes parlant l'ourdou et l'arabe, par exemple. Tout dernièrement, j'ai posé cette même question à des représentants du gouvernement venus témoigner devant le comité, qui se livrent à des activités antiterroristes ou à la collecte de renseignements. Ils m'ont répondu qu'ils connaissent la région et qu'ils sont familiers depuis plus de dix ans avec une des régions qui connaît une grande instabilité et une autre qui est le théâtre d'actes de terrorisme. Même lorsqu'il s'agit de superterrorisme dont les cibles ne sont pas des installations militaires classiques, mais plutôt des populations civiles... Prenez par exemple le cas du Hamas et du Hezbollah, même si personne ne semble vouloir les considérer comme des superterroristes. J'ai demandé aux témoins si nous étions prêts à affronter ce genre de situation. Ils m'ont répondu que oui, qu'il n'y avait pas de problème. Je suis un peu sceptique et je vous demande votre point de vue à ce sujet.

Enfin, pour ce qui est de notre capacité à collecter les données SIGINT—c'est-à-dire des renseignements concernant la sécurité intérieure et des renseignements sur l'étranger—pouvons-nous envisager de tirer parti du fait que le Canada est le pays ou un des pays les plus avancés dans le domaine des nouvelles technologies de communication? Nous sommes aussi un des pays les plus branchés. Est-il possible pour nous de tirer parti de notre compétence technique dans ce domaine pour augmenter notre utilité en tant qu'allié?

Voilà mes questions. Merci.

M. Wesley Wark: Je vais répondre rapidement à vos quatre questions, qui sont toutes intéressantes de mon point de vue.

Le sous-comité du Comité de la justice qui existait à une certaine époque et qui a été présidé pendant plusieurs années par Derek Lee—qui a repris du service, si je comprends bien—avait un mandat relativement limité, qu'il s'était donné lui-même et qui consistait essentiellement à examiner le rôle des questions de sécurité interne au Canada. Un des problèmes que pourrait poser une supervision parlementaire, à mon avis, c'est qu'il faudrait s'assurer que les activités de renseignement sont perçues comme un tout global, si on veut. On ne peut pas tracer de frontières artificielles entre les activités qui servent à assurer la sécurité intérieure et celles qui concernent l'étranger.

Le fonctionnement d'un mécanisme d'examen parlementaire soulève évidemment d'énormes difficultés. Je ne pense pas qu'il puisse vraiment s'agir de supervision; ce serait plutôt un examen des activités de renseignement à cause des questions de secret et de cotes de sécurité. Au Canada, de façon générale, nous n'avons pas l'habitude de tenir des séances à huis clos sur les questions de renseignement, et il faudra remédier à cela.

J'aimerais apporter une petite correction à ce que mon collègue, M. Rudner, a dit au sujet du projet de loi C-36. Ce que ce projet de loi va créer pose un problème potentiel. Le projet de loi C-36 élargit effectivement le mandat du CST pour lui permettre d'intercepter des communications venant de Canadiens si elles se produisent sur un réseau de communications qui les relie à des étrangers. Cela signifie également qu'il y aura en fait deux organismes chargés de la surveillance des communications au Canada et qu'ils seront soumis tous les deux à des procédures et à des justifications législatives différentes. Il y aura le SCRS qui s'occupera de surveiller les communications intérieures entre Canadiens, et maintenant le CST qui interviendra lui aussi dans ce domaine-là.

Il faut éviter de créer des chevauchements des activités de renseignement. Je pense que cela pourrait être très dommageable. Les services de renseignement vous diront qu'ils peuvent coopérer sans problème et qu'ils sont capables de travailler ensemble en cas d'urgence. À long terme, je pense qu'il faut éviter ce genre de chose.

Au sujet des ressources humaines, les agents de renseignement aiment bien affirmer que leur travail consiste à dire la vérité aux gens au pouvoir. Vous l'avez peut-être déjà entendu dire. C'est un objectif héroïque, mais je pense qu'il n'y en a pas beaucoup parmi eux qui jugent que leur travail consiste à dire la vérité au Parlement. Traditionnellement, cela se fait très rarement.

• 1135

Des voix: Oh, oh!

M. Wesley Wark: Évidemment, si vous demandez à ces gens-là s'ils ont les outils dont ils ont besoin, ils vont répondre que oui, qu'ils se débrouillent très bien, parce qu'ils ne peuvent pas dire: «Non, nous ne faisons pas du bon travail.» S'il le disent, les organismes de renseignement se retrouvent sur un terrain très difficile pour eux, parce qu'ils ont l'air de critiquer le gouvernement pour lequel ils travaillent et de se mêler des questions de politique. C'est pourquoi, à mon avis, nous avons besoin d'un examen systématique et très professionnel des capacités actuelles des milieux du renseignement, ce qui devrait se combiner à un examen interne et à un examen externe de ce qui se passe exactement aux États-Unis en ce moment.

Votre quatrième question portait sur la possibilité, pour le Canada, de tirer parti de ses compétences. Je dirais que oui, même si, en vérité, nous manquons de ressources et d'organisation dans le domaine du renseignement. Notre réputation et notre rendement en ont souffert. La vérité, c'est que nous avons les ressources nécessaires pour faire du bon travail de renseignement grâce à nos systèmes d'éducation, à nos capacités technologiques et à notre multiculturalisme. Nous pourrions même être doués pour faire de l'espionnage à l'étranger, si nous le voulions.

Pour en revenir rapidement à la question de Mme Lalonde, je pense que nous devons être honnêtes envers nous-mêmes et reconnaître qu'il y a une culture très particulière entourant la question du renseignement au Canada. Il n'y a qu'au Canada que quelqu'un puisse demander si le renseignement est important. Personne ne poserait jamais cette question-là aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, ou chez n'importe quel de nos principaux alliés, parce que les gens, dans ces pays-là, savent par expérience que la réponse est «oui», sans équivoque. Il faut avoir les meilleurs services de renseignement possibles parce que c'est ce qui fournit les connaissances nécessaires pour élaborer des politiques efficaces et faire tous les efforts requis pour façonner le rôle d'un pays dans le monde en termes de sécurité intérieure. Mais, pour une raison que j'ignore, nous n'avons jamais vraiment digéré ce message, même si nous avons une longue expérience dans ce domaine.

M. David Rudd: Je voudrais ajouter quelque chose, rapidement, à la réponse portant sur la possibilité de tirer profit de notre savoir-faire. C'est une chose d'être un chef de file dans le domaine de la production de satellites radars ou d'autres gadgets technologiques qui pourraient nous permettre de profiter de nos capacités en électronique et de ramasser tout ce qu'il y a dans le spectre électromagnétique. Comme l'a dit M. Wark, c'est une simple question de ressources. On le voit ailleurs aussi. Northern Telecom, par exemple, est à la fine pointe de la technologie radar. Elle produit, avec l'Allemagne et les Pays-Bas, un radar pour les navires de guerre. Mais je doute sérieusement que le Canada fasse un jour l'acquisition de cette technologie. La question est de savoir s'il y a assez d'argent dans notre budget de défense. Est-ce qu'il y en aura assez dans notre budget de renseignement pour nous permettre de tirer profit de ces technologies?

Ce que je suggère, c'est que nous examinions dans toute la mesure du possible ce qu'on appelle les technologies commerciales, accessibles à tous. Plutôt que de construire des réseaux informatiques complexes qui serviront peut-être seulement aux organismes de renseignement, nous devrions nous servir—ce que nous faisons probablement déjà, du moins je l'espère—des technologies simples et fiables comme celles qu'on retrouve dans les écoles et les universités. Cela nous permettrait à tout le moins de recueillir des renseignements dont bien des gens ne soupçonnent même pas l'existence. La majorité des renseignements sur les groupes comme al-Qaïda peuvent être recueillis auprès de sources humaines, comme vous le savez. On trouve une foule de renseignements de ce genre en consultant des sources accessibles à tous. Parce que nous sommes une société branchée, nous avons la capacité d'absorber tout cela. Le problème, c'est la question des ressources humaines puisqu'il faut des gens pour traiter toute cette information.

Le président: Merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine: Merci, monsieur le président.

J'ai à mes côté M. Easter, qui vient des provinces de l'Atlantique. J'ai dû lui dire que le brillant professeur Wesley Wark venait de mon université. Je lui ai dit que c'était l'Université de Toronto, et il m'a dit que l'Université de Toronto prenait trop de place.

Le président: Eh bien, on peut se demander si vous êtes bien renseigné, monsieur Easter.

Des voix: Ah, ah!

Mme Jean Augustine: Monsieur Wark, vous avez brossé un tableau très sombre de la situation. J'aimerais que nous parlions un peu de l'intérêt que nous pourrions présenter pour nos alliés, de nos niveaux de renseignement, de notre état de préparation et de tous les liens nécessaires. Quelle devrait être à votre avis notre principale priorité en matière de coopération: les services secrets étrangers, les systèmes de liaison? Qu'est-ce que vous nous conseilleriez d'adopter comme priorités pour nos recommandations? Et si vous deviez dire la vérité aux gens au pouvoir, comment ces priorités devraient-elles s'appliquer, d'après vous, à la lumière de tout ce qui s'est dit ici aujourd'hui?

• 1140

Pour bien comprendre ce qu'ont dit nos deux témoins précédents au sujet de la nécessité de tirer parti de nos relations personnelles—comme nous l'entendons dire constamment—, comment pouvons-nous nouer ces relations personnelles dans des domaines où il ne semble pas y avoir pour le moment beaucoup de transparence ni de participation des parlementaires?

M. Wesley Wark: Je suis certain que mes collègues voudront commenter cette question. Si vous me permettez d'extrapoler un peu, je peux vous donner ma liste d'épicerie personnelle, et pas seulement vous dire quelle devrait être la principale priorité. Mais je vais essayer d'établir un ordre de priorité.

Il y a des faiblesses, si on veut, aux trois niveaux du processus de renseignement au Canada: dans certains aspects critiques de la collecte d'information; dans notre capacité d'évaluer cette information et d'en faire ressortir les éléments essentiels; et dans les structures et les systèmes en place pour faire en sorte que les rapports de renseignement se rendent jusqu'aux décideurs des plus hauts niveaux, jusqu'à la table du Cabinet et au bureau du premier ministre. Ce sont trois points, de façon très générale, qu'il faut corriger immédiatement. Je ne suis pas certain qu'il y en ait un qui soit plus urgent que les autres. Encore une fois, c'est la raison pour laquelle le temps est venu d'examiner sérieusement l'ensemble de nos capacités dans ce domaine.

Si vous me demandez où il faudrait commencer, je dirais qu'une des gloires passées des activités de renseignement au Canada—et je ne verse pas dans le romantisme en disant cela, même si j'insiste sur le mot «passées»... Nous avons déjà eu la réputation de passer d'excellents jugements dans nos rapports, surtout sur les questions touchant l'étranger. Nous avions bâti cette réputation en partie grâce à l'habileté et au talent d'un petit groupe d'agents de renseignement dévoués, qui s'occupaient des activités d'évaluation et qui combinaient leur travail avec les rapports politiques, souvent de très haute qualité, produits par les principales missions et ambassades canadiennes à l'étranger. Mais nous avons laissé ces deux dimensions—celle de l'évaluation et celle des rapports politiques—se détériorer sérieusement.

Je suis certain que le comité est très conscient des problèmes que nous connaissons aujourd'hui en ce qui concerne le faible niveau des rapports politiques émanant de nos ambassades et de nos missions à l'étranger. Cela a entraîné un déclin important de notre capacité à participer à des échanges de renseignement dans le cadre de rapports formels grâce auxquels les opinions canadiennes, présentées de cette façon, étaient écoutées avec respect et attention.

Par ailleurs, les services d'évaluation du renseignement, au gouvernement, manquent gravement de ressources. La première chose que je ferais si j'avais carte blanche, ce serait d'envisager la réorganisation de ce secteur et de lui accorder plus de ressources, de créer en fait un équivalent canadien de l'Office of National Assessments. Ce serait un organisme indépendant, qui ne comprendrait pas seulement une poignée d'agents, mais regrouperait une cinquantaine de personnes formant le noyau central d'une organisation de renseignement revigorée.

Au sujet des activités de renseignement touchant l'étranger, il faut également envisager sérieusement la création d'un service secret canadien. Nous avons probablement aujourd'hui une occasion unique d'examiner attentivement cette possibilité. La création d'un service secret canadien pourrait faire bien des choses pour augmenter l'intérêt du Canada aux yeux de ses alliés, mais pour commencer, elle aiderait à les convaincre que nous prenons vraiment les activités de renseignement au sérieux.

Merci, monsieur le président.

Le président: D'accord. Je pourrais peut-être poser quelques questions supplémentaires, après quoi je laisserai la parole à M. Patry.

M. Bernard Patry: Je dois partir. Je préside quelque chose à midi.

Le président: D'accord. Allez-y en premier, rapidement.

M. Bernard Patry: Merci beaucoup.

• 1145

Quelqu'un a parlé d'un échec sur le plan du renseignement, soit au niveau de l'évaluation, soit parce que les responsables n'ont pas voulu écouter cette évaluation. C'est ce que je pense, puisqu'il y avait 19 terroristes en cause dans l'attaque contre les tours; mais il y en avait un autre, un 20e, qui était en prison aux États-Unis et qui y est probablement encore. Il y a eu une bonne évaluation, mais elle ne s'est pas rendue jusqu'au sommet.

J'ai une question à poser. Tout a commencé par un premier attentat en 1995. Il y a eu ensuite des attentats à la bombe, en 1998, contre les ambassades au Kenya et en Tanzanie et contre le USS Cole. Toutes les enquêtes menaient vers la filière d'al-Qaïda et d'Oussama ben Laden et, même si les gouvernements de l'Amérique le savaient... Déjà, pendant notre voyage en Géorgie, nous en avions discuté avec nos collègues parlementaires. Le gouvernement américain savait que ben Laden se cachait en Afghanistan, et pourtant, le gouvernement actuel avait décidé d'entreprendre des négociations avec le régime des Talibans au sujet de la possibilité de faire passer un gazoduc à travers l'Afghanistan.

Seriez-vous d'accord pour dire qu'à cause de son sentiment d'invulnérabilité avant le 11 septembre, à cause de sa conviction que l'Amérique du Nord n'était pas vulnérable, le gouvernement américain s'intéressait uniquement à l'économie au détriment de la sécurité de l'Amérique du Nord?

M. Wesley Wark: Je me ferai un plaisir d'essayer de répondre à cette question.

Premièrement, il faut reconnaître que les Américains injectent des ressources considérables dans leurs services de renseignement. Le budget de ces services est secret aux États-Unis, mais il dépasse les 30 milliards de dollars par année. Cet investissement dans le renseignement, à côté duquel l'investissement consenti par le Canada a évidemment l'air d'un nain par comparaison, montre toute l'importance que les Américains accordent aux activités de renseignement. Encore une fois, les États-Unis avaient le terrorisme et al-Qaïda dans leur mire depuis longtemps, en ce qui concerne leurs priorités de renseignement.

J'en reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure. Nous ne savons pas exactement ce qui n'a pas fonctionné le 11 septembre. Mais il faut bien comprendre qu'une des raisons pour lesquelles le gouvernement américain a eu du mal à comprendre la nature de la menace potentielle représentée par al-Qaïda, c'est d'abord parce qu'elle était absolument inimaginable. Personne, avant le 11 septembre, n'aurait pu prédire honnêtement qu'une organisation comme al-Qaïda pouvait réussir une telle attaque.

Deuxièmement, il y a certains types de menaces contre lesquelles il ne semble pas exister de moyens de défense réalistes. Autrement dit, qu'est-ce que vous auriez fait si vous aviez été avertis de façon très générale qu'al-Qaïda pourrait lancer une attaque concertée contre une grande ville américaine et que cette attaque prendrait la forme d'un écrasement d'avion contre un immeuble? Qu'est-ce qu'on peut faire dans un cas de ce genre? Cela pose un problème fondamental pour un gouvernement qui a tendance à croire qu'une telle chose est impossible, pour commencer, et qui ne sait pas quels mécanismes de défense employer. Est-ce qu'il aurait fallu évacuer Manhattan? Fermer complètement l'espace aérien? Et quoi encore?

Donc, c'est peut-être à la fois parce que l'attentat était totalement inimaginable et parce qu'il était difficile de savoir comment se défendre que les activités de renseignement ont été déficientes. Mais honnêtement—et ce n'est qu'un point de vue personnel—, plutôt que de chercher une réponse qui n'existe pas à la question concernant la nature de cet échec des activités de renseignement, nous devrions plutôt nous demander, plus près de nous, si le Canada n'a pas connu lui aussi un échec du même genre le 11 septembre. Avions-nous de l'information qui n'a pas été bien utilisée ou bien transmise à nos alliés? Est-ce que nous risquons nous aussi de connaître des échecs dans nos propres activités de renseignement? C'est la question que nous devons nous poser.

Le président: Certains membres du comité veulent partir à moins cinq pour se rendre à une autre séance et j'ai quelques questions à poser moi aussi.

[Français]

M. David Rudd: Monsieur Patry, vous avez tout à fait raison. À mon avis, pour nos collègues américains, il est préférable de lutter contre le terrorisme à l'étranger plutôt qu'aux États-Unis, en Amérique du Nord.

• 1150

C'est peut-être un cliché, mais il faut se souvenir du fait que s'il y a des échecs, il y a aussi des succès. Je pense que nous sommes ici à cause d'un très grand échec, mais avec les échecs, on peut améliorer la situation. D'habitude, les succès ne sont pas publiés. Il se peut que parmi tous les échecs, il y ait une dizaine ou des centaines de petits et grands succès.

[Traduction]

Le président: Merci.

Chers collègues, je voudrais faire deux annonces avant que ceux qui doivent partir s'en aillent.

Les gens du ministère ont proposé de nous donner une séance d'information sur ce qui s'est passé au Qatar. Je propose que nous tenions cette séance jeudi prochain en matinée. Il n'y a rien d'autre au programme. Nous pourrions obtenir de l'information sur l'orientation de l'OMC et sur les objectifs du ministre dans le cadre des négociations.

C'est ce que je vous suggère. Je vous mentionne également que notre ambassadeur à Washington, M. Kergin, sera disponible lundi. Nous serons probablement ici parce que le budget est présenté lundi; il pourrait donc venir nous parler...

Mme Francine Lalonde: Lundi prochain ou le suivant?

Le président: Le lundi 10 décembre. Il sera en ville le jour du budget. Il pourrait nous rencontrer entre midi et 14 heures. Nous pourrions soit tenir une séance officielle et faire servir un repas léger dans la salle de comité, soit essayer de réserver une des salles à manger parlementaires pour qu'il puisse s'adresser à nous là-bas. Nous pourrions aussi faire servir un lunch.

Le greffier du comité: Si c'est ici, monsieur le président, son témoignage pourra évidemment être versé au compte rendu.

Le président: Oui, je comprends que son témoignage sera enregistré si nous nous réunissons ici, mais ce serait plus détendu si nous le rencontrions à la salle à manger.

Avez-vous des préférences?

Une voix: La salle à manger.

Le président: C'est ce que je pensais. Comme nous approchons de Noël, nous allons donc choisir la salle à manger, quitte à devoir nous passer du compte rendu. C'est décidé.

J'aimerais poser quelques questions. Les membres du comité vont s'éparpiller, mais je voudrais poser trois questions.

Vous avez parlé de notre intérêt aux yeux de nos alliés, monsieur Wark, et je dois vous dire que ce n'est pas la première fois que cette question est soulevée. Quand nous avons tenu nos audiences sur la sécurité, il y a quelque temps, nous avons entendu des gens dire que nous étions en train de perdre notre crédibilité vis-à-vis de nos alliés, que notre contribution à l'OTAN avait diminué et que nous n'avions donc plus aucune crédibilité aux yeux de cette organisation. Qu'on aille à peu près n'importe où dans le monde, il se trouve presque toujours un expert pour dire que le Canada a perdu sa crédibilité dans ce domaine parce que nous ne faisons pas notre part.

Il y a un problème de répartition des ressources en ce qui concerne notre utilité pour nos alliés. Supposons que notre contribution soit effectivement de 10 p. 100 par l'entremise du CST, alors que celle des États-Unis est de 90 p. 100. Je viens d'entendre dire ce matin que l'économie américaine équivalait à quinze fois la nôtre, avec une population dix fois plus nombreuse que la nôtre. Pour un partenariat de ce genre, une proportion de 10 p. 100 est peut-être indiquée.

Combien en coûterait-il pour créer un service secret extérieur? Où pourrions trouver l'argent nécessaire et dans quelles poches le prendrions-nous? Je ne nous vois pas vraiment téléphoner aux contribuables et leur demander de nous envoyer quelques milliards de dollars. Alors, est-ce que nous prendrions cet argent dans les poches de la défense, que nous avons déjà dévalisées, ou dans celles de l'aide étrangère, que nous avons à peu près vidées aussi? Et la liste pourrait s'allonger.

La proportion et la provenance de notre contribution sont les deux aspects sur lesquels nous devrons nous pencher quand nous préparerons le rapport du comité.

Le problème, c'est que tout le monde veut maintenant plus de ressources pour la sécurité. Comme l'a souligné le premier ministre au cours d'une réunion récente, tous les ministères se sont soudainement rendu compte qu'ils avaient d'énormes problèmes de sécurité à régler. Les nouvelles portes des toilettes ont besoin de serrures sécuritaires? Cela devient tout à coup un problème de sécurité, pour lequel il faut débourser 100 millions de dollars.

Chaque ministère, ici et aux États-Unis, essaie ces jours-ci d'inclure de plus en plus d'éléments dans son budget de sécurité pour attirer l'attention. C'est une réalité de la vie. Alors, monsieur Doran, je voudrais vous poser une question sur cette histoire d'utilité comme allié. C'est vous qui vous occupez des études canadiennes aux États-Unis et qui entendez constamment les Américains parler du Canada. Est-ce que nous avons un problème en ce qui concerne l'intérêt que nous présentons pour les États-Unis en tant qu'alliés?

C'est la question que je vous pose. Je vais formuler toutes mes questions une après l'autre, après quoi nous pourrons revenir sur chacune.

Pour finir, monsieur Wark, vous et certains autres avez parlé des atouts du Canada en ce qui concerne les langues étrangères, la sécurité et le renseignement. J'habite à St. Jamestown, une localité qui compte 12 000 personnes et où on parle 57 langues différentes. Nous savons que l'hôtel de ville de Toronto offre des services en 101 langues, mais vous nous dites que vous ne connaissez pas l'urdu et d'autres langues de ce genre. Nous savons pourtant qu'il y a une foule de gens dans les rues de ma communauté qui parlent urdu, ou n'importe quelle autre langue connue. La question qui se pose, c'est de savoir comment les intégrer aux activités de renseignement.

• 1155

La police a le même problème. Nous avons des gangs de criminels vietnamiens, mais est-ce que nous avons assez de policiers qui parlent vietnamien? Il y a beaucoup de gens qui recherchent ces ressources. Le problème, c'est de savoir comment tirer parti des compétences linguistiques des gens de nos communautés, ici au Canada. Et comment pouvons-nous savoir si ces gens-là répondent à la définition des milieux de la défense et du renseignement en ce qui concerne leur crédibilité et leur capacité de respecter dans les paramètres exacts qui ont été établis? Ce sera très compliqué.

À l'époque où je pratiquais le droit, j'ai été invité à faire partie d'une très importante commission royale d'enquête. Quand j'ai dû obtenir ma cote de sécurité, les agents de la GRC ont regardé où j'étais allé depuis six ans et m'ont dit: «Vous êtes allé dans tellement de pays de toutes sortes, par exemple en Yougoslavie et dans quelques pays du rideau de fer, qu'il nous faudrait trois ans simplement pour vous fournir la cote de sécurité nécessaire pour que vous puissiez participer à cette commission d'enquête.» Ils ont donc embauché quelqu'un qui n'avait jamais voyagé. Il s'agissait des affaires étrangères, et le candidat retenu s'est acquitté de sa tâche très consciencieusement—mais il n'était jamais sorti du pays. Il avait sa cote de sécurité, mais il ne s'était jamais occupé de rien à l'extérieur du pays.

M. David Rudd: Ce n'était pas un congressiste américain, par hasard?

Le président: Vous avez posé plusieurs questions. La question de la répartition des ressources et celle des Américains pourraient...mais j'aimerais aussi avoir votre avis sur le caractère multiculturel de notre société, si vous avez une opinion là-dessus.

M. Charles Doran: Je dois dire que vous avez orienté ma réponse en parlant de la différence de taille entre les deux pays; il faut en tenir compte. Ce que cela signifie en réalité, c'est que personne ne peut tout faire. Les petits pays doivent reconnaître que ce serait une grave erreur d'essayer de faire exactement la même chose que les plus gros.

Si le Canada a une aussi bonne réputation—et je pense qu'elle est excellente dans ces domaines-là—, c'est parce que, tout ce que nous avons choisi de faire, nous l'avons bien fait. Autrement dit, il faut une certaine spécialisation. Il faut savoir ce qu'on peut vraiment faire bien. Ce sera une contribution très importante, et elle sera reconnue comme telle parce qu'elle est nécessaire.

L'autre aspect de cette question—et je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, alors je vais résumer rapidement—, c'est que le véritable enjeu, quand il est question de crédibilité, se rattache au fait que les autorités canadiennes sont les mieux placées pour savoir ce qui se passe à l'intérieur du Canada. Le pire, vu de l'étranger, ce serait que quelqu'un, par exemple un Européen, affirme qu'il y a un problème au niveau de la collecte, de l'analyse et de la transmission de l'information sur ce qui se passe à l'intérieur du pays. Je ne dis pas que cette accusation a déjà été formulée, mais c'est le genre de chose qui mine la crédibilité d'un pays très rapidement. Quand on a cette information, on fait des échanges avec les autres, et c'est très crédible. Donc, à mon avis, il n'y a pas de problème d'isolement potentiel dans ces circonstances, dans la mesure où nous avons quelque chose à fournir que personne d'autre n'a.

Le président: Voulez-vous répondre à une autre question?

M. Martin Rudner: Sur la question de la répartition des ressources, ce qui compte à mon avis, ce n'est pas le pourcentage de connaissances ou de renseignements qui va vers le nord par rapport à ce qui va vers le sud. L'important, bien sûr, c'est la question de la vulnérabilité et de la sécurité.

Au Canada, nous souhaitons avoir—et je pense qu'il est important que nous l'ayons—une frontière relativement ouverte, et nous voulons qu'il y ait beaucoup de gens qui entrent au Canada et qui en sortent, que ce soient des immigrants, des réfugiés ou des visiteurs. Nous voulons aussi un système financier relativement ouvert, dans lequel les Canadiens peuvent faire sortir de l'argent du pays et en faire entrer ici, et le faire circuler d'un bout à l'autre du pays. Ce sont tous des éléments auxquels nous accordons beaucoup d'importance, et nous devons prendre les moyens pour éviter que ces valeurs nous rendent vulnérables.

Nous devons avoir des connaissances comme celles que procurent les activités de renseignement pour déterminer quels sont les risques et de qui ils peuvent venir. Si nous ne répondons pas à cette exigence—et ce n'est pas une question de savoir si l'information que nous fournissons à nos alliés représente 5 ou 10 p. 100—, nos alliés nous considéreront comme des points faibles, et nous deviendrons nous-mêmes vulnérables.

M. Wesley Wark: Je suis d'accord avec Martin sur toute la ligne.

J'ajouterais seulement qu'il faut bien comprendre que le renseignement coûte relativement peu cher. Le chef des services secrets britanniques avait l'habitude de dire, dans les années 30, que son budget tout entier était inférieur aux coûts de fonctionnement d'un seul destroyer de la Royal Navy. De nos jours, si vous compariez les dépenses consacrées au renseignement avec le coût d'un seul et unique F-18, par exemple, je soupçonne que vous en arriveriez au même genre d'équation. Le renseignement n'est pas nécessairement une activité très coûteuse. Il faut voir les choses en perspective.

• 1200

J'invite instamment tous les membres du comité à considérer cela comme une priorité absolue. Le Canada pourrait avoir d'excellents services de renseignement, mais nous en sommes encore loin. Ce que nous devons faire, en réalité, dans le sillage des événements du 11 septembre, c'est corriger les lacunes qui existaient déjà auparavant: le manque de ressources, les structures déficientes et la diminution de nos capacités.

Je pense que nous avons d'abord du rattrapage à faire, après quoi nous devrons décider exactement où nous voulons nous positionner comme puissance capable d'offrir des services de renseignement de sécurité et de renseignement extérieur. Mais vous devez comprendre que cela ne sera pas nécessairement ruineux. Même la création d'un service secret extérieur de faible envergure, qui devrait sans doute relever du ministère des Affaires étrangères et pas nécessairement du SCRS, ne coûterait pas extrêmement cher: probablement entre 25 et 100 millions de dollars. L'important serait de décider exactement comment ce service fonctionnerait et ce qu'il aurait à faire.

Je dirais qu'il ne faut pas lâcher prise parce que les chiffres peuvent paraître alarmants. Je ne pense pas que ce soit le cas. Les services de renseignement, dans le monde entier, doivent régler des questions liées au recrutement dans des sociétés multiculturelles. Une des difficultés que nous rencontrons ici—très rapidement—, c'est que les services de renseignement sont plutôt dépassés en termes de composition démographique et que, comme dans d'autres secteurs de la bureaucratie gouvernementale, leur effectif vieillit.

En outre, ce qui est probablement un peu plus inquiétant à long terme, à mon avis, c'est que les services de renseignement n'ont absolument aucune stratégie de recrutement. Ils recrutent, mais sans avoir de stratégie précise, et c'est une autre raison pour laquelle nous devons aller voir ce qui s'y fait.

Le président: Merci beaucoup à tous. Nous avons eu une séance très intéressante, qui nous a fourni des éléments d'information très importants pour la préparation de notre rapport. Donc, je vous remercie d'être venus de l'extérieur de la ville. Nous l'apprécions.

Et je vous prie d'ignorer les flèches qui ont pu être lancées contre l'Université de Toronto...

Une voix: C'est déjà oublié.

Le président: Merci.

Nous nous réunirons à nouveau jeudi prochain, ou peut-être mardi. La séance est levée.

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