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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 14 avril 2005




¿ 0905
V         Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.))
V         Mme Janet Epp Buckingham (directrice, Loi et politique publique, Alliance évangélique du Canada)

¿ 0910

¿ 0915
V         Le président
V         M. David Griffin (agent exécutif, Association canadienne de la police professionnelle)

¿ 0920
V         Le président
V         M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC)
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         Le président
V         M. David Griffin

¿ 0925
V         M. Myron Thompson
V         Le président
V         M. Myron Thompson
V         M. David Griffin
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         Le président
V         Mme Diane Bourgeois (Terrebonne—Blainville, BQ)

¿ 0930
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham

¿ 0935
V         Le président
V         M. David Griffin
V         Mme Diane Bourgeois
V         M. David Griffin
V         Le président
V         M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD)
V         M. David Griffin

¿ 0940
V         M. Joe Comartin
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         M. Joe Comartin
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         M. Joe Comartin
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         M. David Griffin

¿ 0945
V         Le président
V         M. John Maloney (Welland, Lib.)
V         M. David Griffin
V         M. John Maloney
V         M. David Griffin
V         M. John Maloney
V         M. David Griffin
V         M. John Maloney
V         M. David Griffin

¿ 0950
V         M. John Maloney
V         M. David Griffin
V         Le président
V         M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC)
V         M. David Griffin

¿ 0955
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         Le président
V         M. Mark Warawa (Langley, PCC)
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham

À 1000
V         Le président
V         M. David Griffin
V         M. Mark Warawa
V         Le président
V         Mme Anita Neville

À 1005
V         Le président
V         Mme Janet Epp Buckingham
V         Le président
V         M. David Griffin
V         Le président
V         M. David Griffin
V         Le président
V         M. Ron Langevin (psychologue judiciaire, Juniper Associates, à titre personnel)

À 1010

À 1015

À 1020
V         Le président
V         M. Mark Warawa
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa

À 1025
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa
V         M. Ron Langevin
V         M. Mark Warawa
V         Le président
V         Mme Diane Bourgeois

À 1030
V         Le président
V         Mme Diane Bourgeois
V         M. Ron Langevin

À 1035
V         Le président
V         Mme Anita Neville
V         M. Ron Langevin
V         Le président
V         M. Ron Langevin
V         Mme Anita Neville
V         M. Ron Langevin

À 1040
V         Mme Anita Neville
V         M. Ron Langevin
V         Mme Anita Neville
V         Le président
V         M. Rob Moore
V         Le président
V         M. Ron Langevin

À 1045
V         M. Rob Moore
V         M. Ron Langevin
V         Le président
V         L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.)
V         M. Ron Langevin
V         L'hon. Roy Cullen
V         Le président
V         L'hon. Roy Cullen
V         M. Ron Langevin
V         Le président
V         M. Myron Thompson
V         M. Ron Langevin
V         M. Myron Thompson
V         M. Ron Langevin

À 1050
V         M. Myron Thompson
V         M. Ron Langevin
V         M. Myron Thompson
V         M. Ron Langevin
V         M. Myron Thompson
V         M. Ron Langevin
V         Le président
V         M. John Maloney
V         M. Ron Langevin
V         M. John Maloney
V         M. Ron Langevin

À 1055
V         Le président
V         M. Ron Langevin
V         Le président
V         M. Ron Langevin
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 032 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 14 avril 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte.

    Le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile est réuni pour poursuivre l'examen du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.

    Nous allons entendre deux témoins au cours de cette partie de la séance. Il s'agit de Mme Janet Epp Buckingham, directrice, Loi et politique publique, de l'Alliance évangélique du Canada et de M. David Griffin, agent exécutif, de l'Association canadienne de la police professionnelle. Je vais vous demander à tous les deux de nous présenter un exposé d'une dizaine de minutes, en commençant par Mme Epp Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham (directrice, Loi et politique publique, Alliance évangélique du Canada): Je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de comparaître pour parler de ce projet de loi. C'est un projet important.

    Je comparais pour le compte de l'Alliance évangélique du Canada mais également en qualité de mère. Mes enfants ont 10 et 13 ans, un âge très vulnérable.

    Il est important de rappeler que les Canadiens attribuent une très grande importance à ce genre de mesure législative. Ils ont signé de nombreuses pétitions et envoyé des lettres à ce sujet, parce que ce n'est pas une mesure législative abstraite qui traite des enfants, ni même de la protection des enfants ou des artistes. Il s'agit de nos enfants, de nos petits-enfants, de nos nièces et neveux. Je crois que les Canadiens veulent être sûrs que leurs enfants sont protégés par les lois. Je sais que c'est mon sentiment et je suis sûr que c'est celui d'un grand nombre d'entre vous dans cette salle.

    L'Alliance évangélique du Canada s'intéresse depuis longtemps à la protection des personnes vulnérables, particulièrement à celle des enfants. Nous avons été partie intervenante devant la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Sharpe, une affaire de pornographie juvénile provenant de la Colombie-Britannique. Nous avons fait des représentations au Comité permanent de la justice au sujet du projet de loi C-20, ainsi qu'au ministère de la Justice fédéral et au ministre de la Justice au sujet des questions relatives à la pornographie juvénile, à la prostitution enfantine et à l'âge du consentement.

    Les enfants sont parmi les personnes les plus vulnérables de la société. Ils ont besoin que les adultes les protègent, les guident et veillent sur eux. Leur taille et leur nature impressionnable les rend vulnérables aux mauvais traitements. La confiance d'un enfant est trahie quand il est agressé par un adulte.

    La pornographie juvénile exploite la vulnérabilité, viole la dignité humaine et nuit non seulement à ceux qui y participent mais également à l'ensemble de la société canadienne. Il est clair que la grande majorité des Canadiens est en faveur d'une loi stricte, claire et efficace en matière de protection des enfants. Il est essentiel que le gouvernement consacre le temps et l'énergie qu'il faut et qu'il fasse preuve du courage et de la sagesse nécessaires pour promulguer un texte législatif d'envergure qui fasse en sorte que le droit canadien assure une protection totale et sans faille aux enfants. Les enfants ne méritent rien de moins qu'une protection totale contre toute forme d'exploitation.

    Ce projet de loi comporte un certain nombre d'aspects positifs. Nous applaudissons à l'élargissement de la définition de la pornographie juvénile pour y inclure les écrits et les enregistrements sonores qui décrivent « une activité sexuelle interdite exercée avec des enfants lorsque cette description est la caractéristique dominante de l'oeuvre et qu'elle est effectuée dans un but sexuel. » Nous applaudissons aussi la création, dans le projet de loi, d'une nouvelle infraction en matière de publicité de la pornographie juvénile. Nous félicitons également le gouvernement et lui offrons notre soutien pour la disposition du projet de loi qui fait de l'intention de réaliser un profit par la perpétration de l'infraction de pornographie juvénile une circonstance aggravante aux fins de la peine.

    Il existe toutefois un certain nombre de domaines dans lesquels le projet de loi n'accorde pas aux enfants la protection juridique dont ils ont besoin. La pornographie juvénile est fondamentalement préjudiciable pour les enfants, non seulement sa production mais aussi sa consommation. Pour cette raison, la lutte contre la prolifération de la pornographie juvénile ne doit pas être perçue comme de la censure mais plutôt comme la réglementation d'un produit potentiellement dangereux. Une description qui humilie et déshumanise les enfants ne peut avoir aucune valeur. C'est pourquoi nous estimons que le Parlement doit adopter une politique de tolérance zéro à l'égard de la protection et de la possession personnelle de pornographie juvénile.

    Nous félicitons le gouvernement pour les efforts déployés dans le but de restreindre et de préciser le critère applicable aux moyens de défense en matière de pornographie juvénile et de mettre l'accent sur le but légitime plutôt que sur le bien public ou la valeur artistique. Toutefois, l'inclusion dans le projet de loi d'une forme de défense fondée sur la valeur artistique constitue une importante échappatoire légale qui empêche la loi d'assurer aux enfants la protection qu'ils méritent.

    Si un cas tombe clairement dans les limites définies pour les infractions de possession prévues au Code criminel, et qu'il est, par conséquent, visé par ce premier critère, il ne peut y avoir aucune justification pour introduire un second critère qui autoriserait la possession personnelle de pornographie juvénile. Nous proposons que le seul moyen de défense possible devant être inclus dans le Code criminel—et par conséquent, l'unique second critère applicable—soit associé aux cas de possession dans un contexte professionnel pour la poursuite et l'administration de la justice, la médecine, la science et l'éducation, dans le but exprès de prévenir ou de combattre la pornographie juvénile. C'est pourquoi nous proposons de modifier le projet de loi en supprimant les mots « aux arts » du paragraphe 7(7), qui modifie l'alinéa 163.1(6)a) du Code criminel.

    Au sujet des peines, le projet de loi C-2 propose de modifier le Code criminel pour faire passer de six à dix-huit mois d'emprisonnement la peine maximale applicable en cas de condamnation pour pornographie juvénile.

    Lorsqu'on augmente les peines maximales, il est rare que l'on constate une augmentation correspondante des peines effectivement infligées par les juges. Nous pensons que l'établissement d'une peine minimale obligatoire serait une mesure beaucoup plus efficace, et en fait nécessaire pour changer les pratiques actuelles en matière de peine. C'est ce qui a été fait, par exemple, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

    Comme c'était le cas avec les projets de loi C-12 et C-20, les prédécesseurs du projet de loi C-2, celui-ci ne relève pas l'âge du consentement pour les contacts sexuels entre enfants et adultes, et se démarque ainsi fortement de ce que pensent la majorité des Canadiens.

¿  +-(0910)  

    En 1997, à l'occasion de son exposé présenté au Comité permanent de la justice et des questions juridiques, pendant l'examen du projet de loi C-27, l'Association canadienne des chefs de police a exhorté le gouvernement fédéral à fixer à 18 ans et plus l'âge requis pour consentir à des rapports sexuels avec des adultes. En 2002, un sondage Pollara révélait que 80 p. 100 des Canadiens ont déclaré que l'âge légal du consentement devrait être d'au moins de 16 ans. Malgré le soutien clair et généralisé accordé au relèvement de l'âge légal du consentement, le gouvernement fédéral persiste à manquer à son devoir de protéger les enfants canadiens.

    Peu élevé, l'âge légal actuel du consentement rend le Canada vulnérable aux problèmes liés à la prostitution enfantine et à la violence faite aux enfants. Les pédophiles continuent à attirer les enfants vulnérables au moyen d'Internet. Au Canada, l'activité des pédophiles d'outre-frontière est agressive et favorisée parce que l'âge légal du consentement n'est que de 14 ans, un des plus bas du monde occidental. Cette situation multiplie pour les pédophiles les occasions d'attirer les enfants canadiens vulnérables et d'en abuser et leur donne plus de chances de se justifier et de défendre légalement leurs actes abusifs, sans que les parents puissent faire quoi que ce soit. Si nous voulons des dispositions législatives qui protègent efficacement les enfants, il faut que ces dispositions leur garantissent la meilleure protection possible.

    Je vais simplement résumer nos recommandations.

    Nous invitons le comité à recommander d'éliminer le moyen de défense fondé sur le but lié aux arts pour les infractions de possession de pornographie juvénile, en ne conservant à titre d'exception que la possession dans un contexte professionnel pour la poursuite de la justice, de la médecine, de la science et de l'éducation à des fins expresses de prévention et de lutte contre la pornographie juvénile.

    La seconde recommandation vise l'établissement de peines minimales obligatoires pour la possession de pornographie juvénile, comme cela a été fait au Royaume-Uni et aux États-Unis et de relever de 14 à 18 ans l'âge légal du consentement pour les contacts sexuels entre adultes et enfants.

    Je vous remercie.

¿  +-(0915)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Maintenant, donnons la parole à M. Griffin, pour 10 minutes environ.

+-

    M. David Griffin (agent exécutif, Association canadienne de la police professionnelle): Merci, monsieur le président.

    Mesdames et messieurs, honorables membres du comité, bonjour. L'Association canadienne de la police professionnelle se réjouit d'avoir l'occasion de témoigner aujourd'hui devant le comité au sujet de cette importante mesure législative. L'ACPP est le porte-parole national des 54 000 membres du personnel en poste d'un bout à l'autre du Canada. Par l'intermédiaire de nos 225 associations-membres, les adhérents à l'ACPP comprennent le personnel policier oeuvrant au sein des corps policiers des petites villes et villages du Canada, ainsi que dans les grands corps policiers municipaux, les services policiers provinciaux et les membres de la GRC.

    Les enfants constituent le groupe le plus vulnérable de la société et ils ont besoin de protection contre ceux qui en feraient leur proie. La croissance de l'Internet a sensiblement accru la disponibilité de la pornographie juvénile. L'Association canadienne de la police professionnelle a demandé une riposte stratégique nationale de la part du gouvernement en réponse au problème croissant de l'exploitation des enfants par le biais de l'Internet. Nous avons besoin de lois qui protègent nos enfants contre l'exploitation par des personnes plus âgées et nous devons utiliser davantage la technologie pour contrer les actes criminels commis contre enfants.

    Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de commenter aujourd'hui les dispositions que contient le projet de loi C-2. Je devrais mentionner que notre association a pris position dans l'affaire Reine c. Sharpe et qu'elle est intervenue devant la Cour suprême du Canada dans cette affaire de sinistre renom; nous avons également témoigné au sujet du projet de loi précédent, le projet de loi C-20. Nous sommes heureux des progrès réalisés depuis cette époque et des révisions qui figurent dans le projet de loi C-2. Nous applaudissons les engagements pris par la vice-première ministre d'étendre le site cybertip.ca à l'échelle nationale et de renforcer le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants de la GRC. Ce sont là d'importantes initiatives appuyées par la communauté policière qui cadrent avec nos efforts visant à protéger les enfants contre l'exploitation.

    J'aimerais aborder ce matin plusieurs aspects du projet de loi. Le premier est celui du consentement des adolescents à des activités sexuelles. Il existe à l'heure actuelle certaines incohérences entre diverses dispositions du Code criminel en matière d'âge du consentement. Par exemple, l'âge du consentement aux relations sexuelles avec des personnes plus âgées est à l'heure actuelle plus bas que l'âge du consentement qui s'applique à la prostitution juvénile et à la pornographie juvénile. Une résolution de 2001 émanant des ministres provinciaux de la Justice exhortait les ministres fédéraux à relever l'âge auquel une jeune personne de moins de 18 ans mais de plus de 14 ans peut consentir valablement à une activité sexuelle avec un adulte.

    L'ACPP préconise depuis fort longtemps de majorer à 16 ans au moins l'âge du consentement aux relations sexuelles avec des personnes plus âgées pour les enfants.

    Le projet de loi C-2 introduit une nouvelle catégorie d'exploitation sexuelle dans le but de protéger les adolescents âgés de 14 à 18 ans. En vertu du mécanisme proposé, les tribunaux peuvent déduire que l'adolescent est exploité dans une relation en se fondant sur la nature et les circonstances de la relation, ce qui comprend l'âge de l'adolescent, la différence d'âge, l'évolution de la relation et l'emprise ou l'influence de l'adulte sur l'adolescent. Cette nouvelle catégorie a été créée dans l'intention de centrer la décision du tribunal sur la conduite et le comportement de l'accusé, plutôt que sur le consentement à l'activité sexuelle de la part de l'adolescent.

    Le projet de loi supprime également le moyen de défense fondé sur le consentement pour les accusés de moins de 16 ans lorsque le plaignant est exploité dans la relation. D'une façon générale, nous sommes satisfaits de la modification apportée à la définition que nous avions examinée antérieurement. Il incombera en fin de compte aux tribunaux de décider si ce critère est suffisant pour protéger les enfants contre l'exploitation par des adultes. Le Parlement devrait envisager de réviser cette disposition et d'autres articles du projet de loi après cinq ans.

    Pour ce qui est des peines, même si le projet de loi C-2 prolonge les peines maximales pour plusieurs infractions et introduit de nouvelles circonstances aggravantes aux fins de la fixation de la peine, la réalité est que les tribunaux imposent souvent des peines légères, et même des peines non privatives de liberté, pour des infractions sexuelles commises contre des enfants. L'exploitation sexuelle d'enfants et de personnes vulnérables justifie manifestement des sanctions beaucoup plus sévère que celles qui sont prévues par le projet de loi C-2.

    Si le ministre de la Justice a l'intention de contrer sérieusement les crimes dont les enfants et d'autres personnes vulnérables sont victimes, nous soutenons qu'il doit être disposé à s'attaquer au parti pris systémique contre les peines minimales. Le ministre Cotler et ses collaborateurs ont indiqué que le ministre examinera volontiers les propositions du comité au sujet des peines; nous serions bien sûr heureux que vous teniez compte de cette préoccupation.

    Pour ce qui est de la nouvelle infraction de voyeurisme, en réponse à une résolution des ministres provinciaux et territoriaux de la Justice adoptée en 2002, le projet de loi C-2 crée la nouvelle infraction de voyeurisme. Le voyeurisme est une grave invasion de la vie privée. La technologie moderne peut être exploitée à des fins de voyeurisme, permettant aux contrevenants d'enregistrer ou de surveiller en secret les activités d'autrui. Les personnes qui se livrent à des actes de voyeurisme commettent souvent des crimes sexuels plus graves par la suite. C'est pourquoi nous pensons que ces dispositions du projet de loi C-2 sont appropriées et nécessaires.

    J'aimerais également faire certains commentaires sur les activités prohibées aux termes de l'article 161 du Code criminel. Le projet de loi C-2 allonge la liste des infractions pour lesquelles on peut interdire aux contrevenants condamnés de fréquenter certains lieux, écoles, terrains de jeu, ou de demander un emploi rémunéré ou non dans un milieu où ils travailleraient auprès d'enfants. Nous recommandons de modifier cet article pour qu'il s'applique aux victimes jusqu'à l'âge de 18 ans et comprenne l'infraction de voyeurisme. En outre, la Couronne devrait avoir le pouvoir de demander une telle interdiction au moment où le contrevenant doit être libéré au sein de la collectivité et non seulement au moment de l'imposition de sa peine.

    Au sujet de la définition de la pornographie juvénile et des moyens de défense, nous nous réjouissons de constater que le ministre de la Justice a pris des mesures pour resserrer la définition de la pornographie juvénile afin de répondre à certaines contestations judiciaires récentes, élargissant ainsi l'application de la loi et restreignant dans le même temps les moyens de défense susceptibles d'être invoqués.

    Le moyen de défense fondé sur la valeur artistique a donné lieu à une grande controverse mais les policiers responsables des enquêtes sur la pornographie juvénile ne sont habituellement pas confrontés à ce moyen de défense à la suite de leurs enquêtes. La triste vérité est que le matériel saisi par les policiers est si volumineux, si vil et si explicite qu'un tel moyen de défense ne pourrait être invoqué. Le Parlement devrait également envisager de réviser cette disposition, avec d'autres articles du projet de loi, après cinq ans.

    J'ai inclus dans nos commentaires une liste des changements ou ajouts que nous proposons au sujet des plaignants et du traitement des témoins et je vais les résumer. Pour l'essentiel, nous aimerions que les victimes aient la possibilité de demander au tribunal d'entendre ce genre de demande, notamment celles qui concernent les enregistrements vidéos ou l'exclusion du public. Nous pensons également que la victime devrait pouvoir donner son avis au sujet d'une interdiction de publication. Il arrive que les victimes ne souhaitent pas que le tribunal prononce une interdiction de publication et les tribunaux devraient être tenus de prendre cet avis en considération.

    Pour conclure, le projet de loi C-2 répond à un certain nombre de préoccupations soulevées par les organisations policières à l'égard de la pornographie juvénile et de l'exploitation des enfants. Il reste encore d'autres possibilités de renforcer le soutien accordé aux enquêtes. Nous aimerions que soit établie une base nationale de données de photos-images en matière de pornographie juvénile et que soit élargie la portée des infractions établies en vertu du Code criminel du Canada pour permettre l'analyse médico-légale de l'ADN, une technique très efficace.

    Je vous remercie de nous avoir invités à présenter notre point de vue.

¿  +-(0920)  

+-

    Le président: Merci aux deux témoins.

    Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Nous allons commencer par M. Thompson, pour cinq minutes.

+-

    M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie tous deux d'être venus aujourd'hui.

    J'ai une question à vous poser à chacun. Je vais poser mes deux questions et vous allez probablement utiliser mon temps de parole pour y répondre. Tout d'abord, j'ai trouvé votre témoignage très rafraîchissant, en particulier parce que j'ai moi-même proposé deux projets de loi d'initiative parlementaire.

    Madame Buckingham, vos recommandations s'harmonisent parfaitement avec mes projets de loi. Vous auriez parfaitement pu écrire les projets de loi que j'ai présentés au sujet du relèvement de l'âge du consentement et de la pornographie juvénile. Je vous remercie donc pour le soutien que vous pourrez m'accorder à l'avenir, si ce projet est jamais examiné, parce que c'est exactement ce que je propose ici.

    La question que je vous adresse est toutefois la suivante. J'aimerais savoir ce que vous pensez des remarques que nous avons entendues ces dernières semaines selon lesquelles la pornographie juvénile est un phénomène grave si elle représente des enfants réels mais qu'elle n'est pas si grave lorsqu'elle fait allusion à des enfants fictifs, dans des écrits en particulier. C'est en gros ce que j'ai trop souvent entendu ici. J'aimerais que vous réagissiez tous deux à ces commentaires.

    Quant à vous, monsieur Griffin, je vous remercie. Lorsque j'ai visité des pénitenciers, lorsque je faisais un travail très important pour les pénitenciers, j'ai rencontré personnellement un certain de détenus qui avaient commis des infractions sexuelles à l'égard d'enfants—et j'ai également parlé avec des travailleurs sociaux et des psychologues—et ils ont pratiquement tous affirmé, un fort pourcentage de ces détenus, que la pornographie juvénile était un élément qui les avait amenés à commettre les crimes pour lesquels ils avaient été condamnés. Cependant, je ne connais pas d'étude portant sur cet aspect et j'essaie de trouver quelqu'un qui possède des renseignements sur ce genre d'études, mais il semble qu'aucune étude ne confirme ces affirmations. C'est pourtant le témoignage que j'ai entendu de certaines personnes, selon lesquelles la pornographie est définitivement un élément précurseur. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

    Je vais en rester là pour le moment mais s'il me reste un petit peu de temps, j'aimerais vous poser une dernière question. Cela vous convient-il?

+-

    Le président: Madame Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Ce sont des questions qu'il est important de soulever, et bien sûr, elles ont été abordées devant la Cour suprême du Canada. Il existe certains éléments qui indiquent que la pornographie juvénile qui représente des enfants fictifs est utilisée pour commettre des crimes contre les enfants; elle est également utilisée pour conditionner les enfants à avoir des relations sexuelles illégales et inappropriées avec des adultes.

    Nous avons entendu le témoignage assez franc de l'homme qui a tué Holly Jones et qui a déclaré qu'il avait été incité à faire à Holly ce qu'il avait fait parce qu'il avait regardé de la pornographie juvénile. Il n'existe peut-être pas d'études scientifiques, mais il existe certainement un grand nombre d'éléments qui montrent que la pornographie juvénile qui représente des enfants fictifs—une pornographie juvénile d'imagination—constitue un problème, et c'est un problème pour les enfants et un danger pour les enfants.

+-

    Le président: Monsieur Griffin.

+-

    M. David Griffin: Merci.

    En fait, je dirais que ces deux questions sont excellentes. Pour ce qui est de la première question portant sur les enfants réels ou fictifs, il faut d'abord savoir qu'une image est une oeuvre d'imagination. Avec les possibilités qu'offre l'informatique et ce genre de chose, il est parfois difficile de savoir s'il s'agit d'une victime réelle ou d'une image qui a été composée grâce à la technologie de l'informatique.

    Mme Epp Buckingham a abordé certains points dont je voulais parler concernant le conditionnement et la sexualisation des enfants.

    La plupart des personnes qui font ce commerce ont une préférence sexuelle pour les enfants et leurs actions reflètent toute une gamme de comportement. Bien souvent, pour les gens qui vont finir par commettre des crimes sexuels contre les enfants, la pornographie juvénile représente une première étape dans cette gamme de comportements. Vous allez entendre le témoignage d'experts médicaux qui sont bien plus compétents que moi mais les enquêteurs policiers vous diront que les personnes qui commettent des actes sexuels contre les enfants ont bien souvent regardé de la pornographie juvénile ou échangé du matériel de ce genre.

    Sur la question de savoir si les oeuvres d'imagination constituent de l'art, je dirais que le genre de matériel dont il s'agissait devant la Cour suprême du Canada, comme je l'ai dit dans mes commentaires, était particulièrement vil et choquant. Par exemple, il y avait une publication intitulée Boiled Angel (L'ange bouilli) qui montrait un enfant, en fait un bébé, qui était agressé sexuellement, décapité, agressé sexuellement par la suite, et ensuite bouilli. Pour moi, ce genre d'oeuvre d'imagination n'est pas de l'art et les policiers constatent généralement que si ce genre de choses s'accompagne parfois d'un élément minime de création personnelle, ces personnes ont tendance à rassembler par centaines, sinon par dizaines de milliers, des images et la défense fondée sur la valeur artistique ne joue absolument pas dans ce genre d'enquêtes.

¿  +-(0925)  

+-

    M. Myron Thompson: J'ai une dernière brève question, si j'ai le temps, elle est très brève.

+-

    Le président: Vous êtes tellement gentil que...

+-

    M. Myron Thompson: Un certain nombre de juristes m'ont averti qu'il était fort probable que mes projets de loi soient tous les deux anticonstitutionnels et cela me préoccupe énormément.

    J'aimerais avoir vos commentaires sur ce point.

+-

    M. David Griffin: Nous avons craint au moment où la Cour suprême du Canada a entendu l'affaire Sharpe que, s'il était survenu un cas où il n'aurait pas été possible de faire appliquer ce genre de lois et de protéger les enfants contre ce type d'activités sexuelles, notre société aurait été obligée de revoir les protections accordées par la Charte. Je dirais que ce n'est pas le cas aujourd'hui; nous avons le pouvoir de réprimer ces infractions et si nous aimerions voir certaines choses améliorées comme nous l'avons mentionné aujourd'hui—et il est vrai que nous avons certaines inquiétudes au sujet des peines—avec la Charte, telle qu'elle est rédigée actuellement, nous en sommes arrivés à un équilibre entre les droits de la personne et la protection des enfants contre toute forme d'exploitation.

+-

    Le président: Madame Epp Buckingham, vous vouliez faire un commentaire?

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Un de nos recommandations porte sur l'âge du consentement aux relations sexuelles entre adultes et enfants. Cette disposition serait plus conforme à la Charte si l'âge du consentement était relevé pour toutes les infractions. Lorsque l'on crée des différences et qu'on affirme que les enfants peuvent consentir à ce genre d'activité sexuelle mais pas avec des personnes de tel âge, cela soulève des problèmes mais ce ne serait pas le cas si l'âge du consentement passait à 16 ans pour toutes les infractions, cela ne serait pas contraire à la Charte.

+-

    Le président: Merci.

    Merci, monsieur Thompson.

[Français]

    Madame Bourgeois, vous avez cinq minutes.

+-

    Mme Diane Bourgeois (Terrebonne—Blainville, BQ): Madame et messieurs, bonjour.

    Ma question s'adresse tout d'abord à M. Griffin, mais j'aimerais que Mme Buckingham puisse, elle aussi, intervenir. Vous semblez dire que l'âge du consentement est d'une importance capitale.

    Monsieur Griffin, dans le mémoire que vous avez déposé, vous dites, à la page 2 de la version française, qu'il y avait des incohérences entre diverses dispositions du Code criminel et que le projet de loi C-20, à l'époque, avait tenté de régler ce problème d'incohérence face à l'âge du consentement. Vous semblez dire que le projet de loi C-2 ne va pas assez loin et laisse perdurer ces incohérences.

    Vous semblez tous les deux attacher beaucoup d'importance à l'âge du consentement. Je ne suis pas une juriste, mais je comprends qu'on n'a pas le même développement de l'esprit à 14 ans qu'à 18 ans, qu'on n'a pas la même maturité. Par ailleurs, un pédophile ne se préoccupe pas de l'âge. Alors, devrait-on attacher plus d'importance aux pédophiles qu'à des incohérences dans la loi en ce qui concerne le consentement? C'est ma première question.

    Deuxièmement, ce qui me préoccupe, c'est l'Internet. On touche très peu l'Internet. Les témoins qui en parlent semblent dire qu'il y a effectivement un problème à cet égard, qu'il faut des ressources supplémentaires. Cependant, quand nous ouvrons nous-mêmes notre site Internet, nous sommes inondés, à une certaine heure de la journée, de ces pourriels qui nous montrent des images pornographiques. C'en est choquant. Je me dis qu'un jeune qui utilise l'Internet en est inondé lui aussi. Je n'ai pas vu beaucoup de pistes de solution pour régler ce phénomène.

    Troisièmement, il y a également une question d'éducation. Je pense que la société elle-même doit fournir une éducation pour les parents et pour les enfants face à la pornographie, face aux proxénètes, face aux pédophiles. Je n'ai pas beaucoup entendu les groupes se prononcer sur ce sujet. Par ailleurs, je vous entends beaucoup parler de l'âge du consentement. J'aimerais obtenir des réponses à ces questions.

¿  +-(0930)  

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Buckingham, commencez.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Merci d'avoir posé ces questions. Ce sont des questions importantes.

    Une des raisons pour lesquelles nous nous intéressons beaucoup à l'âge du consentement est que nous avons constaté que les pédophiles d'outre-frontière étaient très actifs ici. Ces pédophiles viennent des États-Unis, pays où l'âge du consentement est plus élevé—il est fixé entre 16 et 18 ans. Ils viennent au Canada parce qu'ils savent que l'âge du consentement est plus bas ici et qu'ils peuvent avoir des activités sexuelles avec des jeunes de 14 ans et que ce n'est pas illégal parce que les jeunes de 14 ans peuvent légalement donner leur consentement à ces activités au Canada. Nous pensons toutefois que les adolescents de 14 ans qui sont attirés par des pédophiles ne savent pas vraiment ce qu'ils risquent. Ils ne sont pas suffisamment âgés pour comprendre les conséquences de leurs actes. C'est donc pour pouvoir poursuivre ces pédophiles que nous avons proposé de relever l'âge du consentement—non pas pour poursuivre les adolescents de 14 ans, mais pour indiquer clairement aux pédophiles qu'ils n'ont pas le droit de s'en prendre aux enfants canadiens de 14 ans.

    La réglementation de l'Internet est une chose très importante et je sais qu'elle a été envisagée. Je sais que le CRTC, par exemple, a examiné les façons ou la possibilité de le faire, et cela est difficile parce que c'est un phénomène international. La plupart des pourriels horribles que nous recevons viennent de l'étranger. Je serais très favorable au renforcement de la réglementation dans ce domaine. Je sais que certaines municipalités ont adopté des règlements qui ont pour effet d'obliger les fournisseurs de service Internet à assumer la responsabilité des images qu'ils transmettent. Les fournisseurs de service Internet répondent qu'ils ne savent pas ce qui est transmis, qu'ils ne peuvent en être tenus responsables et je pense que nous devrions examiner très soigneusement cet aspect. J'ai lu des études qui indiquent que ces personnes utilisent des mots comme « Disney » et « Mickey Mouse » sur ce matériel pour qu'il cible les enfants, pratique qui est tout à fait inacceptable. La question est de savoir comment retracer ces gens et les poursuivre mais je serais tout à fait en faveur d'une telle démarche.

    Il est tout à fait vrai qu'il faut éduquer les enfants au sujet de ces questions. On a tenté d'aguerrir les enfants contre les dangers de la rue, et il faudrait également le faire pour l'Internet. Les enfants passent de plus en plus de temps sur Internet et il faut qu'ils sachent se protéger.

¿  +-(0935)  

+-

    Le président: Monsieur Griffin, pour répondre à Mme Bourgeois.

[Français]

+-

    M. David Griffin: Merci. Je ne suis pas toujours capable de répondre en français, mais...

+-

    Mme Diane Bourgeois: Ça va. Vous pouvez répondre en anglais.

[Traduction]

+-

    M. David Griffin: Je ne suis pas capable non plus d'analyser notre traduction et ce passage est peut-être ambigu en anglais mais j'ai essayé d'expliquer en anglais l'historique de notre position au sujet de l'âge du consentement et comment nous en sommes venus à la conclusion que ce que propose le projet de loi C-2 est préférable à ce qui existe actuellement. Ce n'est peut-être pas l'âge de 16 ans, dont nous avons parlé, qu'il faut retenir, mais nous ne sommes pas ici pour préconiser d'incriminer les romances entre adolescents. Nous voulons plutôt lutter contre l'exploitation des adolescents ou des enfants par des personnes beaucoup plus âgées qu'eux.

    Comme cela a été expliqué, le genre de plaintes dont nous parlent les parents concernent des situations où une personne âgée—une personne beaucoup plus âgée, quelqu'un de mon âge—entre en contact avec des jeunes de 14 ou 15 ans par Internet et essaie en fin de compte d'avoir des relations sexuelles consensuelles avec cette personne. Si l'adolescent consent, il est difficile de poursuivre la personne âgée. Ce projet de loi offre, d'après nous, la possibilité de poursuivre ce genre de personne.

    Pour ce qui est de l'Internet, je pense que vous avez fait d'excellents commentaires. Je parle en tant que parent lorsque je dis que j'ai dû payer 400 $ pour faire nettoyer mon ordinateur à cause du pourriel qui y était entré après que mon fils ait visité différents sites Web; je m'intéresse donc personnellement à toute la question de l'éducation et de la sensibilisation. Je pense que notre société devrait faire davantage dans ce domaine.

    Là encore, Mme Buckingham a mentionné certains défis que pose Internet, pour essayer de circonscrire ce problème. Nous avons demandé en vain que les fournisseurs de service Internet soient obligés de rendre compte de ce qui est transmis sur leurs réseaux. Mais du point de vue des poursuites pénales, nous nous intéressons principalement à la diffusion de la pornographie juvénile et à l'accès à cette pornographie ainsi qu'au fait d'attirer les jeunes en utilisant l'Internet. Je dirais qu'en fin de compte le projet de loi répond dans une certaine mesure à ces préoccupations. Mais il semble que nous soyons toujours un peu en retard.

+-

    Le président: Merci, monsieur Griffin.

    Merci, madame Bourgeois.

    Monsieur Comartin, pour cinq minutes.

+-

    M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Monsieur Griffin, j'ai essayé d'en savoir davantage sur la victimisation par Internet pour ce qui est des enfants canadiens qu'on utilise comme sujets et victimes. Je n'ai pas réussi à savoir quelle était l'ampleur de ce problème. Je dois dire que, d'après le matériel que j'ai examiné, il est très rare que ce qu'on peut voir sur Internet ait été produit au Canada. Une bonne quantité est produite en Europe de l'Ouest mais la plus grosse partie vient d'Asie.

    Je pourrais peut-être poser deux questions à ce sujet. Premièrement, avez-vous une idée du nombre des accusations qui ont été portées au Canada contre des personnes qui ont utilisé des enfants pour produire du matériel qui se retrouve sur Internet? Deuxièmement, de façon générale, même en l'absence d'accusations, existe-t-il une étude ou une recherche qui indique quel est le nombre d'enfants canadiens qui ont été victimes de la pornographie au Canada?

+-

    M. David Griffin: Malheureusement, je ne peux pas répondre à cette question directement mais je peux vous dire qu'à Toronto, par exemple, il y a un projet qui a été lancé avec Microsoft pour essayer de relier les images contenues dans une base de données, pour essayer de savoir où ces infractions avaient été commises et qui en étaient les victimes. Ils ont réussi non seulement à découvrir l'endroit où ces images avaient été prises mais également à identifier les victimes.

    Je ne peux donc pas vous donner des chiffres exacts mais je sais qu'il y a eu des cas en Amérique du Nord, des cas à Toronto, où des gens ont été inculpés de production de pornographie juvénile qui a été distribuée dans le monde entier. Je pense que M. Gillespie va témoigner devant le comité la semaine prochaine. Il était à la tête de ce projet et je pense qu'il pourrait vous en donner une image beaucoup plus précise.

    En fin de compte, que l'enfant se trouve à Singapour, à Buenos Aires ou à Toronto, il est une victime et je pense que nous avons l'obligation de protéger cet enfant, où qu'il se trouve.

¿  +-(0940)  

+-

    M. Joe Comartin: Il faut sans doute se demander quelle est la solution la plus efficace? Et notre responsabilité, notre responsabilité première, est de protéger les enfants canadiens.

    Madame Epp Buckingham, pour ce qui est de l'âge du consentement, une des préoccupations qui a été exprimée, et vous en avez également parlé, concernait la catégorie des adolescents qui ont à peu près le même âge. Notre cible est le perpétrateur adulte mais ne risquons-nous pas d'incriminer en même temps les centaines de milliers d'adolescents de 14 à 16 ans qui ont des relations sexuelles consensuelles?

    Monsieur Griffin, vous avez mentionné dans votre mémoire qu'en acceptant une différence d'âge de deux ans cela pourrait régler cette question. D'après les statistiques que nous a fournies le ministère de la Justice, même avec une telle exception, cette disposition viserait encore plusieurs centaines de milliers de jeunes Canadiens.

    J'aimerais donc avoir vos commentaires sur la nécessité de protéger les relations qui... Moralement, nous ne sommes peut-être pas d'accord avec ce qu'ils font mais voulons-nous vraiment les poursuivre pénalement?

    Madame Epp Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Le Code criminel fixe l'âge du consentement et prévoit ensuite certaines exceptions; je pense que c'est un bon modèle. Cet âge est aujourd'hui fixé à 14 ans, mais il y a une exception pour les relations consensuelles entre personnes d'un certain groupe d'âge. Cela me paraît une bonne façon de procéder et qui est plus conforme à la Charte.

+-

    M. Joe Comartin: Le consensus général est que c'est la bonne façon de faire mais ce que je vous demandais en fait...

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Devrait-on parler d'un écart de deux ou trois ans ou...?

+-

    M. Joe Comartin: Oui, de trois à cinq ans; ce sont les différences d'âge auxquelles nous pensons.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Très bien.

    Je pense tout de même qu'un écart de deux ans serait préférable. Prenons le cas, par exemple, d'un adolescent de 16 ans et d'un autre de 13 ans. Il y a un risque d'exploitation parce que ces deux jeunes n'ont pas la même maturité. Si les jeunes étaient davantage sensibilisés à ce genre de situations, je pense que cela aurait un effet sur leurs relations.

    Ce serait une bonne chose pour le groupe d'âge des jeunes les plus vulnérables, les 12 et 13 ans. Il faut reconnaître que la sexualité précoce des enfants a des conséquences sur le plan de la santé, parce que cette sexualité fait courir aux jeunes filles le risque d'attraper toutes sortes de maladies qui pourront leur causer des problèmes plus tard.

    C'est pourquoi il me paraît approprié de conserver un écart de deux ans.

+-

    M. David Griffin: De façon générale, je souscrirais à cette proposition. Le problème, que vous avez mentionné, est que si l'écart est de deux ans et trois mois, est-ce que la chose est plus grave que s'il était d'un an et onze mois?

    De notre point de vue, je pense que nous nous aventurons dans un débat moral plutôt que juridique. Notre principal objectif est d'empêcher des personnes beaucoup plus âgées, ou des adultes, d'avoir des relations avec des enfants et des adolescents. Je pense qu'en fait le projet de loi C-2 résout en grande partie ce problème. Il faudrait, je crois, le réviser dans cinq ans, mais ce projet encadre le comportement du délinquant. En effet, au lieu de privilégier la question du consentement du jeune, ce projet vise les actes posés par le contrevenant. Lorsqu'il y a manifestement exploitation du jeune, le projet prévoit un recours qui n'existe peut-être pas à l'heure actuelle.

    Je vois là une amélioration mais je ne suis pas sûr que ce changement perdurera; cela dépendra des tribunaux.

¿  +-(0945)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Griffin, et merci, monsieur Comartin.

    Monsieur Maloney, pour cinq minutes.

+-

    M. John Maloney (Welland, Lib.): Monsieur Griffin, vous recommandez dans votre exposé la création d'une base nationale de données photos-images pour la pornographie juvénile. Comment cela fonctionnerait-il?

+-

    M. David Griffin: D'après ce que j'ai compris, l'idée est de créer un centre d'information. Ces images sont enregistrées par des services de police, elles sont ensuite cataloguées et placées... Je ne comprends pas la technologie, mais en établissant des liens avec les projets mis sur pied dans différents pays et auxquels participe le Canada, nous pourrons identifier des tendances, que ce soit par rapport à l'arrière-plan de la photo ou à l'enfant qui y figure. De cette façon, on pourra établir un lien entre une image trouvée à Toronto et une autre à Calgary, ou même en Grande-Bretagne. Les services de police pourront ainsi identifier les victimes ou les endroits où ces photos ont été prises ou créées.

+-

    M. John Maloney: Avez-vous une idée de ce que pourrait coûter un tel système?

+-

    M. David Griffin: Non, mais je crois savoir que ce projet est déjà en cours de réalisation et nous voyons là un élément supplémentaire qui vient s'ajouter à ce qui se fait déjà.

+-

    M. John Maloney: Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, qui existe déjà?

+-

    M. David Griffin: Oui. Là encore, la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a annoncé l'année dernière une augmentation importante du financement accordé à cet organisme. Ce ministère a lancé, d'après ce que j'ai compris, un projet dans lequel il sera chargé d'utiliser et de diffuser la nouvelle technologie élaborée par Microsoft pour établir ce genre de connexions. Nous voyons là un pas dans la bonne direction.

+-

    M. John Maloney: La pornographie sur l'Internet est un problème mondial à l'heure actuelle; c'est un problème énorme. Quel est le pourcentage des poursuites qui débouchent sur une condamnation et quels sont les obstacles à ces condamnations?

+-

    M. David Griffin: Là encore, vous allez entendre des témoins qui s'occupent directement de ce genre de choses. C'est probablement très facile pour eux. La technologie leur permet d'identifier la plupart des éléments de ces affaires. En fait, il y a eu des enquêtes qui ont commencé aux États-Unis et qui ont permis d'identifier des centaines de suspects, dont un bon nombre se trouvaient au Canada. Il faut ensuite faire une enquête sur le terrain pour suivre chacune de ces affaires.

    Notre ancien président, Grant Obst, est membre du service de police de Saskatoon. Il a participé à des enquêtes de ce genre et il a reçu la formation nécessaire. Il peut aller n'importe quand sur Internet et trouver des gens qui produisent ou essaient de diffuser de la pornographie juvénile, ou de la vendre, ou trouver des gens qui essaient d'attirer les jeunes en leur parlant dans des salles de chat, par exemple. Je dirais donc que nous n'en sommes qu'au tout début.

    Mais lorsque ces affaires sont signalées à la police, je crois qu'elle obtient beaucoup de succès pour ce qui est d'obtenir des condamnations. Le problème est que ces enquêtes sont très longues, parce que, dans certaines affaires, il arrive au service de police de saisir 400 0000 images. Il faut ensuite cataloguer, examiner chacune de ces images et il faut aussi en divulguer une partie. Ces enquêtes demandent un travail considérable et c'est devenu une question de ressources pour les services de police.

    Je pense que nous avons beaucoup de succès sur le plan des enquêtes, que nous ne faisons que commencer à utiliser cette technologie et que ces affaires suscitent beaucoup de frustration à cause du genre de peines qu'imposent les tribunaux.

¿  +-(0950)  

+-

    M. John Maloney: Venons-en au voyeurisme, là encore, avec les progrès de la technologie, sommes-nous arrivés à un point où il faudrait exiger un permis pour utiliser les appareils de haute technologie qui permettent de prendre des photos de ces scènes ou de les observer de façon subreptice—il y a tous ces petits appareils de téléphone avec lesquels on peut prendre des photos aujourd'hui, etc., et il y en a maintenant partout au Canada et ce sont bien évidemment des appareils que l'on peut utiliser pour ce genre de crime.

    Où en sommes-nous donc dans ce domaine? Je ne voudrais pas aller trop loin dans la surveillance des citoyens mais je me demande si nous ne serons pas obligés de le faire, si ces appareils sont mal utilisés, de sorte que seules les personnes qui ont obtenu une autorisation pourraient en avoir en leur possession.

+-

    M. David Griffin: C'est comme pour toutes les technologies. Cette technologie peut être utilisée à des fins légitimes et positives. Un faible pourcentage de la population choisira d'utiliser les possibilités qu'offre cette technique à des fins illégales ou corrompues. Je pense que la technologie est probablement tellement répandue, comme celle des téléphones portables, que nous n'arriverons jamais à la réglementer ou à la restreindre, parce qu'il existe une demande tout à fait légitime pour ce genre d'appareil. Il s'agit plutôt de se donner les moyens de savoir quand cette technologie est utilisée de façon inappropriée et de disposer de recours pour intervenir.

    Je ne pense pas que nous puissions espérer réglementer ce genre de chose et si nous essayions de le faire, nous n'aurions pas les moyens de faire respecter ces règles.

+-

    Le président: Merci, monsieur Maloney.

    Monsieur Moore, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC): Merci.

    Nous avons entendu de nombreux témoignages émanant de groupes qui craignent d'être obligés de se défendre contre ce genre d'accusations, parce qu'ils créent des oeuvres artistiques dans un but légitime. Monsieur Griffin, vous avez mentionné un exemple particulier que vous avez qualifié de vil et choquant. Je serais sans doute d'accord avec vous mais cela ne représente que votre opinion au sujet de cet exemple. Cela m'indique qu'il faudrait mettre au point des paramètres clairement définis. Des témoins ont déclaré que seule la représentation de l'exploitation d'enfants réels devrait être incriminée et que tous les écrits—et j'ai même demandé à certains de nos témoins... Il y a déjà, en droit, « le matériel... qui incite ou conseille », qui est illégal, mais le projet de loi C-2 étend cette définition au matériel dont « la caractéristique dominante » est un acte qui serait criminel.

    J'aimerais donc savoir ce que vous pensez des descriptions qui ne représentent pas des enfants réels ou des écrits. Il ressort très clairement des témoignages que nous avons entendus que ce qui constitue pour quelqu'un une description qui devrait être illégale et qualifiée de pornographie juvénile pourrait être qualifiée d'oeuvre artistique par quelqu'un d'autre. L'arrêt Sharpe nous enseigne qu'il faut interpréter aussi largement que possible tous les moyens de défense de ce type. Au sujet du but légitime artistique, je me demande quelles sont vos préoccupations lorsque la représentation n'est pas celle d'un enfant réel.

+-

    M. David Griffin: De notre point de vue, la pornographie juvénile doit également englober les oeuvres d'imagination. Je pense que c'est ce que fait le projet de loi. La Cour a clairement indiqué que, lorsqu'un particulier crée des images pour son utilisation personnelle, qu'il ne va pas les montrer à d'autres personnes, et que ce sont les seules images que cette personne aura jamais en sa possession, il est peu probable que ce genre d'activité soit signalé à la police ou fasse l'objet d'une enquête. C'est plutôt un argument théorique qu'une préoccupation pratique.

    Les personnes qui sont chargées de faire enquête sur ce genre de crimes m'ont dit qu'elles ne se préoccupaient pas vraiment du moyen de défense fondé sur la valeur artistique. Nous parlons de gens qui grâce à la technologie possèdent des centaines, voire des milliers, sinon des centaines de milliers d'images de ce genre. Il est possible que parmi ces images il y ait quelques oeuvres d'imagination, quelques dessins animés, peut-être même d'autres formes, qu'il s'agisse d'écrits ou d'histoires, mais en fin de compte, toutes ces images portent principalement sur des activités sexuelles avec des enfants.

    Je suis convaincu que le projet de loi a resserré cette définition et qu'il ne contient pas de lacunes qui rendraient difficiles les poursuites intentées contre ce type de contrevenants.

    Même dans l'arrêt Sharpe, il y avait effectivement certaines pièces à conviction qui ne répondaient pas aux critères de l'infraction mais il y avait suffisamment d'autres types de matériels et d'activités pour obtenir la condamnation de M. Sharpe. Je pense que c'est autant un débat théorique qu'un problème concret.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Madame Epp Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Merci.

    Nous avons en fait recommandé que l'on supprime complètement le moyen de défense fondé sur la valeur artistique parce que nous avons constaté que les tribunaux avaient tendance à élargir ce moyen de défense. Nous soutenons que la pornographie juvénile est un produit potentiellement dangereux à cause du danger qu'il représente pour les enfants, qu'il s'agisse d'oeuvres d'imagination ou non.

    Monsieur Griffin a fait remarquer—et là, je vais simplifier les choses—que l'on peut prendre l'image d'un enfant du catalogue Sears et en faire, grâce à la technologie, une image de pornographie juvénile. S'agit-il d'un enfant réel ou non? Eh bien, c'est un enfant réel, même s'il n'a pas vraiment participé au comportement sexuel qui est représenté. C'est dangereux pour cet enfant et dangereux pour les autres enfants à cause de la façon dont ces images pourraient être utilisées.

    Nous recommandons vraiment de supprimer entièrement le moyen de défense fondé sur la valeur artistique, parce qu'il faut privilégier ici la protection des enfants.

+-

    Le président: Merci.

    Il nous reste deux minutes pour entendre deux interventions, nous allons donc devoir prolonger un peu la séance.

    Nous allons donner la parole à Mme Neville et ensuite, à M. Warawa.

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Monsieur le président, je n'interviendrai pas. Les questions que je voulais poser ont été abordées.

+-

    Le président: Monsieur Warawa, vous serez le dernier à intervenir avant la suspension de la séance.

+-

    M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, monsieur le président.

    Merci aux témoins d'être ici. J'ai trouvé leurs commentaires très utiles.

    J'aimerais faire un bref commentaire au sujet du moyen de défense fondé sur la valeur artistique. Nous avons entendu des témoins qui nous ont déclaré craindre que cette mesure législative, le projet de loi C-2, ait un effet paralysant sur leur capacité de s'exprimer sur le plan artistique. Vous avez déclaré que Boiled Angel était, à votre point de vue, une oeuvre vile et choquante. D'après ce que vous avez décrit, je reconnais que cette oeuvre a l'air vile. Certains par contre lui reconnaîtraient une valeur artistique, et il y aurait cet effet paralysant. CBC a comparu et nous a parlé de la possibilité que ce projet de loi ait un effet paralysant.

    Je vais donc poser des questions de ce point de vue. Où devrait-on fixer la limite? Mon collègue a posé quelques questions sur cet aspect. À l'heure actuelle, ce sont les tribunaux qui fixent les limites. Je ne sais pas très bien sur quoi ils se fondent pour tracer ces limites; ils ont donné des définitions. Je suis un député nouvellement élu et j'estime que c'est le Parlement qui devrait fixer cette limite.

    J'aurais deux questions au sujet de ces images viles. Quels sont les effets psychologiques que peut avoir sur les enquêteurs le fait d'avoir à examiner des milliers et des milliers et des milliers d'images? Ils sont obligés d'examiner ces images pour porter des accusations et obtenir des condamnations. A-t-on fait une étude sur l'effet psychologique que peuvent avoir ces images sur des personnes qui les estiment viles, et qui sont pourtant obligées de les examiner pendant des heures? Ces personnes sont-elles victimisées?

    L'autre sujet est celui des peines minimales, que vous aimeriez voir adopter, madame Buckingham. Les tribunaux imposent fréquemment de nos jours des peines avec sursis, ce qui veut dire que la personne peut purger sa peine chez elle. Si nous adoptons des peines minimales, pensez-vous que nous devrions exclure les peines avec sursis?

    Dans ma circonscription de Langley, un jeune homme dans la vingtaine a agressé sexuellement deux filles qui vivaient dans des maisons voisines de la sienne. Il purge sa peine avec sursis chez lui, de sorte que les jeunes victimes voient tous les jours l'auteur de leur agression, et que la victimisation continue.

    Pourriez-vous nous parler des peines minimales et de l'effet psychologique que peuvent avoir ces images sur les enquêteurs?

+-

    Le président: Madame Epp Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Nous soutenons dans notre mémoire que les peines avec sursis indiquent très clairement aux auteurs d'infractions qu'ils ont en fait bien agi. Nos recommandations au sujet des peines minimales ne prévoient pas que les peines avec sursis puissent constituer une peine minimale; il faut que la peine infligée indique clairement à l'auteur du crime que son acte est inacceptable et il faut indiquer au reste de la population que ce comportement n'est pas acceptable.

À  +-(1000)  

+-

    Le président: Monsieur Griffin, sur l'autre point.

+-

    M. David Griffin: Très rapidement, pour ce qui est de la valeur artistique, si ce projet de loi a un effet paralysant sur la représentation d'adultes ayant des relations sexuelles avec des enfants prépubères, je pense que c'est une excellente chose.

    Pour ce qui est des enquêteurs qui travaillent sur ce genre d'infractions, c'est une tâche très difficile et il faut pour l'exécuter être un genre de personne très particulier; il y a des policiers qui ne résistent pas longtemps à ce genre de travail. Nous avons mis en place des programmes pour fournir un appui à ces enquêteurs mais je crois qu'il doit être horrible d'aller au travail tous les jours et d'avoir à regarder ce genre de choses.

    De notre point de vue, comme cela est mentionné dans notre mémoire, les peines nous paraissent tout à fait insuffisantes lorsqu'on pense que ce sont des enfants qui sont victimes de ces crimes.

+-

    M. Mark Warawa: Je vous remercie tous les deux d'être venus ici.

+-

    Le président: Merci.

    Mme Neville a changé d'avis, nous aurons donc une dernière question.

+-

    Mme Anita Neville: Je serai brève. Je vais profiter de ce privilège.

    Madame Buckingham, je vous ai entendu dire que vous vouliez que l'âge du consentement soit relevé à 18 ans. J'ai entendu vos commentaires au sujet de la valeur artistique. Je me demande comment vous feriez pour surveiller l'activité sexuelle des jeunes, comment vous feriez respecter la loi. Je sais que vous avez parlé d'un écart de deux ans mais il arrive parfois qu'au moment où une des personnes à son anniversaire, l'écart soit de plus de deux ans. Vous avez proposé de relever l'âge du consentement à 18 ans. La plupart des groupes que nous avons entendu ont proposé que cet âge soit porté à 16 ans, c'est pourquoi j'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

    Je ne suis pas non plus sûre d'avoir bien compris vos commentaires sur la valeur artistique. Quel rôle devrait avoir pour vous l'expression artistique dans la société?

    J'aurais une brève question pour vous, monsieur Griffin. Vous avez déclaré que ces mesures législatives étaient toujours adoptées un peu trop tard. Vous avez parlé de réviser le projet de loi tous les cinq ans, ce qui me paraît une bonne suggestion. Avez-vous d'autres suggestions pour que nous évitions de prendre du retard, et prenions plutôt de l'avance, à part ce que vous avez mentionné dans votre exposé d'aujourd'hui?

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Madame Epp Buckingham.

+-

    Mme Janet Epp Buckingham: Merci d'avoir posé cette question. J'aimerais préciser que lorsque nous proposons l'âge de 18 ans, c'est dans le but d'empêcher que les enfants soient exploités par des adultes plus âgés. Pourquoi est-ce que les jeunes de 16 ans devraient être protégés contre les prédateurs sexuels et pas ceux de 17 ans? Nous ne cherchons pas principalement à réglementer l'activité sexuelle des adolescents, même si ces mesures envoient certains messages aux enfants, aux jeunes et aux adolescents. Ils ont un certain effet éducatif, parce que, comme je l'ai fait remarquer, la sexualité précoce, en particulier chez les filles, pose certains problèmes de santé dont elles ne sont pas toujours conscientes. Cela peut donc avoir un certain effet éducatif. Mais l'âge de 18 ans vise à protéger les jeunes contre l'exploitation sexuelle par des adultes. Nous sommes tous certainement prêts à ce que l'âge soit fixé à 16 ans ou à ce que l'on retienne une catégorie d'âge plus large. Mais est-ce que les jeunes de 17 ans ne méritent pas non plus ce genre de protection?

    Pour ce qui est du moyen de défense fondé sur la valeur artistique, avec la nouvelle définition de la pornographie juvénile et le contenu de cette définition, nous ne pensons pas qu'il puisse exister une oeuvre artistique légitime qui ait principalement un but sexuel. Si l'oeuvre est visée par la définition de pornographie juvénile, nous ne pensons pas qu'elle devrait être visée par le moyen de défense fondé sur la valeur artistique. Il existe de magnifiques oeuvres artistiques mais elles n'ont pas un but sexuel.

+-

    Le président: Monsieur Griffin, pour ce qui est du retard.

+-

    M. David Griffin: Je pense que le processus législatif, que vous connaissez beaucoup mieux que moi, est un processus lent et réfléchi qui comprend de nombreuses étapes avant qu'un projet de loi soit adopté. Ce projet de loi fait, sous une forme ou une autre, l'objet d'analyses depuis au moins trois ans. Il est possible qu'il faille attendre encore quelques années avant que ce projet de loi soit finalement adopté.

+-

    Le président: Savez-vous quelque chose que nous ignorons?

+-

    M. David Griffin: Non, j'ai simplement dit que c'était une possibilité. C'est pourquoi je pense que nous n'arriverons peut-être jamais à rattraper ce retard pour des raisons systémiques. La technologie évolue parfois si rapidement qu'il n'est pas possible de prévoir comment les gens vont l'utiliser. Il serait par contre souhaitable que tous les partis appuient ce genre de mesures législatives qui cherchent à remédier à un problème et que l'on pense faire adopter plus rapidement ces solutions.

+-

    Le président: Merci, et merci à nos deux témoins d'être venus. Vos témoignages ont été très utiles.

    Nous allons maintenant entendre à titre personnel M. Ron Langevin, psychologue judiciaire de Juniper Associates.

    Monsieur Langevin, si vous voulez bien nous présenter un exposé d'une dizaine de minutes, nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.

+-

    M. Ron Langevin (psychologue judiciaire, Juniper Associates, à titre personnel): Je devrais mentionner dès le départ que je n'ai pas de recommandations à faire mais j'espère que l'information et les idées que je vais vous présenter vous seront utiles.

    On m'a demandé de parler principalement de récidive mais je vais également parler de pornographie en allant un peu plus loin que ce qui figure dans mon mémoire. Pour vous donner une idée du profil des personnes qui commettent ce genre d'infraction, j'ai divisé mon exposé en six sections. Si vous suivez les tableaux, je pense que cela vous donnera une bonne idée de qui sont ces personnes.

    Je vous écoutais parler de valeur artistique notamment, mais il est évident que la plupart des gens qui sont traduits devant les tribunaux pénaux souffrent de troubles sexuels. Nous pensons que plus de 80 p. 100 d'entre eux ont ce genre de troubles. Cela représente une préférence sexuelle qui dure toute la vie ou une activité en dehors de la norme sociale, par exemple, une activité sexuelle avec un enfant de six ans. Il y a d'autres caractéristiques qui jouent un rôle important dans l'évaluation de ces personnes. Cinquante-deux pour cent d'entre elles sont alcooliques, selon les critères définis par l'Organisation mondiale de la santé, et c'est un aspect important du problème. Mais surtout, c'est un facteur qui débouche sur des comportements violents. Plus la consommation d'alcool est forte, plus le crime risque d'être violent.

    Une autre caractéristique de ces personnes est le fait qu'elles souffrent de problèmes et de difficultés d'apprentissage. Cinquante-deux pour cent ont redoublé à l'école et 38 p. 100 étaient dans des classes spéciales. En Ontario, personne ne redouble, d'après ce que me dit le ministère de l'Éducation, et il n'y a que deux à trois pour cent d'enfants qui sont dans les classes spéciales. Vous pouvez constater que ce groupe est très restreint. D'après les études et mes propres recherches, je sais que 40 p. 100 de ces personnes ont des troubles d'apprentissage, ce sont souvent des problèmes de langage ou de compréhension, et un tiers d'entre eux souffrent de HADA, c'est-à-dire d'hyperactivité avec déficit d'attention, un problème associé à l'impulsivité et qui se traduit chez les délinquants par un comportement antisocial.

    Une autre caractéristique intéressante et importante qui vient d'apparaître dans la recherche est que 22 p. 100 de ces personnes ont subi un traumatisme crânien majeur avant de commettre leur première infraction sexuelle. Nous ne savons pas encore le rôle que peut jouer ce traumatisme mais nous savons que les blessures au cerveau réduisent parfois les inhibitions. On constate parfois l'apparition d'un comportement inhabituel, y compris un comportement sexuellement déviant, pour la première fois.

    Les taux de récidive présenté dans le tableau 2 vous intéresseront peut-être davantage. Je devrais signaler qu'un certain nombre d'études et peut-être d'autres spécialistes vous parleraient d'un taux beaucoup plus faible mais si l'on suit les délinquants sexuels pendant de longues périodes, on constate que la plupart récidivent. Cinquante-huit pour cent des personnes qui ont été suivies pendant 25 ans ou plus ont commis une deuxième infraction sexuelle à un moment donné. Bien sûr, comme vous le savez très bien, il arrive souvent que les infractions sexuelles donnent lieu à un marchandage de plaidoyer, soient sous-jacentes à une autre infraction ou ne puissent être établies. Une introduction par effraction peut être en fait un viol manqué, et il arrive souvent qu'une accusation d'agression sexuelle se transforme en une accusation de voies de fait, après un marchandage de plaidoyer devant le tribunal. Si l'on évalue les infractions non rapportées et qu'on inclut tous les types d'infractions, on constate que 80 p. 100 des délinquants sexuels récidivent. Si nous prenons la catégorie des infractions sexuelles et que nous ajoutons les crimes sexuels non dépistés, ce taux passe à 88 p. 100. Ce qui vous permet de constater que pratiquement tous ces délinquants récidivent. Le nombre moyen de leurs condamnations est de 3,6 et leur carrière criminelle s'étale sur une période d'au moins 19 ans.

    Je devrais également signaler qu'à mon avis tous ces pourcentages sont sous-estimés à cause du caractère incomplet de nos dossiers, aspect dont je parlerai dans un instant.

    Pour ce qui est de l'incarcération, 44 p. 100 de ces personnes ne sont jamais emprisonnées, 14 p. 100 sont emprisonnées pendant moins d'un an et au total 79 p. 100 passent moins de cinq ans en prison pour une moyenne de 3,6 condamnations.

À  +-(1010)  

    Une partie du problème constaté s'explique par le fait que les études sont basées sur les dossiers de la GRC et qu'il existe un manque de communication entre la base de données de la GRC et celles des provinces. C'est là un aspect que je trouve préoccupant.

    Le tableau 3 montre que, sur un total de 2 000 affaires de délinquance sexuelle que j'ai examinées, il manquait 46 p. 100 des dossiers, et 22 p. 100 des condamnations qui avaient été enregistrées. Le problème vient du fait que parmi les condamnations non recensées—il y en avait 643—599, soit 93 p. 100 d'entre elles, étaient des condamnations pour des infractions sexuelles prononcées au palier provincial.

    J'estime qu'il faut renforcer la collaboration au niveau de la collecte des données, parce que nous savons qu'au moins 60 p. 100 de ces contrevenants qui ont commis des infractions dans des villes autres que Toronto, la ville où j'effectue mes recherches, et que 26 p. 100 de ces délinquants ont commis des infractions dans d'autres provinces. Et nous n'avons pas vraiment accès... c'est par hasard que nous avons accès à ces renseignements.

    Permettez-moi de parler de pornographie, un sujet qui vous préoccupe également. Il y a bien sûr le problème de la définition de ce phénomène et je suis sûr que nombreux sont ceux qui vous ont parlé de cet aspect. Je suis prêt à en parler également, si vous le souhaitez, pendant la période des questions.

    La question de savoir si la pornographie est à l'origine de l'apparition de troubles sexuels a été posée. Je pense que cela est très peu probable.

    La deuxième question qui est souvent posée est celle de la fréquence avec laquelle la pornographie est utilisée pour commettre des infractions sexuelles directes. Dans l'étude dont les résultats sont présentés dans le tableau 4, qui est une des principales études mondiales, il faut malheureusement constater que la pornographie a été utilisée dans 17 p. 100 des cas. Vous remarquerez que ce pourcentage augmente légèrement dans le cas des crimes impliquant des enfants, passant à 21 p. 100, et que, lorsque le crime est commis avec une personne ne faisant pas partie de la famille, les infractions extrafamiliales, il passe à 26 p. 100. La plupart des crimes associés à la pornographie victimisent des enfants. Si vous pensez à la situation où un adulte tente de violer une femme, vous comprendrez qu'il n'est pas pratique d'ouvrir la page centrale de Playboy et de montrer les photos à cette personne, tout en essayant de l'agresser sexuellement. C'est donc un phénomène assez rare. Le groupe dont nous parlons est composé de gens qui ont agressé sexuellement des strip-teaseuses qu'ils avaient regardées dans un club de danseuses.

    L'objet principalement recherché avec la pornographie, le principal facteur, est le conditionnement de l'enfant. Cinquante-cinq pour cent des délinquants ont montré de telles images et ce sont principalement des images de pornographie hétérosexuelle pour adultes, du genre Playboy et Penthouse, lorsqu'ils essaient d'intéresser un enfant, de l'exciter, et de l'inciter à avoir des activités sexuelles avec le délinquant.

    Je dois toutefois dire que je trouve très préoccupant le dernier groupe, celui de la gratification différée et du gain monétaire, où 35 p. 100 des personnes ayant utilisé des enfants et qui se sont servis de la pornographie—cela représente 35 p. 100 du 17 p. 100—ont pris des photos de ces enfants. C'est également un groupe inquiétant à cause de la fréquence de la violence dans leurs activités. Nous avons constaté que 27 p. 100 des membres de ce groupe sont des sadiques ou ont une préférence sexuelle déviante pour le sadisme sexuel et que 73 p. 100 d'entre eux sont des pédophiles qui ont une préférence sexuelle pour les enfants. Si nous examinons leurs antécédents judiciaires—et cela ne figure pas dans votre tableau—ils ont en moyenne 14,4 condamnations contre 3,7 pour le groupe général, celui des délinquants sexuels non pornographiques. C'est donc un groupe beaucoup plus déviant. Il contient beaucoup plus d'alcooliques et une des caractéristiques que nous constatons dans ce groupe est également la toxicomanie.

    Est-ce que je vais trop vite? Je vais m'arrêter dans une ou deux minutes.

    Près d'un tiers d'entre eux sont des toxicomanes. La toxicomanie est relativement rare chez les délinquants sexuels—deux à trois pour cent peuvent être considérés comme des personnes dépendantes ou des usagers habituels de ces drogues—et il y a près d'un tiers des délinquants qui prennent des photos d'enfants qui entrent dans cette catégorie.

    Il y a aussi un autre groupe très particulier, celui des personnes qui utilisent l'Internet. Je dois avouer qu'il n'existe pas beaucoup de données à leur sujet et les résultats que je vous donne sont tirés d'un échantillon de 30 affaires.

À  +-(1015)  

    La majorité de ces personnes souffrent d'anxiété et de dépression. Ce ne sont pas des toxicomanes. Ce ne sont pas des alcooliques. Elles sont déviantes sur le plan sexuel. Près de la moitié d'entre elles sont attirées par les enfants, mais près de 30 p. 100 d'entre elles sont des voyeurs et sont excitées par la vue de certaines choses. Ces délinquants commettent rarement des infractions directes. 1,7 p. 100 d'entre eux ont été déclarés coupables de crimes sexuels contre 14 p. 100 pour les délinquants qui prennent des photos.

    Il y a donc deux groupes très différents qui sont visés par la question de la pornographie. Près d'un sur dix des délinquants qui prennent des photos ont été déclarés des délinquants dangereux. Aucun des utilisateurs d'Internet ne l'a été. Deux pour cent environ des délinquants autres que pornographiques sont des délinquants dangereux.

    Les praticiens vous diront aujourd'hui qu'il n'est pas possible de traiter les délinquants sexuels. Cependant, la moitié d'entre eux seulement désirent un traitement et 14 p. 100 seulement terminent un traitement. Ce n'est donc pas tant que le traitement ne donne pas de résultat mais plutôt que ces délinquants ne sont pas traités.

    Il y a aussi le fait que les troubles sexuels durent toute la vie, et qu'ils ne disparaissent pas. La pratique qu'utilise actuellement le Service correctionnel du Canada, celle des cercles de soutien dans lesquels des bénévoles communautaires surveillent et interagissent avec des délinquants sexuels, est peut-être une forme d'intervention utile qu'il conviendrait de développer.

    Enfin, pour ne pas rester sur une note tout à fait pessimiste, permettez-moi de vous dire qu'il existe à mon avis des façons de prévenir les troubles sexuels. L'alcoolisme chez les pères et les mères des délinquants sexuels, les maladies endocriniennes comme le diabète—sont des maladies que l'on constate chez eux à des taux bien supérieurs aux moyennes nationales. Ces aspects pourraient donc guider une action de prévention.

    Ma principale idée que j'aimerais vous transmettre aujourd'hui est que les délinquants sexuels atteints de troubles sexuels ont un taux élevé de récidive. Ces troubles durent toute la vie. Deuxièmement, les enfants sont les principales victimes lorsque l'utilisation de la pornographie débouche sur des crimes sexuels directs et sur des photos destinées à être diffusées sur Internet. Je pense que le groupe le plus dangereux est celui des délinquants qui prennent des photos d'enfants. Ils doivent faire l'objet de poursuites.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Langevin.

    Nous allons passer aux questions.

    Monsieur Warawa, pour cinq minutes.

+-

    M. Mark Warawa: Merci, monsieur le président.

    Je m'intéresse à cette question depuis plusieurs années. J'ai entendu dire que le traitement ne donnait pas de bons résultats, j'apprécie donc vos commentaires et votre témoignage selon lequel 14 p. 100 seulement des délinquants terminent leur traitement.

    Avez-vous suivi le groupe des délinquants qui ont terminé leur traitement pour voir si le traitement avait été vraiment efficace?

+-

    M. Ron Langevin: Non. Les données statistiques de cette étude sont très fiables mais elles comportent néanmoins de nombreuses lacunes—les gens peuvent commettre des infractions dans d'autres provinces et ils peuvent facilement traverser la frontière pour se rendre aux États-Unis. Je ne pense pas que les chiffres relatifs aux taux de récidive sont fiables. Je pense que même si ces chiffres sont élevés, ils sont encore sous-évalués.

+-

    M. Mark Warawa: Les gens dont vous parlez, sur lesquels porte votre étude, est-ce que ce sont des gens qui ont été déclarés coupables de toutes les infractions sexuelles ou de certains types d'infractions sexuelles?

+-

    M. Ron Langevin: Cela comprend toutes les catégories. Cela comprend les infractions contre les adultes et contre les enfants. Cela comprendrait l'inceste ainsi que les agressions sexuelles extrafamiliales contre des enfants.

+-

    M. Mark Warawa: Quel est le risque que posent ces personnes pour notre collectivité, pour les Canadiens? Est-ce un risque important?

    Vous avez dit que le taux de récidive, y compris les crimes non dépistés, était de 88 p. 100. La grande majorité de ces délinquants va donc récidiver, et récidiver plusieurs fois. Ils peuvent commettre des infractions multiples.

+-

    M. Ron Langevin: Oui.

+-

    M. Mark Warawa: Oh, très bien.

    Et 44 p. 100 d'entre eux n'ont jamais été en prison.

+-

    M. Ron Langevin: Oui, c'est exact.

+-

    M. Mark Warawa: ... et pourtant ils représentent un grave risque de récidive.

À  +-(1025)  

+-

    M. Ron Langevin: Oui, ils ont dû payer des amendes et faire l'objet de périodes de probation. Bien souvent, l'ordonnance de probation est combinée à une ordonnance de traitement et à d'autres conditions; le tribunal leur ordonne parfois de ne pas consommer d'alcool et de ne pas s'approcher des enfants, ce genre de choses, mais 44 p. 100 d'entre eux n'ont jamais été incarcérés.

+-

    M. Mark Warawa: Excusez-moi mais cela me met très en colère.

    Lorsque ces délinquants sont incarcérés, le Service correctionnel du Canada a pour objectif de les réinsérer le plus rapidement possible dans la collectivité. Le but de l'emprisonnement n'est pas de punir; il s'agit de gérer un cas. Ces personnes sont libérées dans la collectivité pour des sorties avec surveillance et ensuite sans surveillance et elles sont ensuite libérées. Comme vous l'avez dit, leur peine d'emprisonnement est parfois inférieure à un an, de sorte que ces détenus la purgent dans des établissements provinciaux; 79 p. 100 d'entre eux purgent des peines inférieures à cinq ans. Ces délinquants peuvent demander la libération conditionnelle et des absences sous surveillance dès qu'ils ont purgé le tiers de leur peine, de sorte que, s'ils ont été condamnés à une peine d'emprisonnement de trois ans, ils seront probablement libérés au cours de la première année, et ils seront préparés à cette libération par ces absences sans surveillance qui ont pour but de gérer leur cas et de les aider à se réadapter dans la collectivité.

    Existe-t-il à l'heure actuelle ces cercles de soutien ou est-ce plutôt une idée qui permettra de surveiller ces gens et de les contrôler?

+-

    M. Ron Langevin: Ce mécanisme existe actuellement.

    Je dois dire que le Service correctionnel du Canada a joué un rôle de leader pour ce qui est du traitement et du suivi des traitements à l'égard des délinquants sexuels; ils ont fait suivi sur huit à dix ans un groupe de délinquants sexuels et des récidivistes qui constituaient des cas difficiles. Le taux de récidive de ces délinquants a été très faible.

    Ce mécanisme offre deux avantages. Le premier est qu'il amène la collectivité à participer à ces mesures, ce qui atténuent les craintes qu'elle entretient au sujet de la présence dans le voisinage de délinquants sexuels. Cela donne à ces personnes la possibilité de les surveiller, au lieu de simplement recevoir une lettre les informant de la présence dans leur quartier d'une certaine personne, de ne pas pouvoir intervenir et de s'inquiéter. Il donne également aux délinquants la possibilité d'interagir avec des membres de la collectivité et d'améliorer leur vie; ces gens sont souvent des solitaires qui n'ont guère de but dans la vie, et avec les membres de la collectivité qui s'occupent d'eux, ils arrivent à former une sorte de famille élargie. Cela est bénéfique tant pour la collectivité que pour le délinquant, pour ce qui est de la prévention des infractions.

    Je connais certains de ces dossiers et je sais qu'il y a des gens qui participent à ces cercles de soutien et qui commettent tous les ans des infractions; dès qu'ils se retrouvent dans la rue, ils commettent une nouvelle infraction. Mais il est remarquable que certains réussissent à vivre pendant huit à dix ans sans récidiver. Cela me paraît être la voie à choisir.

    Je pense que certaines mesures traditionnelles de traitement sont utiles mais on ne peut pas laisser tomber ces délinquants dès qu'est expirée la période de libération conditionnelle, comme c'est souvent le cas, et les laisser se débrouiller seuls, parce que c'est la raison pour laquelle la majorité d'entre eux récidivent.

+-

    M. Mark Warawa: Merci, docteur.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Langevin.

    Madame Bourgeois, vous avez cinq minutes.

+-

    Mme Diane Bourgeois: Bonjour, monsieur Langevin. Votre rapport est extrêmement intéressant, il est même explosif, en ce sens que vous nous donnez des informations, mais que vous nous poussez aussi, dans une certaine mesure, à questionner d'autres ministères sur ce qu'on fait avec les délinquants sexuels.

    Peut-on se dire, d'après les informations que vous nous donnez, qu'il n'y a pas grand-chose à faire avec un délinquant sexuel? Au moment où le Service correctionnel du Canada le traite pour alcoolisme, il a déjà eu des échecs scolaires, fréquenté des classes spéciales, a eu un accident crânien. Pauvre petit, il fait bien pitié! Il fait tellement pitié qu'on l'amène à se faire soigner, mais il ne veut pas se faire soigner. C'est ce que je comprends à la lecture du rapport. Je dis qu'il ne veut pas se faire soigner, puisque seulement 51 p. 100 d'entre eux désirent un traitement. C'est donc dire que 49 p. 100 d'entre eux ne désirent pas de traitement. De plus, seuls 14 p. 100 de ceux qui ont un traitement le terminent. J'ai l'impression qu'on enveloppe notre petit délinquant sexuel dans la ouate et qu'il y a quelqu'un quelque part qui n'assume pas ses responsabilités.

    À la page 3 de la version française de votre rapport, sous la rubrique « Dossiers criminels », vous dites: « [...] l'absence de dossiers criminels sur les délinquants sexuels connus dans les registres de la GRC [...] » et vous faites référence à une étude financée par le solliciteur général du Canada en 1994. Je veux savoir si c'est encore la même chose en 2005.

    La majorité des délinquants sexuels sont des hommes. Leurs proies sont-elles, pour la plupart, des femmes, des filles? Je vais maintenant faire une déduction qui ne sera peut-être pas tout à fait juste. Si c'est le cas, vous me corrigerez. Je participais, la fin de semaine dernière, à un colloque sur le féminicide. Vous savez ce qu'est le féminicide? Ce sont des meurtres en série ou des agressions violentes en série contre les femmes. Je me pose la question suivante. Comment se fait-il qu'un gars de la GRC qui a reçu une formation ne soit pas capable de tenir un registre sur des dossiers criminels des délinquants sexuels? Comment se fait-il que ces gens ne sont pas sur une liste de la GRC? Doit-on faire la déduction suivante: un gars de la GRC est un gars et un délinquant est un gars, alors, ce n'est pas grave si les femmes sont les victimes? Je pose seulement la question: y a-t-il une déduction à faire en ce sens que l'on considérerait que la délinquance sexuelle envers les enfants n'est pas grave parce que, pour la plupart, ce sont des petites filles qui en sont les victimes?

    Je vais m'arrêter ici, mais j'aurais beaucoup de questions à vous poser.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Vous avez une minute et demie pour répondre à quatre questions.

+-

    Mme Diane Bourgeois: Oui, mais je voulais prouver quelque chose aussi.

[Traduction]

+-

    M. Ron Langevin: Pour ce qui est de la GRC, ce n'est pas que ce service ne tienne pas des dossiers mais il y a un manque de communications avec les provinces. Il n'existe pas de base de données intégrée pour les provinces et la GRC. Lorsque quelqu'un commet une infraction fédérale, et qu'il a été examiné par le service des empreintes digitales, le SED, la GRC dispose de dossiers dans 80 p. 100 de ces cas-là. Il faut modifier le système pour établir des liens entre les bases de données des provinces et la base de données fédérale dont s'occupe la GRC. Lorsque cet organisme est informé, il possède des dossiers. Si quelqu'un fait l'objet d'une accusation provinciale et d'une accusation fédérale, il est probable que la GRC est au courant. C'est lorsqu'il n'y a pas eu d'accusations fédérales de portée que la GRC n'est pas informée. Avec les ordinateurs à haute vitesse, il ne serait pas très difficile de relier toutes les bases de données.

    Pour ce qui est des victimes des infractions sexuelles, il est vrai que les personnes de sexe féminin sont plus souvent victimisées par des mâles mais il y a aussi des hommes qui victimisent d'autres hommes sans que ces infractions soient rapportées à la police. Comme vous le savez, les relations consensuelles entre deux hommes adultes ne sont légales que depuis 1969 et aujourd'hui encore, si un homosexuel est violé et battu, il ne signalera pas cette infraction à la police. C'est un phénomène impossible à évaluer.

    Pour ce qui est des garçons et des filles, je pense qu'il y a autant de garçons que de filles qui sont victimisés. Là encore, le garçon risque d'attendre d'être plus âgé pour rapporter ces infractions, lorsqu'il les rapporte. Un grand nombre de mes clients, pas nécessairement des criminels, me disent qu'ils ont été agressés dans leur enfance.

    Pour revenir à la question du traitement, je pense qu'elle est influencée par toute une série de facteurs. Les données que je vous ai présentées portaient sur les années 60 et le début des années 70, une époque de grand optimisme, une époque pendant laquelle nous pensions que nous pouvions tout guérir. Je pense que les malades avaient confiance en nous, les délinquants sexuels avaient confiance en nous, tout comme les tribunaux et la police. Il arrivait que les services de police nous disent : « Si vous pouvez traiter ce gars, nous allons retirer les accusations qui pèsent contre lui », ce qui ne se fait plus à l'heure actuelle. C'était peut-être un optimisme un peu naïf.

    Au cours des années 80, il y a eu des changements dans la façon de signaler les infractions; nous étions désormais tenus de déclarer les cas d'enfants agressés; il y a eu aussi le fait que les fournisseurs de traitement avaient moins confiance dans les traitements. Cette confiance a sérieusement diminué. Nous ne parlions plus de guérir les gens, nous parlions de les contrôler, d'empêcher les rechutes. La situation est toujours très inquiétante et c'est pourquoi je pense que les cercles de soutien sont une idée importante. Cette mesure n'aggrave pas le fardeau financier imposé au système de justice pénale mais il permet en même temps de suivre ces personnes.

    Ai-je répondu à toutes vos questions?

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Merci, madame Bourgeois.

    Madame Neville, pour cinq minutes.

+-

    Mme Anita Neville: Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie d'être venu. J'ai beaucoup de questions à poser et pas suffisamment de temps pour le faire. Vous nous avez donné une image pas très optimiste de ce que l'on peut faire au moyen de mesures législatives.

    Premièrement, dans votre rapport, vous ne dites pas si les perpétrateurs ont déjà été agressés dans leur enfance. J'aimerais savoir si vous avez fait de la recherche sur cet aspect. De plus, vous avez beaucoup parlé de l'alcoolisme chez les parents des perpétrateurs mais chez les perpétrateurs eux-mêmes, mais vous n'avez pas fait de commentaires au sujet du syndrome d'alcoolisme foetal. Je me demande si vous pourriez le faire maintenant.

    Vos commentaires selon lesquels les études récentes indiquent que les pornographes qui prennent des photos sont les plus dangereux, commettent davantage d'infractions, et sont plus fréquemment déviants sexuellement, etc., que les utilisateurs d'Internet et les auteurs d'infractions qui utilisent cette technologie m'ont beaucoup frappé. Je me demande si vous avez des recommandations concrètes à faire sur les mesures législatives qui pourraient être prises à ce sujet, compte tenu de vos observations.

    Enfin, pour revenir à un commentaire que vous avez fait plus tôt, vous avez parlé du système scolaire. Je ne connais pas très bien celui de l'Ontario mais je connais très bien celui du Manitoba. Vous avez parlé d'enfants qui souffraient de troubles d'apprentissage et de HADA. Là encore, ces troubles sont souvent reliés au syndrome ou aux effets de l'alcoolisme foetal. Avez-vous des recommandations—même si cela n'entre peut-être pas dans votre domaine d'expertise—sur ce que le système scolaire pourrait faire pour dépister les jeunes qui risquent de commettre des agressions contre les enfants et des infractions de pornographie juvénile en vue de leur offrir un soutien?

+-

    M. Ron Langevin: Mon Dieu, voilà beaucoup de questions.

    Permettez-moi de commencer...

+-

    Le président: Personne ne vous a dit que c'était un test de QI?

+-

    M. Ron Langevin: Non, personne, mais voilà qui met à l'épreuve ma mémoire à court terme.

    Le système scolaire fait face à de nombreux défis à l'heure actuelle. Bien évidemment, le dépistage précoce des enfants ayant des besoins spéciaux en matière d'apprentissage est un problème. Il arrive souvent que les parents ne veulent pas que leurs enfants aillent à l'école. C'est pourquoi il arrive que la moitié des élèves ne passent pas dans la classe supérieure. Il n'y a pas beaucoup de recoupements entre ces enfants et ceux qui se trouvent dans des classes d'éducation spéciales.

    Lorsque l'enfant ne suit pas et que l'enseignant ou le directeur de l'école dit aux parents : « Je pense que votre enfant devrait être dans une classe spéciale », ces derniers sont très réticents à accepter cette suggestion. Cela introduit des retards. Il y a parfois un décalage. Ce n'est sans doute pas à eux de dire aux parents ce qu'ils devraient faire mais il serait important de sensibiliser davantage les parents à l'importance de placer le plus rapidement possible leurs enfants qui en ont besoin dans ce genre de classe.

    Ils pourraient bien sûr faire passer des tests plus tôt aux enfants. La plupart de ces échecs scolaires concernent les classes de première, deuxième et troisième années. Nous savons donc très tôt que certains élèves sont des cas difficiles. Je pense que cela peut se faire.

    Il faudrait aussi, d'après moi, constituer un solide dossier lorsqu'on constate que ces jeunes ont des problèmes sexuels à l'école. On pourrait former les conseillers pour qu'ils reconnaissent les signes précurseurs des troubles sexuels sur lesquels il convient de faire enquête.

    Je reviens à la question de l'alcoolisme...

+-

    Mme Anita Neville: Avant de parler d'alcoolisme, je voulais savoir quel était le pourcentage des auteurs d'infractions de ce genre qui avaient été eux-mêmes victimes d'agression. Je veux également que vous me parliez du SAF et de la façon dont cela peut se traduire par une mesure législative.

+-

    M. Ron Langevin: Très bien.

    Environ un quart des contrevenants ont été agressés sexuellement pendant leur enfance. Ce pourcentage n'est pas différent de celui des criminels en général. Vous voyez donc que 25 p. 100, 27 p. 100 d'après les études, ont été directement victimes de contacts sexuels lorsqu'ils étaient enfants. Ces personnes souffrent en général de troubles émotifs graves. Ils ont plus de difficulté à s'adapter. Parmi les délinquants sexuels, le pourcentage des délinquants agressés qui se suicident est plus élevé que pour les délinquants qui ne l'ont pas été. C'est donc un facteur.

    Le SAF est effectivement reconnu comme une des caractéristiques de ces personnes. L'alcoolisme et le diabète, ainsi que les troubles de la thyroïde, des maladies qui peuvent être causées par l'alcoolisme, peuvent causer un dommage à l'oeuf ou à l'ovum et au sperme et être à l'origine d'anomalies difficiles à détecter, même avec les techniques modernes. Avant la découverte de l'insuline, par exemple, une grossesse était une condamnation à mort pour la femme diabétique et son enfant. Soixante-cinq pour cent d'entre elles mouraient. D'autres enfants étaient morts nés et ils avaient souvent des malformations congénitales. On a réussi à empêcher la plupart de ces malformations, mais il existe encore des anomalies subtiles.

    Je pense que l'alcoolisme est un facteur qui est non seulement à l'origine du syndrome d'alcoolisme foetal mais également à l'origine d'autres anomalies cérébrales qui sont probablement associées à l'apparition de ces préférences sexuelles déviantes.

À  +-(1040)  

+-

    Mme Anita Neville: Ma dernière question, docteur, concernait les délinquants criminels dont vous avez parlé, ceux qui prennent des photos et ceux qui utilisent l'Internet. Avez-vous des suggestions—si vous n'en avez pas aujourd'hui, vous pourriez y réfléchir—sur les mesures législatives que l'on pourrait prendre pour réprimer ces activités?

+-

    M. Ron Langevin: Je pense que les délinquants qui prennent des photos doivent être traités beaucoup plus sérieusement, et c'est ce qu'ont fait les tribunaux. Comme vous pouvez le constater, près de 10 p. 100 de mon échantillon—et il n'y avait que 65 personnes dans cet échantillon—ont été déclarées des délinquants dangereux. Je pense que lorsqu'on prend des photos d'enfants, cela est beaucoup plus traumatisant pour lui. Ces photos sont souvent associées à de la violence.

    Ce sont également ces délinquants qui ont des liens avec le crime organisé et qui diffusent ces documents sur Internet. Je pense que les peines infligées aux délinquants qui prennent en photos des enfants en train d'avoir des relations sexuelles devraient être beaucoup plus sévères.

    Par contre, les gens qui utilisent ce matériel sont différents; ce sont des personnes plus passives qui ont besoin de traitements psychiatriques. Elles souffrent souvent d'un stress extrême. Elles ont des problèmes d'angoisse et de dépression. Elles ont du mal à interagir normalement avec les autres. C'est le type prédominant chez les personnes que je vois.

    Je pense bien sûr qu'elles devraient être punies. Je ne pense pas qu'elles devraient participer à l'agression d'enfants, ce qu'elles font lorsqu'elles regardent de la pornographie juvénile. Je pense par contre qu'il faudrait recourir à des modes d'intervention différents et peut-être imposer des peines moins sévères à l'égard des membres de ce groupe.

+-

    Mme Anita Neville: Merci.

+-

    Le président: Merci.

    Il nous reste quinze minutes. J'ai quatre personnes sur la liste et je vous propose de faire des rondes de trois minutes pour essayer de donner à tout le monde la possibilité de prendre la parole.

    Vous avez donc trois minutes, monsieur Moore.

+-

    M. Rob Moore: Je vais être aussi bref que possible.

    Votre témoignage vous amène à faire certaines conclusions et pour l'essentiel, d'après ce que j'ai retenu de votre témoignage, lorsque nous libérons une de ces personnes, sans parler de la moitié des délinquants sexuels qui ne sont jamais incarcérés, il est presque certain qu'elle va récidiver. C'est du moins ce que j'ai compris. Je me demande, si la moitié d'entre elles ne souhaitent pas être traitées, quelle pourrait être la solution? Il s'agit de protéger les enfants. Dans le cas d'un délinquant sexuel qui a commis une infraction contre un enfant, il faut faire quelque chose. Vous venez de mentionner, dans votre réponse à la dernière question, qu'il fallait les traiter plus sévèrement. Mais s'ils vont toujours récidiver, quelle différence cela fait-il si nous les libérons le lendemain ou dans cinq ans, à moins qu'elles suivent un traitement qui les incite à ne pas récidiver? Comment les empêcher de récidiver et être sûr que ces délinquants ne récidiveront pas?

    Je vais maintenant poser très rapidement l'autre question. Au sujet de la pornographie juvénile, avez-vous étudié le genre de pornographie juvénile que ces personnes regardaient? S'agit-il d'images virtuelles, d'oeuvres écrites, ou principalement de photos d'enfants réels ou un mélange de tous ces genres?

+-

    Le président: Répondez aussi rapidement que possible.

+-

    M. Ron Langevin: Ce sont surtout des images dépourvues de toute valeur artistique. Pour ce qui est des peines et des mesures à prendre, je dirais que les délinquants qui prennent des photos sont tous des déviants sexuels, si l'on se base sur leur profil. Un quart d'entre eux sont des sadiques. Un tiers d'entre eux des alcooliques. Un tiers d'entre eux des toxicomanes. Ils ont été auparavant déclarés coupables de 14 infractions sexuelles—je me demande bien comment ils réussissent à s'en sortir—avant d'être finalement arrêtés. C'est un groupe à part et qui diffère sur le plan de la gravité du préjudice qu'ils causent à l'enfant.

À  +-(1045)  

+-

    M. Rob Moore: Puis-je demander rapidement si l'on ne devrait pas tout simplement emprisonner ceux qui font partie du groupe des photographes? Le risque qu'ils victimisent un autre enfant n'est-il pas trop élevé? Ne devrait-on pas tout simplement les mettre à l'écart de la société et les enfermer?

+-

    M. Ron Langevin: Oui, je pense qu'il faudrait l'envisager. Là encore, il faut regarder l'ensemble des circonstances mais si quelqu'un possède ce profil, alors oui, il faut le faire. Les tribunaux les ont déclarés délinquants dangereux et il est très peu probable qu'ils puissent jamais se réadapter.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Cullen, pour trois minutes.

+-

    L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, docteur Langevin. Merci, monsieur le président. J'ai plus de questions que de temps.

    Votre exposé m'a intéressé. Je dois signaler qu'il existe un registre national des délinquants sexuels qui a été mis sur pied l'année dernière avec la collaboration des provinces et des territoires. Je sais qu'ils se posent la même question au sujet de la rétroactivité mais il ne me paraît pas équitable de dire que la GRC ne s'intéresse pas aux infractions sexuelles parce que les victimes sont pour la plupart des femmes.

    Mais au sujet de votre tableau, je vais poser certaines questions à la GRC et voir si je peux obtenir des réponses.

    J'ai deux questions. Le nombre des délinquants sexuels qui ont eu des traumatismes crâniens est un aspect qui m'intéresse. Je ne m'attendais pas du tout à cela. Peut-être que j'aurais dû. Pour ce qui est de la thérapie destinée aux délinquants sexuels, quel est le genre de thérapie—je sais que je ne vais pas me transformer en psychiatre, ce qui n'est pas mon but et je n'en ai pas les capacités—qu'on utilise à leur endroit pour qu'ils s'ajustent aux signaux que leur envoie leur corps ou leur esprit—un mécanisme d'adaptation? Est-ce que l'on essaie de pénétrer dans leur esprit pour s'attaquer au problème et le supprimer ou est-ce un traitement physiologique? Comment se déroule le traitement?

+-

    M. Ron Langevin: Le plus souvent, on essaie d'empêcher les rechutes. Nous savons que les tendances sexuelles seront toujours là. Elles ne disparaissent jamais. Le traitement consiste à leur montrer comment éviter les situations à haut risque et à également tenir compte de leurs besoins internes. Qu'est-ce qui déclenche le passage à l'acte? Est-ce que c'est une dispute avec des membres de la famille ou des problèmes au travail? Et surtout, il faut qu'ils reconnaissent leurs besoins sexuels et apprennent à les satisfaire en utilisant des moyens acceptables par la société ou à les supprimer en prenant des médicaments—des médicaments qui réduisent les pulsions sexuelles. Voilà quels sont les différents types de traitements que l'on utilise à l'heure actuelle.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Puis-je poser une brève question?

+-

    Le président: Il vous reste une minute.

+-

    L'hon. Roy Cullen: Merci.

    Avez-vous fait de la recherche sur le lien qui existe entre le fait de regarder en privé, chez soi ou dans sa résidence, du matériel pornographique et la déviance sexuelle ou les infractions sexuelles?

+-

    M. Ron Langevin: Oui. Je ne pense pas que le fait de regarder de la pornographie soit à l'origine des déviances sexuelles. C'est une préférence qui apparaît au moment de la puberté et qui dure toute notre vie. Je ne pense pas que nous sachions comment modifier ces préférences. Ce n'est certainement pas en regardant de la pornographie qu'elles seront modifiées.

    Par contre, sur la question de savoir si cela peut inciter quelqu'un à commettre un crime, les résultats sont ambigus. Dans l'ensemble, les auteurs de crimes sexuels directs visant des enfants ou des adultes n'utilisent pas la pornographie de cette façon.

+-

    Le président: Merci, monsieur Cullen.

    M. Thompson est le suivant pour trois minutes.

+-

    M. Myron Thompson: Est-ce que Karla Homolka a déjà reçu un traitement?

+-

    M. Ron Langevin: Je ne sais pas. Je ne sais si cela l'aurait aidée.

+-

    M. Myron Thompson: Vous voyez, je vous pose cette question parce que je ne le sais pas non plus mais j'ai du mal à comprendre comment nous pouvons inclure ces cas dans nos statistiques, si nous ne le savons pas. Je pense qu'elle n'en a probablement pas reçu.

    Dans quelle catégorie du tableau 1 figure-t-elle?

+-

    M. Ron Langevin: Je ne l'ai pas examinée personnellement.

    Permettez-moi de dire que les gens qui participent à des meurtres sexuels sont très différents des délinquants sexuels ordinaires qui recherchent uniquement une satisfaction sexuelle. Leur attitude à notre endroit est très différente de celle des autres délinquants. Comme me l'a dit un de ces messieurs : « Vous êtes comme du bétail. Je peux faire avec vous ce que je veux. » Il y a donc chez eux une supériorité arrogante qui leur permet de mutiler le corps des autres et de faire ce qu'ils veulent. Il n'y a aucun traitement connu pour ce genre de maladie.

    Elle a peut-être participé à ces infractions à cause de Paul Bernardo ou parce qu'elle possède elle-même ces caractéristiques. Elle est peut-être psychopathe avec une conscience très peu développée. Je ne peux pas en parler personnellement; je ne pourrais faire que des conjectures. Ce genre de délinquant ne peut jamais se réadapter. Je crois qu'il faut les incarcérer pour une durée indéfinie.

À  +-(1050)  

+-

    M. Myron Thompson: Vous avez mentionné que 51 p. 100 d'entre eux refusaient tout traitement. Est-ce que l'établissement ou le système sanctionne ce genre de refus de collaborer?

+-

    M. Ron Langevin: Bien sûr. Si le délinquant demande une libération conditionnelle, elle lui sera probablement refusée. Si les spécialistes disent au délinquant qu'il doit être traité et que celui-ci refuse, il va purger intégralement le reste de sa peine. Il y a des hommes qui préfèrent cela.

    Dans le système provincial, certains délinquants acceptent d'être traités et suivent un traitement. Lorsqu'ils ont purgé leur peine, ils disparaissent. Un certain nombre d'entre eux nous utilisent donc. Certains sont sincères, terminent le traitement et essaient d'utiliser les techniques que nous leur enseignons. Mais il y en a aussi qui exploitent le système, même avec ces peines.

+-

    M. Myron Thompson: Je pense qu'ils sont très nombreux.

+-

    M. Ron Langevin: Oui.

+-

    M. Myron Thompson: C'est ce qu'il faut corriger. Avez-vous des suggestions sur la façon dont nous pourrions nous y prendre?

+-

    M. Ron Langevin: C'est une question difficile. Il y a le fait que le traitement doit être volontaire. Il y a dans le système actuel trop de personnes qui ont besoin d'un traitement. Il y a beaucoup plus de candidats que de possibilités de traitement; les spécialistes choisissent donc les personnes qui veulent subir un traitement, du moins au commencement.

    Je ne sais pas comment l'on pourrait résoudre cette difficulté. C'est bien sûr une opération très coûteuse. Le grand avantage des cercles de soutien est qu'ils font appel à la collectivité et à des bénévoles. Cela peut commencer dans le système correctionnel et être ensuite transposé dans la collectivité au moment où les délinquants sont libérés, de sorte que cela ne constitue pas un lourd fardeau financier pour le système correctionnel.

+-

    Le président: Merci, docteur Langevin.

    Nous allons maintenant donner trois minutes à M. Maloney pour conclure, parce que nous sommes obligés de quitter la salle avant 11 heures.

+-

    M. John Maloney: Comme Mme Bourgeois l'a indiqué, ce rapport est très explosif. Quel est le nombre de cas sur lesquels vous avez basé votre rapport et combien de temps avez-vous suivi chacun de ces cas? Y a-t-il d'autres études à l'étranger ou au Canada qui corroborent vos conclusions?

+-

    M. Ron Langevin: Il y a des études internationales qui les confirment mais c'est la principale étude faite au Canada. On a étudié plus de 2 000 délinquants sexuels entre 1966 et 1999. Le suivi a donc été fait jusqu'à il y a six ans. Ces données statistiques sont fiables. Je devrais signaler que les résultats concernent le premier échantillon, mais qu'ils sont également vrais pour le deuxième échantillon parce qu'il y a eu autant de cas qui n'ont pas été recensés entre 1974 à 1999 qu'il y en a eu à l'époque et pour la même raison, à savoir qu'il n'y avait pas de véritable système provincial-fédéral.

+-

    M. John Maloney: Votre taux de récidive est tout simplement pathétique mais vous ajoutez que ce n'est pas nécessairement une question de traitement; la majorité de ces délinquants ne terminent pas leur traitement. Existe-t-il donc des traitements qui seraient efficaces?

    Les délinquants sexuels peuvent faire l'objet d'une surveillance pendant 10 ans maximum. Devrions-nous envisager de prolonger cette période de surveillance pour tenir compte des renseignements que vous avez fournis? Devrions-nous utiliser davantage les dispositions relatives aux délinquants dangereux?

+-

    M. Ron Langevin: Je pense qu'il faudrait prolonger la période de surveillance. Même s'ils répondent au traitement, il y a la question de la durée. Cela ressemble au traitement pour l'obésité, le tabagisme et l'alcoolisme. Certains d'entre nous savent que cela est souvent difficile. Il y a une pulsion qui demeure jusque dans la vieillesse. Certains délinquants de plus de 80 ans sont encore actifs sexuellement. Leurs pulsions ne vont donc pas disparaître. Plutôt que de présenter une demande de délinquant dangereux, il serait plus pratique que la collectivité exerce sur eux une surveillance à long terme, en particulier si cela visait tous les délinquants sexuels plutôt que les plus violents, qui devraient être incarcérés.

À  -(1055)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Maloney.

    Nous avons une minute et j'ai une question, docteur Langevin.

    Dans votre tableau 2 qui traite de la récidive, vous avez les infractions sexuelles, tous les types d'infractions et les infractions non dépistées. Je pense que vous nous avez dit que vous teniez compte de ce facteur dans vos évaluations. Si l'infraction n'est pas dépistée, comment pouvez-vous évaluer une catégorie qui n'est pas dépistée?

+-

    M. Ron Langevin: Les délinquants nous disent avoir commis une infraction et qu'ils n'ont jamais éés pour cette infraction.

+-

    Le président: Ce sont donc des aveux faits par les délinquants.

+-

    M. Ron Langevin: Oui.

    Je devrais dire qu'ils étaient beaucoup plus francs avec nous avant. Ils nous disaient beaucoup de choses et nous faisaient confiance.

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    Le président: Docteur Langevin, je vous remercie d'être venu. Nous apprécions que vous nous ayez consacré votre temps.

    La séance est levée.