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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 9 mai 2002




¿ 0955
V         
V         Mme Bev Desjarlais (députée de Churchill, NPD)

À 1000

À 1005
V         Le président
V         M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne)

À 1010
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Vic Toews
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Vic Toews
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Vic Toews
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Vic Toews
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Vic Toews
V         Mme Bev Desjarlais

À 1015
V         M. Vic Toews
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ)
V         Mme Bev Desjarlais

À 1020
V         M. Robert Lanctôt
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD)

À 1025
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Bill Blaikie
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Bill Blaikie
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC)

À 1030

À 1035
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)

À 1040
V         Le président
V         M. John McKay
V         Le président
V         M. John McKay
V         Mme Bev Desjarlais

À 1045
V         M. John McKay
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         M. Vic Toews
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président

À 1050
V         M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne)
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Chuck Cadman
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Chuck Cadman
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Chuck Cadman
V         Mme Bev Desjarlais
V         M. Chuck Cadman
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)

À 1055
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt

Á 1100
V         Mme Bev Desjarlais
V         Le président
V         
V         Le président
V         Le président
V         Mme Terrie Lemay (Veuves OC Transpo)

Á 1110

Á 1115
V         Le président
V         Mme Terrie Lemay

Á 1120
V         Mme Barbara Davidson (Veuves OC Transpo )

Á 1125

Á 1130
V         Le président
V         

Á 1135
V         Le vice-président (M. Chuck Cadman)
V         M. Vic Toews

Á 1140
V         Mme Barbara Davidson
V         M. Vic Toews
V         Mme Barbara Davidson

Á 1145
V         M. Vic Toews
V         Mme Barbara Davidson
V         Le vice-président (M. Chuck Cadman)
V         M. Robert Lanctôt

Á 1150
V         Mme Barbara Davidson

Á 1155
V         Le vice-président (M. Chuck Cadman)
V         M. Bill Blaikie
V         M. David Bennett

 1200
V         M. Bill Blaikie
V         Le président
V         M. Peter MacKay

 1205
V         M. David Bennett

 1210
V         Le président
V         
V         Le président
V         M. Hassan Yussuff (vice-président exécutif, Congrès du travail du Canada)
V         
V         M. David Bennett

 1215
V         
V         M. David Bennett
V         M. Hassan Yussuff
V         Le président
V         M. Chuck Cadman
V         M. David Bennett
V         M. Chuck Cadman

 1220
V         M. David Bennett
V         M. Chuck Cadman
V         Le président
V         M. John Maloney (Erie--Lincoln)
V         M. David Bennett

 1225
V         M. Hassan Yussuff
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt

 1230
V         M. David Bennett
V         M. Robert Lanctôt
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         Le président
V         M. Hassan Yussuff
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 087 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 9 mai 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0955)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bienvenue à tout le monde.

    Je déclare ouverte la 87e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du 19 février 2002, nous sommes saisis de l'objet du projet de loi C-284, Loi modifiant le Code criminel (infractions commises par des personnes morales, administrateurs et dirigeants). Mme Bev Desjarlais, la députée de Churchill, qui a présenté ce projet de loi d'initiative parlementaire, sera notre témoin jusqu'à 11 heures.

    Mais avant de lui donner la parole, je tiens à dire aux membres du comité que j'ai eu l'occasion de parler à M. McBrearty, des Métallurgistes unis d'Amérique, responsable de la cérémonie à la Flamme du centenaire, et que je lui ai fait part de notre décision, prise assez tard, de suspendre la séance du comité pour participer à cette cérémonie. Je lui ai transmis les sentiments de l'ensemble du comité, comme l'auraient sans doute voulu les membres du comité. Lui-même m'a demandé de vous transmettre son appréciation et son espoir que le comité répondra aux attentes.

    Sur cette note d'espoir, je vous donne la parole, madame Desjarlais.

+-

    Mme Bev Desjarlais (députée de Churchill, NPD): Merci.

    Pour commencer, je tiens à remercier le comité des efforts sincères qu'il a déployés pour faire en sorte que l'objet du projet de loi C-284 soit inscrit à son ordre du jour. Je tiens à reconnaître le travail des porte-parole pour la justice qui se sont montrés très accommodants et, je crois, sincères dans leurs discussions avec moi, avant l'entente conclue avec le gouvernement et selon laquelle je retirerais le projet de loi à la Chambre, pour que son objet soit examiné par le comité. Pour moi, il était crucial qu'on traite de ce sujet dès que possible.

    Excusez-moi...on m'a dit que je n'avais pas à m'excuser d'être émotive, mais je dois dire que c'est un sujet très émouvant pour moi, parce que je viens d'une communauté minière et qu'au fil des années, j'ai vu se produire de nombreux accidents et décès, dont certains n'auraient jamais dû survenir, dont certains étaient à mon avis des actes criminels, parce que les travailleurs n'auraient pas dû être blessés ni tués. On a l'exemple tout récent, ces deux dernières années, du décès d'un travailleur à Flin Flon, au Manitoba. Il y a ici un député de Flin Flon qui a travaillé dans cette fonderie. Ce qui est arrivé était inacceptable, on a refroidi une chaudière à l'eau froide, en l'aspergeant au boyau alors qu'il y avait à l'intérieur du minerai fondu, et elle a explosé. De nombreux travailleurs ont été blessés, et l'un d'eux a été gravement brûlé et est décédé. Cela a été un traumatisme pour lui et pour sa famille, mais parmi ses camarades de travail, il y en a qui ne peuvent toujours pas travailler. Pour moi, ça a été le catalyseur qui a fait en sorte qu'il fallait agir.

    Je n'essaie vraiment pas de jouer avec les émotions des membres du comité, parce que je crois que cette question nous tient tous à coeur et que nous voulons tous que justice soit rendue; je ne parlerai donc pas des nombreux décès qui se sont produits sur des lieux de travail. Depuis dix ans, depuis la tragédie de Westray, plus de 6 000 Canadiens ont été tués au travail et des millions ont subi des traumatismes de divers types. Beaucoup, la plupart probablement, étaient des accidents, et non des crimes. Mais pour beaucoup d'autres, il s'agit de crimes évitables dont nos lois actuelles sont incapables de s'occuper, comme l'a si bien montré l'enquête sur l'explosion de la mine Westray.

    Même un seul accident évitable, c'est un de trop, et j'en viens donc à ma première recommandation au comité: ne laissez pas une probable prorogation de la Chambre, ce printemps ou cet été, faire disparaître de nouveau ce projet de loi. En juin 2000, à la suite de la motion de notre collègue Peter MacKay, le Comité de la justice a recommandé unanimement au ministre de la Justice et à son ministère de présenter un projet de loi conforme à cette motion et aux principes du projet de loi C-259. Le projet de loi C-259 était l'incarnation préalable de mon projet de loi C-284, dont vous étudiez actuellement l'objet. Malheureusement, le gouvernement a dissous le dernier Parlement avant l'échéance prévue pour la réponse du gouvernement au rapport du comité et il n'y a eu ensuite aucun suivi. Après les élections, j'ai dû tout recommencer à zéro.

    Dans le temps écoulé pendant lequel on a remis ce projet de loi sur les rails pour le rendre à ce point-ci, environ 500 autres Canadiens sont morts au travail. Je ne veux pas reprocher à quiconque les décès évitables parmi ces 500 pertes, mais je veux que le comité comprenne bien l'importance de ne pas laisser ce projet de loi mourir au Feuilleton à nouveau.

    Ma deuxième recommandation se rapporte au rôle du comité. Il peut être tentant de s'attarder aux petits détails d'un projet de loi éventuel, mais je comprends que le travail du comité n'est pas de rédiger des lois. Vous faites ici un examen de l'objet du projet de loi C-284, et non un examen article par article. Pour travailler le mieux possible, le comité doit se concentrer sur cette étude et sur les principes du projet de loi. Je demande donc à votre comité de déterminer quels principes doivent régir une nouvelle loi sur l'homicide involontaire par une personne morale et de recommander dans son rapport que le gouvernement présente un projet de loi conforme aux principes qu'il aura définis. Les rédacteurs juridiques du ministère de la Justice pourront trouver le libellé adéquat, que vous pourrez examiner quand le projet de loi du gouvernement sera soumis au comité, s'il y a lieu. Le comité doit maintenant se concentrer sur les orientations à proposer, sous forme de principes que devrait respecter le futur projet de loi du gouvernement.

    Enfin, je veux proposer au comité trois principes qui devraient faire partie d'une loi juste et efficace sur l'homicide involontaire par une personne morale et je vous exhorte à en faire les bases mêmes de votre rapport. La loi doit respecter l'intention et l'esprit du rapport d'enquête Richard sur la tragédie de Westray. On m'a dit que le rapport du juge Richard avait été distribué aux membres du comité. Bien qu'il compte de nombreux volumes, j'invite tous les membres du comité à en lire au moins le résumé des recommandations. Le juge Richard a fourni tous les détails sur l'interminable liste de pratiques dangereuses et de grave négligence de la direction de la mine qui ont causé la mort de ces 26 mineurs. Il importe de ne pas oublier ce qui s'est passé exactement à Westray, et qui a été décrit en détail dans le rapport du juge Richard.

    J'ai déjà entendu des membres du comité exprimer leur crainte qu'une loi sur l'homicide involontaire par une personne morale tienne des administrateurs et des cadres responsables de décès et de blessures qu'ils n'avaient pas vraiment causés eux-mêmes. Nous avons besoin de cette loi pour des cas comme celui de Westray, où de nombreux avertissements avaient été donnés selon lesquels la mine était dangereuse. J'espère que le comité en parlera dans son rapport. Les avertissements ont été servis par le syndicat et par des employés. La direction les a reçus, mais en a délibérément fait fi. Pire encore, plutôt que d'éliminer les pratiques dangereuses, elle a tenté de les camoufler. La direction savait très bien qu'elle risquait la vie de ses employés, mais a décidé que les réductions de coûts primeraient la sécurité. Au vu de toutes les normes de justice nationale, elle était coupable, mais s'en est tirée à cause des lacunes du Code criminel dénoncées par le juge Richard dans sa recommandation 73.

    Il ne s'agit pas de tenir les administrateurs personnellement responsables des accidents, des erreurs ou des mauvaises décisions de leurs subalternes, ni d'oublier les dangers inhérents à certains emplois, comme le travail dans une mine, mais même dans les mines, et dans tout autre lieu de travail, il y a des normes de sécurité minimales à respecter. Si les cadres et les administrateurs sont mis au fait de pratiques dangereuses et qu'ils ferment les yeux, qu'ils tentent de les cacher, qu'ils encouragent ou forcent leurs employés à travailler dans de pareilles conditions, il faut que ce soit un crime prévu au Code criminel. C'est ce que disait le rapport Richard.

    Avant de poursuivre, j'aimerais répondre à une préoccupation précise formulée par des députés du Bloc. Certains d'entre eux s'inquiètent légitimement de l'ingérence fédérale dans un domaine de compétence provinciale. Il est clair que la grande majorité des recommandations du juge Richard se rapportait davantage à des questions de compétence provinciale, comme le Code de la sécurité et de la santé au travail de la Nouvelle-Écosse, que de compétence fédérale. Mais il y a une recommandation clé qui se rapporte de toute évidence à la compétence fédérale: c'est la recommandation 73, sur le Code criminel, dont traite le projet de loi que j'ai présenté. Il ne s'agit pas d'empiéter sur la compétence provinciale en matière de santé et sécurité au travail, mais de criminaliser un type précis de négligence grave à l'égard des vies humaines, qui relève manifestement du Code criminel.

    Le deuxième principe que je propose au comité comme élément d'une loi juste et efficace sur l'homicide involontaire par une personne morale, c'est celui de la diligence raisonnable. Cela répond aussi aux préoccupations exprimées par des membres du comité au sujet de la responsabilité criminelle des administrateurs et cadres qui pourrait ne pas être justifiée, dans certaines circonstances. La diligence raisonnable est un concept figurant dans d'autres lois canadiennes, se rapportant à la responsabilité des administrateurs. En droit canadien, les directeurs d'entreprise peuvent être tenus personnellement responsables si la société ne paie pas ses impôts. C'est un point important à considérer. S'il est justifié de tenir un directeur responsable des impôts non payés de son entreprise, pourquoi ne pas le tenir responsable si son entreprise tue quelqu'un? Il est vrai qu'il n'est pas facile d'attribuer l'évasion fiscale d'une personne morale à un administrateur. C'est pourquoi le principe de la diligence raisonnable fait en sorte que si un administrateur a fait preuve d'un degré raisonnable d'attention, de diligence et de compétence pour veiller à ce que l'entreprise s'acquitte de ses obligations, il s'en tirera. Ainsi, l'administrateur ne sera pas tenu responsable des erreurs faites de bonne foi ni du fait qu'un subalterne lui ait délibérément caché certains renseignements. Tant qu'il fait son travail de bonne foi et avec diligence, il n'est pas tenu responsable.

    Le même principe devrait s'appliquer à l'homicide involontaire par une personne morale et devrait dissiper les craintes formulées au sujet de la proposition. Personne ne veut attaquer les directeurs d'entreprises qui n'auraient rien pu faire pour éviter un décès ou des lésions. Cette proposition vise d'abord à éviter des tragédies comme celle de Westray, et non à cibler des innocents. Le comité doit en faire état clairement dans ses recommandations.

À  +-(1000)  

    Le troisième principe que je propose, c'est que la peine soit proportionnelle au crime. Un homicide involontaire par une personne morale ressemble un peu à la conduite en état d'ébriété. Un conducteur ivre n'a peut-être pas l'intention de tuer quelqu'un, mais le simple fait qu'il soit ivre au volant montre son indifférence à l'égard de la vie humaine. C'est pour cette raison qu'on a criminalisé cet acte et imposé des peines lourdes pour les conducteurs ivres qui ont tué quelqu'un. De même, quand on fait travailler ses employés dans des conditions indûment dangereuses, on n'a peut-être pas l'intention de les tuer, mais cela montre une grave indifférence à l'égard de la vie humaine et mérite d'être criminalisé et puni sévèrement.

    J'ai lu le document de discussion remis au comité par le ministère de la Justice où sont présentés divers cas et des lois qui s'y appliquent, plutôt qu'une approche globale. On y parle de la possibilité de responsabilité des personnes morales dans les cas de préjudices environnementaux, ou d'autres décès ou accidents. Je suis d'accord. Il n'est pas nécessaire d'avoir une loi précisément pour les lieux de travail. Il y a divers cas, au Canada, en Amérique du Nord et à l'échelle de la planète, où des pays envisagent des infractions précises pour les entreprises qui ont été négligentes non seulement pour les travailleurs dont elles ont risqué la vie, mais pour la population en général. Je ne vais pas les énumérer, mais je connais de nombreux cas que je peux présenter au comité, en lui envoyant ces renseignements par écrit, afin qu'il n'ait pas à faire cette recherche.

    Je crois que les gens n'acceptent plus aussi facilement qu'on se constitue en société pour se dérober quand on commet un crime qui cause la mort de nombreuses personnes, que ce soit au travail, sur les chemins de fer, sur la route ou en avion. En résumé, je crois que la société civile considère que c'est inacceptable et souhaite qu'une loi soit en vigueur, pour le dénoncer.

    Voilà qui termine mon exposé. Je répondrai volontiers à vos questions.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Il n'arrive pas souvent qu'un membre du comité soit aussi notre témoin et je n'ai donc pas à expliquer les règles, cette fois. Je donne sept minutes à M. Toews.

+-

    M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci beaucoup.

    Je vous remercie de nous présenter les principes que vous voulez que nous examinions, de même que les aspects sur lesquels vous voulez que nous nous penchions, plutôt que de nous présenter les détails d'un projet de loi éventuel ou ses aspects techniques. Je pense qu'il faut garder cela à l'esprit. L'autre jour, nous avons accueilli des représentants syndicaux des Métallos, avec un avocat qui nous a très utilement expliqué certains aspects techniques et qui a fait des suggestions précises relatives à l'association entre les actes d'une personne morale ou de ses administrateurs et le degré nécessaire d'intention criminelle. Je crois que c'était une discussion très utile.

    Vous estimez que la responsabilité criminelle ne doit pas être imputée aux personnes, aux administrateurs ou aux dirigeants qui n'ont pas le degré voulu d'intention criminelle. C'est un principe judicieux et nécessaire, quand il s'agit de responsabilité criminelle. Je suis ravi de constater que la plupart sinon tous les membres du comité reconnaissent qu'il y a des normes minimales au sujet de l'intention criminelle, qu'il faut intégrer dans la loi.

    Je partage aussi les préoccupations soulevées par M. Lanctôt, du Bloc, au sujet des secteurs de compétence provinciale. Nous avons vu que le Parlement fédéral intervenait dans des domaines de compétence provinciale comme le droit environnemental, ce qui est fort préoccupant. Dans notre fédéralisme coopératif, je tiens à ce qu'on respecte cette compétence des provinces, tout en exerçant bien nos pouvoirs de parlementaires fédéraux.

    J'ai pris bonne note de vos observations au sujet de l'homicide involontaire par une personne morale. L'homicide involontaire est en effet un crime où l'intention criminelle est moindre, il s'agit d'une intention générale et non d'une intention spécifique. Les tribunaux canadiens se sont tenus loin de cela, dans le domaine automobile. Par exemple, on n'entend pas parler ici, comme aux États-Unis, d'homicide involontaire avec un véhicule moteur. Je pense que cela nous donne encore matière à réflexion, ne serait-ce que sur la question de l'intention.

    J'estime donc que vos propos ont été très, très utiles pour faire avancer ce projet de loi. Nous ferons l'objet de pressions de gens qui s'intéressent à divers degrés à ce projet de loi, comme les syndicats, des particuliers, des entreprises, des associations d'avocats et je veux vous dire, finalement, que nous devons nous assurer que le projet de loi est juste et qu'il tient compte des deux éléments de l'équation. C'est une question qui a été soulevée au comité à maintes reprises. Il s'agit essentiellement de la culpabilité des syndicats et de leurs représentants. Si, par exemple, un représentant syndical ne s'acquitte pas de ses responsabilités juridiques, celles prévues par les lois sur la santé et la sécurité au travail et, comme vous le savez, par la loi du Manitoba, cette négligence, s'il y a une intention criminelle suffisante, doit-elle être assimilée à une intention criminelle? C'est la question que nous nous ferons souvent poser au sujet de ce projet de loi.

À  +-(1010)  

+-

    Mme Bev Desjarlais: C'est une question qui se pose. L'autre jour, lorsque je posais moi-même des questions, j'ai dit que je parierais qu'il y a moins de risque, en fait, un très, très faible risque, que la vie d'un travailleur soit compromise parce qu'un représentant syndical n'a pas fait son travail. Comme vous le savez bien, les syndicats ont pour devoir d'assurer une juste représentation. Dans le cadre de leur constitution, si l'on peut dire, les syndicats ont des responsabilités particulières.

+-

    M. Vic Toews: Certains aspects du travail des comités de santé et sécurité au travail ne se rapportent pas seulement à la juste représentation. Vous faites beaucoup confiance aux syndicats, je n'en doute pas. J'ai été moi-même vice-président d'un syndicat—mais comme c'était un syndicat de procureurs, ce n'est peut-être pas exactement la même chose.

+-

    Mme Bev Desjarlais: C'est un groupe d'une grande crédibilité.

+-

    M. Vic Toews: En effet. Il y a des gens responsables dans le mouvement syndical, je n'en doute pas, mais si vous avez cette crédibilité, ne serait-il pas plus facile de dire que si les représentants syndicaux se dérobent à leurs obligations juridiques et ont une intention criminelle, ils seront eux aussi tenus responsables? C'est ma question.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Loin de moi l'idée de suggérer que quiconque instaure une culture permettant la mort de quelqu'un ne devrait pas être tenu responsable. Je sais que comme syndiquée, ce n'était pas moi qui avait le contrôle du lieu de travail. Bien des gens aiment laisser entendre que les syndicats contrôlent les lieux de travail, mais je peux vous dire que c'est faux. Ce n'est pas le cas dans les hôpitaux. Ce n'est pas le cas dans le secteur industriel. On a des règles, mais on ne prend pas de décisions.

+-

    M. Vic Toews: Mais présumons que dans une certaine situation vous ayez cette responsabilité, par exemple dans le cadre d'un accord de cogestion.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Un instant. Vous parlez d'une situation différente. Dans un accord de cogestion, vous avez un poste de gestion. C'est bien différent de la représentation syndicale des travailleurs, en fonction d'une convention collective.

+-

    M. Vic Toews: Bon. Vous ne voyez donc pas d'obstacle à cela, dans la loi.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Absolument pas.

+-

    M. Vic Toews: Dans les cas où des représentants syndicaux assument des fonctions de gestion, par exemple un dirigeant qui formule des recommandations à un conseil d'administration, ce qui se produit parfois.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Oui. Pour moi, ce n'est pas la même chose. Si cette situation vient à être étudiée par un tribunal, je pense qu'on pourra l'accepter. Ce que veulent les Canadiens, ce que je veux, ce que veulent les familles des mineurs tués à Westray, c'est une loi qui permette de traduire quelqu'un devant les tribunaux, et pour les détails, on pourra s'en occuper plus tard. Il faudrait au moins qu'une infraction existe. En ce moment, on n'a même pas cela, on ne peut même pas porter d'accusations.

À  +-(1015)  

+-

    M. Vic Toews: Je n'en disconviens pas. Je suis en faveur des principes de ce projet de loi, c'est certain. Mais je me demande si sa portée est suffisamment large pour prendre en compte toutes ces personnes qui doivent être tenues responsables, au lieu de travail. C'était l'objet de mes observations.

+-

    Le président: Je me suis toujours demandé pourquoi les procureurs avaient de si bonnes conditions de travail. Maintenant, je le sais.

    Monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci, monsieur le président. Merci, madame Desjarlais.

    Premièrement, je réitère toujours un peu mes inquiétudes concernant, bien entendu, les compétences des provinces, mais on parle de principes. Donc, je veux que ce soit quand même soulevé et qu'on en tienne compte lors de la rédaction d'un projet de loi.

    Je reviens, moi aussi, à la discussion que vous aviez avec mon collègue. Hier, j'ai posé des questions aux métallos. Ils sont venus dans mon bureau, et j'ai discuté avec eux. Ils voient la problématique suivante. Je comprends très bien que s'ils font partie du conseil d'administration, ce n'est pas un problème. Les syndicats seront aussi responsables que n'importe quel administrateur, si le principe que sous-tend ce projet de loi est maintenu. Mais j'ai donné un exemple.

    On prend une compagnie qui a de faibles moyens, qui a de la difficulté et où il y a un syndicat. Donc, elle n'a pas l'argent nécessaire pour faire les expertises et aller plus loin. Le syndicat se fie donc à ce que les travailleurs demandent comme correction. Le syndicat propose, fait des recommandations, comme le demandent les lois de la province ou les lois du Québec, et les administrateurs, sans faire la vérification, acceptent ce que le syndicat a recommandé. Disons qu'à cause de cela, il y ait un problème, car le principe est qu'on est là, non pas pour protéger les syndicats, mais pour protéger les travailleurs.

    Hier et lors de la rencontre que j'ai eu avec eux, je pense que les personnes ont bien compris, étant elles-mêmes représentantes de syndicats, qu'il s'agit peut-être même d'élargir la portée du projet de loi, non pas parce que qu'on doit les inclure absolument et dire que les syndicats ne font pas leur travail, mais, au contraire, parce qu'on a assez démontré que lorsqu'il y a un syndicat, il y a moins de problèmes à cet effet, parce que, comme vous le dites, vous allez toujours appuyer leurs recommandations, qui sont habituellement de bonnes recommandations.

    Mais, prenons l'exemple autrement. Une recommandation est faite, peut-être à cause d'un manque sur le plan financier ou économique provenant autant du syndicat que ladite compagnie, et une catastrophe arrive. Pourquoi, à ce moment-là, ces travailleurs ne seraient-ils pas protégés, et pourquoi ne leur permettrait-on pas d'intenter une poursuite à la fois contre les administrateurs et le syndicat? Je pense que les travailleurs seraient encore mieux protégés si l'erreur criminelle venait du syndicat. Ce n'est pas pénaliser; c'est permettre aux travailleurs d'être encore plus protégés.

[Traduction]

+-

    Mme Bev Desjarlais: Si au sein d'une entreprise une erreur est commise et entraîne un décès, personne ne voudra porter d'accusations pour responsabilité criminelle. Ce dont nous parlons, c'est de négligence grave, d'actes dangereux posés délibérément, à maintes reprises et compromettant la vie des travailleurs. Des erreurs et des accidents peuvent se produire, je crois que nous le reconnaissons tous. Mais à Westray, il n'y a pas eu d'accident. Le juge Richard a été très clair: c'était un désastre prévisible, comme il le disait dans le titre de son rapport.

    Je sais que c'est un rapport volumineux. Il m'a été très difficile, émotivement, de le lire. Il m'a aussi été pénible d'assister à la pièce sur Westray. De même, pour lire le livre de Shaun Comish. Il est tout simplement intolérable que quelqu'un puisse avoir un tel mépris pour la vie humaine sans en être tenu responsable. Ce n'est pas une erreur, quand on envoie un travailleur dans un milieu dangereux. Quand c'est délibéré, quand on sait que c'est dangereux, on doit être tenu responsable. Si vous pouvez me citer un cas, au Canada, où des syndicats ou d'autres travailleurs l'ont fait, dites-le moi. Je peux vous trouver de nombreux cas où les administrateurs et les directeurs sont maintenant tenus responsables, où on leur pose des questions.

    Westray a été une catastrophe épouvantable. Il y a une situation semblable en Colombie-Britannique, où des travailleurs ont été exposés à du thallium. Au départ, on croyait qu'il s'agissait d'une erreur humaine. Mais on a appris il y a quelques semaines que la direction était au courant des dépassements de niveau sécuritaire et de l'exposition continuelle des travailleurs à ce produit. Je crois qu'on a vu ce genre de choses se produire, il y a des années, dans les alumineries. Il y a longtemps aussi, il y avait l'exposition à l'amiante, mais nous en savons plus maintenant, nous prenons des mesures de sécurité et nous n'envoyons pas les travailleurs à leur perte. C'est ce qui est désormais inacceptable.

À  +-(1020)  

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: C'est exactement ce que je vois aussi, mais il s'agit de profiter de l'occasion. Vous amenez ce projet de loi, vous parlez de principes, et si les principes peuvent être élargis pour protéger encore plus... C'est tout ce que je veux soulever. Je ne dis pas d'utiliser les lois provinciales pour dire que c'est une erreur et qu'il faut poursuivre toujours; ce serait encore pire. Ça deviendrait ce que je crains un peu et peut-être beaucoup. Il faut en profiter: on est là pour en parler; on est là pour le créer; on est là pour le mouvement; on est là pour protéger ces travailleurs contre ces négligences criminelles.

    J'ai apprécié votre réponse quand vous avez dit que si l'erreur criminelle, si la négligence criminelle provient... Même si on me dit de donner un exemple, ce n'est pas ce qui est important présentement. L'important est de dire quel est le principe et de dire que oui, ça pourrait arriver. Pourquoi ne pas l'ajouter immédiatement, alors qu'on parle dudit projet de loi?

[Traduction]

+-

    Mme Bev Desjarlais: S'il est nécessaire d'envisager quelque chose de ce genre et de l'intégrer à la loi, pourquoi pas. S'il s'agit d'une situation où quelqu'un compromet la vie d'un autre, quand il sait que les conditions sont dangereuses et qu'il l'encourage, n'hésitez pas, mettez-le dans la loi. Je ne m'inquiète pas de tous les représentants syndicaux et de tous les administrateurs. Bien franchement, comme je le disais l'autre jour, je ne crois pas que cette loi sera invoquée pour probablement 99 p. 100 des entreprises de notre pays. Elle le sera seulement pour 1 ou 2 p. 100 d'entre elles, qui agissent ainsi. Ce sont d'elles qu'on veut s'occuper.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Lanctôt.

    Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.

+-

    M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD): Monsieur le président, j'ai beaucoup de questions pour la députée de Churchill, mais j'invite le comité à ne pas perdre de vue notre mandat, soit l'objet du projet de loi proposé par la députée, destiné à corriger la situation dont a parlé le juge Richard dans son rapport et ses recommandations sur la tragédie de la mine Westray. Que je sache, on n'y a jamais parlé de la culpabilité des travailleurs, des syndicats ou de tout autre élément ésotérique vers lequel détourner notre discussion, pour parler des personnes qui n'ont aucun pouvoir sur leurs conditions de travail, qui ne sont pas propriétaires de leur lieu de travail, qui ne le gèrent pas, qui ne l'administrent pas et qui finiraient par faire l'objet de notre réflexion. Ces questions ne nous mènent nulle part et me semblent vaguement malveillantes. On pourrait certainement alléguer qu'on essaie de distraire le comité ou de le détourner de son objectif.

    En ce 10e anniversaire de la tragédie de la mine Westray, on nous demande de nous pencher sur un problème très concret, qui a fait l'objet d'un rapport, et qui avait trait à la responsabilité des personnes morales, et non à celle des syndicats, des travailleurs, d'une société en particulier. On peut améliorer la loi, dans ce domaine. Je voudrais simplement que le comité se concentre là-dessus. Cela me rappelle les reproches qu'on fait aux victimes, dans le cas d'actes criminels, dans le cadre d'enquêtes. Je profite donc de l'occasion pour dire combien je déplore que certains membres du comité continuent de poser des questions de ce genre, plutôt que des questions précises, pour la députée de Churchill.

À  +-(1025)  

+-

    Mme Bev Desjarlais: Si je peux répondre: j'ai réfléchi à ce qui devrait se produire dans ce genre de situation et j'ai aussi parlé de certains éléments qui pourraient être intégrés au projet de loi et qui ne figurent pas vraiment dans le projet de loi C-284, surtout parce qu'ils étaient mentionnés dans le document de discussion présenté au comité. J'estime qu'il était important d'en prendre note, puisque vous avez tous lu le document de discussion et l'avez remarqué. Mais je suis ici sans aucun doute par suite de la tragédie de Westray, et à cause des nombreux décès survenus depuis, notamment celui de personnes que je connaissais moi-même, et d'autres, dans ma circonscription, et d'autres, dont on entend simplement parler. C'est tout simplement inacceptable.

    Je connais un homme dont le fils a été électrocuté; je ne sais pas s'il a comparu devant le comité, avec le syndicat des métallos. Il était en deuxième année d'université, il avait un emploi d'été, il a travaillé pour un entrepreneur, je crois, et on lui a dit de travailler sur une prise électrique. Il a été électrocuté, a perdu trois membres, a été gravement brûlé et ne sera probablement plus jamais en paix.

    Un jeune homme de ma circonscription a été envoyé dans un secteur où on mélangeait des produits chimiques et de l'eau. Il est maintenant aveugle, parce qu'on ne lui a rien dit au sujet de ces produits chimiques et des conséquences possibles. Il est entré, s'est évanoui, quelqu'un d'autre est entré pour aller le chercher, un autre jeune homme. Heureusement, il n'est pas allé aussi loin.

    Un jeune homme de 19 ans a été chargé du nettoyage d'une hotte d'aération, pendant que ses camarades de travail l'attendaient à l'autre bout. Le feu s'y est propagé et l'a rejoint. Ils n'étaient pas au courant des conséquences possibles.

    On ne peut plus tolérer cela. C'est inacceptable et c'est ce qu'on voit souvent. Ces employés n'avaient pas le pouvoir de refuser le travail qu'on leur confiait. Malheureusement, bon nombre d'entre eux ne sont pas syndiqués. Quand il y a une représentation syndicale, on voit moins de cas semblables, parce qu'on a moins à craindre de perdre son poste en refusant une tâche. Vous ne savez peut-être pas tous qu'à Westray, la syndicalisation était en cours, à l'époque, mais avait échoué. Ce n'est qu'après l'explosion, quand aucune cotisation n'allait être versée à un syndicat, qu'un syndicat est allé représenter ces travailleurs, et défendre leur cause. Il faut reconnaître que les non-syndiqués ont besoin de cette loi autant sinon plus que les travailleurs syndiqués.

+-

    M. Bill Blaikie: Quand l'incident s'est-il produit à Flin Flon?

+-

    Mme Bev Desjarlais: Il y a environ deux ou trois ans, je n'ai pas la date exacte.

+-

    M. Bill Blaikie: Je sais que c'est assez récent, mais je cherche la date exacte.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Je peux vous la trouver. C'était en 2000, je crois.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur MacKay, vous avez sept minutes.

+-

    M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président, et merci à vous, madame Desjarlais. Je respecte et je comprends parfaitement votre émotivité relativement à cette question. Vous nous avez dit à quel point la question vous touche personnellement, et je vais maintenant vous parler un peu de la façon dont elle me touche moi aussi.

    J'avais un emploi d'été avec une entreprise de construction à l'époque et je travaillais aux environs de cette mine, chose que je n'ai jamais révélé publiquement. Ce qui m'a sidéré quand la mine a explosé—et je n'étais jamais allé plus bas que le front de taille principal—c'était l'état dans lequel la mine se trouvait. Je n'étais jamais entré dans une mine avant. J'ai grandi dans une localité où l'activité minière avait une place importante, mais il s'agissait de mines à la fine pointe de la technologie, et cette mine-là semblait être parfaitement sécuritaire et vraiment ultra moderne. C'est ce que beaucoup se sont dit à l'époque, je crois. Pourtant, la mine a explosé, et c'est alors qu'on a commencé à entendre des histoires, on a su qu'il y avait déjà eu des rumeurs avant l'explosion. Cela nous rappelle à tous l'importance du volet prévention.

    Le travail que nous avons entrepris vise, bien sûr, à assurer un certain degré de responsabilité et de dissuasion. Nous savons qu'il y a de nombreuses raisons qui incitent les entreprises et les particuliers à atteindre des objectifs de rendement et à respecter certaines échéances et certaines normes. Notre effort vise en fait à en arriver à ce qu'on dénonce ceux qui prendraient des raccourcis et qui créeraient ainsi des situations dangereuses.

    Vous avez très bien décrit l'objet du projet de loi. L'intention du législateur n'est jamais de s'en prendre aux innocents ou même à ceux qui contribuent à une situation sans le savoir. La distinction n'est toutefois pas toujours facile à faire il me semble, car il arrive qu'on omette de faire quelque chose, qu'on ferme délibérément les yeux sur une situation ou qu'on fasse preuve d'une négligence sans pitié dans des situations qu'on sait être dangereuses. Il n'est pas question ici des hommes et des femmes qu'on envoie sur le champ de bataille en temps de guerre alors qu'on sait pertinemment que la situation est dangereuse, mais bien de Westray qui a envoyé ses travailleurs dans une situation dangereuse pour qu'ils extraient du charbon qui ne vaut que quelques sous la tonne. Il faut donc savoir faire la part des choses quand il existe une situation dangereuse et savoir qui est responsable de ces circonstances dangereuses. La loi doit mettre l'accent sur les personnes ou les personnes morales qui peuvent influer sur le milieu dans lequel les travailleurs se retrouvent. Dans le cas de Westray, beaucoup de ces mineurs—et nous en avons entendu un ici—craignaient de perdre leur emploi et de ne pas pouvoir se trouver un autre travail pour nourrir leur famille, et c'est la triste réalité de beaucoup de milieux de travail au Canada.

    Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, j'ai visité des usines sidérurgiques et des usines de transformation de poisson qui ont l'air d'être sorties tout droit d'un roman de Charles Dickens mais qui pourtant sont sécuritaires. Le cas de Westray nous rappelle qu'il faut veiller à ce que les inspections et les mesures préventives qui semblent être en place ne soient pas simplement une ruse, que le milieu n'ait pas simplement l'apparence d'être sécuritaire mais qu'il le soit véritablement. C'est donc votre sentiment et l'objectif que vous poursuivez ici, qui est de relever la barre de la responsabilité, qui doivent nous guider et nous inciter à l'action.

    Les dirigeants et les administrateurs de la mine ont, dans une large mesure, tout comme les propriétaires, fait fi de beaucoup de signes qui laissaient présager l'explosion. Vous avez cité le juge Richard qui parlait d'une catastrophe prévisible. Avec le recul, il semble que les circonstances qui auraient pu être prévenues se sont conjuguées pour mener à la catastrophe. La poussière de charbon, le méthane et même les travailleurs eux-mêmes, qui reconnaissent qu'ils faisaient certaines choses, quelle qu'ait été la raison, ce sont autant d'éléments sur lesquels on semble avoir, délibérément ou non, fermé les yeux ou dont on semble avoir fait fi. C'est là ce qui est très difficile en droit, de savoir si l'omission témoigne d'une négligence tellement flagrante qu'elle confine à la responsabilité criminelle. Le degré de responsabilité se situe quelque part entre la négligence criminelle, où interviennent des éléments comme d'omettre délibérément de faire quelque chose ou de fermer délibérément les yeux sur quelque chose, et l'homicide involontaire qui, comme l'a signalé M. Toews, comporte un degré d'intention criminelle plus élevé.

À  +-(1030)  

    À la lumière de ce que je viens de dire, pensez-vous que le fait d'inclure les mots ou d'inclure une mention expresse relativement aux administrateurs, aux représentants ou aux dirigeants de la personne morale qui négligent leur devoir de veiller à l'application de mesures de sécurité appropriées dans un lieu de travail permettrait de changer la culture ou la mentalité comme nous le souhaiterions? Il s'agit autant, d'après moi, de changer les attitudes et les mentalités que de changer la loi afin que l'on sache qu'il y aura un châtiment qui sera appliqué et qui pourrait dissuader la personne de refuser délibérément de prendre les mesures nécessaires pour éviter une catastrophe comme celle qui s'est produite à la mine Westray, à Plymouth.

À  +-(1035)  

+-

    Mme Bev Desjarlais: Cela ne fait aucun doute. Je n'entrerai pas dans les détails de ce qui doit se retrouver dans le projet de loi pour qu'il ait l'effet voulu. Je conviens avec vous que la prévention est la voie qu'il faut privilégier—nous voulons que les lieux de travail soient sécuritaires—, tout comme nous reconnaissons que la prévention est le moyen le plus efficace de lutter contre la conduite en état d'ébriété. Nous faisons tout notre possible pour sensibiliser les gens à ce problème, pour les encourager à ne pas conduire en état d'ébriété. Nous savons que quiconque conduit néanmoins en état d'ébriété et cause la mort d'une autre personne ou la blesse grièvement s'expose à une lourde pénalité.

    Une mesure de dissuasion ne peut être efficace que dans la mesure où elle est perçue comme telle. Or, il était tristement évident après une étude faite récemment par la Commission des accidents du travail du Manitoba que les décès coûtent moins cher que les blessures, puisqu'il faut débourser moins d'argent pour un mort que pour quelqu'un qui est blessé et à qui il faut prodiguer des soins et verser une pension d'invalidité. Un système comme celui-là est foncièrement vicié, et c'est de cela qu'il s'agit ici. S'il devient plus rentable de ne pas mettre en place des mesures de sécurité... Je pense à l'affaire ValuJet aux États-Unis, où, pour l'amour d'un bouchon de 3¢ sur un bidon, 111 personnes sont mortes. Souvent, on préfère simplement courir le risque de tuer quelqu'un, et l'idée d'avoir un fusil avec une balle et de continuer à tirer, mettant ainsi en péril la vie des travailleurs, est inadmissible.

    Vous et moi avons déjà parlé et discuté de cette question, Peter. Ce qui me dérange énormément en l'occurrence, c'est que, dans les cas dont je suis moi-même très au courant, les hommes qui ont été tués à leur lieu de travail à cause d'un manque de sécurité estimaient qu'on douterait peut-être de leur virilité s'ils se plaignaient. Les gars de Flin Flon ont beaucoup de mal à retourner au travail. La difficulté tient en partie au sentiment qu'ils ont de leur insuffisance, parce qu'ils n'ont pas su résister aux conditions. Il a fallu bien des années d'encouragement pour que les joueurs de hockey acceptent de porter le casque. La bataille est loin d'être gagnée pour ce qui est d'amener les agriculteurs à adopter des pratiques sécuritaires; c'est simplement parce qu'ils ont toujours fait les choses d'une certaine façon et qu'ils sentent le besoin de prouver leur virilité. Qu'-a-t-il fallu pour que nous acceptions de porter la ceinture de sécurité? Il a fallu des amendes et des pénalités. J'ai une soeur qui a été paralysée à la suite d'un accident de voiture. Je ne portais pas de ceinture de sécurité tant que l'on n'a pas décidé d'imposer une amende de 72 $.

    C'est la nature humaine: si la pénalité n'est pas assez sévère, nous n'allons tout simplement pas nous conformer. Les personnes morales et leurs administrateurs doivent savoir que la pénalité est assez sévère. Il faut qu'il y ait des conséquences assez graves.

+-

    Le président: Merci.

    John McKay.

+-

    M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Tout comme M. Toews, je suis d'humeur à me confesser. Je suis, moi aussi, membre d'un syndicat, la Law Society of Upper Canada. Les gens ne seraient généralement pas portés à considérer à première vue qu'il s'agit d'un syndicat.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Excusez-nous de ne pas nous mettre à scander «Solidarité. Solidarité.»

+-

    M. John McKay: En 27 ans, il ne m'est encore jamais arrivé de scander de slogans comme celui-là.

+-

    Le président: Pourquoi ne suis-je pas surpris?

+-

    M. John McKay: Nous ne participons pas non plus au défilé du 1er mai.

    Je voulais revenir à votre plaidoyer du début de ne pas laisser le projet de loi mourir au Feuilleton. Il me semble que notre comité se trouve un peu coincé ici. Les rumeurs de prorogation vont bon train. Par ailleurs, nous avons entrepris une étude sur le sujet du projet de loi, mais pas sur le projet de loi en tant que tel, car c'est tout autre chose. Troisièmement, nous avons suscité des attentes parmi la population. Quatrièmement, nous n'avons peut-être pas ciblé notre effort avec toute la précision qu'exige le Code criminel.

    Peter avait commencé à cerner la question de savoir s'il faut opter pour l'homicide involontaire ou la négligence criminelle qu'avait abordée M. Toews. Je doute fort qu'il y ait qui que ce soit à notre comité qui n'ait pas été vivement ému par le témoignage des mineurs et le vôtre et qui ne souhaite pas faire quelque chose. Mais avec le projet de loi que vous proposez, nous nous trouverons peut-être devant une tâche impossible, étant donné qu'il nous faudrait une mesure qui puisse à la fois corriger le problème, résister à un examen au regard de la Charte et recueillir l'assentiment du gouvernement afin de répondre à ce que je considère comme les attentes tout à fait légitimes des travailleurs.

    Je ne m'adresse donc pas tellement à vous ici, mais plutôt au comité. Comment pouvons-nous en arriver à la précision qu'exige le Code criminel? Malheureusement, nous n'avons entendu aucun témoin qui représente l'intérêt des personnes morales. Fait intéressant, j'ai eu une conversation avec le propriétaire d'une très grande entreprise, qui est sûrement connu de toutes les personnes ici présentes, et j'ai discuté brièvement de la question avec lui. Il était clair, d'après lui, que les personnes morales devraient être tenues responsables. Il me semble donc que, si nous n'entendons pas le point de vue des personnes morales, ce sera à nos risques et périls, car la mesure que nous pourrons façonner sera inévitablement contestée, contestée par des intérêts qui ont les moyens de retenir les meilleurs talents juridiques.

    J'aimerais donc que vous nous disiez comment le comité pourrait en arriver à une mesure qui respecte davantage l'exigence de précision juridique à laquelle nous sommes soumis.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Je ne crois pas que quiconque puisse jamais critiquer le ministère de la Justice de manquer de précision. À mon avis, il compte suffisamment de brillants avocats pour en arriver à une loi qui ne laisse aucune échappatoire pour des situations comme celle de Westray. Je sais que le Parlement peut travailler aussi vite ou aussi lentement qu'il le veut. Si le problème est suffisamment grave, on peut en traiter dans une loi, le gouvernement peut le soulever et la Chambre peut en débattre. S'il s'agissait d'un bon projet de loi, on pourrait invoquer la clôture et je ne serais pas en train de vous convaincre.

    Je sais qu'il y a des problèmes, des points de détail, des subtilités. Je reconnais que le comité s'en occupe, et je suis heureuse de son désir sincère de le faire, mais je ne suis pas naïve au point d'oublier qu'on s'est assuré d'étudier la question avant le 10e anniversaire. Mais je ne veux pas que le 9 mai prochain, on soit toujours sans texte de loi. Il ne faut plus tergiverser et en finir avec tout cela.

À  +-(1045)  

+-

    M. John McKay: Comment ne pas laisser tout le bon travail accompli par le comité jusqu'à présent en plan si le Parlement est prorogé?

+-

    Mme Bev Desjarlais: Il me semble que, s'il a la volonté et la détermination voulues, le gouvernement peut prendre lui-même l'initiative de proposer une mesure législative au Parlement. Même si l'avenir du comité est incertain, le travail a déjà été fait et les informations sont «disponibles». Il est évident d'après le document de discussion que la question a déjà fait l'objet d'un examen préliminaire. Il y a diverses façons de s'y prendre. Nous savons quel est le problème et nous savons ce que l'on souhaite. Nous aurions à tout le moins un projet de loi qui vise à régler le problème. Nous avons déjà été saisis de projets de loi qui risquaient d'être contestés au regard de la Charte. Soit. Assurons-nous à tout le moins d'avoir quelque chose de concret pour que, si jamais il y a un autre Westray, nous puissions au moins traduire les responsables devant les tribunaux, les obliger à répondre de leurs gestes. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas faire cela.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur McKay.

    J'hésite à accaparer encore plus du temps de parole de Mme Desjarlais, car il lui reste à peine un peu plus de 10 minutes, et la liste est longue, mais il me semble que nous devrions, disons, discuter de notre stratégie en tant que comité. Nous demandons essentiellement à notre témoin de se prononcer sur le processus, la stratégie à suivre. J'ai demandé au personnel de nous informer des différentes options qui s'offrent à nous d'après les règles de procédure. Si la volonté est là, il me semble qu'il nous faut nous prémunir contre les obstacles éventuels. Jusqu'à maintenant, les considérations politiques ou partisanes ne semblent pas être entrées en ligne de compte. Nous devons d'après moi prendre des précautions en vue d'une éventualité qui échappe à notre volonté, c'est-à-dire le programme des travaux parlementaires. J'aimerais que vous me disiez comment nous devrions nous y prendre pour que notre travail soit le plus fructueux possible, combien de témoins nous voudrions entendre encore et si vous souhaiteriez que nous passions rapidement à autre chose.

    Monsieur Toews.

+-

    M. Vic Toews: S'il s'agit là d'un rappel au Règlement, il me semble qu'il est très valable. Je suis certainement prêt à dire que nous ne devrions pas nous quitter en tant que comité, à supposer que la Chambre soit prorogée, sans avoir l'assurance que nous pourrons poursuivre notre discussion sur ce sujet là où nous l'aurons laissée, pour que nous n'ayons pas à tout recommencer et à faire venir des témoins de la Nouvelle-Écosse et les obliger à revivre encore une fois cette expérience pénible. Si donc nous pouvons faciliter les choses en ce sens, je serais certainement prêt à donner mon appui.

+-

    Le président: Sur le rappel au Règlement, monsieur MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: En guise d'appui, je dirai très brièvement, monsieur le président, que, comme vous le savez, on peut presque tout faire ici avec le consentement unanime. Nous ne savons pas quelle sera la composition du comité en cas de prorogation, mais je pense bien que beaucoup des députés ici présents se retrouveront autour de cette table. Nous pourrions peut-être proposer une motion qui pourrait être adoptée et consignée au compte rendu. Quand nous reviendrons, nous pourrons simplement demander à la Chambre de pouvoir reprendre notre travail là où nous l'avions laissé. Espérons que ce n'est pas ce qui nous attend, mais il suffit d'avoir le consentement unanime, aux termes du Règlement, pour que nous puissions poursuivre notre travail sur ce sujet. Le travail que nous avons déjà accompli témoigne déjà d'une grande unanimité. La bonne volonté dont tous les membres du comité ont fait preuve en faisant en sorte que le projet de loi de Bev puisse se rendre jusqu'à ce stade-ci le confirme amplement. Nous pourrions simplement déposer le témoignage de ceux que nous avons déjà entendus et ces témoignages pourraient servir de point de départ à l'achèvement de notre étude.

    Entre-temps, je crois que Bev a raison, il n'y a rien qui empêche le ministère de la Justice de prendre l'initiative et de commencer à rédiger quelque chose qui pourrait être soumis au comité qui serait constitué à l'automne.

+-

    Le président: Très bien. Je vais interrompre le débat, car je me sens un peu coupable d'avoir soulevé la question, mais il m'a semblé qu'il fallait en discuter.

    Je donne la parole à M. Cadman, pour trois minutes, puis à M. Macklin, qui est le suivant sur la liste.

À  +-(1050)  

+-

    M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Puisque l'heure est aux confessions, la carte que je viens de retirer de mon portefeuille est ma carte syndicale.

    Je dois dire que je suis un peu déçu. On nous a demandé de discuter des grands principes et des questions de fond, et je trouve inacceptable que quelqu'un laisse entendre qu'il y a certaines questions que nous ne devrions pas poser. Il me semble que toutes les questions sont légitimes. Je ne pense pas qu'il y ait une seule personne autour de cette table qui ne serait pas d'accord pour dire qu'il faut faire quelque chose et qui n'appuie pas la mesure et les principes qui la sous-tendent, si bien qu'il me semble que toutes les questions sont valables.

    Je peux certainement parler par expérience. Ayant grandi à North Bay, juste un peu au nord d'ici, je me rappelle certains emplois d'été que j'ai eus et je me demande comment j'ai survécu. Je suis d'ailleurs retourné là-bas en 1995, et l'usine n'a pas changé. Il y a bien sûr du travail à faire de ce côté-là. J'ai aussi travaillé dans des ateliers de fabrication qui étaient absolument horribles. Oui, il faut absolument faire quelque chose.

    Ma question est la suivante: incluriez-vous les municipalités, puisqu'elles sont constituées en sociétés? Allons-nous tenir les maires et les conseillers municipaux responsables de leurs actions étant donné que les municipalités sont constituées en sociétés? La Ville de Delta est une personne morale, présidée par le maire. Elle a son conseil d'administration, qui est le conseil municipal. Ces gens-là seront-ils tenus responsables au même titre, mettons, que les dirigeants de Westray?

+-

    Mme Bev Desjarlais: La question n'est pas sans mérite, je dois le reconnaître. Je n'avais pas pensé à la chose sous cet angle, mais encore là, s'il s'agit d'un ajustement qu'il conviendrait… J'ai déjà été commissaire d'école, et je peux vous dire qu'il est souvent arrivé qu'on nous fasse part de certaines choses, même si nous étions des commissaires d'école, pour le cas où. Si nous autorisions telle ou telle pratique, quand bien même il semblait que nous bénéficiions d'une exemption à cet égard, il y avait toujours cette possibilité. Il faut s'assurer de savoir ce qu'il en est de certaines pratiques qui pourraient avoir cours--savoir quelles pourraient être les conséquences si, ayant été informé de ces pratiques, on ne sait pas ce qu'on devrait faire en tant que commissaire d'école pour y mettre fin. En tout cas, il s'agit de savoir si l'on a agi sciemment de manière à mettre la vie d'une personne en péril.

+-

    M. Chuck Cadman: Vous dites donc que le maire et les conseillers municipaux seraient tenus responsables au même titre.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Je ne sais pas comment...

+-

    M. Chuck Cadman: Je ne dis pas qu'il devrait en être ainsi, je ne fais que poser la question.

+-

    Mme Bev Desjarlais: Je ne sais pas comment ils pourraient être tenus responsables s'ils n'étaient pas au courant. Pour ma part, je ne vois pas de problème. Si les intéressés savaient qu'ils avaient le pouvoir d'influer sur le milieu de travail des employés municipaux ou de quiconque travaillait pour la ville et savaient que telle ou telle pratique avait cours et risquait de mettre des vies en péril, je ne verrais aucun inconvénient à dire qu'ils devraient être tenus responsables. Je le répète, je ne crains pas de dire qu'il y aurait très peu de personnes qui seraient visées. Si je m'imaginais que des innocents pourraient tomber sous le coup de la loi, ce serait autre chose, mais ce sont les criminels qui sont visés ici.

+-

    M. Chuck Cadman: Que diriez-vous alors de Walkerton?

+-

    Mme Bev Desjarlais: Il y a un certain nombre de Canadiens qui estiment qu'il aurait dû y avoir responsabilité criminelle dans l'affaire Walkerton. Pour ma part, je pense qu'il devrait y avoir responsabilité criminelle dans l'affaire Walkerton, que ce soit en vertu d'un projet de loi comme celui que je propose ou d'une autre mesure législative.

+-

    M. Chuck Cadman: C'est bien que vous le disiez publiquement, car il s'agit d'un élément dont nous faisons mieux de tenir compte.

+-

    Le président: Monsieur Macklin.

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Il y a tellement de questions qui me viennent à l'esprit après avoir entendu votre exposé qu'il est difficile de savoir par où commencer, mais vous avez notamment parlé des pénalités et de l'efficacité des mesures de dissuasion qu'il faudrait inclure dans la mesure législative que nous finirons par adopter. J'ai pourtant entendu diverses personnes autour de la table dire qu'elles avaient travaillé dans des milieux où il y avait des lacunes, mais qu'elles avaient choisi, pour une raison quelconque, de ne pas essayer de corriger la situation. Autrement dit, elles n'ont jamais voulu s'engager dans la voie de la dénonciation.

    J'ai quelques idées en tête qui ne sont pas nécessairement liées directement à l'intention criminelle des personnes morales, mais qui ont plutôt trait aux employés qui travaillent pour cette personne morale. La question qu'il convient de se poser à la suite des propos que nous avons entendus est la suivante: la dénonciation aurait-elle dû jouer un rôle important dans l'affaire Westray et, dans l'affirmative, le gouvernement a-t-il un rôle à jouer pour ce qui est de protéger les dénonciateurs? Que devrions-nous faire pour encourager la dénonciation? Même si, pour l'instant, nous nous concentrons sur la dimension de la responsabilité criminelle, je me demande s'il n'y aurait pas lieu de prévoir des dispositions législatives à cet effet. Certains soutiennent qu'il y avait beaucoup de lois en place qui auraient pu avoir un effet dissuasif, et que ce n'est pas tellement une lacune législative, mais plutôt l'inaction, qui est à l'origine de l'affaire Westray. Si cette inaction était en partie attribuable au fait que certains ne pensaient pas pouvoir faire une dénonciation auprès d'une entité compétente et avoir droit à une certaine protection, est-ce là une question sur laquelle il nous faudrait nous pencher dans le cadre de notre étude?

À  +-(1055)  

+-

    Mme Bev Desjarlais: Je ne serais pas nécessairement d'accord pour dire qu'il faudrait que cela se fasse dans le cadre du processus en cours. Il a déjà été question de prévoir des dispositions législatives pour protéger les dénonciateurs dans une multitude de circonstances différentes.

    Il ne fait aucun doute que le blâme était largement réparti dans l'affaire Westray. Je l'ai déjà dit. Ce qui était crucial, c'est que, au niveau fédéral, notre législation pénale ne prévoyait aucune disposition à cet égard. Il ne fait aucun doute que beaucoup de choses auraient pu être faites pour éviter la catastrophe.

    Les membres du Barreau et les procureurs de la Couronne ont un milieu de travail de beaucoup supérieur à celui de la plupart des travailleurs. Sans vouloir vraiment critiquer mon ancien lieu de travail—et je ne le nommerai pas—, j'ose espérer que personne n'en avait contre le fait que nous avions un comité de la santé et de la sécurité au travail. Nous étions tous convaincus de la légitimité de notre action. Il se trouve que nous avions de l'amiante qui circulait librement dans les couloirs si bien que le public et les travailleurs y étaient exposés, et nous avons dû nous battre pour faire corriger le problème. C'était un hôpital—il est facile de deviner lequel, étant donné d'où je viens. Nous avons dû nous battre pour que le problème soit corrigé. Nous avons dû signaler au gouvernement provincial que l'hôpital allait devoir être fermé si l'on ne pouvait pas empêcher l'amiante de se répandre.

    Si une situation comme celle-là peut se produire dans un milieu hospitalier, que dire des milieux industriels? Je ne suis pas ici pour défendre les droits des hommes, mais je vous dis que c'est plus difficile pour eux. Je suis vraiment persuadée qu'il est parfois difficile pour les travailleurs dans ces milieux-là de défendre leurs droits, parce qu'ils sont toujours considérés comme les pourvoyeurs et qu'ils craignent de passer pour des mauviettes. Ils doivent s'assurer de subvenir aux besoins de leur famille. Voilà ce qui s'est passé dans le comté de Pictou. Ces hommes allaient travailler jour après jour en sachant que la mine n'était pas sécuritaire. J'ai reçu une lettre de quelqu'un de Stellarton qui me disait: ce n'est pas que les familles souffraient, c'est simplement que les femmes voulaient que leur mari aille travailler et rapporte sa paie. Je peux vous dire que je ne crois pas du tout que c'était là la seule raison. Ils essayaient simplement de gagner ce qu'il leur fallait pour vivre. Là-bas, les gens ne veulent pas dépendre de l'aide sociale. La plupart des gens ne veulent pas se retrouver dans cette situation-là. Peter et moi en avons déjà parlé. Si la mine rouvrait de nouveau, il y aurait des hommes qui voudraient y travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Ce qu'il faut faire, c'est veiller à ce que la justice intervienne si on ne leur assure pas un milieu de travail sécuritaire.

+-

    Le président: Merci, Bev.

    Je vais donner la parole à M. Lanctôt. Les autres seront les premiers sur la liste pour les témoins suivants, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, car nous n'allons tout simplement pas pouvoir permettre à tout le monde de poser ses questions si nous voulons avoir terminé à 11 heures.

    Monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Je suis d'accord qu'il faut agir rapidement, mais on voit, à la lumière des quelques interventions recueillies autour de la table, qu'il faut agir rapidement, mais qu'il ne faut pas sauter des étapes. Un peu pour contredire mon confrère M. Blaikie, il ne faut pas avoir des ornières et ne regarder qu'un fait, qu'une situation. Je pense que l'exemple des corporations municipales, avec les maires et les conseillers, et on parle maintenant de commissions scolaires... Il y a plein d'administrateurs. Peut-être même certains d'entre vous font-ils partie d'un conseil d'administration.

    Je pense que c'est un sujet très sérieux. Il faut agir rapidement, mais il ne faut pas sauter des étapes. C'est un commentaire que je fais en réponse à celui de M. Blaikie. Je pense qu'il ne faut pas se mettre des ornières. Il faut faire un débat, voir toutes les possibilités, et je pense que le comité, à voir comment vont les choses, prends bonne conscience de cela.

    C'était un commentaire. Merci.

Á  +-(1100)  

[Traduction]

+-

    Mme Bev Desjarlais: L'argument n'est pas mauvais, mais ce que je vous demande, ce n'est pas de chercher une échappatoire; c'est de concevoir une mesure législative qui règle le problème. Quand on veut trouver des échappatoires, on en trouve toujours. Il en existe déjà. Ce qu'on vous demande, c'est de proposer une mesure législative qui règle le problème.

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Desjarlais.

    Je rappelle aux membres du comité qu'aux termes de la procédure en vigueur ici, nous pouvons recevoir un projet de loi si nous réussissons à convaincre le gouvernement d'en présenter un, ensuite, il faut vérifier si tous les détails ont été passés en revue, et si, par exemple, les municipalités ont exprimé leur intérêt. Il y a aussi d'autres éléments importants à prendre en compte, mais n'oublions pas ce qui se passe après le dépôt d'un projet de loi. Nous avons alors l'occasion de l'étudier en détail.

    Merci beaucoup, madame Desjarlais. J'espère que votre départ en tant que témoin n'implique pas nécessairement votre départ en tant que membre du comité.

    Je pensais souhaiter la bienvenue à Mme Fry quand j'allais lui donner la parole, mais comme je n'ai pas encore eu l'occasion de la lui donner, je voudrais lui souhaiter la bienvenue au comité. On me signale que M. Derek Lee et Mme Fry remplacent M. DeVillers et M. Paradis. Soyez les bienvenus. Vous verrez que notre groupe est assez fonctionnel, ce qui équivaut ici à une bonne note.

+-

    Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président. Vous remarquerez avec intérêt qu'il faut une femme pour remplacer deux hommes. Je tenais à vous le signaler.

    Par ailleurs, j'ai été présidente de syndicat, mais j'ai aussi été négociatrice en chef pendant trois ans à l'Association médicale de la Colombie-Britannique. Voilà pour les présentations.

+-

    Le président: Je vais suspendre la séance pour permettre à l'autre groupe de témoins de s'installer à la table.

Á  +-(1103)  


Á  +-(1108)  

+-

    Le président: Je déclare la reprise de la 87e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous poursuivons nos délibérations sur l'objet du projet de loi C-284. Deux groupes, représentés par quatre personnes, vont nous aider dans cet exercice. Le Congrès du travail du Canada est représenté par le directeur national de la santé, de la sécurité et de l'environnement, David Bennett, auquel devrait s'ajouter très prochainement le vice-président exécutif de l'organisme, Hassan Yussuff; nous accueillons aussi deux veuves d'OC Transpo, Barbara Davidson et Terrie Lemay.

    Normalement, nous suivons l'ordre des présentations, mais comme M. Yussuff n'est pas encore arrivé, je vais d'abord donner la parole à Mme Lemay. Les exposés sont limités dans la mesure du possible à une dizaine de minutes. Je vous ferai signe, mais n'y accordez pas trop d'importance. Notre démarche actuelle est très particulière. Votre témoignage est assez personnel, et nous pouvons faire preuve à votre endroit d'une plus grande souplesse.

    Madame Lemay, c'est à vous.

+-

    Mme Terrie Lemay (Veuves OC Transpo): Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de nous permettre de nous adresser ce matin à votre comité.

    Mon mari était mécanicien chez OC Transpo. Ce jour-là, il a quitté son lieu de travail et s'est rendu à l'entrepôt pour demander une pièce dont il avait besoin. Au même moment, un ex-employé est entré avec sa voiture dans le garage et a commencé à tirer. Un employé s'est servi des hauts-parleurs pour demander à tout le monde d'évacuer le bâtiment à cause d'un tireur qui se trouvait à l'intérieur de l'entreprise. Ce tireur est entré dans la salle des produits chimiques et y a mis le feu. L'alarme-incendie s'est déclenchée. Le tireur s'est alors lui-même servi des hauts-parleurs pour dire: «OC Transpo, c'est maintenant que tu vas payer.» Il est alors arrivé dans le secteur où se trouvait mon mari. Il a tiré dans le dos de Clare, le mari de Barbara, alors qu'il travaillait sur son ordinateur, et il a tiré dans la poitrine de mon mari.

    Il y a eu une enquête du coroner, qui portait essentiellement sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. C'est à cette époque que nous avons découvert qu'en ce jour fatal, nos maris avaient continué à travailler parce qu'ils étaient dans une pièce insonorisée et ignoraient tout de ce qui se passait à l'extérieur. Normalement, un employé aurait dû aller frapper à la porte de cette pièce pour les informer de l'alarme-incendie. Mais ce jour-là, l'employé en question a lui-même été victime du tireur, et c'était chacun pour soi. Je ne reproche à personne de s'être enfui, mais malheureusement, personne n'est allé les prévenir. La police a prouvé que nos maris auraient eu cinq minutes pour se mettre à l'abri entre le moment où le tireur est entré dans le bâtiment et celui où il est arrivé à cette pièce. Ils auraient eu le temps soit d'éteindre la lumière et fermer la porte à clé, soit de quitter le bâtiment.

    La police a mis deux heures à trouver nos maris, parce que cette pièce ne figurait pas sur le plan du bâtiment. Malheureusement, il n'a pas été possible d'en parler à l'enquête du coroner, car la question ne figurait pas à l'ordre du jour. Tout portait sur la violence en milieu de travail, et notre avocat n'a pas pu en faire état.

    Il faut maintenant que vous sachiez comment nous avons été traitées par OC Transpo. Une semaine après que nos maris eurent été tués, nous avons reçu des lettres d'OC Transpo nous apprenant qu'à partir du 30 juin 1999, nous n'étions plus couvertes par les régimes de soins médicaux et dentaires. Par la suite, quand nous avons interrogé la direction d'OC Transpo sur les pensions de nos maris, on nous a dit qu'elles seraient versées comme s'ils avaient pris une retraite anticipée. Nos maris n'ont pas choisi de mourir. Ils ont été assassinés sur leur lieu de travail, dans une pièce insonorisée. Mon mari avait 44 ans et travaillait pour OC Transpo depuis 18 ans. Je vais recevoir environ 30 p. 100 de sa pension de retraite anticipée, et je ne pourrai même pas la percevoir avant 55 ans. Barbara reçoit tout juste de quoi payer ses impôts chaque année.

    Celui qui se blesse au travail reçoit 85 p. 100 de son salaire net de la Commission des accidents du travail. Mais pour celui qui meurt au travail, quelle que soit la cause de la mort, les prestations sont différentes. Comme ma fille a plus de 19 ans et qu'elle va à l'école, elle va toucher 10 p. 100 jusqu'à son premier diplôme ou jusqu'à 25 ans, selon la première éventualité. Actuellement, mon fils et moi-même touchons 75 p. 100 du salaire net de Dave. Cependant, dans deux ans, quand mon fils aura 19 ans, il touchera 10 p. 100 et je vais tomber à 46 p. 100, alors que j'ai deux enfants à la maison. Le montant est calculé en fonction de l'âge du conjoint survivant lorsque son plus jeune enfant atteint 19 ans. Barbara n'avait pas d'enfant à charge, si bien qu'elle ne touche que 51 p. 100, à cause de son âge au moment du décès de Clare. Il est très pénible de devoir dire à ses enfants que non seulement ils ont perdu leur père, mais qu'ils doivent en outre renoncer au niveau de vie auquel ils étaient habitués.

    Nous considérons qu'il faut reconnaître la responsabilité des personnes morales. Les directeurs et les cadres doivent rendre des comptes lorsque leur négligence est prouvée. La sécurité en milieu de travail doit être essentielle pour tout le monde, aussi bien pour les cols bleus que pour les cols blancs. J'approuve le point de vue des Métallos, et nous considérons que ce projet de loi profitera à tout le monde. J'espère que vous serez d'accord et que vous accorderez votre appui à ce changement.

    J'aimerais entrer quelque peu dans les détails de ces premiers jours. La fusillade s'est produite le mardi suivant la longue fin de semaine de Pâques, le 6 avril 1999. Pour moi, cette journée a commencé comme toutes les autres. Dave et moi sommes partis au travail en voiture, il m'a laissée à mon travail, nous nous sommes embrassés en nous disant «À ce soir». Notre routine est la même tous les jours depuis 18 ans. Qui aurait pu penser que cette journée serait différente? C'est pourtant ce jour-là que nos vies ont changé et que nous avons vécu notre pire cauchemar. Nos espoirs et nos rêves ont été brutalement anéantis, et le monde s'est écroulé autour de nous. Chaque jour, au réveil, je me sens entraînée dans un tourbillon différent et je ne sais jamais de quoi la journée sera faite.

Á  +-(1110)  

    Il était environ 15 h 55; encore cinq minutes, et ma journée de travail était finie. Je serais rentrée chez moi pour passer la soirée avec ma famille. Mon amie, qui travaille dans le même bureau que moi, s'est précipitée vers moi et m'a dit: «Je ne sais pas comment te dire cela, Terrie, mais il y a eu une fusillade à OC Transpo; on dit que c'est dans le garage où Dave travaille. On a donné peu de détails à la radio, mais ce serait un ex-employé qui a fait irruption et qui a tiré plusieurs coups de feu». Normalement, j'aurais dû quitter le bureau à 16 h, marcher jusqu'au coin de la rue où Dave aurait été en train de m'attendre. Nous sommes rapidement sorties du bureau pour marcher jusqu'au coin de la rue. Dave n'y était pas. Nous avons attendu anxieusement pendant 45 minutes. Il n'est jamais venu. J'ai pensé qu'on l'avait retardé, qu'il pouvait être en train de répondre à des journalistes ou d'aider ses compagnons. Nous sommes retournées au bureau. J'espérais un message de lui, mais il n'y en avait pas. J'ai essayé de l'appeler à son travail, mais personne ne répondait au téléphone. J'ai appelé chez moi pour voir si Dave avait donné des nouvelles. Mon fils de 14 ans était seul à la maison, car ma fille Stacey, qui a 19 ans travaillait. J'ai demandé à Chris si son père avait appelé, il m'a dit non. Il était très inquiet, parce qu'il avait lui aussi entendu parler de la fusillade aux nouvelles. Je ne voulais pas l'inquiéter davantage, et je lui ai dit de ne pas s'en faire, que son père allait bien et qu'il était sans doute sur le chemin du retour. Je lui ai dit que j'allais retourner au coin de la rue pour le rencontrer et que nous allions bientôt arriver à la maison. Il voulait appeler sa soeur au travail, je lui ai dit de ne pas la déranger, que tout irait bien.

    Nous sommes retournées au coin de la rue, mais il n'y était toujours pas, et mon amie m'a proposé de me conduire au dépôt du boulevard Saint-Laurent. Je pensais qu'une fois arrivée là-bas, j'y trouverais Dave, et que je n'aurais plus à m'inquiéter. Nous sommes arrivées et la police avait bouclé le secteur. Je me suis présentée et j'ai dit à un policier que je voulais voir Dave. Les policiers m'ont dit qu'ils n'avaient pas d'information, mais qu'ils pouvaient me laisser passer afin que je puisse interroger les employés. Malheureusement, aucun des employés n'avait vu Dave depuis la pause de 14 h 30. J'ai appelé les hôpitaux, qui n'avaient aucune information. Je suis retournée voir le policier à qui je m'étais adressée précédemment. Il m'a recommandé de rentrer chez moi. Il a noté mon nom et mon numéro de téléphone et m'a dit qu'il m'appellerait s'il apprenait quoi que ce soit.

    J'habite à Carleton Place, et mon amie m'a ramenée chez moi en voiture. Il devait être 18 h 30 ou 19 heures lorsque nous sommes arrivées. Ma fille Stacey était à la maison avec mon fils, elle avait elle aussi entendu parler de la fusillade. Mes enfants avaient reçu plusieurs appels de la famille, d'amis et de compagnons de Dave qui voulaient savoir s'il était sain et sauf. Nous n'avions toujours aucune information. Nous avons allumé la radio et la télévision pour avoir des nouvelles. On a annoncé un numéro de téléphone auquel on pouvait s'adresser en cas d'inquiétude. J'ai appelé ce numéro, et on m'a dit qu'on ne pouvait me donner aucun renseignement par téléphone, mais que je devrais me rendre à la station de pompiers de l'avenue Industrial. C'est là que j'étais allée une heure et demie plus tôt.

    Finalement, mon amie nous a conduits, moi et les enfants, à la station de pompiers. Je me souviens y être entrée en m'inquiétant du sort de Dave, mais je n'aurais jamais imaginé ce qui nous attendait. Il y avait quelqu'un à la porte de la station de pompiers. Après nous avoir demandé notre nom de famille, il nous a ouvert la porte. Deux officiers se trouvaient là. L'un d'entre eux m'a demandé si j'avais entendu parler de ce qui s'était passé. J'étais de plus en plus impatiente. Tout ce que je voulais, c'était retrouver Dave et sentir ses bras autour de moi. J'étais de plus en plus impatiente. Une femme a dit qu'elle pensait que Dave avait été abattu. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire par là. Elle m'a dit qu'on leur avait remis un corps, mais qu'il ne portait aucune identification. À côté du corps, il y avait un talon de chèque de paye, qui portait le nom de Dave Lemay.

Á  +-(1115)  

+-

    Le président: Prenez votre temps.

+-

    Mme Terrie Lemay: Tout de suite, j'ai voulu savoir où il était pour aller le voir. Cette femme m'a dit que ce n'était pas possible, qu'une enquête criminelle était en cours et que personne ne pouvait pénétrer sur les lieux. Je lui ai demandé si elle avait une photo, elle m'a dit non. J'étais atterrée. Comment pouvais-je accepter une telle information alors que je n'avais rien pour m'en assurer? Elle m'a demandé si nous voulions entrer pour en parler. Moi, je voulais uniquement retourner chez moi, car j'étais certaine qu'il s'agissait d'une erreur et que Dave serait là en train de nous attendre. Malheureusement, ce n'était pas le cas.

    La nuit fut très longue, et chaque fois que la porte s'ouvrait, j'étais certaine que c'était Dave. Ce n'est que vers 6 heures du matin qu'on a annoncé aux nouvelles que quatre personnes avaient été tuées, et j'ai entendu le nom de Dave Lemay. J'étais frappée de stupeur. Il n'était pas rentré à la maison, mais je ne pouvais pas croire qu'il ait été tué.

    Quelques heures plus tard, j'ai reçu un appel de la police qui demandait que quelqu'un vienne identifier le corps. Mes parents ont pensé que l'épreuve serait trop pénible pour moi, mais j'ai insisté pour y aller. C'était mon mari, et personne ne pouvait m'empêcher de le voir. Mon père, ma soeur et moi nous sommes rendus à l'Hôpital Général. On nous a conduits dans une petite pièce où Dave était allongé sur une civière, le corps recouvert d'un drap blanc. Le policier a découvert son visage. On m'a dit que je ne pouvais pas toucher le corps, parce qu'il y avait une enquête policière et qu'on devait faire une autopsie. Je me souviens être restée à côté de lui; je le regardais. J'aurais tellement voulu l'embrasser. J'aurais voulu lui dire que tout allait bien se passer. Je pensais que c'était un mauvais rêve et que tout allait s'arranger. Je suis restée là à pleurer. Je ne pouvais y croire. Comment pouvait-il se faire que Dave soit là, mort d'une balle dans la poitrine? Ce sont des choses qu'on voit à la télévision, mais qui ne sont pas censées se passer en réalité.

Á  +-(1120)  

+-

    Mme Barbara Davidson (Veuves OC Transpo ): Je vous remercie de nous écouter. J'ai le sentiment de parler au nom de mon mari, d'être son porte-parole, puisqu'il ne peut plus s'exprimer lui-même. Si je vous donne l'impression de m'égarer quelque peu, c'est sans doute parce que je m'égare.

    Nous avons appris à nos enfants à assumer la responsabilité de ce qu'ils font, mais dans notre magnifique pays, les sociétés pour lesquelles leurs pères et mères travaillent ne sont pas responsables de ce qu'elles font, et j'ai bien du mal à expliquer cela. Les Métallurgistes unis nous ont appris que l'Australie et la Grande-Bretagne avaient modifié leur code criminel. Ma fille et moi-même avons bien du mal à comprendre pourquoi, dans notre pays que nous aimons tant, que nous avons toujours trouvé si juste et si avancé, on ne peut pas se mettre d'accord pour faire la même chose dans le cas de notre cher disparu et des autres travailleurs. J'espère que grâce à la rencontre d'aujourd'hui, je pourrai dire à ma fille qu'on nous a entendus et que les parlementaires se sont engagés à nous doter d'une loi grâce à laquelle ce qui est arrivé à son père ne pourra plus se produire à l'avenir, et que chacun sera tenu responsable de ses actes, qu'il s'agisse de l'entretien des détecteurs de fumée dans un appartement, du PDG d'une société, du maire d'une ville ou des responsables de la sécurité en milieu de travail.

    On parle toujours de l'essentiel: aucun PDG n'accepterait de gérer une société s'il était tenu responsable de tout. La question qui vient alors à l'esprit, c'est de savoir de quoi les PDG ont peur? S'ils gèrent une société responsable, qu'est-ce qui pourrait bien arriver de fâcheux? Un PDG devrait s'assurer que ses travailleurs sont en sécurité car dans ce cas, il y aura moins d'accidents en milieu de travail, moins de blessures, il n'y aura pas de décès et les travailleurs voudront conserver leur emploi, ils manifesteront un engagement total vis-à-vis de l'entreprise, sachant que leur PDG s'inquiète de leur sort. Je suis certaine qu'il existe actuellement des sociétés où les choses se passent ainsi, que vous êtes en mesure de les trouver et de voir comment elles fonctionnent, de façon à montrer à toutes les autres que c'est possible. C'est gérable, c'est rentable et c'est commercialement viable. Pourquoi ne pas suivre cet exemple?

    Après la fusillade d'OC Transpo, lorsque nous avons repris nos esprits, les policiers nous ont rencontrées à deux reprises. Ils ont eu la décence de reconnaître qu'ils avaient fait des erreurs, qu'ils s'étaient fourvoyés, mais ils ont travaillé avec nous pour faire changer les choses, à cause des événements entourant cette fusillade. En fait, ils voulaient entendre ce que nous avions à dire. Ils nous ont demandé: «D'après vous, où est-ce que nous nous sommes trompés? Quels changements faudraient-ils apporter pour que ce genre d'erreur ne se reproduise plus? Nous les avons rencontrés une deuxième fois pour évoquer les changements qu'ils avaient apportés, et ils nous ont dit que notre aide leur avait été précieuse. Pendant ce temps-là, qu'a fait la compagnie pour laquelle mon mari travaillait? Personne n'a voulu nous parler. Pourquoi? Tout ce que nous souhaitions, c'était d'apporter notre aide pour que les choses changent.

Á  +-(1125)  

    L'affaire a tant dégénéré qu'à présent, on nous a demandé de quitter les lieux. Nous nous inquiétons beaucoup des gens qui sont toujours là-bas. Rien ne nous redonnera nos maris, mais je ne voudrais pas qu'une autre famille connaisse la même épreuve que nous quand je sais que l'on peut changer l'environnement de travail pour le rendre plus sécuritaire. Ce n'est pas la seule entreprise qui nous inquiète. Le sort des travailleurs de partout au Canada nous préoccupe. Nous craignons que des hommes ne rentrent pas chez eux le soir ou qu'ils ne puissent pas accompagner leurs filles à l'autel le jour de leur mariage.

    Lorsque nous avons rencontré la ministre du Travail—nous l'avons rencontrée à quelques reprises d'ailleurs—elle a laissé entendre que puisque ces hommes avaient délibérément pénétré dans la pièce, ils avaient accepté la responsabilité de leurs actes même si son propre personnel a fait savoir qu'on jugeait les comités de santé et sécurité au travail dysfonctionnels chez OC Transpo. Je suppose que cela signifiait que les travailleurs ne savaient pas comment se protéger adéquatement dans leur lieu de travail et qu'à présent, la direction travaillera avec eux pour tenter de leur faire comprendre leurs droits et leurs responsabilités, mais à mon avis,cela doit commencer en haut de l'échelle et inclure jusqu'aux ouvriers d'atelier.

    Il existe une disposition du Code du travail qui permet d'inculper et d'imposer une amende à une entreprise. Toutefois, la ministre elle-même nous a déclaré qu'elle n'avait jamais intenter de poursuites pour simple négligence. Si on ne fait jamais d'enquête pour savoir s'il y a effectivement négligence sur les lieux de travail, j'imagine qu'on ne le saura jamais. Il existe des lois, mais les lois n'ont de valeur que si on les applique. Il nous faut un Code criminel plus musclé pour que les gens comprennent que ces ouvriers là ont aussi leur importance. Si l'on accepte les versements de la CSPAAT, on renonce à toute poursuite; c'est l'un ou l'autre. Nous avons consulté un avocat et à son avis, le règlement maximal aurait été de 60 000 $. Ce montant ne couvrirait même pas ses honoraires d'avocat. Comme chef de famille responsable du bien-être des siens, quel autre choix vous reste-t-il?

    Pour en revenir à l'argument comme quoi «ils ont accepté de pénétrer dans la pièce tout en sachant qu'il y avait des risques», une multitude d'autres questions se posent. D'abord, si vous quittez volontairement votre emploi, vous n'avez pas droit aux prestations d'assurance-emploi. Si, par bonheur, vous trouvez un autre emploi, on vous demandera des références. Citeriez-vous l'entreprise qui a tenté de vous tuer? Quels autres choix ces employés ont-ils?S'ils quittent volontairement leur emploi, qu'adviendra-t-il de leurs femmes et de leurs enfants, de leur hypothèque, de leur prêt, et des impôts qu'ils ont à payer? Bien d'autres obligations leur incombent?ucoup de choses dépendent d'eux. Il est facile de juger quand on ne se trouve pas dans leur situation et de dire que l'intéressé n'a qu'à refuser de travailler. Il faut savoir ce qu'il pense, il faut se mettre à sa place avant de le juger. C'est ce que nous vous demandons de faire.

    Je n'ai pas entendu tout l'exposé de Bev, mais je voudrais que vous rappeliez qu'il ne faut pas tenter d'occulter le problème en s'écartant du sujet. Ce que je vous demande, à vous tous réunis dans cette pièce aujourd'hui, c'est de vous engager à ne pas vous écarter de ce principe fondamental. Je veux que vous promettiez de travailler à la protection des travailleurs de notre pays.

    Merci.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Merci beaucoup. Je sais combien il vous est difficile de nous relater votre expérience et nous vous remercions d'avoir eu le courage de venir témoigner.

    Monsieur Bennett.

+-

    M. David Bennett (directeur national, Santé, sécurité et environnement, Congrès du travail du Canada): Merci.

    Je veux d'abord remercier le comité de la justice de permettre au Congrès du travail du Canada de témoigner au sujet de cette importante question qui est cruciale pour l'intérêt du public. Le CTC représente 2,2 millions de personnes travaillant dans les secteurs public et privé au Canada. Ses principaux affiliés comprennent les Métallurgistes unis d'Amérique, qui ont amorcé les efforts déployés pour faire figurer dans le Code criminel du Canada le nouveau crime de meurtre patronal. Je tiens aussi à remercier le Bloc québécois de s'être assuré que la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec puisse témoigner. Le CTC représente aujourd'hui toutes ces fédérations de travailleurs dont la FTQ.

    Nous marquons aujourd'hui le dixième anniversaire de la catastrophe de la mine Westray à Stellarton , dans lequel 26 mineurs ont péri ensevelis par suite d'une série d'événements à l'égard desquels la société (Curragh Inc.) et ses administrateurs auraient dû être tenus criminellement responsables. Jusqu'à présent, aucune personne morale ou individu n'a été traduit en justice relativement à cette catastrophe qu'il aurait été tout à fait possible de prévenir. Ce sont des cas comme celui de la Westray et d'autres où des travailleurs et travailleuses sont tués ou blessés par suite d'actes coupables que les amendements au Code criminel sont conçus pour régler.

    Nous devons nous rappeler que le juge Richard a critiqué de façon cinglante le régime de santé et de sécurité au travail de la Nouvelle-Écosse qui a permis à Curragh d'exploiter la mine d'une manière qui a donné lieu à un meurtre patronal. Il jugeait le gouvernement de la Nouvelle-Écosse si inepte qu'il recommandait de confier au gouvernement du Canada ses pouvoirs en matière de santé et de sécurité. Cela n'est pas arrivé. De plus, l'administration de la santé et de la sécurité en Nouvelle-Écosse ne s'est guère améliorée. La loi sur la santé et la sécurité au travail de la Nouvelle-Écosse a été modifiée, mais non de manière à ordonner aux autorités de mise en application de la loi de surveiller de près les employeurs odieux tels que Curragh et de les obliger à respecter la loi.

    Comme bien d'autres autorités de la santé et de la sécurité au Canada, y compris celles du ressort fédéral, les autorités de la Nouvelle-Écosse mettent en oeuvre une politique de «conformité volontaire» à la réglementation ou de «responsabilité interne», ce qui signifie que le gouvernement se dérobe à pratiquement toute responsabilité à l'égard de la santé et de la sécurité dans son champ de compétence. La visite d'un lieu de travail par un inspecteur ou une inspectrice est un fait exceptionnel plutôt que courant. Cela veut dire que les inspecteurs et les inspectrices ferment les yeux sur des conditions de travail et des pratiques de gestion dangereuses. Même quand les mesures de mise à exécution de la loi sont prises, elles ne consistent qu'à livrer un document, comme en témoigne l'usage répandu de la Promesse de conformité volontaire (PCV) en vertu de la Partie II du Code canadien du travail (Santé et sécurité).

    Les régimes actuels d'administration de la santé et de la sécurité--qui se ressemblent beaucoup dans les 13 ressorts du Canada--sont nés pendant les années 1970. Le Congrès du travail du Canada et ses fédérations provinciales et territoriales du travail étaient au premier plan de la campagne pour l'instauration de régimes assurant la santé et la sécurité de tous les travailleurs et les travailleuses, quel que soit le secteur dont ils font partie ou le type de travail qu'ils accomplissent. C'était une initiative très nécessaire qui a servi l'intérêt du public dans un domaine central de l'hygiène du milieu. Pendant deux décennies, le système a fonctionné très bien ou plutôt bien. Les différents dangers du travail ont été assujettis à des règlements précis en vertu des lois sur la santé et la sécurité au travail, les travailleurs et les travailleuses ont été habilités par l'imposition de la création de comités mixtes de santé et de sécurité et l'établissement du droit légal de refuser un travail dangereux pour la santé ou la sécurité, et les inspecteurs et inspectrices ont mis la loi à exécution, souvent en recourant au comité mixte en tant que premier point de contact en milieu de travail. La plupart des employeurs reconnaissaient la loi et bon nombre d'entre eux avaient pour politique de voir à ce que leurs activités soient conformes à la réglementation, avec ou sans surveillance gouvernementale.

    Le système a commencé à se détériorer pendant les années 90, sous l'effet de la déréglementation et des efforts méthodiques faits par certaines entreprises pour que les gouvernements les laissent tranquilles. Les règlements ont stagné, les nouveaux dangers n'y étant pas reconnus. Les règlements qui demeuraient en vigueur se sont assortis de normes ou de modes d'établissement de normes plus faibles. La principale forme de déréglementation a consisté à cesser de mettre la loi en application. Les directions de l'exécution de la loi ont été radicalement affaiblies dans le cadre de démarches euphémiques telles que la «rationalisation», et les inspecteurs et inspectrices ont été amenés, par persuasion ou intimidation, à suivre la politique de la conformité volontaire, qui permet aux employeurs de se conformer à la loi seulement s'ils le désirent. L'Ontario, par exemple, a aboli le soutien technique des inspecteurs et inspectrices et permis à ceux-ci de traiter par téléphone de cas tels que le refus de travailler. L'Alberta a privatisé ses services d'inspection et continué d'exiger la création de comités mixtes du lieu de travail seulement si le ministre y consentait.

Á  +-(1135)  

    Les poursuites criminelles n'ont jamais constitué des éléments majeurs des régimes de santé et de sécurité. Cependant, vu la dégradation du système, il y a eu des appels à l'augmentation des poursuites en raison de la diminution des décisions ou instructions des inspecteurs ou inspectrices. Cela ne s'est pas matérialisé. Les poursuites sont encore rares et, quand elles sont fructueuses, les peines imposées--habituellement à l'entreprise plutôt qu'à des personnes--sont faibles, même si la plupart des lois prévoient des sanctions plus rigoureuses. L'existence du système d'indemnisation des accidents du travail empêche les travailleurs ou travailleuses ou les familles qui leur survivent de poursuivre un employeur en dommages-intérêts pour perte de vie ou de moyen de subsistance. Il en résulte que des employeurs tels que Curragh s'en sont tirés indemnes et que les cadres responsables se sont moqués de ceux qui réclamaient qu'ils soient traduits en justice en Nouvelle-Écosse. Rien ne saurait mieux illustrer le besoin d'assujettir au droit criminel le crime du meutre patronal. On voit bien aussi que la conformité à la loi ne peut être assurée qu'en présence d'un syndicat fort. Il n'y avait pas de syndicat à la mine Westray au moment de l'explosion, et les employés qui protestaient contre les conditions de travail se faisaient réduire au silence par l'intimidation.

    Nous appuyons fermement la teneur du projet de loi C-284. Il s'agit d'un projet de loi très soigneusement établi, et la mention de la «culture du lieu de travail» est particulièrement bienvenue. Les membres du comité voudront peut-être obtenir des garanties que les dispositions ne serviront pas à des fins auxquelles elles n'ont pas été prévues, comme le chapitre II de l'ALÉNA--investissement--qui sert à punir les gouvernements qui prennent des mesures légitimes de protection de l'environnement. Nous demandons simplement au comité d'examiner le projet de loi de façon approfondie pour voir s'il porte sur les cas de vraie culpabilité. Il est clair que ce ne sont pas tous les cas de décès ou de blessures graves qui donneront lieu à des poursuites au criminel pour meurtre patronal.

    Le projet de loi devrait permettre d'atteindre trois objectifs. Premièrement, il devrait donner lieu à des poursuites dans les cas où il y a lieu de croire qu'une entreprise ou ses cadres sont coupables des délits stipulés. Deuxièmement, il devrait servir à indiquer aux administrateurs et dirigeants de toute entreprise que le fait de se dérober à sa responsabilité est un crime en soi. Troisièmement, il indiquera aux autorités de la santé que si la loi n'est pas dûment mise à exécution, leurs pouvoirs seront confiés au gouvernement du Canada comme, peut-on soutenir, le juge Richard l'entendait.

    Justice sera faite aux familles des mineurs de la Westray qui seront assurées que l'on fait tout ce qu'il est possible de faire pour que leurs fils et leurs filles ne risquent pas de périr dans une tragédie semblable. Comme l'ensemble du droit criminel, le projet de loi devrait avoir pour effet de réduire le crime ainsi que de traduire ses auteurs en justice. En ce dixième anniversaire de la tragédie de la Westray, le comité de la justice ne pourrait faire mieux que de déclarer sa ferme intention de prendre les mesures relevant de son mandat qui consistent à défendre les droits de la personne et à voir à ce que justice soit faite.

    Ce mémoire est respectueusement présenté au nom du Congrès du travail du Canada. Merci, monsieur le président.

+-

    Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci, monsieur Bennett, et merci à tous les témoins de s'être déplacés ce matin.

    Monsieur Toews, sept minutes.

+-

    M. Vic Toews: Merci beaucoup.

    J'apprécie beaucoup les témoignages de nos invités. Le comité a certainement pu observer directement comment la violence en milieu de travail se répercute dans la vie des travailleurs, mais aussi de leur famille. Certaines déclarations vont bien au-delà de la portée de ce projet de loi, et pourtant, je crois très utile pour les membres du comité d'entendre ces observations sur le traitement qui est réservé aux victimes par notre système de justice pénale. C'est une question que mon collègue M. Sorenson, notre porte-parole pour le ministère du Solliciteur général et moi-même avons soulevée à maintes reprises ainsi que d'autres membres du comité des deux côtés de la Chambre. Vu la façon épouvantable dont les témoins ont été traités suite à cette terrible fusillade, et je suis heureux d'apprendre que la police tente de corriger ses propres torts. J'espère que cela servira d'exemple, non seulement pour les policiers de ce corps de police, mais aussi pour d'autres forces de l'ordre afin qu'on améliore le traitement réservé aux victimes. Cela nous rappelle à tous qu'il faut traiter les victimes avec respect.

    Les questions dont nous sommes saisis et qui ont été abordées par nos témoins nous rappellent que tout le monde a des comptes à rendre en milieu de travail. Toute personne qui occupe un poste de gestionnaire ou qui peut apporter des changements doit assumer ses responsabilités. Nous avons entendu des commentaires qui nous ont laissé perplexes au sujet des règlements sur la santé et la sécurité au travail, un domaine de la compétence des provinces, et, nous invitons nos homologues provinciaux à ne pas abandonner leurs efforts d'amélioration de ces régimes de protection.

    On remarquera que les lois sur la santé et la sécurité au travail ont été adoptées au début des années 70, et cela dans le but d'éviter des poursuites criminelles plutôt que de changer les mentalités grâce à l'éducation et à la coopération. Cela sous-tendait que les poursuites criminelles ne parvenaient pas à provoquer des changements dans la culture de travail. C'est ce que nous révèle par exemple, la lecture du Hansard tiré des années 70, lorsque le Manitoba a adopté sa loi. Je crois que c'est le rédacteur de ce projet de loi, M. Rabinovitch, qui a déclaré: «Nous voulons éviter les poursuites criminelles et tenter d'améliorer nos efforts de coopération et d'éducation.»

    Je crois que les témoins ont indiqué qu'il ne s'agit pas simplement de choisir l'un ou l'autre, mais plutôt d'assurer un juste équilibre entre les deux. La principale difficulté pour nous aujourd'hui consiste à tirer la leçon non seulement des expériences vécues par nos témoins, mais aussi de nos antécédents juridiques et à rédiger une meilleure loi afin de ne pas passer à côté d'un important moyen d'assurer la sécurité de nos travailleurs.

    Je sais que cette question vous semblera peut-être un peu technique, et peut-être ne pourrez-vous pas y répondre, mais j'aimerais bien savoir si la question de cette pièce a été soulevée par le comité de santé et de sécurité au travail auprès des dirigeants de l'entreprise avant la tragédie? Quelqu'un a-t-il été mis au courant de la situation et a-t-on pris des mesures? J'aimerais bien le savoir, si vous avez des preuves.

Á  +-(1140)  

+-

    Mme Barbara Davidson: D'accord, mais vous devez savoir que le comité de santé et sécurité au travail était très boîteux. Comme ses membres ne savaient pas que les plaintes devaient être soumises par écrit, la plupart d'entre elles étaient verbales et faites à n'importe qui. Elles ne se rendaient pas bien loin et l'intimidation était rampante.

+-

    M. Vic Toews: Dans ce cas précis, s'il n'y avait pas de plaintes écrites, il y aurait sans doute des problèmes juridiques si nous voulions tenir les dirigeants responsables. Cela me démontre qu'il nous faut des mécanismes de justice criminelle musclés, mais aussi une loi sur la santé et la sécurité au travail beaucoup plus fonctionnelle, parce que pour prouver la culpabilité des dirigeants, il nous faut des traces écrites. Il faut que les systèmes judiciaires fédéral et provinciaux, ainsi que les organismes responsables de l'application de la loi travaillent ensemble.

+-

    Mme Barbara Davidson: Comme vous l'avez dit, la Loi sur la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail avait pour but de mettre l'accent sur la sécurité en milieu de travail plutôt que sur les poursuites criminelles. Cette initiative dépendait de la bonne volonté des entreprises, des organismes de réglementation, qu'ils soient provinciaux ou fédéraux, et des contrôles de sécurité faits par des agents ou des fonctionnaires. Au cours des dernières années, nous savons qu'il y a eu beaucoup de rationalisation et que les profits sont de plus en plus difficiles à réaliser. Qui en a subi les conséquences? Les travailleurs.

Á  +-(1145)  

+-

    M. Vic Toews: Je crois que ce que vous dites, montre bien que ce n'est pas seulement une question d'éducation, mais aussi de sanctions pénales.

+-

    Mme Barbara Davidson: Je crois que l'un dépend de l'autre. L'entreprise est responsable de la santé et sécurité dans son milieu de travail. Elle doit s'assurer que les employés reçoivent des instructions claires sur la santé et la sécurité, que son comité est fonctionnel, que ses membres connaissent leurs droits, qu'ils ont une formation adéquate, et qu'ils sont accrédités. Ces hommes ne savaient même pas ce qu'était l'accréditation. Ils faisaient ce qu'on leur demandait, essentiellement parce que c'est comme cela que le comité fonctionnait depuis des années. Ils ne connaissaient rien d'autre. C'est lorsque Terrie et moi-même avons commencé à poser des questions et à attendre des réponses qu'on nous a permis de rencontrer le chef pompier, le syndicat, le comité de santé et sécurité, la CSTAAT et les représentants du ministère provincial du Travail à qui nous avons posé les questions suivantes: Que s'est-il produit? Pourquoi cela s'est-il produit? Comment a-t-on permis la construction de cette pièce? Comment une salle insonorisée pouvait-elle ne pas être équipée d'un avertisseur incendie? On s'est renvoyé la balle et personne ne semblait vouloir répondre. Il faudra pourtant répondre. Quelqu'un est responsable. Nous n'avons jamais eu de réponses à nos questions. Nous ne les avons toujours pas aujourd'hui.

+-

    Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci, madame Davidson.

    Monsieur Lanctôt, sept minutes.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Je vous remercie de vos témoignages, tous les trois. C'est toujours un peu déboussolant d'entendre de telles choses. C'est la première fois que j'entends directement des témoins raconter ce qui s'est passé à OC Transpo.

    Comme vous le savez, je suis du Bloc québécois. J'ai toujours le réflexe de faire attention quand il s'agit de ces compétences-là. Or, pour tout ce que vous me racontez, les lois des provinces sont là. Est-ce au niveau de l'application qu'on a manqué? Qu'est-ce qui arrivait au niveau de l'inspection et tout? Dans plusieurs cas, c'est lorsque l'application des lois est déficiente que se produisent des catastrophes comme celle que vos maris ont subie et que vous subissez encore.

    Je comprends qu'on veuille mettre la négligence criminelle dans le Code criminel et je suis d'accord. Je pense que vous avez sensibilisé énormément tous les membres du comité et que vous nous avez incités à examiner à fond cet aspect. Mais je vais aussi voir à ce qu'il n'y ait pas d'empiétement là-dessus. Vos commentaires font beaucoup réfléchir.

    Est-ce un manque de ressources? Je ne le pense pas: les lois sont là. Est-ce qu'elles sont mal appliquées? Il faut faire le travail aussi dans chacune des provinces, et non pas seulement au fédéral, je pense. Il faut examiner ces aspects.

    Est-ce qu'il y avait un syndicat chez vous? Je pense que oui. Il faut que les travailleurs soient protégés partout, par les entreprises, par les syndicats, par eux-mêmes, par l'application des lois existantes et, peut-être, par les nouvelles lois qu'on adoptera. Je suis d'accord avec vous, mais c'est préoccupant de voir qu'on essaie de dire que des êtres humains qui doivent travailler et dont le conjoint et les enfants vivent très bien auraient dû faire une telle annonce; ils l'avaient sûrement faite. Je trouve troublant d'entendre de telles choses.

    On doit écouter les travailleurs. On doit écouter les employés. Plus on entend parler de ces catastrophes, plus j'espère qu'on minimisera, par l'introduction de dispositions dans le Code criminel, s'il le faut. Je suis d'accord avec vous, mais il faut regarder d'une façon large. Je ne veux pas porter des ornières pour faire un débat sur les syndicats et les patrons. Je ne veux pas que ce soit cela. Je ne veux pas que le comité soit pris dans cet engrenage-là.

    Mon but, personnellement et en tant que député du Bloc québécois, est que le projet de loi qui sera présenté ou étudié respecte les travailleurs, et non pas faire un combat entre syndicats et entreprises, personnes morales, administrateurs ou dirigeants. Je ne veux pas que ça prenne cette tangente.

    Par contre, si on établit une loi comme celle-là sur la responsabilité criminelle de personnes morales, je veux que ça touche toutes les personnes morales, autant les municipalités--on en parlait plus tôt--que d'autres personnes. Si on en arrive à dire qu'il faut une telle loi, ça peut toucher aussi les syndicats.

    L'exemple que je donnais à Mme Desjarlais et que j'ai donné aux métallos hier, c'est celui d'une compagnie qui n'a pas beaucoup de moyens, où il y a un syndicat, et où la recommandation--je sais bien que ce n'est pas eux qui vont administrer la compagnie, mais je prends l'exemple d'une recommandation venant d'eux à la lumière de commentaires venant de leurs employés--mène vraiment à un cas de négligence criminelle. Eux aussi devraient être coresponsables, avec les administrateurs et dirigeants.

    Je ne crois pas qu'on soit à côté des principes, parce que le principe que je vois aujourd'hui en est un visant à protéger les travailleurs. Et j'espère qu'on ira dans ce sens-là.

Á  +-(1150)  

    Est-ce que je peux avoir vos commentaires là-dessus?

[Traduction]

+-

    Mme Barbara Davidson: Vous avez parlé des lois provinciales. OC Transpo est en fait régie par le code fédéral parce que cette entreprise est à cheval sur deux provinces. Je suppose qu'il y a un manque de financement à la fois fédéral et provincial. Encore une fois, c'est pourquoi cela doit faire partie du Code criminel parce que nous ne croyons pas qu'autrement, une entreprise pourra le prendre au sérieux.

    Encore une fois, je ne veux pas qu'on envoie des gens en prison, je ne veux pas que des entreprises aient à payer de lourdes amendes. Ce que je veux, c'est le bien-être de nos travailleurs. Je veux m'assurer lorsqu'ils entrent au travail qu'ils sont dans un endroit sécuritaire, qu'ils savent ce dont ils sont responsables et ce qu'il leur est permis de faire, qu'ils ont le droit de se plaindre auprès de quelqu'un, qu'ils n'ont pas besoin de s'inquiéter de se faire renvoyer, et qu'ils tentent d'améliorer la situation de leur entreprise en protégeant les travailleurs qui la composent. Toutefois, les changements doivent d'abord se faire chez les têtes dirigeantes. Un article du National Post du jeudi 9 mai était très clair à cet égard: «Clifford Frame pourra s'attendre à un accueil glacial sur la côte est». Cet homme veut ouvrir une nouvelle mine. La perte de 26 vies n'était pas suffisante? Souhaite-t-il en sacrifier 26 autres ou encore davantage?

    Je suppose que je suis naïve, mais si quelqu'un agit injustement... J'en reviens à l'éducation de nos enfants: ne leur dit-on pas que s'ils font une erreur, ils doivent l'avouer et en subir les conséquences. Si vous n'avez pas de conscience, il faut que le Code criminel vous fasse payer pour les préjudices causés à autrui.

    Je vais lire quelques lignes. Je suis désolée, mais cette situation est fort troublante et je n'arrive toujours pas à y croire:

M. Frame est un administrateur et un actionnaire important de l'entreprise torontoise qui souhaite exploiter une mine de zinc désaffectée au nord-ouest de Halifax. Il y a une dizaine d'années, dans la mine de charbon Westray, un autre projet néo-écossais exploité par M. Frame, une explosion au méthane a résonné dans les tunnels et s'est soldée par 26 morts, ensevelis sous les débris.

À présent, il veut récidiver.

    Un peu plus loin--je n'arrive toujours pas à y croire, encore une fois, je suis très naïve: «Il sollicitera sans doute un financement fédéral et provincial pour rouvrir la mine.» Incroyable!

Á  +-(1155)  

+-

    Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci.

    Monsieur Blaikie, sept minutes.

+-

    M. Bill Blaikie: Monsieur le président, il me semble que pour ce qui est de la tragédie d'OC Transpo, une salle insonorisée dépourvue d'un avertisseur incendie est en quelque sorte une preuve prima facie. Quelqu'un a été négligent. Il serait difficile de déclarer le contraire. Je comprends pourquoi on a insonorisé cette salle. Je suppose que les gens qui y travaillent s'isolent ainsi du bruit des autobus. Dans certains cas, les conditions de santé et sécurité au travail nécessitent l'isolation du bruit, mais l'isolation d'un avertisseur incendie est une toute autre chose. On semble croire qu'il faut s'en remettre aux indications visuelles comme la fuite des gens qui tentent de s'échapper par la fenêtre ou la porte, peu importe. C'est absurde et ridicule. Je comprends que vous trouviez que cela a causé la mort de vos maris.

    D'autre part, monsieur le président, même si nous parlons de l'entreprise privée, ce n'est pas une chasse aux sorcières contre le secteur privé, mais tout simplement contre les responsables. Dans le cas, il s'agit d'une société municipale, mais que ce soit une société d'État, une société provinciale ou municipale ou privée, c'est du pareil au même. Il se trouve que Westray était une entreprise privée, mais je ne voudrais pas que l'on croit, étant donné que nous avons beaucoup parlé de Westray--ce qui est bien normal--que les autres entreprises, plus particulièrement les sociétés publiques, ne seraient pas visées par la loi. Ce ne serait pas acceptable.

    Monsieur Bennett, pourriez-vous nous expliquer dans quelle mesure la déréglementation des dernières années, puisque c'est devenu une préoccupation presque idéologique au cours des années 80, a contribué à la détérioration de la sécurité au travail?

+-

    M. David Bennett: Il y a deux aspects à cela. Dans les années 80, la plupart des employeurs acceptaient la loi, la respectaient et certaines entreprises avaient pour la politique de se conformer au règlement, que des inspecteurs les talonnent ou non. La déréglementation ou le manquement à faire respecter la loi a fait naître l'idée chez certains employeurs, même chez de bons employeurs, qu'ils n'ont pas vraiment à s'en préoccuper, parce qu'ils ne verront aucun inspecteur; qu'ils n'ont pas à prendre au sérieux la loi ni les détails de la réglementation, parce que ce sont là essentiellement des questions d'observation facultative des dispositions de la loi. Quoi qu'il en soit, ils pouvaient soutenir que la loi visait à faire en sorte que les parties intéressées dans les milieux de travail devaient régler cela entre elles, sans la moindre intervention gouvernementale. Ce n'est pas dans cet esprit, en fait, qu'est née la loi, mais ils pouvaient faire valoir ce raisonnement, si bien que même de bons employeurs ont fini par se dire que la loi sur la santé et la sécurité n'importait pas vraiment, qu'ils pouvaient s'occuper de santé et de sécurité au travail en fonction de leur propre culture d'entreprise, parce que ce qu'ils faisaient n'avaient plus rien à voir avec l'intérêt public.

    Deuxièmement, certains employeurs, et Clifford Frame et Curragh en sont des exemples, ne se sont jamais préoccupés de la loi, de la culture et des pratiques relatives à la santé et à la sécurité, qui au Canada ont suivi sensiblement la même évolution que dans la plupart des pays industrialisés. Cela n'avait pas vraiment grand chose à voir avec les dispositions de la réglementation de l'exploitation minière, la question d'un comité mixte sur la question de respecter le droit des employés de refuser de travailler. Toutes ces choses n'avaient absolument rien à voir. C'est un cas manifeste d'irresponsabilité et d'insensibilité de la part d'une entreprise et l'exemple type de gens qu'il faudrait poursuivre en vertu d'un amendement au droit pénal—je parle de Curragh et Clifford Frame. Frame aurait dû être emprisonné pour une longue période, au lieu de quoi il a eu le culot de se présenter en Nouvelle-Écosse pour exiger que la même vieille organisation corrompue qu'il avait installée à Westray se perpétue—ayant, soit dit en passant, échappé de justesse à des poursuites au criminel pour avoir renversé un employé avec un bulldozer en Amérique du Sud.

    Voilà le genre d'individu, le genre d'entreprise dont il est ici question. Mais nous devons bien dire, je pense, que même si le système fonctionne adéquatement, il faudra néanmoins apporter une modification au Code criminel. Posons ainsi les choses: mieux le système fonctionne, mieux les autorités provinciales, territoriales et fédérales font leur travail, moins on aura besoin d'invoquer le Code criminel, parce que c'est là. On en a besoin parce qu'il y aura toujours des employeurs comme Curragh, mais en outre la loi aurait un véritable effet dissuasif. Elle mettrait au défi les autorités provinciales de faire leur travail, faute de quoi le gouvernement du Canada s'en chargerait. Pour Curragh, cela signifierait que quoi, qu'il en pense, il ne pourrait plus s'en tirer ainsi.

  +-(1200)  

+-

    M. Bill Blaikie: De plus, pour ce qui est des manquements à l'application de la loi, même si en tant que président d'entreprise on agit de façon éthique, on peut avoir comme concurrent quelqu'un qui se montre peu scrupuleux, parce qu'il sait qu'aucun inspecteur ne se présentera. Par conséquent, il peut rogner les dépenses de production, si bien qu'à un moment ou l'autre le bon employeur sera acculé à la faillite ou commencera à suivre le mauvais exemple de l'autre. Il en est de même si l'on ne peut pas imposer de sanctions pénales appropriées, parce que quelqu'un qui sait qu'il n'y a pas de sanctions possibles et qui fait montre d'une telle inclination va rogner les coûts, réduire les coûts de production et acculer à la faillite celui qui ne partage pas son optique.

    Qu'il s'agisse d'exécution de la loi ou de responsabilité pénale, il faut veiller aux deux afin de s'assurer que ce genre de concurrence ne joue pas. Parfois on en fait l'éloge, mais je pense qu'elle peut dans les faits avoir des résultats assez néfastes.

+-

    Le président: Merci.

    Peter MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président, et je remercie M. Bennett et plus particulièrement Mme Davidson et Mme Lemay pour leur témoignage très touchant sur ce qui s'est passé. Je pense qu'on nous a rappelé ainsi la dimension humaine de notre rôle au comité.

    Il y a des similitudes troublantes entre ce qui se passe certains milieux de travail au pays quand, notamment dans le cas de Westray, à la suite de nombreuses omissions, des mesures qui n'ont pas été prises ont entraîné des tragédies et des désastres. D'une certaine façon, c'est aussi ce qui est arrivé à OC Transpo. On aurait pu prendre des mesures proactives, des mesures de prévention. Parce que quelqu'un avait décidé de ne pas prendre de telles mesures, de ne pas prendre la responsabilité d'apporter les changements nécessaires ni de mettre en place les garanties voulues, nous avons vu ce qui s'est passé. Il faut s'en souvenir, parce que je pense que cet exemple doit servir de toile de fond.

    Votre témoignage et celui des autres témoins nous rappellent que cette tâche nous incombe maintenant. Nous savons maintenant que quelque chose doit être fait. Comme M. Bennett vient tout juste de le dire, il y a des conséquences à cela, il faudrait des modifications au Code criminel qui constituent une mise en garde claire signifiant que si l'on ne fait pas certaines choses ou que si l'on fait certaines choses, il y aura un prix à payer, pas seulement un coût pour l'entreprise, une amende ou la perte d'une déduction d'impôt, mais une peine à purger en prison. Je pense que c'est ce que nous essayons maintenant d'inclure dans la loi. Nous devons formuler une disposition qui ait cet effet dissuasif. Les entreprises sont incitées à faire certaines choses, à respecter les échéances, à veiller à leur rentabilité. Il doit y avoir des mesures de dissuasion pour que ces considérations n'aient pas préséance sur la vie et la sécurité des travailleurs. Cela fait partie de l'équation.

    J'aimerais poser une courte question sur la nécessité de protéger les dénonciateurs, ceux qui sont au fait de manquements en milieu de travail et qui sont disposés à communiquer cette information. Il me semble qu'il faut entre autres choses leur donner des garanties, afin qu'une personne ne risque pas de perdre son travail et son gagne-pain pour avoir eu le courage de venir dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas et qu'il faut y remédier. Je pense qu'il ne faut pas que nous acceptions qu'interviennent dans ces cas des luttes de pouvoir ni des questions de partage des compétences entre les divers paliers de gouvernement. Il faut aussi accroître la reddition de comptes de la part des inspecteurs. La faute est imputable en grande partie aux administrations et aux dirigeants de Westray, mais il faut aussi blâmer dans une large mesure les inspecteurs qui sont allés sur place et qui, semble-t-il, ont minimisé, pour quelque raison que ce soit, le danger encouru. Le Code criminel, les mesures de dissuasion, les conséquences sont à examiner, mais aussi des mesures qui donnent aux travailleurs la confiance voulue pour communiquer des faits et dire: «nous savons qu'un danger est imminent, nous voulons que vous le sachiez», sans avoir à craindre d'avoir à payer pour ni de perdre leur emploi. Je suis sûr que c'est une chose à laquelle vous avez aussi réfléchi.

  +-(1205)  

+-

    M. David Bennett: C'est une très bonne question. À propos de la protection des dénonciateurs, je pense que le comité conviendra que nous traitons ici d'un aspect des droits qui dépasse la santé et la sécurité. La santé et la sécurité en sont un aspect, mais il faudrait généralement reconnaître comme un droit public la possibilité pour les travailleurs de faire état d'infractions si l'employeur contrevient à la loi ou si l'entreprise n'agit pas de façon responsable. En fait, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement protège dans une certaine mesure les dénonciateurs. Il y a aussi une certaine protection pour eux dans la loi sur l'environnement de l'Ontario, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Au Yukon on reconnaît aussi le droit de refuser de polluer, qui est un droit comparable à celui de refuser de travailler quand on craint pour sa sécurité comme l'autorise la législation fédérale.

    Voyons voir pourquoi c'est nécessaire. C'est naturellement nécessaire parce que, dans une certaine mesure, le système de santé et de sécurité fait fausse route. S'il fonctionne convenablement, on n'a pas besoin de ce droit, ou tout au moins on n'a pas besoin de l'exercer. Voilà pour la première raison.

    Deuxièmement, tout le problème tient au fait que les autorités responsables de la santé et de la sécurité ne font pas leur travail. On pourrait dire que les employés ont déjà le droit de signaler aux autorités de la santé et de la sécurité les infractions à la loi commises par leur employeur, mais si ces autorités se sont fait dire en somme qu'elles n'avaient pas à faire respecter la loi, ce droit n'est que théorique.

    Puis, dans des cas comme celui de Curragh, la grande question qui se pose en matière de protection des dénonciateurs, c'est la possibilité de divulguer publiquement l'information, et non pas simplement celle de signaler les faits aux autorités. Songez à ce qui serait arrivé si un employé de Curragh avait parlé publiquement et dit que la vie au fond de la mine était un véritable enfer et que c'était la responsabilité de Frame. Cette personne n'aurait même pas pu présenter de rapport. Si par miracle elle avait pu le faire, elle ne serait plus jamais descendue dans cette mine.

    Il y a donc des arguments valables et légitimes en faveur de la protection des dénonciateurs. J'invite simplement le comité à réfléchir au problème que ce droit est censé corriger. En outre, il y a peut-être de meilleurs moyens de protéger ce droit qu'en assurant une protection aux dénonciateurs.

  +-(1210)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Madame Fry, vous avez sept minutes.

+-

    Mme Hedy Fry: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je veux poser deux questions. D'abord au sujet de la façon dont vous définissez une personne morale. Nous avons parlé des municipalités--et je sais que mon collègue Chuck Cadman a déjà posé cette question--mais est-ce que nous parlons aussi des policiers et des pompiers? Si c'est le cas, comment définir le risque dans le cas d'un métier dangereux? Y a-t-il moyen de le définir? Par exemple, si un pompier doit entrer dans un immeuble en feu pour sauver des gens, y a-t-il des cas où il peut dire qu'on ne peut pas entrer dans cet immeuble parce qu'on sait que celui-ci pose d'autres risques? Y a-t-il moyen pour nous de définir en quoi consiste le risque pour quelqu'un qui exerce un métier dangereux? Je veux ainsi simplement tenter de clarifier la question.

    Ma deuxième question a trait aux sanctions. Ce projet de loi vise à faire en sorte que le châtiment soit à la mesure du délit. Quand on me parle d'indemnisation des victimes, la chose est simple: l'entreprise peut verser des fonds pour indemniser la victime. Quand on parle de mesures correctives, si l'on veut mettre en place des mesures pour mieux assurer la sécurité, c'est également assez simple. Le problème que nous avons--que moi j'ai tout au moins--c'est que s'il y a déclaration de culpabilité au criminel, comment décider qui va purger une peine de prison, le PDG, tous les administrateurs, le cadre intermédiaire qui n'a pas suivi les instructions correctement?

    J'aimerais simplement comprendre comment on déterminera cela si l'on propose un texte législatif.

+-

    Le président: Au passage, je souhaite la bienvenue à M. Hassan Yussuff. Je crois savoir que votre vol a été retardé.

+-

    M. Hassan Yussuff (vice-président exécutif, Congrès du travail du Canada): Je ne peux rien changer aux horaires d'Air Canada. Que puis-je vous dire d'autre?

    Le président: Je me rends régulièrement à Fredericton, je sais ce qu'il en est.

+-

    Mme Hedy Fry: Tout comme l'a dit Peter MacKay, je tenais à dire que ce témoignage était vraiment touchant. Je pense que cela nous fait bien voir l'aspect humain de ce qui pourrait autrement n'être perçu que comme une catastrophe quelconque dans une entreprise. Merci.

+-

    M. David Bennett: Je pourrais peut-être vous parler d'une expérience que j'ai eue en tant que pompier et qui a trait à cela. Vous devez savoir que les pompiers ont un mot d'ordre, et ce mot d'ordre c'est, vas-y. J'étais sur la scène d'un incendie et j'ai dit--pas dans ces mots exactement--je n'y vais pas. Avant même qu'on m'ait répondu, l'équipement sanitaire a défoncé le plafond et on n'a jamais plus parlé de l'incident.

    Mais de façon générale, il est vrai que les pompiers ont pour tâche d'entrer dans des immeubles en feu et dans d'autres endroits où leur présence pose plus de risque pour leur sécurité qu'elle ne permet de protéger le public. S'il y a lieu de penser qu'un entrepôt, par exemple, est vide, les pompiers ne devraient pas avoir à entrer dans ce lieu ni à marcher sur le toit parce que si ce dernier s'effondrait, six pompiers pourraient perdre la vie. Mais en droit pénal, on ne va pas donner des directives aux responsables de la protection contre l'incendie parce qu'il est normal que ceux-ci demandent aux pompiers d'obéir aux ordres et de limiter autant que possible les dommages à la propriété. C'est quand un responsable de la protection de services contre l'incendie demande de façon irresponsable aux pompiers de faire quelque chose qui pose un risque énorme pour leur propre sécurité que la loi pourrait intervenir, et je n'y vois vraiment aucune objection.

  +-(1215)  

+-

    Mme Hedy Fry: Pouvez-vous définir ces cas?

+-

    M. David Bennett: Je ne pense pas qu'il faille le faire. Compte tenu de la façon dont le projet de loi est rédigé, on en assure l'application une fois qu'il y a eu des décès ou des incidents. Les autorités n'ont jamais à évaluer le risque en question, elles peuvent tout simplement examiner la situation dans le milieu de travail, voir quelles sont les responsabilités en matière de santé et de sécurité dans les lieux de travail et voir s'il y a concordance ou divergence entre les deux. Je ne pense donc pas, compte tenu du libellé du projet de loi, que les autorités aient jamais à évaluer les risques avant de décider s'il y a lieu ou non d'intenter des poursuites.

+-

    M. Hassan Yussuff: Pour des fins de comparaison et pour savoir qui serait effectivement tenu responsable, dans un milieu de travail il y a habituellement une hiérarchie, le PDG, qui donne des ordres, et ses gestionnaires et superviseurs, qui veillent à leur exécution. Il est clairement reconnu dans la législation sur la santé et la sécurité qu'il y a des personnes à qui l'on confie la responsabilité de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des employés dans le milieu de travail. Les poursuivants doivent établir quelle est la personne à poursuivre pour négligence. Dans certains cas, ce peut être le gestionnaire, parfois le PDG. Il doit revenir à la poursuite de le déterminer. Il y a des superviseurs qui, assez souvent, se satisfont d'exécuter les ordres plutôt que d'accepter plus de responsabilités qu'un simple travailleur. Il peut ne pas être équitable d'intenter des poursuites contre eux, mais je ne veux pas entrer dans ces détails.

    Je pense qu'on a tout à l'heure bien fait valoir, du moins je sais que David l'a fait, l'importance d'une mesure de dissuasion. Beaucoup trop de travailleurs meurent au Canada chaque année. Je ne peux pas dire que tous ces décès soient directement attribuables à la négligence, mais il est certain que c'est inacceptable dans un pays qui prétend avoir atteint un haut niveau de développement et où la règle juridique établit que les droits des travailleurs doivent être protégés.

    Je pense que dans ce projet de loi, on voit bien que la loi permet de poursuivre le vrai responsable.

+-

    Le président: Merci.

    Je vais maintenant donner la parole à M. Cadman pour trois minutes.

+-

    M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

    C'est une question purement technique, destinée surtout à ma propre gouverne. Monsieur Bennett, vous avez laissé entendre qu'une bonne partie des problèmes se situent du côté des commissions de santé et de sécurité, des fonctionnaires provinciaux, des inspecteurs et que s'ils ne font pas leur travail, c'est le gouvernement fédéral qui devrait s'en charger. Cela ne pose-t-il pas un problème constitutionnel si le gouvernement fédéral assume une responsabilité qui revient clairement à la province?

+-

    M. David Bennett: Peut-être, mais quand le juge Richard a présenté son rapport sur la tragédie de la mine Westray, il n'a pas hésité à dire que le ministère provincial s'est montré tellement inepte que les inspecteurs fédéraux devraient se charger des inspections. Étant donné la façon dont le projet de loi a été libellé, je ne pense pas que ce problème se pose, car la Couronne a le droit de poursuivre, quel que soit...

+-

    M. Chuck Cadman: Je ne mets pas en doute les pouvoirs de la Couronne en cas d'infraction criminelle. Je m'interrogeais seulement sur ce que vous avez dit quant au fait que le gouvernement fédéral devrait se charger d'une responsabilité provinciale. Le juge a-t-il expliqué exactement comment cela pourrait se faire, ou n'était-ce qu'une simple observation?

  +-(1220)  

+-

    M. David Bennett: Il ne l'a pas expliqué, mais je ne vois pas de conflit de compétence. La façon dont nous avons formulé notre mémoire donne peut-être cette impression, parce que nous avons parlé du gouvernement du Canada, mais il y a déjà maintenant des enquêtes policières sur des accidents de travail, qui visent à établir si une infraction au Code criminel a été commise. Il est évident que la police, qui représente l'autorité provinciale ou fédérale, a le droit d'aller dans les lieux de travail si elle pense qu'un acte criminel a été commis, quelle que soit la portée de la législation provinciale en matière de santé et de sécurité. Je ne vois pas ici de conflit de compétence.

+-

    M. Chuck Cadman: Je ne dis pas le contraire. Pour les enquêtes, je peux comprendre, mais vous avez parlé d'assumer une responsabilité qui incombe à la province. C'est tout ce que je mettais en doute. Ne risquons-nous pas de nous retrouver devant un problème constitutionnel?

+-

    Le président: Merci, monsieur Cadman. Merci, monsieur Bennett.

    Je dois rappeler à tous que nous n'étudions pas un projet de loi. Je sais que vous en êtes conscients, mais on y a fait allusion. Ce que nous examinons, c'est le sujet du projet de loi. C'est une petite nuance, mais qui nous confère sans doute une plus grande latitude.

    Monsieur Maloney, vous avez trois minutes.

+-

    M. John Maloney (Erie--Lincoln): Merci, monsieur le président.

    Je pourrais peut-être adresser ma question au Congrès du travail du Canada. Nous nous sommes sans doute surtout intéressés à l'industrie lourde qui présente certains dangers et où des accidents se produisent. D'autre part, des propos comme ceux du juge Richard portent à croire que ce genre de tragédie était prévisible. Mme Desjarlais a parlé des situations dangereuses dans lesquelles les coupables sont ceux qui connaissaient le danger et n'ont rien fait pour y remédier. Je me demande seulement jusqu'où nous devrions aller.

    Nous avons entendu dire ici aujourd'hui que la responsabilité s'étendrait peut-être jusqu'aux municipalités, y compris au maire, au conseil municipal et aux commissions scolaires. Pourrait-elle aussi s'étendre, par exemple, au directeur général d'une association pour l'intégration des déficients mentaux qui envoie des employés travailler dans un foyer dont les bénéficiaires risquent d'être violents? Ou encore à l'Ordre des infirmières de Victoria qui enverrait une infirmière soigner une personne connue pour être violente?

    On nous a également parlé des habitudes des travailleurs. Nous savons qu'il leur arrive de chercher à gagner du temps pour pouvoir aller manger un peu plus tôt, par exemple. Il n'est pas nécessaire de faire partie de la direction. Un travailleur qui gagne quelques cents de plus de l'heure parce qu'il a des responsabilités supplémentaires peut dire à un de ses collègues de se placer dans une situation dont il connaît le danger, sans avoir rien fait pour y remédier. Devrait-il en être tenu responsable?

    Nous avons également entendu parler de comités dysfonctionnels de santé et de sécurité où le syndicat était représenté. Le mouvement syndical a parfois fait preuve d'une certaine résistance et il se pourrait également que sa responsabilité soit engagée.

    Jusqu'où faut-il aller?

+-

    M. David Bennett: Le Code criminel du Canada ne peut pas faire de distinction selon les secteurs ou les différents types de lieux de travail, car il s'applique à tout le monde. Il suffit de dire que la portée du Code criminel est la même pour tout le monde. Je suppose qu'on ne saurait faire figurer dans le Code criminel des dispositions qui s'appliquent à l'exclusion du secteur public. Du moins, je doute qu'on puisse le faire. Le CTC traite avec des employeurs, qu'ils soient du secteur public ou du secteur privé. Nous ne voyons absolument aucun problème à ce que ce principe s'applique à tous les employeurs assujettis à la notion de responsabilité des personnes morales. Par exemple, dans le projet de loi C-284, le mot direction vise en particulier les administrateurs et les dirigeants des personnes morales ou des sociétés, ou les employeurs.

    La possibilité que les lois sur la santé et la sécurité soient utilisées contre les employées et non contre les administrateurs ou les employeurs suscite bien des inquiétudes, car il semble que la déréglementation s'applique aux employeurs. La loi n'est pratiquement pas appliquée du côté des employeurs, mais les inspecteurs interviennent et donnent des ordres aux employés, au lieu d'en donner à la direction. Je ne pense pas que cela pose problème dans le projet de loi, car la notion essentielle qu'on y trouve est la responsabilité, qui s'applique selon le degré de responsabilité de l'employé concerné. En common law, chacun a un devoir de diligence. Par exemple, si un employé perd la tête et qu'une bousculade se solde par la mort d'un autre employé, les dispositions du Code criminel vont s'appliquer, indépendamment du fait que l'incident se soit produit sur le lieu de travail. L'employé sera accusé, et vraisemblablement, en l'occurrence, d'homicide involontaire coupable.

    La possibilité que le projet de loi s'applique aux employés nous préoccupe, mais je ne pense pas qu'il y ait de problème à craindre sur ce point. Nous parlons en l'occurrence des employeurs et des cadres supérieurs d'une personne morale. Je vois mal comment on pourrait étendre les dispositions pour jeter la pierre aux employés.

  +-(1225)  

+-

    M. Hassan Yussuff: Je ne voudrais pas m'étendre sur un sujet qui a sans doute déjà été traité en mon absence, mais je pense qu'il est important de faire valoir que dans la grande majorité des lieux de travail de ce pays, les employeurs prennent très au sérieux leurs responsabilités en matière de santé et de sécurité, et nous ne sommes pas dans des situations comparables à celle de Westray. Il existe néanmoins des circonstances dont il faut tenir compte. On laisse certains employeurs se soustraire aux exigences de la loi.

    Je pense qu'il importe également de reconnaître que tous les employeurs, petits ou gros, privés ou publics, indépendamment de leur domaine d'activité, ont la responsabilité d'évaluer la situation et les conditions de travail dans lesquelles leurs employés sont placés. C'est déjà une exigence du droit. Quand cette exigence n'est pas prise en compte et que quelqu'un en meurt, il est essentiel que quelqu'un d'autre en soit tenu responsable. Il n'est pas normal qu'un travailleur perde la vie en essayant de la gagner. L'employeur a la responsabilité de se demander si une situation peut être dangereuse et s'il a tout fait pour éviter qu'un employé puisse être en danger de mort à cause de son travail.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    À vous, monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: J'aimerais faire un commentaire. Ça reprend un peu l'inquiétude que j'avais au départ. Vous dites qu'on doit faire des changements touchant les inspecteurs: les mettre au fédéral plutôt qu'au provincial. C'est ce qui me fait peur et c'est ce que j'aime des métallos, parce que ce que les métallos ont dit, c'est qu'il y a cinq principes, dont celui du respect de la recommandation n° 73. L'un de d'entre eux, le cinquième, c'est que les principes peuvent être atteints sans enfreindre les principes de la Charte canadienne des droits et libertés ni la répartition constitutionnelle des pouvoirs ni le Code criminel. Donc, je suis prêt à soutenir un projet de loi comme celui-là, mais je ne suis pas prêt à empiéter sur les compétences. C'était ma crainte.

    Or, monsieur Bennett, vous avez répondu à M. Cadman exactement de cette façon. Vous voulez empiéter, et c'est ce qui me fait peur, et c'est ce que les métallos nous avaient dit qu'ils ne feraient jamais lorsque je les ai rencontrés personnellement. Vous me dites que vous représentez aussi la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. C'est un peu surprenant. Si cette fédération emboîte le pas et qu'elle dise que le fédéral devrait prendre la responsabilité des inspecteurs pour régler le problème, je trouve qu'on prend là une tangente que j'aime beaucoup moins.

  -(1230)  

[Traduction]

+-

    M. David Bennett: Je crois que le CTC a été mal interprété. Ce n'est pas lui qui a invité le gouvernement fédéral à assumer la compétence des autorités provinciales en matière de santé; c'était l'une des recommandations du juge Richard, qui considérait certainement que la santé et la sécurité des travailleurs dans la province étaient plus importantes que les questions de compétence. Ce n'est pas le Congrès du travail du Canada qui a demandé cela. Nous avons dit qu'à notre avis, il n'y a pas de conflit entre les autorités provinciales et l'application du Code criminel.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: J'apprécie la précision.

[Traduction]

+-

    Le président: À vous, monsieur Grose.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'entends constamment parler de choses qui me préoccupent quelque peu, j'entends parler d'application de la loi et de respect volontaire. La prochaine fois qu'un policier m'arrêtera pour excès de vitesse, je lui dirai: «je ne suis pas volontaire aujourd'hui».

    Je crois que nous nous écartons un peu du sujet. Depuis une heure, nous parlons principalement d'une chose qui ne nous concerne absolument pas, qui relève de la compétence provinciale. Monsieur Lanctôt, j'espère que vous appréciez mon intervention. La santé et la sécurité ne relèvent pas de notre compétence; ce n'est pas notre problème. Et en ce qui me concerne, nous n'avons pas à nous y intéresser. Nous voulons qu'un changement se produise, et c'est aussi ce que je veux. Tout ce qu'on nous demande, c'est de fournir le marteau et de le tenir au-dessus des dirigeants d'entreprises, et quelqu'un d'autre devra fournir le clou. Notre fédération est ainsi faite.

    Je suis tout à fait convaincu que si nous fournissons le marteau, les entreprises responsables vont dire à leur conseil d'administration: très bien, que faut-il faire pour éviter les ennuis? Suivre les règlements. Qui prend les règlements? Les provinces. Est-ce qu'elles en prennent? Oui, mais elles ne veulent pas les appliquer. Elles feraient pourtant mieux de les appliquer. C'est là que vous allez pouvoir aller dire aux dirigeants de sociétés: la santé et la sécurité sur votre lieu de travail ne sont pas satisfaisantes, et votre entreprise risque de faire faillite si un de vos employés est victime d'un accident mortel. Ce sera non seulement un événement dramatique, mais en plus, vous ferez faillite. Vous avez donc tout intérêt à faire le ménage dans l'application de vos règlements de santé et de sécurité.

    Mais cela ne nous regarde pas. Parlons simplement de ce que nous avons à faire, c'est-à-dire de fournir le marteau.

+-

    Le président: Que répondez-vous, monsieur Yussuf?

+-

    M. Hassan Yussuff: J'appuie votre proposition.

-

    Le président: Là-dessus, je tiens à remercier les témoins—et je suis certain que les membres du CTC ne s'offenseront pas si je remercie particulièrement les témoins d'OC Transpo. Leur situation est évidemment très pénible. Comme Mme Fry et d'autres l'ont dit, nous avons assisté à un véritable drame humain pendant cette enquête. Il en découle une obligation pour nous, car même s'il ne s'agit pas vraiment de fixer les détails de la loi, il s'agit de faire preuve de volonté politique. L'aspect humain du problème devrait nous donner cette volonté, et je vous en remercie.

    La séance est levée.