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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la cinquième réunion du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique.
[Français]
Conformément à l'article 108(3)h) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 17 septembre 2025, le Comité entreprend son examen de la Loi sur les conflits d’intérêts.
[Traduction]
La réunion d'aujourd'hui se tient en format hybride conformément au Règlement. Des députés y assistent en personne, tandis que d'autres y assistent à distance au moyen de l'application Zoom.
Avant de passer à notre témoin, j'aimerais vous rappeler l'importance de faire attention à votre microphone et à votre oreillette et de les tenir à distance l'un de l'autre pour éviter de causer des problèmes aux interprètes.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier témoin aujourd'hui. Nous accueillons M. Ian Greene, professeur émérite à l'École de l'administration et des politiques publiques de l'Université York, qui comparaît à titre personnel par vidéoconférence.
Monsieur Greene, au nom du Comité, je vous remercie de vous être libéré à si court préavis. Nous devons jouer serré en ce moment parce que nous déterminons nos sujets d'étude et que nous essayons d'inviter des témoins en conséquence. Dans certains cas, le préavis est court, mais vous, monsieur, vous avez eu la gentillesse de nous donner de votre temps aujourd'hui.
Vous avez cinq minutes pour prononcer votre déclaration liminaire, qui sera suivie par une période de questions.
La parole est à vous.
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Je suis impressionné par le travail que chacun des membres du Comité accomplit pour la population. Je vois que l'un des membres a servi dans les Forces canadiennes. Mon père était soldat pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été déployé à la bataille de la crête de Vimy. À son retour, il a étudié en médecine dentaire à l'Université de Toronto, et pendant ses étés, il a travaillé sur un bateau dans les Mille-Îles, dont deux circonscriptions sont représentées par des membres du Comité.
Un autre député représente une circonscription en Saskatchewan, où mon père est né. Même si j'ai grandi en Alberta et que j'ai obtenu mon diplôme de premier cycle à l'Université de l'Alberta, j'ai étudié pendant un an à l'Université Bishop, à Sherbrooke, au Québec, dans le cadre d'un échange. J'ai appris à aimer le Québec. Un autre député est un diplômé de l'Université de Toronto, là où j'ai soutenu ma thèse de doctorat sur le système de justice au Canada.
La motion à l'origine de la séance d'aujourd'hui demande de déterminer s'il y a lieu de modifier les dispositions de la Loi sur les conflits d'intérêts qui portent sur la divulgation des biens des titulaires de charge publique ainsi que de modifier les règles applicables aux fiducies sans droit de regard ou au filtrage éthique. Dans son rapport annuel 2024‑2025, le commissaire Konrad von Finckenstein a recommandé des modifications avec lesquelles je suis d'accord et dont je vais discuter plus en détail dans quelques minutes.
J'aimerais commencer par souligner que le principe de respect mutuel est le principe fondamental qui sous-tend toutes les normes d'éthique dans les démocraties durables. Le respect mutuel sous-tend également les principes constitutionnels de base que sont la primauté de droit, la suprématie législative et la justice fondamentale.
L'application précise de ce principe fondé sur le respect mutuel n'est pas immuable; elle évolue au fil du temps. Cette évolution est favorable lorsque nous atteignons des niveaux plus élevés de comportements civilisés, mais elle est négative lorsque nous tournons le dos aux leçons de l'histoire par ignorance, arrogance ou faiblesse.
J'aimerais vous raconter comment je me suis intéressé à l'étude de l'éthique en politique.
Mon intérêt pour ce thème est né en 1968, lorsque j'étais le directeur de campagne de Bob Thompson, qui avait quitté le Crédit social pour rejoindre les progressistes-conservateurs. Mes deux qualifications pour le poste étaient mes deux ans d'étude au baccalauréat en science politique et un père qui était le dentiste de M. Thompson. À 20 ans, j'étais trop jeune pour voter à l'époque, mais assez vieux pour en apprendre sur la cohabitation parfois houleuse de l'éthique et de la politique. Comme directeur de campagne, je passais au moins 10 % de mon temps à essayer de mettre fin aux comportements non éthiques de mes collaborateurs et de ceux des autres partis.
En 1972, j'étais l'adjoint d'un ministre du gouvernement de l'Alberta qui présidait un comité législatif multipartite chargé de déterminer si une loi discriminatoire qui visait les frères huttériens pouvait se justifier sur le plan juridique ou éthique. Le comité a conclu que la discrimination ne pouvait être justifiée, et un comité de liaison a été mis sur pied pour promouvoir le respect mutuel. Le tout a été couronné de succès.
Quelques années plus tard, mes études doctorales à l'Université de Toronto ont porté sur la façon d'améliorer le système de justice en réduisant au minimum les délais inutiles. J'ai toujours considéré comme des problèmes d'éthique les délais judiciaires déraisonnables.
J'ai été embauché à l'Université York en 1985 pour donner des cours sur la Charte canadienne des droits et libertés, l'administration publique et l'éthique dans la fonction publique.
La fin des années 1980 a été marquée par de nombreux scandales politiques dans les trois ordres de gouvernement au Canada. Je craignais que ces scandales ébranlent la démocratie au pays. Nous assistions à une période de polarisation qui générait beaucoup de fiel, qui ressemble beaucoup à ce qui se passe aux États-Unis aujourd'hui. J'ai mené une étude sur les articles médiatiques relatant des conflits d'intérêts en politique fédérale, provinciale et municipale. Il m'a fallu prendre du recul de temps à autre parce que la lecture de centaines de textes sur les conflits d'intérêts me rendait souvent malade.
En 1987, le gouvernement de l'Ontario a chargé l'ancien lieutenant-gouverneur John Black Aird de mener une enquête et de rédiger un rapport. M. Aird a recommandé la création du premier commissariat à l'éthique indépendant du Canada. Il a écrit que la plupart des personnes qui travaillent dans la sphère publique pensent se comporter de manière éthique, mais qu'il n'existe pas de compréhension commune des normes d'éthique. Selon lui, la fonction de commissaire à l'éthique indépendant était nécessaire pour clarifier les normes de même que conseiller et soutenir les membres des assemblées législatives.
Au fil de mes recherches, j'ai observé que depuis la nomination du commissaire à l'éthique indépendant de l'Ontario en 1988, la fréquence des scandales liés aux conflits d'intérêts dans la province avait considérablement diminué. Les députés ont fini par considérer le commissaire comme un ami — quelqu'un dont les conseils avisés pouvaient les empêcher de commettre des erreurs.
J'ai ensuite commencé à publier des articles et des livres sur l'éthique, notamment sur les conflits d'intérêts. Depuis lors, j'ai écrit et coécrit quatre livres.
J'ai constaté que le modèle ontarien s'étendait rapidement aux autres provinces, mais que le Parlement tardait à l'adopter. Le retard pris dans la création de commissariats à l'éthique à la Chambre des communes et au Sénat s'expliquait en partie par la tentative du gouvernement Chrétien de mettre en place un seul bureau pour les deux Chambres. Le Sénat s'y est opposé à juste titre en insistant pour avoir son propre commissaire.
Finalement, la Loi sur les conflits d'intérêts visant les titulaires de charge publique et le code de conduite des députés sont entrés en vigueur en 2006. La Loi sur les conflits d'intérêts, le code de conduite des députés et le régime de gestion des conflits d'intérêts du Sénat ont considérablement réduit l'incidence des scandales liés aux conflits d'intérêts au fédéral. N'empêche que toutes proportions gardées, l'incidence des scandales liés aux conflits d'intérêts impliquant des ministres et des députés fédéraux était supérieure à celle observée au niveau provincial.
Huit provinces exigent la tenue de rencontres annuelles entre le commissaire à l'éthique et chacun des députés des assemblées législatives provinciales. Selon les entrevues que j'ai menées avec les commissaires à l'éthique provinciaux, ces rencontres sont essentielles à la prévention des conflits d'intérêts. Des rencontres obligatoires se tiennent au Sénat du Canada, et selon l'ancien conseiller sénatorial en éthique, Jean Fournier, elles sont essentielles au succès du régime de gestion de l'éthique du Sénat.
Toutefois, des scandales provoqués par les conflits d'intérêts ont continué à se produire dans les bureaux de ministres et de députés canadiens de tous les ordres de gouvernement. Selon moi, la cause du problème est le caractère facultatif des rencontres annuelles entre chacun des élus et un membre du Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique. À l'heure actuelle, le commissariat affecte un conseiller à chaque ministre et à chaque député. Est‑ce suffisant pour éviter les conflits d'intérêts ou faudrait‑il instaurer des rencontres obligatoires entre le conseiller et les députés, y compris les ministres? Voilà à mon avis une question importante sur laquelle le Comité doit se pencher.
À la réunion du Comité du 15 septembre, le commissaire a déclaré que de modifier la loi pour exiger que les titulaires de charge publique vendent leurs biens au lieu de les placer dans une fiducie sans droit de regard serait contre-productif. Je suis d'accord. Le commissaire soulève un bon point en soulignant que les lourds impôts à payer résultant de cette obligation pourraient décourager de bons candidats de se lancer en politique. Cela dit, certains titulaires de charge publique donneront à leurs fiduciaires la liberté de vendre leurs biens et de les réinvestir. L'important, c'est de s'assurer qu'un filtrage éthique soit en place pour empêcher les titulaires de charge publique de s'impliquer directement dans des décisions qui pourraient favoriser les biens qui se trouvent dans leur fiducie.
Dans le cas du , le filtrage établi par le commissaire est administré par son chef de cabinet et par le greffier du Conseil privé.
Premièrement, étant donné le bagage considérable du commissaire von Finckenstein en droit des affaires, dans le système de justice et à la Cour fédérale, je ne vois personne de plus qualifié pour mettre en place un mécanisme de filtrage efficace.
Deuxièmement, au Canada, il y a une tradition bien établie voulant que le greffier du Conseil privé soit complètement non partisan. Je pense donc qu'il est approprié que le greffier joue un rôle dans ce mécanisme.
Le chef de cabinet est partisan et a la confiance du premier ministre. Selon moi, le doit pouvoir compter sur une personne de confiance qui participe au mécanisme de filtrage pour s'occuper de la fiducie et pour lui prodiguer des conseils axés sur la prudence et les précautions à prendre.
Dans son rapport annuel, le commissaire a formulé les recommandations suivantes: la « nomination d'un commissaire intérimaire » en attendant la nomination d'un commissaire permanent; l'« ajout des conflits d'intérêts apparents » à la définition des conflits d'intérêts que doivent éviter les titulaires de charge publique; l'assouplissement des dispositions visant certains types de biens; l'harmonisation « des définitions d'“intérêt personnel“ » énoncées respectivement dans la Loi et dans le Code; l'« élargissement des activités extérieures autorisées »; l'« augmentation du montant des pénalités. »
Je suis d'accord avec toutes ces recommandations et j'espère que le Comité s'efforcera d'accélérer l'adoption des modifications législatives nécessaires pour les mettre en œuvre.
La proposition de modification à examiner le plus attentivement est celle qui porte sur les conflits d'intérêts apparents.
Comme l'a fait remarquer le commissaire, selon la définition acceptée en vigueur actuellement, le conflit d'intérêts apparent « s'entend d'une situation où une personne raisonnablement bien informée peut convenablement avoir une perception raisonnable que la capacité d'un titulaire de charge publique d'exercer un pouvoir officiel ou d'exécuter un devoir ou une fonction officielle sera ou doit avoir été teintée par son intérêt personnel ou par l'intérêt personnel d'un parent ou d'un ami. »
Il y a 35 ans, les spécialistes des conflits d'intérêts s'entendaient pour dire que les conflits d'intérêts apparents ne devaient pas être interdits parce que la définition de cette notion était trop vague. Les mentalités ont évolué depuis en raison en grande partie de l'exaspération du public contre les subtilités techniques qui distinguent les conflits d'intérêts réels et apparents. Les conflits d'intérêts apparents sont interdits par le Code. Ce serait absurde que cette interdiction ne figure pas dans la Loi également.
Cela m'amène à un autre point que j'aimerais soulever. Les scandales causés par les conflits d'intérêts sont plus fréquents dans le groupe des députés et des ministres fédéraux que dans le groupe de leurs homologues provinciaux. Cet écart est dû principalement au fait que dans la plupart des provinces, les élus sont tenus de rencontrer les commissaires à l'éthique dans les deux mois suivant leur élection, puis chaque année par la suite.
Au cours de ma carrière, j'ai mené des entrevues avec un bon nombre de ces commissaires. Tous ont souligné à quel point ces rencontres étaient importantes pour clarifier les règles sur les conflits d'intérêts. Elles encouragent également les élus à consulter le commissaire chaque fois qu'ils ont des doutes sur la présence de conflits d'intérêts.
Au fédéral, ces rencontres sont facultatives si je comprends bien. Toutefois, chaque député et chaque ministre a un conseiller qui lui est affecté par le commissaire. Cela vaudrait la peine de se pencher sur l'utilité de renforcer le système de conseillers de quelque manière que ce soit et de se poser la question de savoir s'il faut rendre obligatoires les rencontres avec les conseillers.
De 1990 à 1991, le gouvernement Mulroney a établi la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. La Commission a accompli un travail remarquable, notamment la production de 12 volumes de rapports de recherche. J'avais préparé un document pour la Commission sur la manière de déterminer le montant maximal autorisé des dons individuels et des dons d'entreprises aux candidats et aux partis. Peut-être que le moment est venu de lancer une autre commission royale qui se pencherait sur des questions complexes telles que la prévention des conflits d'intérêts apparents de même que la mise en place de fiducies sans droit de regard efficaces et de filtres éthiques efficaces. Ce sont des questions très complexes qui mériteraient une étude approfondie.
J'étudie l'éthique en politique parce que je suis convaincu que plus le public croira au caractère éthique du système, plus les personnes de qualité comme celles à qui je m'adresse aujourd'hui seront portées à se lancer en politique. Continuez votre bon travail.