La Chambre reprend l'étude, interrompue le 26 septembre, de la motion portant que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
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Monsieur le Président, tout d'abord, je vais partager mon temps de parole avec le député de .
Je suis heureux aujourd'hui d'avoir l'occasion de prendre la parole pour appuyer le projet de loi sur la cybersécurité. Plus que jamais, il est essentiel de prendre des mesures pour protéger nos infrastructures les plus importantes contre les menaces de sécurité et les cybermenaces en constante évolution. Il s'agit sans aucun doute d'une mesure législative essentielle, je dirais même salvatrice pour le Canada.
Comme on le sait, ce projet de loi est le fruit de vastes consultations menées par le gouvernement auprès de nombreux intervenants. Nous avons consulté les provinces, les territoires, les municipalités, les propriétaires et exploitants d'infrastructures essentielles, les experts en cybersécurité, les groupes de défense des libertés civiles, ainsi que le milieu universitaire. Nous avons écouté attentivement les préoccupations soulevées lors des débats sur ce projet de loi, ainsi que celles exprimées par les intervenants en comité. Ces intervenants ont exprimé, parmi leurs préoccupations principales, la nécessité d'accroître la surveillance et la transparence tout en renforçant les protections de la vie privée.
Je tiens à assurer tous les parlementaires que le gouvernement a pris en compte ces préoccupations et qu'il a apporté à cet effet des modifications importantes au projet de loi. Bien que la vie privée des Canadiens soit déjà protégée par plusieurs instruments constitutionnels et législatifs, le projet de loi offre une certitude accrue quant à la protection des renseignements personnels et de la vie privée des citoyens.
De plus, des clauses « pour plus de certitude » ont été ajoutées afin de rassurer les Canadiens que les ordres et les directives ne peuvent pas être utilisés, et ne le seront pas, pour mener des activités de surveillance ou intercepter des communications privées. Ces pouvoirs sont plutôt destinés à être utilisés dans des circonstances graves et rares lorsqu'il est urgent de répondre à une menace ou à une vulnérabilité connue. Ces modifications répondent directement aux préoccupations exprimées par les organisations de défense des libertés civiles.
Le projet de loi C‑8 précise également que les renseignements confidentiels doivent continuer d'être traités comme tels par toute personne qui les reçoit et les partage seulement lorsque c'est absolument nécessaire.
D'autres modifications visent également à accroître la transparence et la reddition de comptes du gouvernement. Lors de l'examen du projet de loi précédent en comité, des intervenants ont exprimé des préoccupations concernant l'absence d'exigences en matière de rapports publics pour les ordres prévus à la partie 1 du projet de loi. C'est pourquoi une modification a été adoptée pour harmoniser le respect de la confidentialité et le besoin de transparence du public.
Une autre modification précise désormais les éléments à inclure dans les rapports annuels au Parlement, comme le nombre d'ordres et de directives émis, ainsi que le nombre d'exploitants concernés. Par ailleurs, en réponse aux préoccupations des intervenants concernant la reddition de comptes, le projet de loi a été modifié pour obliger le gouvernement à informer l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ainsi que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, dans les 90 jours suivant l'émission d'un ordre ou d'une directive confidentielle.
Lors de l'examen en comité, des groupes de défense des libertés civiles et des experts de l'industrie ont exprimé des préoccupations quant à l'étendue de nouveaux pouvoirs accordés au gouvernement dans le cadre de cette mesure législative. Certains intervenants ont souligné qu'il y a un risque que des ordres ou des directives soient émis sans que le gouvernement consulte ou prenne en compte des facteurs pertinents, par exemple la possibilité de solutions de rechange raisonnables.
Bien que le gouverneur en conseil dispose déjà d'un mécanisme de contrôle de ses pouvoirs, le projet de loi C‑8 vient répondre à ces préoccupations en introduisant une norme de raisonnabilité et une liste non exhaustive de facteurs que le gouverneur en conseil doit d'abord examiner avant d'émettre un ordre ou une directive. Lorsqu'il émet, modifie ou révoque un ordre ou une directive, le gouverneur en conseil peut consulter les gouvernements et l'industrie pour faire reconnaître la nécessité d'agir rapidement vu l'urgence de la situation.
Ces modifications garantiront que tout nouveau pouvoir accordé au gouvernement soit assorti de mécanismes de contrôle appropriés pour prévenir les abus et renforcer la reddition de comptes.
Elles offriront au gouverneur en conseil une plus grande clarté et une plus grande équité dans l'exercice de ses nouveaux pouvoirs. Il devra notamment tenir compte de facteurs comme les impacts opérationnels et financiers sur la sécurité publique avant d'émettre un tel ordre ou une directive.
Grâce à toutes ces modifications, le projet de loi est désormais renforcé et il offrira une plus grande transparence et une meilleure reddition de comptes aux Canadiens. Il apporte également des garanties supplémentaires aux Canadiens quant à la protection de leur vie privée et de leurs renseignements personnels.
Les menaces à la sécurité et les cybermenaces sont de plus en plus fréquentes, complexes, sophistiquées et politiquement motivées. Le gouvernement est déterminé à défendre le Canada et ses infrastructures essentielles. Les programmes de cybermenace parrainés ou soutenus par des États comme la Chine, la Russie, l'Iran et la Corée du Nord représentent les plus grandes menaces stratégiques pour le Canada actuellement. Elles s'inscrivent dans des campagnes mondiales d'espionnage, de sabotage et de subversion menées par ces États. Ces activités malveillantes de cybermenace peuvent gravement compromettre la sécurité nationale, la sécurité publique et l'économie du Canada.
Ce projet de loi est donc essentiel pour protéger les Canadiens. Il permettra au gouvernement d'agir rapidement afin de promouvoir la sécurité du système de télécommunications du Canada en minimisant les risques pour les utilisateurs.
Lorsque des préoccupations sont exprimées par les parties prenantes, nous les recevons avec sérieux. Nous travaillons avec rigueur au sein du comité dans un esprit de collaboration guidé par le souci de l'intérêt national. Comme plusieurs autres honorables députés l'ont déjà souligné, ce projet de loi est attendu depuis longtemps. L'adoption du projet de loi C‑8 représentera une étape importante dans les efforts continus du gouvernement pour contrer les menaces à la sécurité et les cybermenaces. Il va assurer la sécurité des Canadiens et des entreprises canadiennes. J'invite mes honorables collègues à l'appuyer rapidement.
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Monsieur le Président, c'est avec plaisir que je me lève aujourd'hui à la Chambre pour intervenir sur cette question. D'ailleurs, j'étais déjà intervenu lors de la dernière législature sur l'ancienne mouture du projet de loi, soit le projet de loi . On finit par se perdre avec tous ces projets de loi qui commencent par « C ».
Comme les éléments du projet de loi sont absolument identiques à ceux de la version précédente, nos craintes et nos espoirs sont exactement les mêmes aussi. J'aurais pu faire un copier-coller de ce que j'avais dit la dernière fois. Cela dit, je vais tout de même faire un effort d'originalité aujourd'hui.
Je pense qu'il y a consensus à la Chambre sur le fait que l'objectif est si fondamental et que cette question de la cybersécurité est tellement importante qu'il va sans dire que nous devons donner une chance au projet de loi C‑8 à cette étape de la deuxième lecture.
Le projet de loi sera ensuite étudié en comité, où nous aurons l'occasion de l'examiner plus en profondeur. Nous sommes tous d'accord pour dire que ce projet de loi regorge de bonnes intentions. Toutefois, il reste à voir si l'enfer, qui est toujours pavé de bonnes intentions, s'y retrouve également, comme c'est souvent le cas avec ce type de projet de loi. Il y a des considérations, et le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a soulevé certaines craintes, tout comme nous, en disant malgré tout qu'il était d'accord sur l'objectif du projet de loi.
Parlons d'abord de l'objectif du projet de loi. On s'entend: la cybersécurité est un enjeu majeur, y compris pour nous ici au Parlement. Dans quelques jours, le 21 octobre prochain, ça va faire six ans que je suis député ici, à la Chambre. Je ne compte plus le nombre de courriels que j'ai reçus qui signalaient une cyberattaque. On sait déjà que le cyberespace d'aujourd'hui et de demain est au cœur de la guerre économique et géopolitique de ce monde de plus en plus dangereux. Certains diront qu'il vaut mieux faire des cyberattaques que des attaques militaires, mais, malheureusement, l'un n'exclut pas l'autre.
Prenons quelques exemples pour symboliser le fait que cette question n'est pas du tout théorique. Rappelons qu'en 2020, le Parlement avait adopté une motion pour forcer le gouvernement à prendre une décision relativement à Huawei et à l'ingérence chinoise en général. Le gouvernement fédéral a récemment bloqué Huawei de la 5G après des années de tergiversations et d'avertissements par les services de renseignement.
Rappelons brièvement ce que sont les réseaux 5G, parce que cela illustre bien la nécessité de légiférer là-dessus. C'est une nouvelle technologie de télécommunications avec une bande passante qui est de 10 à 100 fois plus grande que celle des réseaux LTE actuels. La technologie se démarque non seulement par sa vitesse, mais aussi par son temps de latence qui est extrêmement bas. Le temps de latence est le délai entre le moment où un ordinateur communique avec un autre et reçoit une réponse. Cela ouvre la porte à plusieurs possibilités dans plusieurs domaines. Toutefois, pour atteindre de telles performances, la 5G utilise une multitude de chemins. Pour simplifier ceci, disons qu'une phrase qui est envoyée de Montréal à un ordinateur de Paris pourrait avoir un mot qui passerait par New York, un autre qui passerait par Londres, et un autre par Barcelone, et ainsi de suite jusqu'à l'infini. C'est ça, le monde interconnecté dans lequel nous sommes aujourd'hui. Ça rend la technologie particulièrement vulnérable puisqu'il devient très difficile de retracer le parcours des données.
Huawei a déjà été impliqué dans un scandale d'espionnage par la Chine du siège de l'Union africaine. Je ne sais pas si on se souvient de ça, mais c'est extrêmement inquiétant. En 2012, la Chine avait offert à l'Union africaine un bâtiment ultramoderne clé en main. La Chine disait à l'Union africaine qu'elle pouvait s'installer, qu'elle lui offrait les réseaux, les ordinateurs et les systèmes de télécommunications, que tout était fourni par Pékin. Or, en 2017, après quelques années d'activités, les informaticiens africains se sont aperçus que les serveurs envoyaient une très grande quantité de données pendant la nuit, alors que personne ne travaillait dans le bâtiment. C'était curieux. Ils se sont demandé pourquoi cela se produisait.
Ils ont découvert que les données étaient envoyées vers des serveurs en Chine qui espionnaient l'ensemble du personnel et des dirigeants politiques. Huawei était le principal fournisseur de l'infrastructure réseau. Tiens donc. Des micros ont aussi été découverts dans les murs et les tables.
En 2017, la Chine a adopté une nouvelle loi sur le renseignement national, selon laquelle toutes les entreprises chinoises doivent impérativement participer aux efforts de renseignement de la Chine. Cela comprend le renseignement miliaire et le renseignement civil. Une entreprise peut être appelée à espionner pour le compte d'une autre entreprise chinoise dans le but de placer la Chine en position avantageuse sur l'échiquier mondial.
La Chine a toujours nié que ses entreprises devaient espionner à l'étranger. Or, les services de renseignement occidentaux s'accordent pour dire que c'est faux et que la loi chinoise s'applique à l'étranger. De toute manière, comme on le sait, les grandes entreprises chinoises ont des liens étroits avec le Parti communiste chinois, l'armée chinoise et l'État chinois. Ces quatre-là ont une relation extrêmement incestueuse à Pékin.
De toute façon, une entreprise qui est le moindrement réfractaire au Parti communiste chinois n'a aucune chance de prospérer. La Chine n'est pas une économie de marché, bien entendu. C'est une économie extrêmement contrôlée et centralisée, même s'il y a officiellement sur papier des entreprises privées depuis ce qu'on a appelé les zones économiques spéciales, qui ont débuté après la mort de Mao Zedong et qui n'ont pas arrêté de s'étendre. On pensait, pendant un certain temps, que la Chine allait évoluer vers une économie de marché, mais ça n'a manifestement pas été le cas.
Pour toutes ces raisons, les experts craignent l'équipement chinois dans les infrastructures essentielles comme les télécommunications. D'ailleurs, le numérique était central à la stratégie que l'on appelle les nouvelles routes de la soie, qui ont été établies par le régime chinois à Pékin.
Là aussi, les Britanniques jugeaient qu'il était possible de mitiger le risque en empêchant certains domaines spécifiques d'avoir de l'équipement chinois, par exemple le domaine militaire ou les ambassades. C'étaient des domaines tellement stratégiques que les Britanniques excluaient ça. Ils sont cependant depuis revenus sur leur position et ont tout simplement banni l'entreprise en 2023.
Le renseignement américain, la CIA, et le renseignement criminel canadien, le SCRC, jugent que la menace est trop grande et qu'il faut bannir l'entreprise, ce que le gouvernement canadien a récemment fait pour la technologie 5G de Huawei. Les États‑Unis ont interdit à Huawei de développer la technologie 5G aux États‑Unis et exercent des pressions pour que leurs alliés de l'OTAN leur emboîtent le pas, ce que l'Australie, la Nouvelle‑Zélande et maintenant la Grande‑Bretagne ont fait.
Il faut dire que Huawei avait une bonne longueur d'avance pour ce qui est du développement de la technologie 5G, ce qui poussait beaucoup d'entreprises, y compris des entreprises canadiennes, à songer à utiliser l'équipement de Huawei. Depuis, il y a beaucoup d'autres entreprises, comme Nokia, Ericsson et Samsung, qui ont rattrapé leur retard. Cela a fait qu'il y a aujourd'hui plus d'offres sur le marché et que l'industrie canadienne des télécommunications s'est détournée des services de Huawei pour développer la technologie 5G. C'est donc tout à fait possible. Nous ne dépendons pas tant que ça de ce que la Chine a à proposer.
De plus, il y a des pays comme l'Australie et la Nouvelle‑Zélande qui ont refusé l'accès aux entreprises chinoises pour le développement de la technologie 5G, bien que ces pays aient un lien de dépendance beaucoup plus élevé avec la Chine que le Canada. Pendant longtemps, le gouvernement de Justin Trudeau avait joué sur l'incertitude, mais s'était finalement réveillé. Ça s'est mis à bouger. C'est le même son de cloche pour ce qui est des craintes vis-à-vis de TikTok. Le gouvernement a des craintes que l'effet de certaines applications soit utilisé par la Chine pour voler de l'information, et avec raison. On l'a vu, la Chine est la reine en matière de collecte de données.
Avec ce projet de loi, on vise bien sûr à répondre à un problème qui est réel, on vise à répondre à ces potentielles cyberattaques, mais, attention, nous craignons les ingérences d'Ottawa. Le commissaire à la protection de la vie privée a demandé si on avait la preuve que ce projet de loi, qui ne ferme pas clairement la porte au fait de retracer d'anciens courriels ou d'anciennes recherches, ne viendra pas empiéter sur la vie privée dans ses éléments les plus fondamentaux chez des citoyens et des citoyennes. La réponse est dans la question, c'est-à-dire qu'on devrait probablement préciser la chose et venir apporter davantage d'éléments pour rassurer les gens qui peuvent être inquiets pour leur vie privée. Actuellement, on n'en a pas la preuve. Du moins, on n'a pas la garantie qu'on l'a.
C'est pourquoi il sera impératif qu'il y ait une étude rigoureuse en comité, que nous fassions cette étude comme il le faut, que nous recevions des témoins et des experts. De toute façon, une partie du travail a été faite lors de l'étude de l'ancienne mouture du projet de loi, c'est-à-dire lors de l'étude du projet de loi . Malheureusement, nous n'étions pas davantage rassurés lors de celle-là. Il faudra venir modifier l'actuel projet de loi pour nous assurer qu'il n'y aura certainement pas d'empiètement dans la vie privée des gens de la part d'Ottawa.
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Monsieur le Président, je prends la parole aujourd'hui pour exprimer les graves préoccupations que j'ai à l'égard du projet de loi , une mesure visant à mieux protéger les infrastructures essentielles et de télécommunications.
La cybersécurité est très importante. Je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. Les réseaux d'information sont au cœur de l'économie canadienne, des systèmes d'éducation et de santé, mais aussi de notre quotidien. La protection de cette infrastructure essentielle est primordiale, mais il ne peut y avoir de sécurité sans liberté. Je m'attarderai donc aujourd'hui sur les répercussions du projet de loi sur les libertés individuelles des Canadiens ordinaires.
Le projet de loi donne au gouvernement fédéral de vastes pouvoirs. Il autorise le ministre de l'Industrie, sous réserve de l'autorisation du Cabinet, à ordonner aux fournisseurs de services de télécommunication, comme Rogers, Telus et Bell, de faire ou de s'abstenir de faire certaines choses, de retirer de l'équipement et, dans les cas les plus graves, de suspendre les ententes de service d'un individu ou d'y mettre fin. Même si le projet de loi C‑8 vise principalement les fournisseurs de services, il empiète indirectement sur les libertés fondamentales des Canadiens, car il ne prévoit aucune exemption pour les Canadiens qui dépendent d'Internet et des télécommunications pour travailler, voyager, communiquer, faire des affaires, effectuer des opérations bancaires et maintenir un lien avec leurs communautés virtuelles.
Réfléchissons à ce que cela signifie concrètement. Dans le monde d'aujourd'hui, la perte d'accès aux télécommunications ou à Internet n'est pas qu'un léger désagrément; c'est une forme d'isolement. Une telle perte peut empêcher une personne de travailler, d'apprendre, de payer ses factures, d'avoir accès à des soins de santé et de participer à la vie civique. Il s'agit essentiellement d'exclusion numérique.
Le plus grave problème du projet de loi , c'est qu'il contient des dispositions relatives au secret et à la non-divulgation. Il se peut qu'une personne qui se fait couper Internet ne sache pas pourquoi on a interrompu son service. Il se peut qu'elle n'ait pas connaissance des preuves pesant contre elle et qu'elle n'ait donc pas l'information nécessaire pour bien se défendre. Un Canadien pourrait se retrouver en marge du monde numérique sans aucun moyen d'y accéder. Le projet de loi C‑8 viole donc des garanties fondamentales prévues par la Charte des droits. Il s'agit d'une attaque directe contre notre Constitution.
L'article 7 de la Charte garantit ce qui suit:
Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Pour qu'il y ait justice fondamentale, il faut que la personne connaisse les preuves retenues contre elle et ait une chance équitable de se défendre. Dans sa forme actuelle, le projet de loi permettrait au gouvernement de priver des personnes de services essentiels sans même leur donner l'occasion de prendre connaissance des preuves pesant contre elles, ce qui constitue une violation flagrante des principes de justice fondamentale.
L'article 8 de la Charte, qui protège contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, serait également invoqué. Le projet de loi permettrait au gouvernement de recueillir des renseignements personnels sans consentement et sans trop de mesures de sauvegarde. La combinaison de décrets secrets et d'absence de divulgation crée un scénario où la vie privée et la liberté des Canadiens sont profondément menacées. Même si la sécurité nationale est invoquée, l'article 1 de la Charte exige que la restriction des droits soit proportionnée et nécessaire et qu'elle leur porte atteinte de façon minimale.
Les décrets secrets, les vastes pouvoirs et l'absence de moyens de défense ne répondent pas à ce critère. Les Canadiens ne devraient pas avoir à renoncer à leur droit à la sécurité. La sécurité et la liberté peuvent coexister. Le gouvernement peut à la fois défendre les réseaux de télécommunications et protéger les droits et libertés de tous les Canadiens.
Le projet de loi protège peut-être les réseaux, mais, dans sa forme actuelle, il risque d'emprisonner les citoyens de façon numérique et de les priver de leur droit à la justice fondamentale. Ce faisant, il porterait atteinte aux libertés que nous cherchons à protéger. Ne confondons pas sécurité et liberté. Ne troquons pas les droits des Canadiens contre un faux sentiment de protection.
Je vais donner un exemple concret de la façon dont le projet de loi pourrait toucher une personne ordinaire au Canada. Imaginons Sarah, une citoyenne frustrée par un programme gouvernemental qui, selon elle, est mal géré et qui est miné par la corruption. Dans sa frustration, elle publie en ligne des menaces d'exposer la corruption du gouvernement et de révéler des renseignements secrets qu'elle a recueillis sur le programme. Le gouvernement voit sa publication comme une menace pour le système de télécommunications, alors il donne en catimini un ordre en vertu du projet de loi C‑8. Le fournisseur de services Internet de Sarah a reçu l'ordre de suspendre ses services Internet et téléphoniques, et ce, sans mandat ni ordonnance du tribunal. La loi interdit au même fournisseur de divulguer la raison pour laquelle Sarah a vu sa connexion Internet suspendue. Si le fournisseur donnait une explication, il s'exposerait à des sanctions, voire à une peine d'emprisonnement. Le lendemain matin, Sarah apprend avec stupéfaction qu'elle n'a pas accès à son courriel, à son compte bancaire ni à son portail de travail. Ses comptes de réseaux sociaux sont gelés. Elle ne peut pas communiquer avec ses amis, sa famille, ni ses collègues. Elle a été complètement coupée du monde numérique et ne sait pas pourquoi.
C'est un système de double secret. L'ordre du gouvernement est gardé secret et il est interdit au fournisseur de dire quoi que ce soit à Sarah. Cette dernière ne peut pas voir les preuves qui pèsent contre elle ni poser de questions et n'a aucun moyen de se défendre. Elle est effectivement exclue du monde numérique. Elle est isolée, impuissante et réduite au silence.
Au cours des jours suivants, les choses s'aggravent. Sarah ne peut plus payer ses factures, travailler à distance, accéder aux portails de soins de santé, ni communiquer avec qui que ce soit. Elle finit par découvrir que le gouvernement est derrière tout cela et tente de contester la décision, mais on lui répond que tout contrôle judiciaire pourrait impliquer des preuves secrètes auxquelles elle n'a pas accès. Le fournisseur dispose de ces informations, mais en vertu du projet de loi C‑8, il n'est pas autorisé à les divulguer. Toutes les tentatives de Sarah pour faire valoir ses droits sont bloquées. Ce n'est plus juste un inconvénient pour elle: elle est complètement coupée du monde, sans véritable recours.
Si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, ce scénario pourrait se produire, en toute légalité. Mon exemple illustre pourquoi les dispositions du projet de loi C‑8 relatives au secret et à la non-divulgation sont si dangereuses pour les individus. Certains diront que cela n'arrivera jamais. Le gouvernement insistera sans doute sur le fait que l'intention du projet de loi est claire, mais pourquoi les Canadiens devraient-ils lui faire confiance?
Nous devons prendre le projet de loi au pied de la lettre. Nous devons nous fier à ce que le texte inscrirait explicitement dans la loi. Sinon, la loi destinée à protéger les infrastructures de télécommunications pourrait facilement être utilisée comme une arme par n'importe quel gouvernement contre les citoyens ordinaires. Les citoyens les plus exposés sont ceux qui, comme moi, expriment leur désaccord publiquement, haut et fort, remettent en question les idées reçues ou soulèvent des vérités dérangeantes. Ces citoyens, les plus actifs dans la société civile, sont les plus exposés au risque d'être coupés, pénalisés et isolés sans jamais savoir pourquoi.
Pour ces raisons, dans sa forme actuelle, le projet de loi mine les principes de justice fondamentale de la Charte. Dans ce contexte, la sécurité pourrait servir de prétexte au contrôle tout en justifiant l'absence de transparence et de liberté.
L'histoire de Sarah n'est pas seulement hypothétique; c'est un avertissement. À cause du projet de loi , les Canadiens ordinaires risquent d'être prisonniers du secret, réduits au silence sans raison et privés de leurs droits les plus fondamentaux. Il est possible de sécuriser un réseau sans risquer de refouler des citoyens innocents hors du monde numérique et sans les priver de la capacité de se défendre. Oui, c'est possible. Le projet de loi pourrait prévoir des exemptions claires pour les utilisateurs individuels et il serait bon que le comité examine la question. Ce sont des mesures pratiques et raisonnables que les gouvernements pourraient adopter.
Nous avons le devoir envers tous les Canadiens de ne ménager aucun effort pour élire des dirigeants qui refuseront d'être réduits au silence et qui protégeront la sécurité et les libertés de la population canadienne, car la liberté sans sécurité est une cage.
Je partagerai mon temps de parole avec le député de .
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Monsieur le Président, ma savante collègue d' a prononcé un excellent discours. Il n'est pas facile de prendre la parole après elle.
Quand j'ai lu le projet de loi pour la première fois, j'en suis resté bouche bée. Comme je l'ai déjà mentionné à la Chambre, ce qui m'a motivé à devenir politicien, c'est la violation des droits fondamentaux garantis par la Charte que les libéraux ont commise lors de la dernière législature. Même en gardant cette violation à l'esprit, j'avais pensé et espéré qu'ils avaient peut-être tiré une leçon de leurs erreurs et qu'ils ne tenteraient pas aussi ardemment, au cours de la législature actuelle, de s'arroger des pouvoirs qui leur sont interdits explicitement par la Constitution, mais je me suis trompé.
Avant d'aborder le projet de loi aujourd'hui, je dirai simplement que j'ai été choqué d'entendre les libéraux prétendre défendre les droits garantis par la Charte. Ils ont eux-mêmes violé les articles 2 et 8 de la Charte en invoquant la Loi sur les mesures d'urgence. C'est ce qu'a déterminé le juge Mosley, de la Cour fédérale. Tous les députés libéraux de la dernière législature ont voté en faveur de cette mesure. Je ne veux plus entendre tous ces députés qui ne se sont pas excusés pour cette violation parler de défense des droits garantis par la Charte.
En ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis, les articles 15.1 et 15.2 me préoccupent, puisqu'ils accorderaient au ministre le pouvoir incroyable et sans précédent d'expulser tout citoyen canadien d'Internet et de désactiver sa ligne téléphonique et son téléphone cellulaire. Je le résume en langage clair, mais je vais maintenant citer le jargon juridique du projet de loi:
S'il existe des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour sécuriser le système canadien de télécommunication face à toute menace, [...] le ministre peut [...]
interdire aux fournisseurs de services de télécommunication de fournir des services à toute personne qu'il précise [...]
Il serait peut-être logique de le faire dans des circonstances extrêmes, si une personne essaie de provoquer l'écrasement des satellites ou de bloquer les radars militaires, mais l'article ne parle pas de menaces extrêmes de dommages physiques ni de menaces à la sécurité nationale. On parle de « toute menace ».
Étant donné que les libéraux font, de manière pompeuse et irréfléchie, l'usage de termes comme « mésinformation », qui désigne en fait toute information qui leur déplaît, ou « menace existentielle », comme lorsque le député de a qualifié le de mon parti de « menace existentielle pour notre démocratie », ce qui est, bien sûr, absurde, il me semble que la ministre de l'Industrie pourrait juger n'importe quel discours qui déplaît aux libéraux comme faisant partie de « toute menace », pour ensuite couper l'accès à Internet pour la personne qui a tenu ces propos. Cette disposition atteint un niveau d'ingérence qu'on peut voir de la part du Parti communiste chinois, et les libéraux devraient avoir honte.
Le projet de loi va en s'aggravant, et non en s'améliorant. Le paragraphe 15.2(5) donnerait au ministre le pouvoir de décider, en secret, de couper l'accès à Internet d'une personne. Imaginons que les chefs suprêmes du Parti libéral soient contrariés par quelqu'un et décident de lui couper l'accès à Internet et à sa ligne téléphonique. Cette personne ne pourrait pas dire à qui que ce soit qu'on lui a coupé l'accès à ces services. Je n'ai aucune idée de la façon dont on pourrait appliquer cette mesure, mais imaginons qu'une personne soit essentiellement envoyée dans un goulag numérique, incapable d'utiliser le téléphone, Internet ou les services bancaires en ligne, et que cette personne risque la prison si elle parle de ce qui lui est arrivé à qui que ce soit.
Je suis certain que les libéraux vont affirmer que mon interprétation est quelque peu farfelue. Ce n'est pas le cas; c'est écrit noir sur blanc. Je vais citer le projet de loi, parce qu'ils ne semblent pas l'avoir lu: « L'arrêté visé aux paragraphes (1) ou (2) peut aussi comprendre une disposition interdisant à toute personne de divulguer l'existence de celui-ci ou tout ou partie de son contenu. » Si les députés ne sont pas enclins à me croire, ils peuvent chercher sur Google « Bill C‑8 » et « Canadian Constitution Foundation ». Ils y trouveront la publication du 1er octobre 2025, dans laquelle les juristes corroborent mes préoccupations.
Je suis navré de devoir dire que le projet de loi est encore pire plus loin; il ne s'améliore pas. L'article 15.4 stipule que « [l]e ministre peut exiger de toute personne qu'elle fournisse, selon les modalités qu'il précise [...] les renseignements [qui l'aideraient à prendre une décision au sujet] d'un décret visé à l'article 15.1, d'un arrêté visé à l'article 15.2 [...] ».
Il me semble que si la loi est adoptée dans sa forme actuelle, sans modification, la pourrait se réveiller un matin et décider que n'importe lequel d'entre nous ou n'importe quel autre citoyen peut éventuellement représenter, car elle n'en est pas tout à fait sûre, une sorte de menace pour le système de télécommunications du pays. Sans mandat, sans procès et sans contrôle judiciaire automatique, elle pourrait obliger Rogers ou Telus à lui fournir le carnet d'adresses de ce citoyen, son historique de recherche sur Internet ou l'historique de son navigateur.
C'est déraisonnable et choquant. C'est ça le Parti libéral sous la direction du nouveau . Le nouveau patron est pareil à l'ancien. Dans mon premier discours à la Chambre, j'ai supplié le nouveau de rejeter les ténèbres et de se tourner vers la lumière. En présentant de nouveau le projet de loi du gouvernement Trudeau, il nous indique n'a pas réussi à changer de cap.
Je ne suis pas le seul à soulever ces préoccupations. Les libéraux ont tenté de faire adopter le projet de loi à toute vitesse lors de la dernière législature. Plusieurs groupes de la société civile ont écrit une lettre ouverte à l'ancien ministre Marco Mendicino pour l'informer des problèmes. Parmi les signataires de la lettre figurent l'Association canadienne des libertés civiles, la Canadian Constitution Foundation, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, la Ligue des droits et libertés, OpenMedia et le Conseil du Canada de l'accès et de la vie privée.
Voici une citation tirée d'un résumé de cette lettre: « Le projet de loi C‑26 accorde au gouvernement de nouveaux pouvoirs considérables sur de grands pans de l'économie du pays, mais il lui permet aussi de s'immiscer dans la vie privée des citoyens. »
Voici une autre citation: « À maintes reprises, nous avons vu les gouvernements fédéraux tenter de s'octroyer le pouvoir de s'immiscer dans nos vies privées au nom de la “sécurité” — et à maintes reprises, les gens au Canada se sont unis pour s'y opposer. »
Le résumé de la lettre indique également que le projet de loi ne prévoit aucune mesure de sauvegarde pour limiter les abus, qu'il permet à des décrets inconnus de l'emporter sur la réglementation publique, qu'il autorise le recours à des éléments de preuve secrets devant les tribunaux, qu'il accorde des pouvoirs sans responsabilité et qu'il manque de justification; en d'autres termes, le projet de loi ne résoudrait même pas les problèmes de cybersécurité qu'il prétend régler.
Les libéraux considèrent-ils que la montée insidieuse de l'autoritarisme dans le monde et sur ce continent est un problème, ou non? Si oui, pourquoi ont-ils rédigé un projet de loi contenant des dispositions aussi autoritaires? Pourquoi n'ont-ils absolument pas tenu compte des conseils de ces groupes de défense des libertés civiles?
Une fois de plus, le projet de loi sera renvoyé au comité. Une fois de plus, les conservateurs seront invités à faire le travail des libéraux et à corriger un projet de loi qui comporte de graves lacunes. Les dispositions problématiques que j'ai décrites ne renforceraient pas notre sécurité. La désactivation par la ministre de l'Industrie du téléphone cellulaire d'un simple citoyen canadien n'empêcherait en rien les pirates informatiques en Russie, en Chine et en Iran de semer le chaos dans nos infrastructures de télécommunications. Les libéraux ne peuvent pas régler le problème parce qu'ils ne le comprennent pas. Ils ne comprennent même pas d'où il vient. Dans la situation relativement exceptionnelle où la menace viendrait effectivement d'un simple citoyen canadien installé dans le sous-sol de sa mère, pourquoi les libéraux désactiveraient-ils son compte Rogers? Nous pouvons obtenir un mandat, arrêter le contrevenant, tenir un procès public et le mettre en prison.
Ce sont les conservateurs qui se préoccupent de la cybersécurité et qui la comprennent. Les gens qui suivent un tant soit peu les nouvelles se souviendront que les conservateurs ont demandé pendant trois ans que Huawei soit exclue des réseaux 5G du Canada avant que les députés d'en face ne daignent prendre cette menace au sérieux.
Nous allons récupérer ce qui est bon dans le projet de loi, et nous le faisons avec plaisir dans l'intérêt des Canadiens, mais ce travail de nettoyage ne devrait pas être nécessaire. Si les libéraux se contentaient de se montrer à la hauteur du respect apparemment hypocrite qu'ils portent aux droits garantis par la Charte, nous n'aurions même pas besoin de tenir cette discussion.