La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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Débats d’urgence

Le Règlement donne aux députés l’occasion d’examiner immédiatement une question urgente en proposant une motion d’ajournement qui peut faire l’objet d’un débat. Un député peut demander au Président l’autorisation de « proposer l’ajournement de la Chambre en vue de la discussion d’une affaire déterminée et importante dont l’étude s’impose d’urgence [51]  ». Il doit cependant s’agir d’une question qui se rapporte « à une véritable urgence [52]  » et, si le Président accueille la demande, la Chambre peut renoncer au préavis habituel de 48 heures pour en débattre sans tarder.

Jusqu’au tournant du siècle, tout député pouvait, à pratiquement n’importe quel moment des délibérations, lancer la discussion sur un nouveau sujet en proposant une motion d’ajournement de la Chambre. Comme ce genre de motion pouvait être proposée n’importe quand et devait toujours faire l’objet d’un débat, il en résultait une interruption des travaux de la Chambre qui perturbait souvent le programme de toute la journée. En 1906, le gouvernement a décidé de remédier à la situation par l’adoption d’une nouvelle règle, l’ancêtre de l’article actuel du Règlement, selon laquelle seules les motions d’ajournement portant sur des affaires déterminées et dont l’étude s’impose d’urgence pourraient faire l’objet d’un débat [53] .

De 1906 à 1968, une fois acceptées, les motions demandant un débat d’urgence étaient examinées immédiatement. Les autres travaux étaient alors mis de côté. En décembre 1968, la Chambre a modifié la règle de façon à ce que le débat commence à 20 heures (15 heures le vendredi) lorsque la question est mise à l’étude le jour même [54] . En plus de perturber les travaux habituels de la Chambre, cela occasionnait toujours un conflit. Après l’abolition, en 1982, des séances normales de travail en soirée [55] , le conflit entre les débats d’urgence et les travaux courants de la Chambre a été éliminé sauf le vendredi.

Comme un Président l’a fait remarquer, un débat d’urgence doit porter sur un sujet « présentant un intérêt immédiat pour toute la population [56]  ». Il s’ensuit que des problèmes chroniques, comme la situation économique, le chômage et les affaires constitutionnelles, ont été rejetés le plus souvent, tandis qu’on jugeait que des sujets comme les arrêts de travail et les grèves, les catastrophes naturelles, ainsi que les crises et événements internationaux exigeaient une attention immédiate. D’autres sujets comme la pêche, l’exploitation forestière, l’agriculture et le commerce des fourrures ont été jugés acceptables à divers moments; plusieurs débats d’urgence ont porté, par exemple, sur des questions relatives aux céréales depuis 1968, et il y a eu quatre débats d’urgence sur l’industrie canadienne de la pêche depuis 1984. Les questions jugées très partisanes ne sont pas agréées aussi volontiers [57].

Lancement du débat

Qu’il soit simple député ou ministre [58] , tout député qui désire proposer l’ajournement de la Chambre afin de discuter d’une question précise et importante sur laquelle il est urgent de se pencher doit en aviser le Président par écrit au moins une heure avant de se lever à la Chambre pour en faire la demande officiellement [59] . À la fin des affaires courantes ordinaires [60] , tout député qui en a prévenu le Président peut se lever pour demander l’autorisation de proposer l’ajournement de la Chambre afin de débattre du sujet précisé dans l’avis [61] . Le député fait alors une brève déclaration, qui se résume d’habitude à lire simplement le texte de la demande déposée auprès du Président [62] . La présentation ne doit s’accompagner d’aucune discussion ou argumentation [63]  car, comme un Président l’a souligné, un long exposé risque de provoquer un débat [64] . À l’occasion, toutefois, un député sera autorisé à étoffer sa demande si la présidence indique qu’un supplément d’information pourrait l’aider à prendre sa décision [65] .

Lorsqu’il reçoit plus d’un avis, le Président donne la parole aux députés dans l’ordre où les demandes lui sont parvenues [66] . Si l’on n’atteint pas, dans les affaires à l’ordre du jour, la période réservée à l’audition des demandes, ou si la Chambre décide de passer à autre chose en adoptant, par exemple, une motion visant à passer à l’ordre du jour pendant les affaires courantes, la présidence ne peut pas entendre les demandes de débats d’urgence. Ces demandes doivent être représentées à la prochaine séance à moins que la Chambre n’autorise, par consentement unanime, le Président à les entendre à un autre moment durant la séance [67] .

Il est bien important de déposer l’avis de motion au bon moment. En une occasion, le Président a prié un député qui s’était levé pour présenter une motion dont il avait donné avis quelques jours plus tôt d’en redonner avis [68] . Même si la Chambre peut, par consentement unanime, autoriser un député à présenter une motion dont avis n’a pas été donné le jour même [69] , la présidence a exprimé des réserves au sujet du report des avis de motion. Un Président a maintenu qu’une question qui exige des mesures urgentes un jour n’exigera pas nécessairement la même attention le lendemain ou peut, au contraire, devenir encore plus critique, ce qu’il faut laisser au motionnaire le soin de déterminer [70] . À une occasion, les avis de motion ont été déposés pendant une longue interruption des travaux de la Chambre et ont été pris en considération à la fin des affaires courantes ordinaires le premier jour où la Chambre a repris ses travaux [71] .

Latitude du Président

Après avoir entendu une demande de débat d’urgence, le Président décide, sans discussion aucune, si la question est suffisamment déterminée et importante pour justifier son étude urgente à la Chambre [72] . Il se fonde sur le Règlement, les textes faisant autorité et la pratique, pour décider s’il y a lieu ou non d’autoriser la demande.

Le Président n’est pas tenu de motiver sa décision d’accueillir ou de rejeter une demande de débat d’urgence [73] . Il arrive cependant que des raisons soient données, même si la présidence cherche à s’en garder pour éviter d’ajouter à la jurisprudence qui est elle-même susceptible de susciter un débat à la Chambre [74] .

Critères de décision

Bien que le Règlement lui laisse passablement de latitude pour décider si une question doit être portée d’urgence devant la Chambre, le Président doit tenir compte de certains critères. Pour décider si une question a trait à une urgence réelle dont il ne serait pas possible de saisir la Chambre dans un délai raisonnable par d’autres moyens, comme à l’occasion d’un jour réservé aux travaux des subsides [75] , le Président prend dûment en considération, outre l’importance et la nature précise de la question [76] , la mesure dans laquelle celle-ci relève des responsabilités administratives du gouvernement ou pourrait relever de la compétence ministérielle [77] .

Le Président vérifie ensuite si la demande répond à d’autres critères. La motion proposée doit porter sur une seule question [78] . La motion d’ajournement de la Chambre en vue d’un débat d’urgence ne saurait relancer la discussion sur une question qui a déjà fait l’objet de pareils débats au cours de la même session [79]  ni soulever une question de privilège [80] . Elle ne peut, d’autre part, porter sur une question qui exige normalement, pour faire l’objet d’un débat, une motion de fond dont avis a été donné et sur laquelle la Chambre doit se prononcer [81] .

D’autres conditions découlant de décisions antérieures sont également examinées. La présidence a établi comme principe que, en temps normal, le sujet proposé ne doit pas être uniquement d’intérêt local ou régional, se rapporter uniquement à un groupe ou à une industrie en particulier [82] , ni concerner l’administration d’un ministère du gouvernement [83] . Des demandes de débat sur des situations chroniques [84] , sur des questions découlant des travaux de la session en cours [85]  ou des délibérations du Sénat [86] , sur des questions dont des tribunaux ou d’autres organismes administratifs sont saisis [87]  et sur des motions de défiance ou de censure [88]  ont été rejetées. La présidence a par ailleurs décrété qu’il ne saurait y avoir de débat d’urgence sur l’interprétation d’un article du Règlement [89]  et que ce mécanisme ne saurait « servir de véhicule pour exposer les déclarations et les allégations faites en dehors de la Chambre par des organismes ou des personnes qui ne doivent pas y répondre de leurs actes [90]  ». Un Président a décrété par ailleurs qu’on ne peut pas se servir des dispositions relatives aux débats d’urgence pour discuter de choses « qui, dans un programme législatif de la Chambre des communes et au cours de l’étude normale des textes législatifs, peuvent être présentées à la Chambre sous forme de modifications à des lois existantes ou lui seront de toute façon présentées sous une forme différente [91]  ».

Dans un cas exceptionnel, un débat d’urgence a toutefois été autorisé à cause « de la révélation soudaine et imprévue d’événements qui, faute d’intervention, pourrait précipiter l’adoption de mesures que l’on pourrait incontestablement qualifier d’urgentes [92]  ».

Si la Chambre manifeste le désir de tenir un débat d’urgence, le Président peut enfin en tenir compte pour acquiescer à une demande en ce sens [93] . La présidence a de même autorisé périodiquement des débats d’urgence sur des questions qui n’étaient pas nécessairement urgentes au sens de l’article du Règlement, mais dont le calendrier parlementaire empêchait de discuter en temps opportun [94] .

La responsabilité de décider si une question constitue un sujet acceptable de débat d’urgence est parfois retirée à la présidence. Il est arrivé que la Chambre décide elle-même, à l’unanimité, de tenir un débat d’urgence, parfois au moyen d’un ordre spécial [95] . En une occasion notable, le Président n’a pas eu à rendre de décision sur plusieurs demandes semblables, la Chambre ayant, plus tard au cours de la séance, donné son consentement unanime à la présentation d’un projet de loi sur le même sujet et décidé de passer immédiatement au débat sur la motion visant la deuxième lecture du projet de loi [96] .

Le Président diffère dans bien des cas sa décision sur une demande de débat d’urgence pour y revenir plus tard dans la journée; il interrompt alors les travaux de la Chambre pour annoncer sa décision [97] . Dans un cas exceptionnel, le Président n’est revenu en Chambre pour rendre sa décision que le lendemain [98] .

Le Règlement interdit la présentation de plus d’une motion d’ajournement de la Chambre en vue d’un débat d’urgence au cours d’une même séance [99] ; il est toutefois possible de déposer plus d’un avis de motion, auquel cas il appartient au Président de déterminer lequel est recevable, le cas échéant. Si plusieurs demandes de débat d’urgence sur un même sujet sont présentées au cours d’une même séance et jugées recevables, le Président autorise l’auteur du premier avis de motion jugé recevable à proposer l’ajournement de la Chambre [100] .

Heure et jour du débat

Le Règlement stipule qu’un débat d’urgence doit se tenir entre 20 heures et minuit le jour où une demande en ce sens est accueillie, à moins que le Président n’ordonne que la motion soit examinée à une heure qu’il reste à préciser le jour de séance suivant [101] . La Chambre a également adopté périodiquement des ordres spéciaux fixant l’heure d’un débat d’urgence [102] . Dans un cas, une demande de débat d’urgence a été accordée à un moment où la Chambre avait prolongé ses heures de séance en juin [103] .

Lorsqu’un débat d’urgence est prévu pour 20 heures, la séance est suspendue à l’heure normale d’ajournement; la Chambre reprend ses travaux à 20 heures et le député dont la demande a été autorisée propose « Que cette Chambre s’ajourne maintenant [104]  ». Lorsqu’un débat d’urgence est prévu pour 20 heures les lundi, mardi, mercredi et jeudi, les délibérations sur la procédure normale d’ajournement sont éliminées puisque la motion dont la Chambre est saisie est identique. Il est toutefois arrivé que, par consentement unanime, cette procédure soit suivie; dans ces cas, après le débat sur la motion d’ajournement, celle-ci a été réputée retirée et la séance suspendue jusqu’à 20 heures [105] . Il est aussi arrivé à l’occasion, par consentement unanime, que la séance soit suspendue avant l’heure habituelle d’ajournement afin de permettre aux députés de se préparer pour le débat d’urgence [106] .

Les débats d’urgence se tiennent habituellement en dehors des heures de séance normales, sauf le vendredi. Le Règlement donne toutefois la priorité aux débats d’urgence le vendredi ou lorsque le Président en fixe l’heure pendant les heures normales de la séance suivante. Il appartient alors au Président de décider quand toute question laissée de côté en vue du débat d’urgence sera reprise ou mise aux voix [107] .

Le vendredi, les débats d’urgence commencent dès que le Président juge la demande recevable [108] . Si la demande est présentée et accueillie immédiatement après les affaires courantes, le débat commence à environ 12 h 15 et se poursuit jusqu’à 16 heures, heure à laquelle la motion « Que cette Chambre s’ajourne maintenant » est réputée adoptée. Lorsqu’un débat d’urgence se tient le vendredi, où l’heure habituelle d’ajournement est 14 h 30, environ deux heures ou deux heures et demie de travaux de la Chambre sont donc déplacées. Depuis l’entrée en vigueur de cet article du Règlement en 1987 [109] , aucun débat d’urgence n’a eu lieu le vendredi, mais le Président a dans deux cas reporté un tel débat à 20 heures le lundi suivant [110] .

Règles du débat

Au cours d’un débat d’urgence, aucun député ne peut prendre la parole pendant plus de 20 minutes [111]  et il n’y a pas de période de questions et observations [112] . Toutefois, pour permettre au plus grand nombre possible de députés de participer, la durée des interventions a souvent été réduite par consentement unanime à 10 ou 15 minutes [113] . Les règles établies pour les débats s’appliquent aux débats d’urgence [114]. Une motion d’ajournement de la Chambre pour discuter d’une question importante dont l’étude s’impose d’urgence ne peut, comme toute autre motion d’ajournement, faire l’objet d’amendements [115] .

Interruption et conclusion du débat

Comme mentionné plus haut, une fois lancé, un débat d’urgence a priorité sur tout le reste. Du lundi au jeudi, le débat ne devrait, s’il se tient après l’heure d’ajournement habituelle, causer aucun conflit. S’il a lieu un vendredi, en plus des quelque 90 minutes réservées aux affaires émanant du gouvernement, le débat supplante également une heure des affaires émanant des députés. En effet, le Règlement interdit expressément toute interruption pour les affaires émanant des députés [116] .

Comme la motion visant la tenue d’un débat d’urgence est libellée simplement « Que cette Chambre s’ajourne maintenant », la Chambre n’a pas à prendre de décision sur le sujet débattu à la fin du débat [117] . À minuit (16 heures le vendredi) ou lorsqu’aucun député ne se lève pour prendre la parole, la motion est déclarée adoptée par le Président et la Chambre s’ajourne jusqu’au jour de séance suivant [118] . Si le débat se tient pendant les heures de séance normales de la Chambre et prend fin avant l’heure d’ajournement habituelle, la motion est réputée retirée et la Chambre passe à d’autres questions [119] .

Le Règlement autorise un député, dans l’heure qui précède l’heure normale d’ajournement du débat, c’est-à-dire entre 23 heures et minuit (15 heures et 16 heures le vendredi), à présenter une motion en vue de poursuivre le débat au-delà de minuit (16 heures le vendredi) [120] . Si moins de 15 députés se lèvent pour signifier leur opposition, la motion est réputée adoptée. Un petit nombre seulement de débats ont été prolongés au-delà de minuit en application du Règlement [121] , alors que plusieurs ont été prolongés par consentement unanime [122] .

Il est arrivé que la Chambre veuille s’exprimer sur le thème d’un débat d’urgence par l’adoption d’une motion ou d’une résolution. En 1970, la Chambre a tenu un débat d’urgence sur le conflit nigérian-biafrais; selon un ordre spécial donné plus tôt au cours de la séance, le débat a été interrompu à 22 h 30, la Chambre a adopté une motion sur le même sujet puis elle a ajourné sans mettre la question aux voix [123] . En 1983, après un débat d’urgence sur l’incident de l’avion civil sud-coréen abattu par l’Union soviétique, la motion d’ajournement de la Chambre a été réputée retirée, la Chambre a adopté une résolution dénonçant les actes du gouvernement soviétique, puis elle a ajourné par consentement unanime jusqu’au jour de séance suivant [124] . En 1989, un débat d’urgence sur le massacre de la Place Tiananmen à Beijing, en Chine, a été interrompu pour permettre à la Chambre d’adopter une résolution condamnant cet acte [125] .


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