La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 13. Le maintien de l'ordre et le décorum - Les rappels au Règlement

 

Lorsqu’un député juge que les règles ou les coutumes de la Chambre, en ce qui concerne par exemple la pertinence des interventions ou les répétitions, les remarques non parlementaires ou le quorum, ont été transgressées ou mal appliquées pendant une séance, il peut invoquer le Règlement afin de porter la chose à l’attention de la présidence[263]. Il peut le faire à peu près à n’importe quel moment, à condition de formuler son objection et de présenter brièvement ses arguments[264] dès qu’il constate l’irrégularité[265]. Les rappels au Règlement touchant les questions de procédure doivent être faits promptement, avant que le débat n’en soit rendu à un stade où une telle intervention serait déplacée. Comme ces rappels portent sur l’interprétation des règles de procédure, il appartient au Président d’en déterminer le bien‑fondé et de résoudre la question qu’ils soulèvent[266].

Il est fréquent que des députés fassent des interventions de cette nature, mais les véritables rappels au Règlement sont rares. En fait, les députés ont souvent recours à cette manœuvre simplement pour tenter d’obtenir la parole et de participer au débat en cours; dans les cas de ce genre, le Président ne leur permet pas de poursuivre[267]. Chaque rappel au Règlement doit être réglé avant qu’il soit possible d’en faire un nouveau. En outre, lorsqu’un député invoque le Règlement pendant l’examen d’une question de privilège, le rappel au Règlement a habituellement préséance jusqu’à ce que la présidence ait déterminé s’il y a effectivement eu contravention à une règle et qu’elle ait tranché la question[268]. Il est déjà arrivé toutefois que le Président refuse d’entendre une objection pendant l’examen d’une question de privilège[269]. Par ailleurs, en cas de désordre sur le parquet ou dans les tribunes, la nécessité de rétablir l’ordre obligerait là encore le Président à mettre temporairement de côté un rappel au Règlement.

*   Les règles relatives aux rappels au Règlement

N’importe quel député peut interrompre le député qui a la parole pendant un débat et porter une irrégularité de procédure à l’attention de la présidence dès qu’elle se produit; le député qui avait la parole doit alors reprendre son siège jusqu’à ce que l’affaire ait été réglée d’une manière ou d’une autre[270]. Lorsqu’il obtient la parole à son tour, le député qui a soulevé l’objection doit se contenter d’indiquer sur quelle pratique ou quel article du Règlement porte son intervention; autrement, le Président peut lui demander de le faire.

En vertu du Règlement, un rappel au Règlement peut faire l’objet d’un bref débat si le Président y consent[271]. Cette règle, déjà en vigueur à l’Assemblée législative de la Province du Canada, a été maintenue au moment de la Confédération[272]. De nombreux députés croyaient d’ailleurs que la règle prévoyait la tenue d’un débat sur tout rappel au Règlement avant que le Président ne rende sa décision. En fait, la règle et la pratique ne concordaient pas avant 1906, l’année où la règle a été modifiée dans le but de légitimer la coutume voulant que les rappels au Règlement puissent faire l’objet d’un débat à la discrétion du Président[273]. Au début des années 1980, les rappels au Règlement suscitaient des discussions de plus en plus longues, et les Occupants du fauteuil se sentaient obligés d’intervenir; il est même arrivé qu’ils refusent d’accorder la parole à des députés qui soulevaient une objection[274]. Malgré les pressions des députés, les Présidents successifs ont appliqué le Règlement avec de plus en plus de rigueur et, tout en autorisant le débat sur certains rappels au Règlement, ils en limitent considérablement la longueur. Par ailleurs, lorsqu’un député invoque le Règlement pendant un discours, le Président décide si l’intervention est incluse ou non dans le temps alloué pour cette étape du débat[275].

Il existe de nombreuses exceptions à la règle selon laquelle le rappel au Règlement doit se faire dès que l’irrégularité de procédure se produit. Par exemple, les objections soulevées pendant le Débat d’ajournement sont examinées le jour de séance suivant[276].

Les rappels au Règlement qui se produisent pendant la période des questions ou les Déclarations de députés sont habituellement reportés à la fin de la période des questions[277]. Entre la Confédération et 1975, la coutume voulait que les rappels au Règlement soient faits dès que se produisaient les irrégularités de procédure sur lesquelles ils portaient, même pendant la période des questions[278]. La Chambre a toutefois décidé en 1975, dans le cadre de la réforme touchant l’ordre de ses travaux et le déroulement de la période des questions, qu’il ne devait pas y avoir de rappels au Règlement pendant cette période[279]. La décision prise par la Chambre à cet égard ne constituait qu’une entente provisoire, mais les Présidents successifs en ont maintenu l’esprit, malgré l’opposition véhémente des députés, même après que l’entente eut cessé d’être en vigueur en octobre 1977, la Chambre ayant refusé de donner un statut permanent à certains ordres de session. Le Président a continué malgré tout d’appliquer cette nouvelle pratique[280], qui a été étendue en 1982 aux Déclarations de députés[281] et a finalement été codifiée dans le Règlement de 1986[282]. Si un député invoque le Règlement pendant les Déclarations de députés ou la période des questions, le Président indique qu’il l’entendra après la période des questions[283].

Toute question faisant l’objet d’un rappel au Règlement doit en principe être portée à l’attention du Président après les Affaires courantes (à 10 heures le mardi et le jeudi, à 15 heures le lundi et le mercredi, et à midi le vendredi)[284] quoique, de nos jours, le Président invite généralement les députés à soulever ces questions après la période des questions.

Les députés ne peuvent pas faire de commentaires à la Chambre ou participer au débat en soulevant une question sous prétexte d’un rappel au Règlement[285]. Ils ne peuvent pas invoquer le Règlement pour proposer l’ajournement de la Chambre[286], l’ajournement du débat ou la prolongation d’une séance[287], ou encore pour passer à l’Ordre du jour[288], et ils ne peuvent pas le faire non plus pendant la vérification du quorum[289]. Malgré la règle voulant que les députés ne puissent pas avoir recours à ce moyen pour proposer une motion de fond[290], ils s’en servent souvent pour demander le consentement unanime de la Chambre pour présenter une motion de ce genre[291]. Pendant les Affaires courantes, il est arrivé que des députés soient autorisés à invoquer le Règlement pour demander où en était rendue l’étude d’une question figurant au Feuilleton[292] ou d’un avis de motion portant production de documents[293]. Il est déjà arrivé également qu’ils invoquent le Règlement pour obtenir le consentement unanime de la Chambre afin de prolonger la période réservée aux questions et observations à la suite d’un discours[294] ou de passer aux Affaires émanant des députés avant l’heure prévue[295].

Un ministre peut invoquer le Règlement à n’importe quel moment d’une séance pour déposer un avis de motion des voies et moyens, quoique la présidence ait déjà laissé entendre que ces avis devraient être déposés à la fin des Ordres émanant du gouvernement, avant le début de l’heure réservée aux Affaires émanant des députés, ou encore entre le moment où un député reprend son siège après une intervention et celui où un autre obtient la parole pour poursuivre le débat[296]. Les ministres peuvent également invoquer le Règlement à n’importe quelle étape du débat pour donner préavis oral d’une motion d’attribution de temps[297] ou de clôture[298].

Les rappels au Règlement peuvent se faire une fois le débat terminé, soit avant, soit après la tenue d’un vote, mais il est interdit d’interrompre le Président lorsque celui‑ci met la question aux voix[299]. Il est déjà arrivé que la présidence doive refuser d’entendre un rappel au Règlement, soit parce qu’elle avait déjà convoqué les députés pour un vote, soit parce que le résultat du vote n’avait pas encore été annoncé[300]. Si un député signale une infraction au Règlement pendant la tenue d’un vote, celui‑ci est mené à terme avant que le rappel au Règlement ne soit examiné[301]. Les rappels au Règlement se rattachant à un vote sont généralement faits immédiatement après l’annonce du résultat de ce vote[302].

*   Les décisions relatives aux rappels au Règlement

Le Président a pour fonction de maintenir l’ordre et le décorum, et de décider de toutes les questions de procédure qui peuvent se poser[303]. Il doit immédiatement porter à l’attention de la Chambre toute irrégularité dans le débat ou la procédure, sans attendre l’intervention d’un député. Il doit en outre régler les questions d’ordre une fois qu’elles se sont posées, et non par anticipation. Par ailleurs, même si elles sont présentées comme des rappels au Règlement, le Président ne peut pas répondre aux questions hypothétiques touchant la procédure, ni aux questions de nature juridique ou constitutionnelle[304].

Lorsqu’un député invoque le Règlement, le Président tente de régler la question immédiatement. Cependant, il peut au besoin prendre l’affaire en délibéré et revenir plus tard devant la Chambre pour rendre sa décision officielle[305]. En cas de doute, il peut également autoriser la tenue d’un débat sur le rappel au Règlement avant de rendre sa décision, mais il n’accepte alors que les commentaires se rapportant strictement à la question soulevée[306]. Lorsqu’il rend sa décision, le Président indique l’article du Règlement ou d’autres autorités applicables en l’espèce, ou cite tout simplement le numéro de l’article pertinent[307]. Cette décision est sans appel et clôt la discussion[308]. Les députés ne peuvent pas invoquer le Règlement pour discuter d’une question dont le Président a déjà dit qu’il ne s’agissait pas d’une question de privilège[309], ou pour soulever une objection en tant que question de privilège après que le Président eut statué que la question ne pouvait pas faire l’objet d’un rappel au Règlement[310].



[263] Voir, par exemple, Débats, 20 octobre 2006, p. 4062.

[264] Redlich, J., The Procedure of the House of Commons: A Study of its History and Present Form, vol. II, traduction de A.E. Steinthal, New York : AMS Press, 1969 (réimpression de l’éd. de 1908), p. 146.

[265] Voir la décision du Président Marcil, Journaux, 20 février 1911, p. 197.

[266] Art. 10 du Règlement.

[267] Voir, par exemple, Débats, 17 novembre 1994, p. 7951; 23 octobre 1997, p. 1031; 16 février 1998, p. 3947; 16 mars 1999, p. 12913; 5 novembre 2003, p. 9194‑9195.

[268] Voir, par exemple, Débats, 27 avril 1989, p. 1003; 4 juin 1992, p. 11372; 19 mars 2002, p. 9836.

[269] Voir, par exemple, Débats, 23 mars 1999, p. 13372; 3 juin 2002, p. 12020.

[270] Art. 19 du Règlement. Dans les premières années de la Confédération, il n’existait pas de règle spécifique au sujet des personnes autorisées à invoquer le Règlement; les députés se rappelaient donc mutuellement à l’ordre (voir, par exemple, Débats, 23 mars 1868, p. 387‑388; 7 mars 1878, p. 812‑813), mais cette pratique a évolué graduellement vers la méthode actuelle, moins directe, selon laquelle les députés peuvent invoquer eux‑mêmes le Règlement, mais doivent laisser à la présidence la décision à prendre. Ce n’est qu’en 1925 qu’un comité spécial a reconnu que « [c]et article semble dire qu’un membre peut être rappelé au règlement par un autre membre » (Journaux, 29 mai 1925, p. 353) et recommandé que la règle soit précisée. Celle‑ci a finalement pris sa forme actuelle en 1927 (Journaux, 22 mars 1927, p. 326‑327).

[271] Art. 19 du Règlement.

[272] La règle se lisait comme suit : « Un membre appelé à l’ordre doit s’asseoir, mais peut ensuite s’expliquer. La Chambre, s’il en est appelé à sa décision, règle la question, mais sans débat. S’il n’y a pas appel, la décision [de la présidence] est définitive » (Constitutions, règles et règlements de la Chambre des communes du Canada, 1868, art. n12).

[273] Débats, 9 juillet 1906, col. 7676‑7678.

[274] Voir, par exemple, Débats, 11 février 1982, p. 14899‑14904; 12 février 1982, p. 14969‑14970; 2 mars 1982, p. 15532‑15539; 14 février 1983, p. 22816; 27 octobre 1983, p. 28361‑28377. Dans un cas, un député a été désigné par son nom et expulsé de la Chambre (Débats, 31 octobre 1983, p. 28591‑28594).

[275] Voir, par exemple, Débats, 8 décembre 1995, p. 17446; 16 mars 1999, p. 12913.

[276] Pour plus d’information sur les rappels au Règlement pendant le Débat d’ajournement, voir le chapitre 11, « Les questions ».

[277] Art. 47 du Règlement.

[278] Voir, par exemple, Débats, 14 janvier 1971, p. 2401.

[279] Voir les points 3, 4 et 5 du deuxième rapport du Comité permanent de la procédure et de l’organisation, présenté à la Chambre le 14 mars 1975 (Journaux, p. 373) et adopté le 24 mars 1975 (Journaux, p. 399). Voir aussi la décision du Président Jerome (Journaux, 14 avril 1975, p. 439‑441).

[280] Voir, par exemple, Débats, 7 décembre 1977, p. 1649‑1652; 7 décembre 1979, p. 2134‑2135.

[281] Voir, par exemple, Débats, 19 avril 1983, p. 24624‑24626.

[282] Journaux, 6 février 1986, p. 1648; 13 février 1986, p. 1710.

[283] Voir, par exemple, Débats, 4 avril 1989, p. 32; 19 juin 1992, p. 12437, 12448‑12449; 9 février 1993, p. 15637.

[284] Art. 47 du Règlement.

[285] Voir, par exemple, Débats, 16 mars 1999, p. 12913; 30 avril 1999, p. 14552; 3 mai 1999, p. 14628; 4 mai 1999, p. 14680; 12 décembre 2006, p. 5964.

[286] Voir, par exemple, Débats, 4 décembre 1992, p. 14633; 21 juin 1994, p. 5698.

[287] Voir, par exemple, Débats, 14 février 1969, p. 5560; 9 mars 1993, p. 16747. Cette interdiction ne s’applique pas aux ministres qui invoquent le Règlement pour proposer une motion en vertu de l’article 53.1 du Règlement. Voir, par exemple, Débats, 8 juin 2007, p. 10373. Pour plus d’information sur la prolongation des séances, voir le chapitre 9, « Les séances de la Chambre ». Pour plus d’information sur la présentation de motions dilatoires, voir le chapitre 12, « Les étapes du débat ».

[288] Voir, par exemple, Débats, 15 juin 1983, p. 26394‑26395.

[289] Voir, par exemple, Débats, 5 mai 1982, p. 17067.

[290] Voir, par exemple, Débats, 24 septembre 1998, p. 8350.

[291] Voir, par exemple, Débats, 4 mai 1999, p. 14689; 6 avril 2005, p. 4753.

[292] Voir, par exemple, Débats, 3 mai 1999, p. 14603; 23 novembre 2005, p. 10048.

[293] Voir, par exemple, Débats, 24 mars 1999, p. 13449; 24 avril 2002, p. 10774.

[294] Voir, par exemple, Débats, 3 mai 1999, p. 14608; 3 novembre 2004, p. 1182.

[295] Voir, par exemple, Débats, 30 avril 1999, p. 14550; 31 mai 2005, p. 6430‑6431.

[296] Débats, 11 septembre 1985, p. 6498.

[297] Voir, par exemple, Débats, 19 juin 1992, p. 12472‑12473; 5 mars 1999, p. 12508; 23 avril 1999, p. 14287; 11 juin 2007, p. 10439.

[298] Voir, par exemple, Débats, 25 octobre 1989, p. 5096; 19 juin 1995, p. 14150; 13 mars 1996, p. 666; 22 juin 2005, p. 7646.

[299] Voir, par exemple, Débats, 26 novembre 1996, p. 6770.

[300] Voir, par exemple, Débats, 19 février 1929, p. 262‑264; 7 décembre 1945, p. 3202‑3203; 4 avril 1946, p. 584‑585; 12 avril 1962, p. 3060. Les Présidents ont parfois assoupli l’application de cette règle. Voir, par exemple, Débats, 18 octobre 2001, p. 6312; 4 octobre 2006, p. 3664.

[301] Beauchesne, 4e éd., p. 55.

[302] Il est arrivé que le Président se prononce sur un rappel au Règlement avant d’annoncer le résultat du vote. Voir, par exemple, Débats, 20 juin 1995, p. 14259‑14260; 4 octobre 2006, p. 3664. Les députés qui n’ont pas pu se présenter à la Chambre pour un vote invoquent parfois le Règlement après le vote pour expliquer comment ils auraient voté s’ils avaient été là. Voir, par exemple, Débats, 29 octobre 1991, p. 4176; 23 février 1994, p. 1729; 4 novembre 1997, p. 1557. Pour plus d’information, voir le chapitre 12, « Les étapes du débat ».

[303] Art. 10 du Règlement.

[304] Voir, par exemple, Journaux, 8 juillet 1969, p. 1319‑1320; 12 avril 2005, p. 4953.

[305] Voir, par exemple, Débats, 4 octobre 1995, p. 15219‑15221; 23 octobre 1995, p. 15671‑15672; 20 septembre 2006, p. 3028; 18 octobre 2006, p. 3933‑3934.

[306] Art. 19 du Règlement.

[307] Art. 10 du Règlement. Voir, par exemple, Débats, 10 février 1998, p. 3647‑3648; 12 février 1998, p. 3765‑3766; 27 mai 1998, p. 7276‑7277, 7283; 24 octobre 2002, p. 828‑829.

[308] Art. 10 du Règlement. Les discussions sur les décisions du Président touchant les questions d’ordre n’ont jamais été pratique courante, mais elles étaient autorisées jusqu’en 1965; le député qui s’opposait à une décision du Président pouvait la porter immédiatement en appel devant la Chambre. Pour plus d’information, voir le chapitre 7, « Le Président et les autres présidents de séance de la Chambre ».

[309] Voir, par exemple, Débats, 7 mai 1998, p. 6674‑6676. Les Présidents ont parfois accepté les rappels au Règlement faits par des députés qui désiraient obtenir des précisions sur des décisions faisant suite à des questions de privilège. Voir, par exemple, Débats, 11 mai 2005, p. 5934.

[310] Voir, par exemple, Débats, 3 octobre 1995, p. 15186.

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