La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 14. La limitation du débat - Suspension d'articles du Règlement pour des questions de nature urgente

 

Lorsque surgit une situation que le gouvernement estime urgente, un ministre peut, en tout temps lorsque le Président occupe le fauteuil, proposer que la Chambre suspende l’application de certains articles du Règlement relatifs aux préavis et aux heures et jours de séance pour étudier la question[183]. Ainsi, cette disposition peut être invoquée pour annuler le préavis de présentation d’un projet de loi ou de toute autre étape pour laquelle un préavis est normalement exigé[184].

En proposant la motion, le ministre expose les raisons qui rendent la situation urgente et, une fois que la motion a été appuyée, le Président saisit immédiatement la Chambre de la question[185]. Le Président peut permettre un débat ininterrompu d’au plus une heure[186]. Les interventions sont limitées à dix minutes chacune et la motion ne peut faire l’objet d’un amendement, à moins qu’il ne soit proposé par un autre ministre. Pour mettre la question aux voix, le Président est tenu de demander aux députés qui s’y opposent de se lever. Si moins de dix députés le font, la motion est automatiquement adoptée[187]; si dix ou plus le font, elle est réputée retirée[188]. L’ordre découlant de la motion adoptée s’applique uniquement aux délibérations qui y sont précisées.

Les motifs de l’adoption en 1968 de cet article du Règlement remontent à quelques années plus tôt, soit en 1964, année où le premier ministre Pearson a proposé une motion sans préavis en vue de dépêcher des forces canadiennes de maintien de la paix à Chypre. Même si la motion semblait recueillir l’assentiment de toute la Chambre, certains députés ont soulevé des objections contre l’absence de préavis de 48 heures soutenant qu’il s’imposait avant qu’on ne puisse discuter d’une affaire aussi importante. Faisant observer que le premier ministre avait obtenu la permission de la Chambre, le Vice‑président a rejeté ces objections et permis à la Chambre de passer à l’étude de la motion[189].

Puis, en 1966, lorsqu’il a été demandé à la Chambre de se saisir d’urgence de la grève des contrôleurs de la circulation aérienne, le ministre des Travaux publics a proposé une procédure permettant au gouvernement de s’attaquer à des affaires urgentes. Il a donné l’explication suivante : « […] un simple député a le droit de proposer l’ajournement de la Chambre pour permettre l’étude d’une question urgente et d’importance publique pressante. […] Mais, anomalie curieuse, le gouvernement n’est pas habilité par une disposition correspondante à saisir la Chambre de mesures analogues sans préavis[190]. » Même si des députés de l’opposition estimaient qu’il fallait agir, la proposition du ministre a été retirée[191].

Lorsque la règle actuelle a été adoptée, deux ans plus tard, en 1968, il était évident, d’après son libellé, que les événements de 1966 avaient été pris en considération puisque le nouveau texte était semblable à celui proposé durant cette année-là. En proposant l’ajout de cette règle, le Comité spécial de la procédure a écrit : 

[…] il semble raisonnable de surseoir à l’obligation ordinaire de présenter un avis de motion pour mettre une affaire en délibération […] lorsque presque tous les députés en reconnaissent la nécessité. Le Comité estime intolérable qu’une seule voix dissidente puisse frustrer l’espoir de tous les autres députés […][192].

La règle est restée inchangée depuis, abstraction faite de modifications apportées en 1982 afin d’éliminer toute référence au genre du Président de la Chambre.

Cet article, conçu pour surseoir aux exigences de préavis et établir les heures et les jours de séance, a notamment été utilisé pour encadrer le débat d’une manière qui s’apparente à l’attribution de temps[193]. Il a somme toute été rarement invoqué depuis son adoption en 1968. Sa dernière utilisation remonte à 2007 alors qu’un vendredi, un secrétaire d’État a proposé que la Chambre siège au-delà de l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien afin de poursuivre l’étude en troisième lecture d’un projet de loi à caractère budgétaire. Comme plus de dix députés s’étaient levés pour s’y opposer, la motion a été réputée retirée[194].



[183] Art. 53 du Règlement.

[184] En 1992, l’article 53(1) du Règlement a été invoqué pour annuler l’exigence de préavis de 48 heures avant le début de l’étape du rapport d’un projet de loi du gouvernement (Journaux, 1er juin 1992, p. 1560‑1561).

[185] En 1992, la Vice‑présidente a déclaré la motion irrecevable parce que le ministre, dérogeant aux exigences de l’article 53(2) du Règlement, n’avait pas énoncé les raisons expliquant l’urgence de la motion lorsqu’il l’avait présentée à la Chambre (Débats, 11 décembre 1992, p. 15132‑15133).

[186] Voir, par exemple, Débats, 10 juin 1999, p. 16227‑16230; 8 juin 2007, p. 10373‑10376.

[187] Voir, par exemple, Journaux, 15 mars 1995, p. 1219.

[188] Voir, par exemple, Journaux, 8 juin 2007, p. 1499.

[189] Débats, 13 mars 1964, p. 955, 960, 965‑967.

[190] Débats, 16 décembre 1966, p. 11230‑11231.

[191] Débats, 16 décembre 1966, p. 11229‑11234.

[192] Troisième rapport du Comité spécial de la procédure, présenté à la Chambre le 6 décembre 1968 (Journaux, p. 435).

[193] Voir, par exemple, Journaux, 16 septembre 1991, p. 270‑271.

[194] Journaux, 8 juin 2007, p. 1499.

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