La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 18. Les procédures financières - Revendication par la Chambre de sa prérogative en matière de finances

*   Revendication par la Chambre de sa prérogative en matière de finances

La Constitution et le Règlement de la Chambre prévoient qu’un projet de loi portant affectation de crédits (une diminution des recettes publiques) ou imposant une taxe ou un impôt (un prélèvement sur les contribuables) doit d’abord être présenté et adopté à la Chambre des communes[87]. Le Président a déjà jugé qu’un projet de loi du Sénat portant affectation de deniers publics ne pouvait être présenté à la Chambre et ordonné que l’avis de première lecture soit rayé du Feuilleton[88]. Le Président a aussi statué qu’un projet de loi du Sénat, qui avait franchi l’étape de la première lecture à la Chambre, imposait de fait une taxe et aurait dû provenir de la Chambre; les délibérations entreprises ont été déclarées nulles et sans avenue et il a été ordonné que le projet de loi soit rayé du Feuilleton[89].

De l’avis de la Chambre, une mesure financière ne peut être modifiée par le Sénat[90]. Depuis la Confédération, le Sénat a régulièrement réaffirmé le droit de modifier les projets de loi de finances[91]. La plupart des différends entre les deux chambres tournent autour de la question du pouvoir du Sénat de modifier les mesures financières. Certains soutiennent que le Sénat doit se limiter à adopter ou rejeter ces mesures[92]. D’autres prétendent que le Sénat a tous les pouvoirs pour les modifier, à condition qu’il n’augmente pas le montant du crédit ou de l’impôt[93]. La question est de savoir si un projet de loi de finances est une mesure qui contient toute disposition financière ou dont l’objet premier ou exclusif est financier et, par voie de conséquence, si les restrictions au pouvoir du Sénat de le modifier devraient s’étendre à l’ensemble du projet de loi ou uniquement à ses aspects financiers. Une autre question est de savoir si le Sénat peut proposer des amendements à un projet de loi qui modifie une loi financière existante[94]. Dans certains cas, la Chambre des communes a rejeté les amendements du Sénat et revendiqué son privilège financier[95]. Mais dans d’autres cas, la Chambre a renoncé à son privilège et accepté les amendements du Sénat[96]. Lorsque les Communes acceptent des amendements du Sénat (à un projet de loi portant affectation de crédits ou créant un impôt), elles renoncent habituellement à leur privilège financier, tout en insistant sur le fait que la décision en l’espèce ne constitue pas un précédent[97]. Il est cependant arrivé à l’occasion que la Chambre accepte ou rejette des amendements sans invoquer ses privilèges[98]. À deux occasions au moins, le Président a refusé d’écarter des amendements du Sénat à une mesure financière, en maintenant que c’est à la Chambre et non au Président qu’il appartient d’invoquer ses privilèges ou d’y renoncer[99]. Bien que le Président ait reconnu son devoir d’attirer l’attention de la Chambre sur un projet de loi ou un amendement du Sénat qui empiète sur ses privilèges[100], il ne se prononce pas sur le droit du Sénat de modifier une mesure financière, étant donné qu’il s’agit d’une question constitutionnelle[101]. Par contre, des projets de loi du Sénat ont été écartés pour le motif qu’ils contrevenaient au principe constitutionnel voulant que les mesures financières émanent de la Chambre et soient présentées à l’initiative de la Couronne[102].

La Chambre permet toutefois au Sénat d’introduire ou de modifier des peines pécuniaires contenues dans des projets de loi lorsque ces peines ont pour seul objet de punir ou prévenir des crimes et délits et ne visent pas à créer une dépense publique ou imposer des charges aux contribuables[103].



[87] Loi constitutionnelle de 1867, L.R. 1985, Appendice II, n° 5, art. 53; art. 80(1) du Règlement.

[88] Voir la décision du Président Lamoureux, Journaux, 12 novembre 1969, p. 79‑80.

[89] Voir la décision du Président Parent sur le projet de loi S‑13, Loi constituant la Fondation canadienne de lutte contre le tabagisme chez les jeunes et instituant un prélèvement sur l’industrie du tabac, Débats, 2 décembre 1998, p. 10788‑10791, ainsi que la décision du Président Milliken sur le projet de loi S-15, Loi visant à donner à l’industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, Débats, 12 juin 2001, p. 5024‑5027. Voir aussi Débats, 27 novembre 2001, p. 7572‑7574.

[90] Art. 80(1) du Règlement.

[91] En 1918, le Sénat chargea un comité spécial de déterminer ses droits relatifs aux projets de loi de finances, sous la présidence du sénateur Ross. Le Comité remit son rapport au Sénat le 15 mai 1918. Voir le deuxième rapport du Comité spécial sur les droits du Sénat en matière de législation financière (mesures financières) (rapport Ross), Journaux du Sénat, 15 mai 1918, p. 193‑205. Voir aussi Robertson, J.R., Le rôle du Sénat en matière de législation financière, Ottawa : Bibliothèque du Parlement, 19 avril 1990.

[92] L’argument veut qu’un projet de loi de finances qui a été modifié par le Sénat n’est plus le même texte qui a été présenté à la Chambre des communes (Driedger, p. 41).

[93] Voir le rapport Ross présenté au Sénat le 15 mai 1918 (Journaux du Sénat, p. 193‑205) et adopté le 22 mai 1918 (Journaux du Sénat, p. 241). Voir aussi Robertson, p. 10‑12.

[94] La question s’est posée au sujet du projet de loi C‑21, Loi modifiant la Loi sur l’assurance‑chômage (deuxième session (1989‑1991), 34e législature).

[95] Voir, par exemple, Journaux, 23 mai 1873, p. 429‑430; 18 juillet 1959, p. 750‑751; 6 juillet 1961, p. 812; 18 juillet 1988, p. 3210, 3223‑3224; 9 mai 1990, p. 1668‑1670.

[96] Voir, par exemple, Journaux, 23 mai 1874, p. 335; 15 septembre 1917, p. 663‑664; 23 mai 1918, p. 351; 11 juin 1941, p. 491‑492; 20 mars 1997, p. 1326‑1327. La prescription qu’un projet de loi portant affectation de crédits ou créant un impôt doit être présenté en premier à la Chambre des communes figure dans la Constitution et ne peut être écartée par la Chambre, alors que le principe selon lequel de telles mesures ne peuvent être modifiées par le Sénat est un privilège revendiqué par la Chambre (art. 80(1) du Règlement); de ce fait, la Chambre peut y renoncer.

[97] Le Président a statué que pour renoncer à son privilège en matière financière la Chambre doit suspendre l’article 80(1) du Règlement. Cela se fait habituellement avec le consentement de la Chambre. Mais s’il n’y a pas consentement, une motion portant suspension doit être proposée et décidée, après qu’il en a été donné avis selon la procédure. Voir la décision du Président Michener, Journaux, 14 juillet 1959, p. 708‑710, Débats, p. 6266‑6274.

[98] Voir, par exemple, Journaux, 15 mai 1989, p. 222‑223.

[99] Voir les décisions du Président Fraser, Débats, 11 juillet 1988, p. 17384; 26 avril 1990, p. 10723. Voir aussi la décision du Président Rhodes, Journaux, 15 septembre 1917, p. 663‑664.

[100] Voir la décision du Président Michener, Journaux, 14 juillet 1959, p. 708.

[101] Voir, par exemple, Journaux, 15 septembre 1917, p. 663; 14 juillet 1959, p. 708; Débats, 11 juillet 1988, p. 17384; 26 avril 1990, p. 10722.

[102] Voir les décisions du Président Lamoureux, Journaux, 12 novembre 1969, p. 80; 12 juin 1973, p. 402. Voir aussi la décision du Président Parent, Débats, 2 décembre 1998, p. 10788‑10791; la décision du Président Milliken, Débats, 12 juin 2001, p. 5024‑5027.

[103] Art. 80(2) du Règlement.

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