La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 14. La limitation du débat - « Motion pour affaire courante » proposée par un ministre

 

Une autre règle permet à la Chambre de limiter en quelque sorte le débat. Si, à un moment quelconque au cours d’une séance, le consentement unanime est refusé pour la présentation d’une motion pour affaire courante qui n’a pas fait l’objet d’un avis écrit, un ministre peut demander à la présidence, pendant la rubrique « Motions » des Affaires courantes[152], de mettre cette motion aux voix immédiatement, sans débat ni amendement[153]. Si 25 députés ou plus se lèvent, elle est réputée retirée[154], sinon, elle est adoptée[155]. Cette procédure lui évite ainsi de faire inscrire la motion au Feuilleton et de devoir ensuite la proposer et en débattre sous les Ordres émanant du gouvernement. Il est à souligner qu’il n’est pas obligatoire de proposer une telle motion la même journée que celle durant laquelle le consentement unanime a été refusé initialement[156].

L’expression « motion pour affaire courante » désigne les motions qui peuvent s’imposer pour l’observation du décorum de la Chambre, le maintien de son autorité, l’administration de ses affaires, l’agencement de ses travaux, la détermination des pouvoirs de ses comités, l’exactitude de ses archives ou la fixation des jours où elle tient ses séances ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne[157].

Adoptée en 1991[158], cette mesure a été utilisée plus fréquemment au cours des 35e et 36législatures (1994‑1997 et 1997‑2000) pour l’être avec parcimonie par la suite[159]. Avant son entrée en vigueur, on soutenait qu’elle limiterait la capacité des députés de débattre les motions du gouvernement et permettrait de « faire fi du consentement unanime[160] ». Depuis, des députés se sont plaints nombre de fois qu’on l’invoquait à des fins pour lesquelles elle n’avait jamais été prévue et ne s’entendaient pas sur ce qui constituait ou non une « motion pour affaire courante ».

En effet, s’il a semblé au départ que la gamme des motions auxquelles ce dispositif pouvait s’appliquer serait limitée[161], la règle a fini, au fil des ans, par être utilisée pour prolonger une séance afin que la Chambre siège pendant le week‑end[162] ou pour qu’elle poursuive l’étude d’un projet de loi émanant du gouvernement[163]; pour suspendre la séance pour des cérémonies de sanction royale[164]; pour traiter d’une motion émanant du gouvernement[165]; pour adopter un projet de loi du gouvernement à certaines ou toutes les étapes, ou pour déterminer le moment et la manière d’en disposer[166]; pour fixer la durée des interventions au cours d’un débat exploratoire[167]; pour autoriser des comités à se déplacer[168]; et pour tenter de révoquer un ordre de la Chambre[169]. Ces utilisations n’ont pas toutes été conformes à la règle ou à son esprit, et certaines d’entre elles ont fait l’objet de rappels au Règlement.

En 2001, le Président Milliken déclarait : « Depuis 1997, il semble se dessiner une tendance inquiétante selon laquelle on utilise ou tente d’utiliser l’article 56.1 pour adopter des motions moins aisément qualifiables de motions pour affaires courantes[170]. » Au fil du temps et en réponse aux multiples rappels au Règlement, la présidence a néanmoins clarifié certains aspects de cette procédure. Le Président a explicitement statué que celle-ci n’avait jamais été destinée à faire adopter un projet de loi à ses diverses étapes ou un projet de loi n’entrant pas dans la catégorie de ceux qu’on fait progresser en cas d’urgence ou de circonstances extraordinaires[171]. Il a de plus indiqué qu’on n’avait jamais envisagé que cette règle serait utilisée pour casser les décisions de la Chambre prises du consentement unanime ni qu’elle pouvait être invoquée pour se substituer aux décisions que la Chambre elle-même devait prendre sur des questions importantes[172]. Le Président a également statué qu’elle ne pouvait pas servir de recours dans le cas où le consentement unanime avait été demandé et refusé pour l’adoption d’un rapport établissant les membres des comités de la Chambre[173]. En outre, son usage en vue de régir les travaux d’un comité permanent de la Chambre a été jugé contraire au Règlement[174].

Par ailleurs, interpellée sur la constitutionnalité de cette procédure étant donné que l’article 49 de la Constitution prévoit que les questions soulevées à la Chambre des communes, sauf exceptions, sont décidées à la majorité des voix, la présidence a jugé que cette prescription concernait surtout des questions de substance et non pas nécessairement des questions de procédure interne, objet principal des motions visées par la règle[175].

Face aux nombreuses préoccupations exprimées par les députés, les Présidents Parent et Milliken ont tous deux exhorté le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à examiner le bon emploi de cette procédure[176]. En l’absence de rétroaction de la part de ce Comité et de la Chambre, la présidence a indiqué qu’elle ne pourrait pas déclarer irrecevables des motions qui semblent être conformes au Règlement, nonobstant les réserves qu’elle peut pourtant avoir sur certaines d’entre elles[177].



[152] À moins qu’il n’y ait consentement unanime pour la proposer à un autre moment. Voir la décision du Président à ce sujet (Débats, 24 octobre 2002, p. 828‑829).

[153] Art. 56.1 du Règlement.

[154] Voir, par exemple, Journaux, 13 mai 2005, p. 749‑750.

[155] Voir, par exemple, Journaux, 3 octobre 2006, p. 487‑488.

[156] Débats, 24 octobre 2002, p. 828‑829.

[157] Art. 56.1(1)b) du Règlement.

[158] Journaux, 11 avril 1991, p. 2913.

[159] Par exemple, on a seulement eu recours à quatre reprises à l’article 56.1 du Règlement pendant la 37législature (2001‑2004) (Journaux, 4 juin 2001, p. 475; 12 juin 2001, p. 535‑536; 22 octobre 2002, p. 91; 13 juin 2003, p. 935).

[160] Débats, 26 mars 1991, p. 19044.

[161] Voir les propos du Président Fraser à ce sujet (Débats, 9 avril 1991, p. 19233‑19237).

[162] Voir, par exemple, Journaux, 23 mars 1995, p. 1265.

[163] Voir, par exemple, Journaux, 3 octobre 2006, p. 487‑488.

[164] Voir, par exemple, Journaux, 24 avril 1997, p. 1524‑1525.

[165] Voir, par exemple, Journaux, 12 avril 1999, p. 1687.

[166] Voir, par exemple, Journaux, 1er décembre 1997, p. 290‑291; 4 juin 2001, p. 475; 12 juin 2001, p. 535‑536; 13 mai 2005, p. 749‑750; 3 octobre 2006, p. 487‑488.

[167] Voir, par exemple, Journaux, 12 avril 1999, p. 1687.

[168] Voir, par exemple, Journaux, 8 juin 1995, p. 1594.

[169] Voir, par exemple, Journaux, 9 juin 1998, p. 954.

[170] Débats, 18 septembre 2001, p. 5257.

[171] Le Règlement prévoit déjà qu’en cas d’urgence ou de circonstances extraordinaires, un projet de loi peut faire l’objet de deux ou trois lectures ou encore franchir au moins deux étapes le même jour. Voir l’article 71 du Règlement.

[172] Cette mise au point a été rendue nécessaire après qu’un rappel au Règlement ait été soulevé suivant la présentation, le 12 juin 2001, d’une motion proposée par le gouvernement en vertu de l’article 56.1 du Règlement. Cette motion, qui comportait plusieurs parties, faisait en sorte que la quasi-totalité des motions portant adoption des crédits du budget principal des dépenses étaient réputées adoptées avec dissidence lors du dernier jour désigné de la période des subsides se terminant le 23 juin (Journaux, 12 juin 2001, p. 535‑536; Débats, 12 juin 2001, p. 5027‑5031; 18 septembre 2001, p. 5256‑5258). La motion du 12 juin 2001 prévoyait également un moment butoir lors dudit jour désigné où toutes les questions nécessaires pour disposer de la troisième lecture de deux projets de loi émanant du gouvernement et d’une affaire émanant du gouvernement devaient être mises aux voix immédiatement. Quelques jours plus tôt, soit le 4 juin, le gouvernement avait fait adopter, avec l’aide de la même procédure, une autre motion. Celle-ci prévoyait un jour de séance distinct pour la deuxième lecture, l’étude en comité plénier et l’étape du rapport, ainsi que la troisième lecture d’un projet de loi émanant du gouvernement. La motion modifiait aussi les règles du débat pour chacune de ces étapes. Elle prescrivait en outre un moment butoir lors de chacun des jours de séance spécifiés où toutes les questions nécessaires pour disposer du projet de loi à l’étape concernée seraient mises aux voix immédiatement, sans débat ni amendement. Le rappel au Règlement a permis au Président de se pencher sur la question de l’utilisation de l’article 56.1 et de faire la mise au point.

[173] En octobre 2002, le gouvernement avait proposé une motion en vertu de l’article 56.1 du Règlement en vue de faire adopter le premier rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Ce rapport dressait la liste des membres et membres associés des comités permanents de la Chambre. La motion n’avait pas été adoptée. Elle a fait néanmoins l’objet d’un rappel au Règlement et d’une décision de la présidence (Débats, 22 octobre 2002, p. 713, 757‑759; 24 octobre 2002, p. 828‑829).

[174] En mai 2007, le gouvernement a utilisé cette procédure afin que la Chambre adopte une motion proposant qu’un comité permanent n’ajourne pas ses travaux tant qu’il n’aurait pas terminé l’étude d’un projet de loi émanant du gouvernement. La motion prévoyait également que le comité fasse rapport à la Chambre dudit projet de loi dans les deux jours de séance suivant la fin de l’étude en comité. Cette motion a d’abord été adoptée avant d’être jugée irrecevable par la présidence à la suite d’un rappel au Règlement. Dans sa décision, le Vice-président précisait que le libellé de l’article du Règlement régissant la portée d’utilisation de cette procédure ne comportait qu’une seule mention des comités et que celle-ci se rapportait exclusivement à la détermination des pouvoirs des comités de la Chambre (Journaux, 31 mai 2007, p. 1452‑1453; Débats, 31 mai 2007, p. 9962‑9964; 5 juin 2007, p. 10124).

[175] Cette question avait été soulevée dans le cadre d’un rappel au Règlement suivant une motion proposée par le gouvernement en vertu de l’article 56.1. Cette motion prescrivait que tout vote demandé à l’étape de la deuxième lecture de deux projets de loi émanant du gouvernement serait automatiquement différé jusqu’au 19 mai 2005, et qu’à la fin de la période réservée aux Ordres émanant du gouvernement ce jour‑là, toutes les questions nécessaires pour disposer des deux projets de loi seraient mises aux voix immédiatement (Débats, 13 mai 2005, p. 5972‑5974).

[176] Débats, 9 juin 1998, p. 7774; Journaux, 3 octobre 2006, p. 487‑488, Débats, p. 3536, 3571.

[177] Voir, par exemple, Débats, 13 mai 2005, p. 5972‑5974.

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