La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 14. La limitation du débat - Question préalable

Question préalable

 

Il arrive que des députés proposent, au cours du débat sur une motion dont la Chambre est saisie, « Que cette question soit maintenant mise aux voix[11] ». Cette motion, appelée couramment la question préalable, peut être proposée pour les motions de fond pouvant faire l’objet d’un débat[12]. La question préalable ne met pas nécessairement fin au débat, mais elle le restreint et accélère la mise aux voix de deux manières.

Premièrement, la question préalable empêche la présentation d’amendements à la motion principale et donc la tenue de tout débat qui aurait pu être consacré à ces amendements. Pour ces raisons, elle ne peut être proposée que lorsqu’aucun amendement à la motion principale n’est à l’étude. Si la Chambre se prononce favorablement sur la question préalable, le Président est tenu de mettre immédiatement aux voix la motion principale[13]. Lorsque la question préalable est proposée et que des députés désirent prendre la parole, une autre période de débat débute. La question préalable est en effet considérée comme une nouvelle question soumise à la Chambre et elle est sujette à débat[14]. Les députés qui sont déjà intervenus dans le débat sur la motion principale ou sur des amendements proposés antérieurement peuvent prendre la parole de nouveau. Utilisée de cette façon, elle s’avère un moyen de limiter le débat aux résultats imprévisibles. En effet, il est arrivé que la Chambre se prononce en faveur de la question préalable sans débat[15], après un bref débat[16] ou après plusieurs jours de délibérations[17]. Dans des cas où la question préalable a semblé inutile pour amener la Chambre à se prononcer sur une motion, une motion tendant à ajourner le débat[18] ou une motion de clôture[19] ont parfois été proposées pour mettre fin au débat. Lorsqu’un vote par appel nominal est exigé sur la question préalable, le vote peut être reporté à la demande du whip en chef du gouvernement ou du whip en chef de l’Opposition[20]; cependant, une fois la question préalable adoptée, le vote par appel nominal sur la motion principale ne peut être reporté[21].

Deuxièmement, la question préalable peut avoir pour effet de remplacer la motion à l’étude, car, si le vote est négatif, le Président est tenu de ne pas mettre la motion principale aux voix à ce moment. En d’autres termes, si la motion : « Que cette question soit maintenant mise aux voix » n’est pas adoptée, la motion principale est rayée du Feuilleton. À moins que la Chambre n’y revienne un autre jour et que la motion soit réinscrite au Feuilleton[22], elle ne sera pas débattue à nouveau. L’utilisation de la question préalable pour faire en sorte qu’une affaire soit rayée du Feuilleton n’a pas, au fil du temps, produit les effets escomptés. En effet, depuis la première législature, la motion : « Que cette question soit maintenant mise aux voix » n’a été rejetée qu’à quatre occasions et de ce nombre, la motion principale a été rétablie dans la majorité des cas et adoptée avec ou sans amendement[23].

Tous les députés peuvent proposer la question préalable[24]. Celle‑ci est utilisée par certains dans l’espoir d’accélérer le vote sur la motion principale et par d’autres dans l’espoir d’empêcher le Président de mettre une motion ou un projet de loi aux voix maintenant. Bien que la question préalable puisse être un moyen de forcer la Chambre à se prononcer sur une motion ou, au contraire, de retarder la décision, elle a presque exclusivement été utilisée ces dernières années par le gouvernement pour limiter le débat[25].

Par le passé, il n’y a rien eu de prévisible dans le recours à la question préalable. Des ministres l’ont proposée au sujet de motions émanant de députés[26] et de motions et projets de loi émanant du gouvernement. Pour leur part, des députés de l’arrière‑ban l’ont proposée au sujet de motions émanant d’autres députés[27] ou du gouvernement[28], pour des projets de loi émanant du gouvernement[29] et pour des motions pour affaire courante[30].

À cause des nombreuses restrictions qui encadrent son usage et de ses résultats parfois inattendus, la question préalable a été décrite comme le moyen « le plus inefficace » pour limiter le débat[31].



[11] Art. 61 du Règlement. Au Canada, le libellé de la question préalable est resté inchangé depuis que cette disposition a été adoptée à la Chambre des communes en 1867. Dans la version de Westminster, le libellé de la motion a été modifié : « That the question be not now put » (Que la question ne soit pas maintenant mise aux voix) en 1888 de façon à éviter toute confusion avec la motion de clôture qui emploie la même formulation (May, T.E., Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd., sous la direction de sir W. McKay, Londres : LexisNexis UK, 2004, p. 395).

[12] Il existe toutefois des restrictions à l’usage de la question préalable. Pour plus d’information, voir le chapitre 12, « Les étapes du débat ».

[13] Art. 61(2) du Règlement. Voir, par exemple, Journaux, 4 mai 2005, p. 698‑701.

[14] Art. 67(1)c) du Règlement; Débats, 13 décembre 2001, p. 8251; 23 octobre 2002, p. 810.

[15] Voir, par exemple, Journaux, 5 décembre 1996, p. 968‑969.

[16] Voir, par exemple, Débats, 23 octobre 2002, p. 810‑813.

[17] Par exemple, le 5 octobre 2001, la question préalable a été proposée au sujet d’une motion portant deuxième lecture d’un projet de loi émanant du gouvernement. Le débat s’est poursuivi au cours de la même séance et de celles des 18 et 22 octobre. La question a été mise aux voix lors de cette dernière journée et le vote a été différé au 23 octobre (Journaux, 5 octobre 2001, p. 698‑699; 18 octobre 2001, p. 728; 22 octobre 2001, p. 736; 23 octobre 2001, p. 742‑743).

[18] Voir, par exemple, Journaux, 10 mai 1995, p. 1458‑1459; 3 mai 2005, p. 685‑687; 10 mai 2005, p. 726‑727.

[19] Beauchesne, A., Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e éd., sous la direction de A. Fraser, W.F. Dawson et J.A. Holtby, texte français établi au Centre de traduction et de terminologie juridique de l’École de droit de l’Université de Moncton, Toronto : Carswell, 1991, p. 166. Voir, par exemple, Journaux, 2 mars 1926, p. 123. Dans le cas suivant, un avis de clôture a été donné, mais la Chambre a finalement adopté la motion visée par l’avis le jour suivant : Journaux, 29 octobre 1999, p. 143‑144; 1er novembre 1999, p. 145. Par ailleurs, il est arrivé que les parlementaires utilisent la question préalable couplée à la clôture afin de disposer rapidement d’une affaire et, par surcroît, d’éviter de devoir se prononcer sur des amendements potentiels. Voir, par exemple, la démarche qui a mené à l’adoption de la motion de reconnaissance des Québécoises et des Québécois comme nation au sein d’un Canada uni (Journaux, 24 novembre 2006, p. 803; 27 novembre 2006, p. 808, 811‑813).

[20] Art. 45(5) du Règlement.

[21] Art. 61(2) du Règlement.

[22] Beauchesne, 6e éd., p. 166.

[23] En 1869, la motion principale n’a pas été présentée à nouveau à la Chambre, mais elle l’a été à trois autres occasions. En 1870 et en 1929, les motions ainsi rétablies ont été adoptées et, en 1928, aucune décision n’a été prise (Journaux, 31 mai 1869, p. 163‑164; 28 avril 1870, p. 254‑255; 1er juin 1928, p. 489; 15 avril 1929, p. 242). Par ailleurs, il arrive également que la question préalable soit retirée du consentement unanime. En 1983, par exemple, le député qui a posé la question préalable l’a retirée, du consentement unanime de la Chambre, pour qu’on puisse renvoyer l’objet du débat à un comité permanent (Débats, 9 février 1983, p. 22682‑22686). Voir aussi Journaux, 10 mai 1990, p. 1685.

[24] En 1985, le Président Bosley a rendu la décision suivante : « […] il ne fait aucun doute dans mon esprit, à la lecture du Règlement, que la présentation de cette motion n’est soumise à aucune restriction et qu’un simple député, tout aussi bien qu’un ministre ou un secrétaire parlementaire, peut la proposer à la Chambre » (Débats, 28 janvier 1985, p. 1708).

[25] Pour plus d’information sur la fréquence du recours à la question préalable, voir le chapitre 12, « Les étapes du débat ».

[26] Voir, par exemple, Journaux, 31 mai 1869, p. 163.

[27] Voir, par exemple, Journaux, 6 avril 1959, p. 289.

[28] Voir, par exemple, Journaux, 5 décembre 1996, p. 968. Les motivations du recours à la question préalable n’ont pas toujours été les mêmes et il ne s’agit pas toujours de limiter le débat. Ainsi, des députés de l’opposition qui appuyaient une motion du gouvernement ont proposé la question préalable non pour faire rayer la motion du Feuilleton, mais pour signifier leur appui à l’initiative du gouvernement et limiter le débat « avec consentement ». En 1992, juste avant de proposer la question préalable au sujet de la motion du gouvernement portant modification de la Constitution, le chef de l’Opposition, Jean Chrétien, a déclaré : « […] c’est avec grand plaisir que j’appuie cette motion » (Débats, 11 décembre 1992, p. 15086‑15087).

[29] Voir, par exemple, Journaux, 16 février 2007, p. 1019.

[30] Voir, par exemple, Journaux, 3 novembre 2004, p. 190‑191.

[31] Dawson, p. 119.

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