Monsieur le Président, j’aimerais vous parler d’une de mes concitoyennes, que j’appellerai Linda pour protéger son identité. Comme députés, nous avons constamment affaire à des gens qui vivent différentes situations. J’ai dit à mon personnel que notre priorité absolue est d’aider nos concitoyens, quelle que soit leur situation.
Linda a appelé mon bureau et elle était en détresse. Elle était en train de mourir d’un cancer de stade 4, qui s’était propagé dans tout son corps. Elle était dans un centre de soins palliatifs. Elle était en désarroi parce qu’alors qu’elle voulait faire de sa fille, qui était son unique bénéficiaire, une cosignataire sur l’un de ses comptes, le directeur de la banque lui a dit que c’était impossible si elle ne se rendait pas à la banque. Elle lui a expliqué qu’elle était incapable de marcher et de sortir de son lit, car elle se trouvait dans un centre de soins palliatifs.
Elle a appelé mon bureau et elle était très secouée. Elle s’est entretenue avec mon personnel. J’ai téléphoné au directeur de la banque et j’ai obtenu la même réponse de sa part. J’étais très étonné et j’ai cherché des moyens de faire avancer le dossier. J’ai parlé à d’autres banques, où on m’a dit qu’on trouverait un moyen de la faire signer. J’ai discuté avec des représentants de sa banque et du siège social, mais cela ne menait nulle part. Je me suis ensuite entretenu avec l’ombudsman du gouvernement et, enfin, après maintes conversations avec Linda, mon personnel et moi, et après bien des difficultés, la banque a trouvé un moyen de lui faire signer le formulaire.
C’était une façon terrible pour Linda de finir sa vie, mais elle a fait cette démarche parce qu’elle voulait faire changer les choses et aider sa famille. Elle l’a fait aussi pour ceux qui sont confrontés à une épreuve semblable. Elle a gagné la partie avant de succomber au cancer.
J’en parle parce que je crois qu’à petite et à grande échelle, jusqu’à notre dernier souffle, nous pouvons apporter une contribution positive. Nous pouvons améliorer les choses pour notre famille et être une source d’inspiration pour autrui.
Je pense à mon père, décédé il y a quelques années. Il était un tel exemple pour nous, sa famille. Nous étions avec lui avant qu’il ne sombre dans le coma. Malgré sa douleur, il pensait à nous. Il voulait savoir comment nous allions. Il ne voulait pas parler de lui, il voulait parler des autres. Cela m’a surpris, comme le fait qu’il a pu faire changer les choses.
Je ne veux pas donner l’impression de porter un jugement en parlant du suicide assisté, ou de l’aide médicale à mourir car des membres de ma famille élargie ont choisi cette avenue. Avant la COVID, bien des gens étaient entourés de leur famille au moment des derniers adieux. À l’heure actuelle, cependant, 16 000 personnes ont décidé de recourir à l'aide médicale à mourir et deux fois plus meurent par euthanasie que dans un accident de voiture. Et ce chiffre monte en flèche.
Il y a quelques jours, un résidant de ma circonscription m’a dit avoir choisi l’aide médicale à mourir comme plan de fin de vie. Il avait une approche très pragmatique et très professionnelle, et je ne pense pas qu’il était malade. Ce choix est devenu normal dans la société canadienne, et cela me préoccupe.
Je sais que les mots ont une puissance intrinsèque et que nous ne voulons pas entendre le mot « suicide », mais on a qualifié ce choix de « suicide assisté ». Or, notre société a toujours considéré le suicide comme étant un geste triste, inquiétant et tragique. Nous connaissons probablement tous des personnes qui se sont suicidées. Je pense à ma propre mère et à d’autres. Il faut faire le deuil.
L’orientation que prend la société m’inquiète, car on présente de plus en plus l'aide médicale à mourir comme une solution bienveillante. C’est ainsi que l’on voit les choses. Les gens ne veulent pas être un fardeau pour les autres. Néanmoins, d’autres raisons motivent ce choix.
En 1973, peu après mon entrée dans l'adolescence, le film Soylent Green qui mettait en vedette Charlton Heston et Leigh Taylor-Young est sorti au grand écran. L’action de ce film futuriste se déroule à New York, 50 ans plus tard, soit en 2022, date à laquelle nous sommes presque arrivés.
Dans le film, la ville de New York est surpeuplée car elle compte 40 millions d’habitants qui souffrent de la faim. On voit des personnes âgées qui entrent dans une grande salle où de superbes images de la terre défilent sur des écrans au son d'une belle musique. Au bout d'environ 20 minutes, elles sont euthanasiées. Je me souviens à quel point, adolescent, j’ai été choqué par ces scènes. J’avais l’impression que ce qui se passait était une tromperie. La façon dont on gérait la surpopulation était enjolivée, et cela montre bien à quel point la société a changé au fil des ans.
Prenons l’expression « aide médicale à mourir ». On présente cette intervention comme une solution bienveillante pour aider les gens. En ce qui me concerne, l’aide à la mort évoque en moi des images beaucoup plus sombres.
Je reconnais qu'il est précisé dans le projet de loi que l'aide médicale à mourir ne s’appliquera pas aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Mais, pour combien de temps? Comme on le constate à l’heure actuelle, les partisans de l’euthanasie continuent d'exercer des pressions sur les tribunaux pour contester, modifier et élargir les critères d'admissibilité. Le projet de loi abrogerait la disposition qui exige que la mort naturelle d’une personne soit raisonnablement prévisible pour qu’elle puisse bénéficier de l'aide médicale à mourir. Or, cette modification ouvre grand la porte à la contestation de n’importe quel critère. En outre, le projet de loi supprime la période d’attente de 10 jours.
J’ai rencontré Angela qui habite dans ma circonscription. Elle fait partie d’un groupe d’environ 300 familles de la Colombie-Britannique qui ont des enfants handicapés et qui se soutiennent mutuellement. Ce groupe est contrarié par le projet de loi qui ouvre la porte au suicide assisté dans le cas des personnes handicapées. Ces familles ont le sentiment que dans ce projet de loi, le législateur affirme que la vie des personnes handicapées ne vaut pas la peine d’être vécue, comme celle des personnes normales.
Ce n’est qu’une question de temps avant que l’angoisse mentale ne devienne un motif suffisant. Pourquoi les obstacles et les délais à cette pratique sont-ils constamment réduits puis supprimés? Or, c’est ce qui se passe actuellement. Combien de personnes atteintes d’une maladie mentale ont vécu une grande angoisse mentale et une dépression qui les a menées au suicide?
Je me souviens d’une nounou philippine, il y a quelques années, qui était complètement paniquée parce qu’elle avait abîmé le pare-chocs de la voiture de son employeur. C’était une femme merveilleuse. Qu’a-t-elle fait? Elle s’est suicidée. Même si je ne crains pas que le projet de loi soit associé à ce genre de tragédie, je suis quand même très préoccupé par l’orientation qu’on cherche à lui donner.
Je pense à la situation particulièrement noire que j’ai traversée il y a quelques années, alors que j'étais au début de la vingtaine. J’avais des pensées suicidaires. Le suicide m’attirait presque à certains égards. Je n’ai jamais fait de tentative, mais je comprenais pourquoi certains y recouraient. Je suis sorti de cette crise grâce à des médecins, à la foi et à la femme qui est devenue mon épouse, Marlene.
Je pense que, dans notre société, nous devrions nous entraider davantage. C’est fondamental. Nous devons examiner cette mesure et d'autres moyens de venir en aide à ceux qui se heurtent à ce genre de difficultés et leur apporter du réconfort.
Je n’ai pas eu l’occasion de parler des soins palliatifs, mais je le ferai peut-être, en répondant à des questions.
Je vais maintenant laisser les députés poser des questions.