Madame la Présidente, si la pandémie nous a appris une chose, c'est d'être prêt à faire face à l'imprévu et à prévoir les risques avant qu'ils ne surviennent pour pouvoir nous protéger et assurer notre avenir.
Aujourd'hui, j'interviens à la Chambre des communes pour attirer l'attention des députés sur un risque croissant pour nos familles, nos entreprises et l'ensemble du pays. Je parle de la dette de 8,6 billions de dollars des ménages, des entreprises et de l'État qui pèse sur les épaules des Canadiens. Cette dette représente 387 % de notre PIB, un ratio record supérieur à celui de nombreux pays qui ont vécu des crises d'endettement dévastatrices.
Avant de perdre leur attention, je tiens à rappeler aux députés qu'une crise de l'endettement n'est pas un sujet uniquement abordé par les banquiers et les analystes financiers dans le magazine Report on Business du Globe and Mail ou au réseau BNN. Des recherches menées par des établissements universitaires réputés révèlent que les crises financières peuvent faire chuter le prix du logement du tiers; réduire de moitié les cours boursiers, c'est-à-dire les économies des particuliers; ralentir l'économie de 9 % et faire grimper le taux de chômage de 7 %.
Voilà le prix à payer sur le plan humain. L’Université de Calgary vient de publier une étude faisant état d’une hausse de deux points de pourcentage du nombre de suicides pour chaque hausse d’un point de pourcentage du taux de chômage. Imaginez le coût en vies humaines d’un taux de chômage de 7 %. D’autres données montrent l’existence d’un lien inextricable entre l’abus d’opioïdes et le chômage. Les problèmes de dépression et d’itinérance sont des conséquences de ce genre de crise.
Quelle est la nature du risque? Quelle en est la gravité? Quelle est la probabilité que nous y soyons exposés? L’histoire nous donne des réponses. Dans leur ouvrage désormais légendaire traduit en français sous le titre Cette fois, c’est différent, les économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Ken Rogoff, parlent de ce qu’ils ont qualifié de huit siècles de folie. Ils ont étudié les crises survenues dans 66 pays sur cinq continents. Comme ils le soulignent dans leur introduction, « à chaque crise, les experts disent que cette fois, c’est différent, parce que les anciennes règles d’évaluation ne s’appliquent plus et que la nouvelle crise a peu en commun avec les catastrophes antérieures. » Dans leur étude avant-gardiste, les auteurs démontrent que les experts se trompent.
Ils établissent cinq grands indicateurs d’une nouvelle crise financière. Je vais les nommer rapidement: premièrement, baisse de la production économique; deuxièmement, forte augmentation de la dette; troisièmement, hausse du niveau d’endettement des ménages; quatrièmement, inflation des actifs; cinquièmement, déficits importants du compte courant. Est ce que ces cinq grands indicateurs s’appliquent à nous?
Commençons par le premier, la baisse de la production économique. L’an dernier, en 2020, notre PIB a chuté de 5,5 %, ce qui a amputé notre économie de plus de 100 milliards de dollars. C’est une perte énorme pour notre économie; cela veut dire que nous avons 100 milliards de dollars de moins à consacrer au service de la dette. La baisse de notre production économique correspond donc au premier critère tiré de Cette fois, c’est différent. Qu'importe le responsable. Qu'importe que ce soit à cause de la COVID. Ce qui compte, ce sont les chiffres et les chiffres ne mentent pas.
Passons maintenant au deuxième indicateur, l’accumulation de la dette. Le montant de la dette qu’un pays peut assumer dépend du revenu qu’il produit pour honorer sa dette. Selon l’éminent économiste canadien John Kenneth Galbraith, toutes les crises ont entraîné des dettes qui, d’une manière ou d’une autre, sont devenues dangereusement hors de proportion par rapport au moyen de paiement sous-jacent. Comme le moyen de paiement sous-jacent est, bien entendu, le PIB, examinons la taille de notre dette et dans quelle mesure elle a augmenté.
Depuis le début de 2015, notre dette totale, publique et privée, est passée de 6,1 à 8,5 billions de dollars, soit une augmentation de près de 40 %. Au cours de la même période, notre PIB a augmenté de seulement 13 %.
Autrement dit, notre taux d'endettement augmente presque trois fois plus vite que notre PIB, soit le moyen sous-jacent de rembourser notre dette. Comme je l'ai dit tout à l'heure, notre taux d'endettement par rapport au PIB s'élève maintenant à 387 %, mais je n'ai pas encore mentionné qu'il s'agit d'un record historique et que ce taux correspond à près du double du taux habituel d'endettement du Canada depuis 60 ans.
Voici d'autres données effarantes: le ratio dette-PIB de la Grèce au moment de la crise de la dette souveraine, il y a 10 ans, était de 330 %. Lors de la grande crise financière causée par l'éclatement de la bulle hypothécaire, la dette des États-Unis était de 375 % par rapport à son PIB. Autrement dit, le taux d'endettement du Canada est actuellement plus élevé que ceux des États-Unis et de la Grèce lors des monumentales crises d'endettement qui ont eu lieu récemment et qui ont eu des conséquences catastrophiques. Nous devons donc nous demander pourquoi nous croyons que la même chose ne se produira pas au Canada. La seule circonstance qui est différente entre la situation d'alors et celle d'aujourd'hui, ce sont les taux d'intérêt, qui sont faibles ces temps-ci, mais qui ne le resteront pas toujours.
D'où vient la dette nationale? De quoi est-elle composée? De trois choses: de l'endettement du gouvernement, de l'endettement des entreprises et de l'endettement des ménages.
Commençons par la dette du gouvernement. Pour la première fois cette année, Statistique Canada indique que la dette brute de tous les ordres de gouvernement au Canada est supérieure au PIB. Elle vient de dépasser 100 % au troisième trimestre de 2020; en fait, elle s’élève à 100,3 %, pour être plus précis. Cela ne s’est jamais produit auparavant. Nos niveaux d’endettement sont plus élevés qu’ils ne l’étaient dans les années 1990, lorsque nous avions notre propre petite dette quasi impayée du gouvernement fédéral. Cette année-là, elle était à 92 %. Notre niveau d’endettement est plus élevé que jamais.
Avant que le gouvernement ne se lève pour prétendre que nous avons la dette la plus faible du G7 en pourcentage du PIB, je tiens à dire que c’est tout simplement faux. La seule raison pour laquelle Finances Canada la calcule de cette façon, c’est qu’il utilise les actifs du RPC et du RRQ qu’il déduit de notre niveau d’endettement net global en ignorant les passifs correspondants que ces fonds doivent verser. Par conséquent, si l’on ne tient pas compte de cela et qu’on examine notre dette brute, nous avons un niveau d’endettement plus élevé que l’Allemagne et, je crois, que la France, au G7. Autrement dit, nous ne figurons pas parmi les niveaux d’endettement les plus bas des pays du G7. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas nous inquiéter et de nous leurrer en prétendant que l’accumulation soutenue de la dette publique ne pose pas de problème.
Cette année, la dette a augmenté de façon spectaculaire et sans précédent. Notre déficit budgétaire est de 381 milliards de dollars. Il s’élève à presque sept fois plus que la moyenne historique précédente, et il équivaut à 17 % de notre PIB. Mettons ces choses en perspective.
Pendant la Première Guerre mondiale, notre ratio déficit-PIB était de 8 %. Pendant la Grande Dépression, il était de 6 %. Pendant la grande récession mondiale, il était de 4 %. Autrement dit, notre déficit en pourcentage de l’économie, rajusté en fonction de l’inflation, est actuellement deux fois plus élevé qu’il ne l’était au plus fort de la Première Guerre mondiale, trois fois plus élevé qu’au plus fort de la Grande Dépression et quatre fois plus élevé que lors de la grande récession mondiale. Ce n’est qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale qu’il a pris de l’ampleur, et nos ancêtres, lorsqu’ils sont revenus de la guerre, ont immédiatement commencé à rembourser cette dette, produisant en 1947 les excédents les plus élevés jamais enregistrés. Ils ont ensuite multiplié la croissance de notre économie par 11 au cours des deux décennies et demie qui ont suivi, ce qui leur a permis de rembourser rapidement. Comme personne ne laisse entendre que nous allons produire un excédent ou un taux de croissance de cette importance dans l’ère post-COVID, notre dette est sans doute plus inquiétante qu’elle ne l’était à l’époque. Par conséquent, le Canada répond également aux critères du deuxième grand indicateur, c'est-à-dire l'accumulation soutenue de la dette.
Passons maintenant au niveau d’endettement des ménages. De tous les pays du G7, le Canada affiche le plus haut niveau d’endettement des ménages par rapport au revenu disponible. En fait, récemment, le niveau d’endettement des ménages a dépassé celui de l’ensemble de l’économie canadienne, établissant encore une fois des records. Ces ratios signifient que nos ménages sont plus endettés que ce que notre économie peut raisonnablement soutenir.
Selon le président et premier dirigeant de la SCHL: « Les Canadiens font partie des leaders en ce qui concerne l’endettement des ménages. Avant la crise de la COVID, le ratio de la dette [...] par rapport au PIB était de 99 pour cent au Canada. [...] Ces ratios sont bien plus élevés que le seuil de 80 pour cent au-dessus duquel la Banque des règlements internationaux a démontré que la dette nationale accentue le ralentissement de la croissance du PIB. » Autrement dit, un organisme international comme la Banque des règlements internationaux affirme que les pays ne devraient pas dépasser 80 %, alors qu’avant la COVID, nous en étions déjà à près de 100 %. Depuis, la dette a augmenté encore plus.
C’est le troisième facteur déterminant de la prochaine crise de l’endettement, l’augmentation de l’endettement des ménages. Passons maintenant au facteur suivant, à savoir l’inflation des actifs.
Aujourd’hui, au Canada, les actifs que possèdent les Canadiens valent 17 fois la taille de l’économie canadienne. La moyenne historique est de 12 fois. Autrement dit, le rythme de croissance de la valeur de nos actifs dépasse rapidement celle de notre économie. Cela ne peut pas durer éternellement, parce que, bien sûr, les actifs ne peuvent être achetés qu’à partir des revenus générés par l’économie. Ces actifs se divisent plus ou moins en deux parties, soit les actifs financiers et les actifs immobiliers.
En ce qui concerne les actifs financiers, examinons l’indice S&P/TSX, le plus vaste du pays. Jusqu’à il y a quelques années, la valeur marchande de cet indice n’avait jamais dépassé la taille de notre économie. Elle avait toujours été inférieure au PIB. Tout cela a changé au cours des 24 derniers mois, et elle a soudainement grimpé à 120 %, selon Rosenberg Research, une société de recherche économique de premier plan. Cet indice représente maintenant 120 % du PIB. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Or, comme les entreprises inscrites doivent tirer leurs profits de l’économie, la valeur de leurs actions ne peut pas être complètement étrangère à la capacité de l’économie de générer des revenus et de soutenir le cours des actions.
Passons maintenant à l’immobilier, où les prix ont augmenté de 65 000 $ cette année. Les députés peuvent-ils s’imaginer que, dans une année où notre économie a perdu plus de 100 milliards de dollars en production et où des centaines de milliers de personnes ont perdu leur chèque de paie et ont été forcées de rester enfermées chez elles, nous avons trouvé tout cet argent pour acheter des biens immobiliers? En fait, entre le début de 2019 et le milieu de 2020, l’inflation de nos actifs au Canada a été plus importante que l’ensemble de notre économie. Il y a eu une inflation des actifs de 2,7 billions de dollars dans une économie d’un peu plus de 2 billions de dollars. C’est comme si quelqu’un gagnait plus d’argent chaque année grâce à la valeur de sa maison que grâce au salaire qu’il y rapporte.
Ce serait merveilleux si cela pouvait durer éternellement et si nous pouvions simplement flotter dans une bulle de prospérité; mais nous savons qu’en fait, nos actifs ne valent que ce que nous sommes capables de payer pour les avoir. Les Canadiens ont-ils les moyens d’avoir les maisons qu’ils ont maintenant? Les députés peuvent poser la question à la RBC et à la SCHL. La SCHL dit que pour qu’un logement soit considéré comme abordable pour une famille, celle-ci ne doit pas y consacrer plus de 30 % de son budget. Selon la RBC, la moyenne est actuellement de 50 %. Cela veut dire que, pour pouvoir acheter une maison à coût moyen, une personne doit y consacrer actuellement 20 points de pourcentage de plus de son budget familial. En plus, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. Dès qu’ils augmenteront, la part du budget consacrée au logement sera de plus en plus élevée.
Y a-t-il une inflation des actifs au Canada? Oui, et probablement plus que jamais auparavant. L’inflation des actifs est le quatrième grand indicateur d’une prochaine crise de la dette.
Cela nous amène au dernier grand indicateur établi par ces économistes de Harvard dans le cadre de leur étude portant sur une période de 800 ans de crises financières. Il s’agit du déficit du compte courant.
Pour simplifier à outrance et nous faire gagner du temps, le déficit du compte courant se produit essentiellement lorsque les montants que nous dépensons pour acheter excèdent les montants que nous rapportent nos ventes. En gros, le Canada achète des biens importés et vend des exportations. La vérité, c’est que nous achetons beaucoup plus des autres pays que nous leur vendons.
De 2015 à aujourd’hui, le déficit du compte courant du Canada s’établit à environ 300 milliards de dollars. Autrement dit, le coût de ce que nous avons acheté à l’étranger dépasse de 300 milliards de dollars le produit de vos ventes, et nous avons emprunté pour combler la différence. Comment pourrions-nous faire autrement? Si nous achetons plus que nous vendons, il n’y a que deux façons de faire: épuiser nos économies ou nous endetter. Nous avons fait un peu des deux, mais surtout, nous n’avons cessé d’alourdir notre dette. C’est pourquoi nous avons de plus en plus d’obligations liées à ce que nous avons déjà consommé.
J’aimerais dire que cette dette a servi exclusivement à investir dans des actifs productifs comme des usines, des logiciels, des brevets et d’autres choses qui vont générer des revenus pour rembourser cette dette, mais les faits démontrent que la nouvelle dette a surtout servi à notre consommation immédiate. En fait, des données recueillies après l’entrée en vigueur des programmes gouvernementaux, qui, à mon avis, étaient justifiés et devaient être mis en place, indiquent qu’une grande partie de l’argent est allé à l’extérieur du pays parce que, en tant que Canadiens, nous avons tous importé plus de biens de l’étranger que nous en avons produit et exporté. Cela signifie que, l’an dernier, nous avons creusé notre déficit commercial, qui est venu s’ajouter à notre dette globale.
Au cours des mois d’avril et de mai 2020, les Canadiens ont emprunté 80 milliards de dollars de plus à l’étranger, selon David Dodge, qui a récemment publié un article à ce sujet pour le Forum des politiques publiques. Il se demandait précisément combien de temps il serait possible pour les Canadiens, pour notre pays, d’emprunter dans le monde entier pour acheter dans le monde avant que le monde ne se lasse de nous prêter de l’argent. Le fait est que notre compte courant accuse constamment un lourd déficit qui arrive au deuxième rang parmi ceux des pays du G7, après celui du Japon. C’est un problème inévitable auquel nous devrons faire face parce que le monde n’est pas prêt à considérer notre économie comme indigente. Les prêteurs du monde entier s’attendront à recevoir des intérêts sur toute la dette que nous reportons.
En fait, la seule façon de rembourser cette dette est de générer d’importants revenus. Malheureusement, depuis 2012, le Canada a exporté 800 milliards de dollars nets d’investissements de plus qu’il en a rapportés. Autrement dit, nous investissons dans des biens de production dans d’autres pays tout en nous endettant auprès d'eux. Ils obtiennent des usines, des logiciels, des brevets ou des pipelines et nous accumulons des dettes à grande échelle. Il s’agit du cinquième indicateur permettant de déterminer si une crise de la dette se produira, et nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute qu’avec les déficits du compte courant de 300 milliards de dollars que nous avons enregistrés au cours des cinq dernières années, le Canada répond effectivement aux critères de cet indicateur, le principal annonçant une crise de la dette.
Il y a cinq indicateurs et nous répondons aux critères de chacun d’eux. Que pouvons-nous faire? La réponse est que nous devons libérer le pouvoir de notre économie productive pour ouvrir la voie à la création d’emplois.
Cette semaine est la Semaine de la sensibilisation à la paperasserie. Éliminons les tracasseries administratives qui empêchent les entreprises de recruter des travailleurs. Approuvons des projets d’envergure comme la mine Frontier de Teck en Alberta ou le projet de gaz naturel liquéfié au Saguenay. Ces projets représentent des dizaines de milliards de dollars d’activité économique. Faisons en sorte de devenir l’endroit au monde où l’on peut obtenir le plus rapidement un permis de construction. À l’heure actuelle, nous nous classons au 34e rang sur 35 pays de l’OCDE à cet égard. Soyons l’endroit où l’on peut le plus rapidement construire une usine, un pipeline ou une autre infrastructure économique qui verse des salaires et qui peut contribuer à rembourser nos dettes et à soutenir notre prospérité. Modifions les règles fiscales et réglementaires qui empêchent les collectivités des Premières Nations de faire du commerce et de mettre en valeur les ressources dans leurs réserves. Éliminons les pénalités pour les personnes à faible revenu qui veulent se sortir de l’aide sociale afin de pouvoir retourner au travail. Permettons aux nouveaux arrivants, aux immigrants, d’utiliser leurs compétences en leur donnant des permis pour travailler dans les professions et les métiers pour lesquels ils sont qualifiés. Remplaçons ce qui est devenu une économie où les gens payent tout avec leurs cartes de crédit par une économie dans laquelle ils touchent un chèque de paye. À elle seule, cette mesure assurera notre avenir.