Madame la Présidente, ce n'est vraiment pas de gaieté de cœur que je prends la parole aujourd'hui sur le projet de loi C‑233.
Le Bloc québécois n'est bien évidemment pas favorable au projet de loi, qui est essentiellement un projet de loi anti-choix. Le Bloc québécois défend sans compromis le droit des femmes à disposer de leur corps, le droit des femmes au libre‑choix et le droit à des services d'avortement gratuits et accessibles. Bien entendu, le Bloc québécois n'approuve pas la pratique de l'avortement sexo‑sélectif, mais s'oppose à ce que l'État intervienne pour dire aux femmes comment disposer de leur corps. Les femmes sont libres de poursuivre ou non leur grossesse.
La lutte pour l'avortement sexo‑sélectif est un prétexte utilisé par les conservateurs pour provoquer un débat sur le droit à l'avortement. Bien que les conservateurs prétendent ne pas vouloir rouvrir le débat sur cette question, ils reviennent sans cesse à la charge. Le projet de loi C‑233 en est un autre un exemple. Les conservateurs sont à la recherche de nouvelles bases juridiques menant à la criminalisation de l'avortement. Si la pratique de l'avortement sexo‑sélectif est fondée sur des idées misogynes et sexistes, on ne peut pas le combattre en imposant plus de contrôle social aux femmes. On ne combat pas le sexisme par le sexisme. La solution n'est pas plus de contrôle, mais plus d'égalité.
Je vais donc en parler en poursuivant l'argumentaire du Bloc québécois. Je parlerai ensuite de l'importance de défendre le droit des femmes de disposer elles-mêmes de leur corps et je terminerai en faisant des liens avec la santé reproductive.
Le Bloc québécois estime que la manipulation rhétorique, le détournement du discours sur les droits de la personne et la lutte contre les discriminations à des fins tierces sont des stratagèmes dépassés et usés qui ne font pas honneur à leurs auteurs et qui minent la confiance des citoyennes et des citoyens dans les institutions démocratiques.
Le détournement du discours sur les droits de la personne met à mal le combat pour les droits de la personne. C'est la responsabilité morale des parlementaires d'énoncer leurs intentions réelles lorsqu'ils engagent le dialogue au nom des citoyennes et des citoyens qu'ils représentent. Il en va de la qualité de la conversation démocratique. Or le camouflage du discours sur le droit à l'avortement met à mal la qualité de la conversation démocratique. En conséquence, ces pratiques doivent être reconnues et dénoncées et doivent cesser. Le Bloc québécois exige que le chef du Parti conservateur reconnaisse publiquement que le projet de loi C‑233 n'est qu'un stratagème pour s'attaquer au droit à l'avortement, qu'il appelle ses députés à s'y opposer et qu'il rappelle à l'ordre la députée de Yorkton—Melville.
Je vais maintenant définir ce qu'est un avortement sexo‑sélectif. Il s'agit d'un avortement sélectif uniquement basé sur le sexe de l'enfant. Cela concerne principalement les fœtus de sexe féminin dans des pays où les normes culturelles valorisent les garçons. Au Canada, une étude de l'Association médicale canadienne, en 2016, a relancé le débat sur les avortements sélectifs au sein de certaines communautés sud-asiatiques en Ontario. Des informations suggèrent donc que, pour des raisons culturelles, certaines clientèles ont recours à l'avortement dans le but de favoriser la naissance masculine au Canada. Néanmoins, le phénomène est extrêmement marginal au Canada. Il n'y a aucun effet sur le ratio garçons‑filles des naissances au pays.
De plus, il serait erroné de croire que cette pratique est courante au sein des communautés culturelles au Québec et au Canada. La vaste majorité des communautés culturelles ne pratique pas la sélection des sexes. Surtout, la pratique s'essouffle et disparaît naturellement dans une ou deux générations. Ce changement s'explique précisément par l'effet de la culture et de la valorisation de l'égalité des sexes et ne procède pas d'une interdiction quelconque. Cela nous rappelle qu'on doit s'opposer aux manifestations des discriminations. Ce sont la valorisation de l'égalité et la promotion de l'avancement des droits qu'il faut mettre en avant, et non la contrainte et le contrôle. Ainsi, l'avortement sexo-sélectif est bien une pratique réelle et légale au Canada, mais beaucoup moins répandue qu'on le laisse entendre.
Je rappelle que la position des Québécoises est celle du Bloc québécois. Le débat sur le droit des femmes de disposer elles-mêmes de leur corps a déjà été fait au Québec. C'est une valeur fondamentale que nous portons.
Dans la foulée du débat sur l'avortement sexo‑sélectif, en 2012 et 2013, la Fédération des femmes du Québec avait exprimé clairement et publiquement sa position: opposition à la pratique de l'avortement sexo‑sélectif, rejet de l'interdiction et du contrôle des femmes et la condamnation de la tactique camouflée des conservateurs. Le Bloc québécois, fidèle à son engagement historique, est solidaire des femmes du Québec et fait sienne cette position.
Il y a une différence majeure entre le fait de s'opposer à la pratique de l'avortement sélectif et appuyer son interdiction dans le projet de loi. Le fait de favoriser la criminalisation de l'acte médical et d'exposer les médecins à des peines d'emprisonnement est un pas encore plus grand qui ne doit pas être franchi.
Nous savons que le problème que les conservateurs veulent résoudre n'est pas l'avortement sélectif, mais l'avortement tout court. Les Québécoises et Québécois ne sont pas dupes des tactiques conservatrices. Les femmes n'ont pas besoin de fournir de raisons pour mettre fin à leur grossesse. La seule préoccupation des professionnels de la santé est et doit être la santé et la sécurité de leurs patientes qui ont droit à un avortement sécuritaire.
Les dispositions prévues dans le projet de loi C‑233 mettent à mal cette sécurité en instituant un climat de peur et de méfiance dans la relation entre le médecin et la patiente.
La question de l'avortement sélectif n'est pas récente en politique fédérale. En 2012, un député conservateur avait déposé une motion pour le condamner, relançant du coup la question de l'avortement. Cette motion suivait celle d'un autre député conservateur sur les droits du foetus, qui voulait qu'un comité parlementaire soit créé pour étudier quand un foetus devrait être considéré comme un être humain, aux fins d'application des dispositions du Code criminel sur l'homicide. Ces tactiques antiavortement et visant à le criminaliser par des voies détournées avaient eu lieu malgré la promesse électorale de l'ancien premier ministre de ne pas rouvrir le débat sur l'avortement.
La députée de Yorkton—Melville a elle‑même un historique en matière de présentation de projets de loi antiavortement. N'est‑il pas curieux, d'ailleurs, de constater que les combats menés par la députée ne sont jamais ouvertement relatifs au droit à l'avortement, mais qu'ils résultent tous, sous une forme ou une autre, en une proposition de criminalisation de cet acte médical, laquelle serait passible de sévères peines de prison?
Aujourd'hui, en 2021, 33 ans après que l'avortement fut décriminalisé au Canada, les conservateurs poursuivent leur militantisme pro‑vie ou plutôt, selon moi, anti‑choix. En présentant au Parlement un projet de loi comme celui-ci, leurs assauts envers les droits des femmes sont payants politiquement lorsque vient le temps de plaire à la droite religieuse.
Au Bloc québécois, nous répondons que le projet de loi C‑233 offre à tous les parlementaires, peu importe leur couleur politique, l'occasion de refuser une loi rétrograde qui propose une solution inappropriée répondant à un faux problème. En la refusant, ils contribueront à mettre fin au problème chronique des attaques conservatrices contre l'intégrité des femmes et leur droit à disposer elles‑mêmes de leur corps.
Ce n'est que depuis 1988 et après bien des efforts que les femmes ont obtenu le droit de recourir légalement à l'avortement. Cet acquis fragile continue aujourd'hui à être menacé par ces opposants, qui déploient une série de tactiques destinées désormais à rouvrir ce débat et à limiter par des voies détournées le libre‑choix des femmes en matière d'avortement.
Au Québec, il existe un consensus voulant que le débat sur l'avortement ne soit pas rouvert. Ce consensus règne depuis le jugement rendu par la Cour suprême en 1988 invalidant les dispositions criminalisant l'avortement. La décision de recourir à l'avortement est l'une des plus délicates qui puisse survenir dans la vie d'une femme. Une décision aussi sérieuse doit relever des femmes et d'elles seules. Le Bloc québécois réitère son appui au libre-choix qui fait consensus au Québec. Le corps de la femme appartient à la femme.
Alors que les conservateurs ressassent inlassablement la même rengaine selon laquelle ils ne veulent pas rouvrir le débat sur l'avortement, ce sont eux qui ramènent régulièrement le débat.
Parlons maintenant de santé reproductive. Bien que les avortements sélectifs en fonction du sexe soient assez fréquents dans certaines régions et certains pays, le phénomène d'avortement sur le foetus féminin est plutôt rare au Canada puisqu'il n'y a que peu d'effets, voire aucun, sur la proportion entre le nombre de garçons et celui de filles. En fait, on parle d'un ratio de 105 garçons pour 100 filles, ce qui est comparable à la moyenne internationale.
L'adoption du projet de loi pourrait même avoir des conséquences raciales. Si le projet de loi C‑233 est adopté, des médecins pourraient effectuer du profilage racial en ne questionnant que les personnes enceintes d'origine asiatique ou indienne. Or, les Canadiens ne veulent pas appuyer une loi qui encourage le racisme. La santé et la sécurité de la femme sont en jeu. Les médecins et le personnel sont formés pour s'assurer que les patientes sont en accord avec leur décision et qu'aucune personne n'exerce de pression sur elles pour qu'elles se fassent avorter.
Cependant, une patiente risque de subir de la violence physique à la maison si elle n'a pas accès à un avortement sélectif en fonction du sexe du foetus. De plus, des femmes peuvent se sentir obligées de tomber enceintes jusqu'à ce qu'elles aient un garçon. Dans pareils cas, les avortements sont beaucoup plus risqués et les grossesses à terme le sont encore plus, particulièrement lorsqu'elles sont répétées et trop rapprochées.
La préoccupation première des professionnels de la santé doit être la santé et la vie de leurs patientes. Cela signifie de s'assurer qu'elles ont un avortement sécuritaire, peu importe leurs autres circonstances. Aucune raison n'a besoin d'être donnée pour avoir recours à un avortement au Canada: les médecins ne doivent pas poser de questions et la patiente n'a pas à révéler ces informations. Le projet de loi C‑233 pourrait susciter de l'intimidation à l'égard des patientes en les réduisant au silence, en plus d'instaurer un climat de peur et de méfiance, néfaste pour la santé, dans leur relation avec le médecin.
Je pourrais donc dire que ce projet de loi est effectivement motivé par des opinions anti‑choix et des croyances religieuses. L'objectif annoncé est de lutter contre la discrimination fondée sur les sexes, mais ce n'est pas le cas. Ce qu'il faut, c'est justement travailler à réduire ces inégalités.
En conclusion, on peut savoir si c'est une fille à l'échographie dès la douzième semaine. Or, déterminer que c'est une fille, c'est aussi déterminer que c'est un être humain, ce qui ouvre grand la porte à la réouverture du droit à l'avortement. Pour protéger véritablement la santé, la sécurité et le droit des femmes, nous devons voter contre le projet de loi C‑233, au nom du respect du droit des femmes à disposer elles‑mêmes de leur corps. Agissons.