Monsieur le Président, un optimisme prudent renaît dans la population. La vaccination progressant et, avec elle, l’immunité collective se rapprochant, les Canadiens peuvent de nouveau rêver d’un retour à quelque chose qui ressemble à la normale, bien que personne ne sache, évidemment, à quoi cela ressemblera. Cependant, certains commencent à se demander comment nous allons rembourser les dettes et combler les déficits qui se sont forcément accumulés au cours des 14 derniers mois. Le déficit budgétaire inquiète environ 74 % des Canadiens, et leur inquiétude est légitime.
Le gouvernement a, avec raison, injecté des milliards de dollars dans l’économie. Si l’on regarde les tableaux dans ce budget de 700 pages, on voit qu’une bonne partie de l’argent se trouve dans les comptes d’épargne des Canadiens. Il me semble que c’est une bonne chose. Les Canadiens sont connus pour ne pas assez épargner, pour être plus dépensiers qu’économes, mais ce n’est plus autant le cas à présent.
Le Graphique 22 du budget montre qu'au cours des 12 derniers mois, l'épargne a atteint l'équivalent de 8 % du PIB nominal. Cela représente énormément d’argent, tellement que les épargnants chercheront des occasions de dépenser une fois passée la pandémie. Comme le disent les documents budgétaires, il se peut fort que, grâce à cette épargne, l’économie ait le vent en poupe.
Toutefois, en général, quand beaucoup d’argent excédentaire est déversé dans l’économie, autrement dit que les consommateurs cherchent à dépenser, les prix augmentent. La main-d’œuvre devient plus chère, le coût des biens et des services grimpe et l'argent épargné ne permet pas d’acheter autant qu’avant. C’est alors que se pose un autre problème, celui de l’inflation.
Un article du Globe and Mail a retenu mon attention d’autre jour. Il parlait de décalage perçu entre l’indice des prix à la consommation, l’IPC, et ce que vivent les citoyens. Le prix du logement a augmenté de 2,4 % l’an dernier, ce qui est conforme à l’IPC de 2,2 % et nettement dans la fourchette d’inflation de la Banque du Canada. Parallèlement, le prix de revente moyen des maisons a augmenté de 32 %. Voilà un décalage entre ce que vivent les citoyens et les chiffres officiels. Comme le faisait remarquer un commentateur:
On se retrouve donc dans une situation où l'indice des prix à la consommation ne correspond pas à la réalité telle qu'elle est perçue par les consommateurs et où le taux d'inflation ne reflète pas tout à fait ce qu'il en coûte à long terme pour entretenir une maison par rapport aux autres biens de consommation [...] Il y a donc constamment un écart entre la hausse de l'indice des prix à la consommation calculé par Statistique Canada et la perception que les Canadiens ont de l'inflation.
L'article explique ensuite avec force détails les divers moyens de mesurer l'inflation, mais comme il s'agit de considérations plutôt arides, j'en fais grâce à la Chambre.
N'empêche que, si on se fie à un sondage mené en ligne l'année dernière par la Banque du Canada, 55 % des répondants estiment qu'à 2 %, le taux officiel de l'inflation ne correspond pas à l'expérience qu'ils en ont, tandis que 66 % d'entre eux sont d'avis que l'inflation est généralement supérieure à 2 % au Canada. Tous les calculs budgétaires sont fondés sur un taux d'inflation situé entre 2 et 3 % et partent du principe que la Banque du Canada va maintenir les taux d'intérêt à des niveaux très peu élevés. Le gouverneur de la Banque du Canada l'a très souvent répété.
Les Canadiens s'inquiètent de la taille du déficit parce qu'ils craignent que, si l'inflation devait augmenter soudainement, ce qui veut dire que les taux d'intérêt feraient de même, le déficit finirait par coûter tellement cher à l'État que celui-ci devrait couper ailleurs. Or, les plus grands économistes du pays s'entendent tous pour dire que le Canada peut se permettre un déficit très élevé et un ratio dette-PIB à l'avenant.
Nous sommes déjà passés par là. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, nous avions un ratio dette-PIB qui avoisinait les 116 % et, en 1995, nous nous sommes vu décerner le titre de membre honoraire du tiers monde. Notre ratio de la dette par rapport au PIB était alors de 67 %. Grâce à la croissance économique et à quelques mesures prudentes, nous avons pu redresser des situations qui étaient pires que ce que nous connaissons aujourd’hui avec un ratio de la dette-PIB d’environ 50 %, plus ou moins, prévu pour les cinq prochaines années.
Cependant, le doute persiste que l’IPC ne reflète pas tout à fait la réalité, du moins pas en ce qui concerne le logement, l’alimentation, le bois d’œuvre, l’acier ou le ciment. Dans le Globe and Mail de ce matin, l’article intitulé « Copper hits record high » porte, comme son nom l’indique, sur l’envolée des cours du cuivre, matière utilisée dans toute sorte d’activités, de la plomberie à l’électricité en passant par les énergies de remplacement, ainsi que sur la nervosité par rapport à l’approvisionnement et la politique monétaire accommodante de la Chine, qui incite les entreprises à dépenser plus.
Dennis Gartman, courtier basé en Virginie, déclare: « Les autorités monétaires, que ce soit la Réserve fédérale, la Banque du Canada, la Banque du Japon ou la Banque d’Angleterre, se montrent toutes extraordinairement expansionnistes. Quand on regarde le prix du cuivre, du plomb, du zinc, de l’aluminium, de l’étain, du minerai de fer et de l’acier, on peut en conclure qu’il se passe quelque chose dans l’économie mondiale. » Il ajoute: « La situation est inflationniste et il ne s’agit pas de circonstances passagères. Elles sont de nature constante. » C’est là que les choses pourraient mal tourner.
J’ai commencé par dire que les Canadiens ont beaucoup d’argent dans leurs comptes d’épargne et qu’une partie de cet argent servira à assouvir une demande refoulée. Qu’arrivera-t-il si les Canadiens veulent dépenser leur argent et que l’inflation a entamé leur épargne accumulée pendant la pandémie? Beaucoup de Canadiens seront très mécontents, voire furieux. Comme l’a déclaré un jour le grand philosophe Wayne Gretzky, il faut devancer la rondelle plutôt que la suivre. Des signes montrent que l’inflation pointe et si elle se matérialise, nous aurons encore un autre problème.
Je remercie le gouvernement de sa gestion des finances de la pandémie jusqu’ici, mais les Canadiens doivent reconnaître que les pressions inflationnistes sont là. Ce que nous en ferons déterminera dans une large mesure comment nous traverserons cette période de « vie normale ».