Madame la Présidente, ce soir, j'ai un super auditoire. J'espère être capable de me concentrer.
Stephen Hawking a dit un jour « [m]aintenant, nous sommes tous connectés par Internet, comme des neurones dans un cerveau géant. » Dans ce cerveau géant, un bon Internet, c'est comme un bon quotient intellectuel. Cela nous permet d'aller pas mal plus loin dans la vie. Or, le marché de service offrant Internet est problématique aussi bien pour ce qui est des fournisseurs que du cadre législatif et se résume en deux points intrinsèquement liés. Premièrement, la qualité du service et la vitesse de téléchargement laissent à désirer. Deuxièmement, les Québécois et les Canadiens paient beaucoup trop cher pour leurs services de télécommunication.
Le présent projet de loi vise, entre autres, à permettre aux consommateurs de faire un choix plus éclairé quand ils choisissent un fournisseur Internet, c'est-à-dire que les fournisseurs Internet n'auraient plus le droit de seulement montrer la plus haute vitesse théoriquement possible, mais devront montrer une vitesse moyenne, surtout en période de pointe. C'est un bon début.
D'entrée de jeu, mentionnons que les mesures proposées ne s'appliquent qu'aux services à bandes fixes et ne concernent donc pas les téléphones mobiles. Il est pourtant bien connu que les forfaits de téléphones cellulaires au Canada sont beaucoup plus chers qu'ailleurs dans le monde, mais passons.
Ce projet de loi contribuera à améliorer la situation, mais d'autres actions devront être entreprises. Comme je l'expliquerai, une discussion sur la concurrence et le pouvoir des marchés des grands joueurs des télécommunications s'imposent.
Je voudrais d'abord rappeler l'importance d'un accès Internet de haute qualité. C'est un service plus qu'essentiel. La qualité et l'abordabilité des services Internet sont intimement liées à la performance économique du Québec et du Canada.
Je vais raconter une petite anecdote. Dans mon ancienne vie de consultante, j'ai pu faire un mandat dans la République de Palau. C'est une petite île paradisiaque dans le milieu du Pacifique où j'ai pu aider le ministère des Finances à améliorer les standards environnementaux, sociaux et comptables pour pouvoir recevoir de l'argent des fonds étrangers. Sur l'île de Palau, il n'y a pas vraiment d'Internet. Cela a fait que mon séjour a pu se passer très bien avec peu de connexion à Internet, donc moins potentiellement moins de travail, mais finalement, on le voit, le développement économique de cette île en a beaucoup souffert. Je l'ai vécu.
La tendance est à la numérisation de l'économie depuis plusieurs années et cela s'est accéléré avec la pandémie. L'arrivée massive du télétravail et la capacité de travailler à distance devraient permettre de développer les régions du Québec et du Canada. Malheureusement, le gouvernement libéral peine à suivre les développements technologiques et la numérisation de l'économie. Ses politiques désuètes font du Canada un cancre en matière d'abordabilité des télécommunications.
Je considère qu'il est futile de parler de développement économique sans parler de la qualité de l'accès au réseau Internet. C'est un enjeu aussi important au développement économique que fut de développement du réseau électrique dans les années 1960 au Québec.
D'ailleurs, le gouvernement du Québec travaille très fort pour améliorer l'accès au service Internet, particulièrement dans les régions éloignées. L'accès à Internet haute vitesse pour l'ensemble des foyers admissibles sur le territoire québécois est une priorité du gouvernement du Québec. D'ailleurs, il y a investi des sommes importantes. À ce jour, le gouvernement du Québec a prévu à son budget 1,3 milliard de dollars pour accélérer le branchement des foyers à Internet haute vitesse. À titre de comparaison, le gouvernement du Canada a investi 1 milliard de dollars cette année pour porter le total de son fonds à 2,75 milliards de dollars. Au Québec, c'est environ 150 $ par personne. Au Canada, ce n'est qu'à peu près 75 $ par personne, la moitié.
Regardons maintenant à l'international. Le journal The Economist collige chaque année les données sur les services Internet d'une centaine de pays. Bien que le Canada ait un bon score dans la qualité de ses infrastructures et la littératie, soit l'éducation et la capacité des Canadiens à utiliser les services Internet, il glisse rapidement dans le classement pour la concurrence et le niveau des prix.
En effet, si l'on souhaite réellement réduire les factures de télécommunication et améliorer la qualité du service, c'est du côté de la Loi sur la concurrence qu'il faut regarder. Le Canada a la fâcheuse habitude de tolérer et même parfois d'encourager des pratiques monopolistiques. Dans plusieurs marchés au pays, dont les télécommunications, une poignée d'entreprises se partage tout le marché. Ce que cela fait, c'est que cela offre une plus grande marge de manœuvre aux fournisseurs dans leur capacité de déterminer le prix du service.
Petit rappel d'économie: dans un marché idéal, le prix d'un service est équivalent au coût marginal, c'est‑à‑dire au coût que le fournisseur paie pour offrir ce service. Il est assez facile de démontrer, et cela a été étudié par des économistes, que nous payons, au Québec et au Canada, un prix qui est bien supérieur au coût marginal. Il y a des gens qui sont d'accord. Par exemple, Bell, Rogers, Shaw et Telus se partagent 71,7 % des revenus pour les services Internet. C'est ce qu'on appelle un oligopole, un marché à peu de têtes. Pour les services de téléphonie mobile, c'est encore pire. Trois entreprises, soit Bell, Rogers et Telus, se partagent près de 91 % du marché.
En règle générale, un nombre accru d'entreprises dans un même marché fait deux choses qui avantagent les consommateurs et qui sont, en fin de compte, bonnes pour l'économie. Une concurrence saine dans un marché tend à diminuer les prix payés par les consommateurs. Par ailleurs, pour attirer et conserver une clientèle, la qualité du service offert se voit souvent améliorée. Bien que cette règle ne soit pas absolue, elle s'applique particulièrement bien aux marchés des télécommunications. Regardons encore ce qui se fait dans d'autres pays. Les prix des télécommunications sont bien plus faibles en Europe, où il y a un grand nombre de fournisseurs de services de télécommunications. Dans la liste du journal The Economist, la France, l'Espagne, les Pays‑Bas et la Suède sont tous mieux classés que le Canada selon l'indice d'accessibilité aux services Internet.
Cet été, le gouvernement libéral a adopté une réforme de la concurrence qui n'est toutefois pas suffisante pour faire de réels changements. Les politiques du gouvernement libéral en matière de concurrence sont périmées et mal adaptées à la réalité de l'économie numérique québécoise et canadienne. Concrètement, certaines sections de la Loi sur la concurrence, qui date des années 1980, sont désuètes et sont mûres pour une sérieuse mise à jour. Ce n'est pas seulement le Bloc québécois qui l'avance, mais bien le commissaire à la concurrence. Il a d'ailleurs publié en janvier une liste de recommandations pour moderniser la Loi sur la concurrence. Parmi celles-ci, il recommande de retirer la disposition de la défense sur les gains d'efficacité qui permet à une compagnie de fusionner avec une autre sous prétexte qu'elle sera plus efficace. On va se le dire d'entrée de jeu, cette disposition est une anomalie. Elle n'existe pas sur la scène internationale. Au Canada, elle existe et elle désavantage beaucoup de consommateurs. Elle devrait donc être retirée de la Loi.
Cette défense pourrait d'ailleurs être invoquée dans la transaction de Shaw et Rogers, qui est en ce moment en audience. Rappelons que deux des quatre entreprises qui forment l'oligopole sur les télécommunications en matière d'Internet veulent fusionner leurs services. Lorsque cette défense est invoquée, le Bureau de la concurrence ne peut pas bloquer la transaction, même si elle est anticoncurrentielle. Dans un marché déjà considéré comme oligopolistique, cette transaction ne devrait pas avoir lieu. D'ailleurs, s'exprimant devant le Tribunal de la concurrence très récemment, un économiste de l'Université Dalhousie, M. Osberg, a affirmé que les Canadiens à faible revenu qui doivent déjà composer avec les pressions inflationnistes seraient les plus touchés si les prix des télécommunications augmentaient dans la foulée de la fusion. La dernière chose dont nous avons besoin en ce moment, c'est de réduire encore la concurrence et faire en sorte que les prix augmentent encore plus.
L'autre élément recommandé par le commissaire comme un changement important à la Loi sur la concurrence a trait au fait que le Bureau de la concurrence n'a pas le dernier mot sur une transaction. Un ministre, un élu, quelqu'un qui est tout sauf neutre, peut prendre une décision contraire à la recommandation du Bureau. C'est ce qui arrive. Dans le cas de la fusion de Shaw et Rogers, le ministre de l'Industrie est intervenu pour défendre la transaction. Oui, il défend cette transaction, en proposant qu'une partie de Shaw soit plutôt acquise par un autre des quatre fournisseurs. Devinons quelle a été la réponse du Bureau: non, ce n'est pas suffisant comme solution. Or, malheureusement, ce n'est pas sa décision. Ce sera ultimement la décision du ministre.
En conclusion, le Bloc québécois est en faveur du projet de loi C‑288, puisqu'il permettra aux consommateurs de faire un choix plus éclairé sur les forfaits Internet. Les consommateurs doivent pouvoir consulter la vitesse de téléchargement réelle qu'ils obtiendront plutôt que la plus haute vitesse théorique. Comme la vitesse en période de pointe est plus faible, il est important que les consommateurs puissent obtenir de l'information juste sur le service qu'ils obtiendront à ces heures.
En bref, le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais il n'est manifestement pas suffisant. Comme mon cher chef aime le rappeler, le Bloc québécois ne s'oppose jamais à la tarte aux pommes. Toutefois, comme je le sais si bien, une tarte aux pommes, ce n'est pas assez nutritif pour souper. Il faut plus.
J'espère donc avoir démontré en peu de temps l'importance d'une réforme en profondeur du Bureau de la concurrence, d'une vraie réforme où les lobbys des géants des télécommunications arrêteront d'abuser de leur position de pouvoir et où les consommateurs, les honnêtes citoyens et les honnêtes citoyennes seront enfin protégés.